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Date : 20220520


Dossier : IMM‑1585‑20

Référence : 2022 CF 748

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 mai 2022

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE :

FAKHAR HUSSAIN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision datée du 17 février 2020 [la décision] par laquelle un agent d’immigration [l’agent] d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] a rejeté la demande de résidence permanente présentée par le demandeur au titre de la catégorie de l’expérience canadienne, au motif qu’il était interdit de territoire. L’agent a conclu que le demandeur était interdit de territoire aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], puisqu’il n’avait pas établi l’admissibilité de son épouse lors du contrôle comme l’exige l’alinéa 51b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement].

[2] Le demandeur est un citoyen du Pakistan âgé de 34 ans. Il a présenté une demande de résidence permanente à titre de travailleur qualifié dans le cadre du Programme des travailleurs qualifiés depuis le Pakistan en mars 2017. La demande a été approuvée le 2 octobre 2018 et le visa du demandeur a été délivré.

[3] Le 24 décembre 2018, le demandeur s’est marié, mais, par erreur, il n’a pas mis à jour son dossier ni informé le bureau des visas de ce changement dans sa situation familiale.

[4] Le 20 janvier 2019, le demandeur est arrivé à l’aéroport international Pearson. À son arrivée, un agent de l’ASFC lui a demandé s’il y avait eu un changement dans sa situation familiale. Il a immédiatement et de plein gré dit aux agents qu’il était marié.

[5] Par conséquent, le demandeur n’a pas obtenu le droit d’établissement, puisque l’alinéa 51b) du Règlement exige que l’étranger titulaire d’un visa de résident permanent qui cherche à devenir un résident permanent établisse, lors du contrôle, que lui et les personnes à sa charge, qu’ils l’accompagnent ou non, sont admissibles au Canada. Le demandeur a été autorisé à entrer au Canada, mais son passeport a été saisi. Son visa et son statut de résident permanent ont été annulés peu après.

[6] Le demandeur a sollicité l’aide de sa députée, l’honorable Judy Sgro. Peu après, IRCC a rouvert son dossier. Le demandeur a pu y inclure son épouse : elle a fait l’objet d’un contrôle, à l’issue duquel il a été conclu qu’elle satisfaisait aux exigences.

[7] À ce moment‑là, le demandeur s’attendait à ce que son visa et son statut de résident permanent soient rétablis. Il semblerait qu’IRCC était sur la même longueur d’onde.

[8] Le demandeur pensait que l’erreur qu’il avait commise en omettant d’informer IRCC de son mariage avant son arrivée au Canada était pardonnée.

[9] Il se trompait. Je dis cela parce que l’ASFC, qui est chargée de l’application de la LIPR, a engagé des procédures à l’encontre du demandeur et a établi un rapport en vertu de l’article 44, le 7 février 2019, se rapportant à l’article 41. Cette procédure pouvait aboutir, et a finalement abouti, à un constat d’interdiction de territoire à l’égard du demandeur prononcé par la Section de l’immigration [la SI], bien que, comme indiqué ci‑dessous, non sans hésitation de la part du commissaire de la SI.

[10] Le demandeur a été informé le 7 février 2019 qu’il pouvait quitter volontairement le Canada ou qu’il pouvait voir son cas déféré à la SI aux fins d’une enquête. Le demandeur a choisi de rester au pays en croyant à tort, mais peut‑être raisonnablement, qu’IRCC s’occupait de l’affaire, ce qui semblait être le cas. Je dis « peut‑être », parce qu’il s’agit d’une question qui sera tranchée lors du réexamen que j’ordonne en l’espèce.

[11] La SI a tenu une enquête le 21 novembre 2019 et a conclu que le demandeur était interdit de territoire aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR et de l’alinéa 51b) du Règlement. Une mesure d’exclusion a été prise contre le demandeur, mais non sans hésitation.

[12] À l’audience de la SI, le commissaire de la SI a exprimé à plusieurs reprises ses préoccupations quant au fait que l’ASFC avait entamé une procédure d’exclusion à l’égard du demandeur alors qu’IRCC avait rouvert son dossier en vue, peut‑être (je ne me prononce pas sur cette question), de rétablir son visa et son statut de résident permanent.

[13] Le commissaire de la SI a fait observer qu’il s’agissait d’une affaire dans laquelle [TRADUCTION] « deux voix s’opposent ». À mon avis, la préoccupation de la SI est justifiée, car, au Canada, l’autorité exécutive du gouvernement est dévolue à la Couronne et, en toute déférence, elle doit s’exprimer d’une seule voix aux demandeurs, comme celui en l’espèce. Voir l’article 9 de la Loi constitutionnelle de 1867 (R‑U), 30 & 31 Vict, c 3 :

9. À la Reine continueront d’être et sont par la présente attribués le gouvernement et le pouvoir exécutifs du Canada.

9. The Executive Government and Authority of and over Canada is hereby declared to continue and be vested in the Queen.

[14] Le 23 janvier 2020, le demandeur a reçu une lettre relative à l’équité procédurale, indiquant les raisons pour lesquelles il avait été jugé interdit de territoire et les conséquences de la mesure d’exclusion prise à son égard.

[15] Le demandeur s’est vu offrir l’occasion de répondre à cette lettre.

[16] Il convient de noter que le conseil du demandeur y a répondu le 14 février 2020 en demandant la levée de l’interdiction de territoire pour des considérations d’ordre humanitaire en application de l’article 25 de la LIPR.

[17] Plusieurs considérations d’ordre humanitaire ont été soulevées; celles‑ci portaient sur divers aspects du traitement qu’accorde [TRADUCTION] « d’une part » l’ASFC au demandeur et, [TRADUCTION] « d’autre part », le traitement que lui accorde IRCC, comme l’évoquait le commissaire de la SI.

[18] Cependant, la demande présentée par le demandeur a été rejetée le 17 février 2020, ce qui a mené à la présente demande de contrôle judiciaire.

[19] Le demandeur soulève la préclusion promissoire et le caractère insuffisant des motifs.

[20] Je m’abstiens de tirer une conclusion en ce qui concerne la préclusion promissoire, puisqu’il est possible que le conseil souhaite présenter cet argument lors du réexamen que j’ordonne, de sorte qu’il pourrait s’agir d’une question à trancher par les fonctionnaires.

[21] Je reconnais que le demandeur n’aurait pas eu de problèmes s’il était retourné au Pakistan et avait attendu qu’une décision soit rendue, plutôt que de rester au Canada. Le défendeur a d’ailleurs insisté sur cet élément.

[22] Cependant, à l’instar du commissaire de la SI, je suis également préoccupé par la façon dont les deux instances du gouvernement ont traité le demandeur dans ce cas inhabituel, ce qui explique en partie pourquoi j’ordonne un réexamen.

[23] Je ne suis pas non plus convaincu que le ministre défendeur ou les personnes qui exercent ses pouvoirs délégués se soient attaqués de façon significative aux questions soulevées dans le présent dossier avant de rejeter la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par le demandeur. L’obligation de s’attaquer de façon significative aux questions clés est énoncée au paragraphe 128 de l’arrêt Vavilov :

[128] Les cours de révision ne peuvent s’attendre à ce que les décideurs administratifs « répondent à tous les arguments ou modes possibles d’analyse » (Newfoundland Nurses, par. 25) ou « tire[nt] une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à [leur] conclusion finale » (par. 16). Une telle exigence aurait un effet paralysant sur le bon fonctionnement des organismes administratifs et compromettrait inutilement des valeurs importantes telles que l’efficacité et l’accès à la justice. Toutefois, le fait qu’un décideur n’ait pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties permet de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise. En plus d’assurer aux parties que leurs préoccupations ont été prises en considération, le simple fait de rédiger des motifs avec soin et attention permet au décideur d’éviter que son raisonnement soit entaché de lacunes et d’autres failles involontaires : Baker, par. 39.

[Non souligné dans l’original.]

[24] Le défendeur a fait valoir que, bien que les motifs soient succincts, ils sont adéquats. Je ne suis pas de cet avis. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une question de quantité par rapport à la qualité, les motifs de rejet des considérations d’ordre humanitaire soulevées en l’espèce qui ont été énoncés dans la lettre de décision datée du 17 février 2020 sont en soi manifestement inadéquats :

[TRADUCTION]

Je ne suis pas convaincu que les considérations d’ordre humanitaire qui m’ont été présentées justifient l’octroi d’une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR. La demande est donc rejetée.

[25] La note consignée dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC] apporte un complément d’information, mais à mon humble avis, elle ne répond pas à l’exigence établie dans l’arrêt Vavilov. Le passage crucial de la décision, qui suit des commentaires préliminaires sans conséquence, est libellé ainsi :

[TRADUCTION]

L’appelant n’a soulevé aucune considération d’ordre humanitaire particulière, si ce n’est son désaccord avec les interventions de l’ASFC relativement à l’établissement du rapport fondé sur l’article 44, à la prise de la mesure de renvoi ainsi qu’au retard dans le traitement de sa demande de résidence permanente.

En toute déférence, il s’agit d’un énoncé qui ne satisfait pas à l’exigence établie dans l’arrêt Vavilov selon laquelle les questions clés soulevées dans la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire doivent être abordées de manière significative. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale à certifier, et je n’en propose aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1585‑20

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision est annulée et que l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision. Aucune question de portée générale n’est certifiée et aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1585‑20

 

INTITULÉ :

FAKHAR HUSSAIN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 MAI 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 20 MAI 2022

COMPARUTIONS :

Richard Wazana

POUR LE DEMANDEUR

Ian Hicks

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wazana Law

Cabinet d’avocats

Droit de l’immigration et des réfugiés

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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