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Date : 20211208


Dossier : IMM‑5419‑20

Référence : 2021 CF 1374

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 décembre 2021

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

NINA MENIUK

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Nina Dmytrivna Meniuk (Mme Meniuk ou la demanderesse) est une citoyenne ukrainienne de 70 ans. Sa fille unique et ses deux (2) petits‑enfants sont citoyens canadiens et habitent dans la région de Toronto. De 2006 à 2017, Mme Meniuk et son mari sont souvent venus rendre visite à leur fille et à leurs petits‑enfants au Canada. Quatre (4) visas de résident temporaire (VRT) ont été délivrés à Mme Meniuk et à son mari entre 2005 et 2013. Le mari de Mme Meniuk est décédé en 2017. Cette dernière a continué de rendre visite à sa fille et à ses petits‑enfants, et elle n’a pas quitté le Canada depuis décembre 2018. Elle possède un VRT valide, qui expire en janvier 2023.

[2] Le 15 août 2018, Mme Meniuk a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire au titre de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Un agent d’immigration (l’agent) a rejeté cette demande le 30 septembre 2020. Mme Meniuk sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de l’agent au titre du paragraphe 72(1) de la LIPR.

[3] Pour les motifs exposés ci‑dessous, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

II. Éléments qui sous‑tendent la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire

[4] Dans sa demande de résidence permanente, Mme Meniuk a invoqué son désir d’être auprès de sa famille au Canada après le décès de son mari, son degré d’établissement au Canada, l’intérêt supérieur de son petit‑fils, Daniel, alors âgé de 8 ans, ses problèmes de santé mentale attribuables à la perspective de son retour en Ukraine et les conditions défavorables dans ce pays. Succinctement, les conditions défavorables en Ukraine comprennent ce qui suit : le conflit qui persiste entre le gouvernement ukrainien et les séparatistes dans l’Est du pays, l’influence de la Russie dans les affaires ukrainiennes, le taux élevé de criminalité dans les rues attribuable au déplacement de personnes qui se trouvent dans les zones de conflit et la crainte de représailles de la part d’un homme en Ukraine qui avait une relation tendue avec le défunt mari de la demanderesse.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

A. Établissement et attaches au Canada

[5] L’agent a tenu compte du fait que, à la date de l’audience, Mme Meniuk résidait au Canada depuis deux ans et demi, qu’elle était bénévole dans une église de la région de Toronto et qu’elle avait suivi des cours d’anglais en 2017 et 2018. Il a également pris en compte les lettres de soutien favorables acceptées en preuve. L’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant que Mme Meniuk avait atteint un degré exceptionnel d’établissement au Canada.

[6] L’agent a tenu compte des liens solides de Mme Meniuk avec sa fille et ses petits‑enfants au Canada. Il a également pris en compte le fait qu’elle possède un VRT qui expire en janvier 2023, ce qui lui permet de rendre visite à sa famille au Canada pendant de longues périodes. L’agent a également souligné que Mme Meniuk est en mesure de rester en contact avec sa famille lorsqu’elle est en Ukraine grâce à divers modes de communication électroniques. Il a également fait observer que Mme Meniuk pourrait déposer une demande de parrainage dans la catégorie du regroupement familial pour obtenir la résidence permanente. Il a conclu que tous les éléments de preuve ci‑dessus montrent que les liens familiaux ne seraient pas rompus si la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire était rejetée.

B. Intérêt supérieur de l’enfant

[7] L’agent a tenu compte de l’intérêt supérieur de Daniel, le petit‑fils de 12 ans de Mme Meniuk. Celle‑ci a soutenu qu’un lien privilégié l’unit à Daniel et qu’une séparation serait traumatisante pour tous les deux. Une évaluation psychologique préparée en décembre 2016 a révélé que l’absence de Mme Meniuk de la vie de Daniel entraînerait une [TRADUCTION] « détresse psychologique disproportionnée pour [lui] […] compte tenu de son jeune âge ».

[8] L’agent a accepté la preuve du lien privilégié qui unit Mme Meniuk et son petit‑fils. Il a reconnu qu’une séparation serait difficile pour elle comme pour lui. L’agent a accordé peu de poids à l’évaluation psychologique réalisée en 2016 puisqu’il a estimé que le niveau de développement affectif de Daniel et le degré d’interdépendance entre sa grand‑mère et lui avaient vraisemblablement changé entre le moment où l’évaluation a été réalisée en 2016 et le moment où la décision a été rendue en 2020. L’agent a confirmé que Mme Meniuk pouvait rester en contact avec son petit‑fils en lui rendant visite et en communiquant avec lui grâce à d’autres moyens. Il a expliqué que Daniel continuerait de recevoir les soins attentionnés de ses parents si Mme Meniuk devait retourner en Ukraine. L’agent a conclu que le retour de Mme Meniuk en Ukraine n’aurait pas d’incidence négative importante sur l’intérêt supérieur de Daniel.

[9] En ce qui concerne la santé psychologique de Mme Meniuk, l’agent a accordé peu de poids à un rapport de 2017 qui n’avait pas été mis à jour à la date de l’audience.

C. Conditions défavorables dans le pays

[10] Mme Meniuk a soutenu devant l’agent que la faiblesse de l’économie ukrainienne aurait une incidence négative sur sa capacité à se réinstaller à son retour au pays, et elle a expliqué qu’elle n’avait ni famille ni réseau social en Ukraine. Elle a également affirmé que, en raison du conflit armé dans l’Est de l’Ukraine, de nombreuses personnes ont déménagé dans sa ville natale d’Odessa, ce qui a entraîné une [traduction] « augmentation de la criminalité de rue ». Elle a aussi mentionné qu’elle pourrait être menacée par l’un de ses voisins en Ukraine, qui aurait agressé son mari par le passé.

[11] L’agent a estimé que l’état de l’économie en Ukraine n’aurait pas d’incidence négative sur Mme Meniuk à son retour. Il a souligné qu’elle recevait des prestations de retraite fixes chaque mois, qu’elle était propriétaire d’un logement en copropriété et que sa fille et son gendre lui apportaient un soutien financier supplémentaire. L’agent a également fait observer que Mme Meniuk avait présenté peu d’éléments de preuve concernant le coût de la vie en Ukraine.

[12] Il a conclu que la preuve était insuffisante pour établir que Mme Meniuk ne bénéficierait d’aucun soutien à son retour en Ukraine. Bien que l’agent ait reconnu que la fille et les petits‑enfants de Mme Meniuk habitent au Canada, il a souligné qu’il n’y avait guère d’éléments de preuve permettant d’établir que cette dernière n’a pas d’attaches viables en Ukraine, où elle a vécu, étudié et travaillé pendant plus de 60 ans.

[13] L’agent a conclu que, si Mme Meniuk retournait dans sa ville natale d’Odessa, elle ne subirait pas, selon la prépondérance des probabilités, de conséquences défavorables attribuables au conflit armé dans l’Est de l’Ukraine. Par ailleurs, l’agent a souligné qu’il disposait de peu d’éléments de preuve objectifs laissant penser que le conflit armé est susceptible de s’étendre à d’autres régions de l’Ukraine, et il a ajouté qu’Odessa est située à 900 km de la zone de conflit. Il a également fait remarquer que la preuve de l’existence de troubles à Odessa, la ville natale de Mme Meniuk, est insuffisante.

[14] L’agent a estimé qu’il y avait peu d’éléments de preuve, voire aucun, démontrant que le voisin de Mme Meniuk en Ukraine avait une raison quelconque de la harceler à son retour au pays ou qu’il avait l’intention de le faire. Sur cette question, l’agent n’a pas été en mesure de conclure que ce voisin avait réellement fait subir des mauvais traitements au mari de Mme Meniuk.

IV. Disposition pertinente

[15] La disposition pertinente en l’espèce est le paragraphe 25(1) de la LIPR :

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

25 (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25. (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

V. Questions soulevées par Mme Meniuk et norme de contrôle

[16] Mme Meniuk conteste le caractère raisonnable de la décision compte tenu de l’application de l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 RCS 909 [Kanthasamy], de la situation familiale et de la séparation de la famille, de l’intérêt supérieur de son petit‑fils, Daniel, de sa propre santé mentale et des conditions défavorables en Ukraine. Les conditions défavorables en Ukraine comprennent la violence qui fait rage dans l’Est du pays, l’influence russe, la violence dans les rues d’Odessa, sa ville natale, et les menaces perçues d’un voisin qui entretenait une relation tendue avec son défunt mari. Elle ajoute que l’agent n’a pas respecté les principes de l’équité procédurale dans le cadre de son examen de la question de l’intérêt supérieur de l’enfant et de la preuve psychologique. Essentiellement, Mme Meniuk conteste chaque conclusion tirée par l’agent.

[17] Les parties conviennent que le bien‑fondé de la décision de l’agent est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, 441 DLR (4th) 1 [« Vavilov »] au para 25). Aucune des exceptions à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable n’est applicable en l’espèce.

[18] « [U]ne décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Pour infirmer une décision, la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves; ainsi, des lacunes superficielles ou accessoires ne suffiront pas à infirmer la décision (Vavilov, au para 100). Plus important encore, la cour de révision doit examiner la décision dans son ensemble et s’abstenir de procéder à une chasse au trésor phrase par phrase, à la recherche d’une erreur (Vavilov, aux para 85 et 102).

[19] Mme Meniuk, cependant, soutient que la norme qui s’applique à la question de savoir si l’agent a appliqué bon le critère juridique est celle de la décision correcte. Je ne suis pas de cet avis. Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a clairement énoncé que tous les aspects d’une décision administrative doivent être contrôlés selon la norme de la décision raisonnable (au para 25). La question de savoir si un décideur a appliqué le bon critère juridique doit être traitée comme un élément du contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Németh c Canada (Justice), 2010 CSC 56, [2010] 3 RCS 281 au para 10). Toutefois, dans la majorité des cas, la décision sera déraisonnable si le décideur n’a pas appliqué le bon critère juridique (Vavilov, au para 111; Cezair c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1510 [Cezair] au para 13).

[20] Mme Meniuk soulève également des questions d’équité procédurale en ce qui concerne la façon dont l’agent a traité les rapports psychologiques. Ces questions, si elles sont correctement soulevées, sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339 au para 43).

VI. Analyse

A. La décision de l’agent possède‑t‑elle les caractéristiques d’une décision raisonnable?

(1) Critère juridique établi dans l’arrêt Kanthasamy

[21] Mme Meniuk fait valoir que l’agent n’a pas appliqué le bon critère juridique en ce qui concerne les considérations d’ordre humanitaire. Elle soutient que l’agent n’a pas tenu compte de la vaste gamme de considérations d’équité. Selon elle, il a examiné sa situation sous l’angle des difficultés (ou de l’absence de difficultés) plutôt que sous celui de la compassion, ce qui est contraire aux directives données par la Cour suprême au paragraphe 33 de l’arrêt Kanthasamy. Elle soutient que son désir de rester auprès de la seule famille qu’il lui reste maintenant que son mari est décédé devrait « inciter tout[e] [personne] raisonnable […] d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne » (Kanthasamy, au para 13).

[22] L’arrêt Kanthasamy n’élimine pas la notion de difficultés, qui demeure un facteur important dans l’évaluation des motifs d’ordre humanitaire (Kanthasamy, aux para 23 et 33; Cezair, au para 16; Shackleford c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1313 au para 11). Je ne puis conclure que l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’il a pris en considération les difficultés auxquelles Mme Meniuk devrait faire face à son retour en Ukraine. Il est impossible d’éviter la question des difficultés compte tenu des arguments avancés par Mme Meniuk.

[23] Lors de l’application de la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit être consciente du fait que le contrôle judiciaire n’exige pas un résultat unique précis (Barreau du Nouveau‑Brunswick c Ryan, 2003 CSC 20, [2003] 1 RCS 247 au para 56). Le rôle de la Cour n’est pas de chercher à savoir si le décideur a rendu la bonne décision, mais plutôt de juger si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable (Vavilov, aux para 96 et 99). Différents décideurs pourraient évaluer les mêmes faits et les mêmes éléments de preuve, appliquer le même critère juridique et tout de même tirer raisonnablement des conclusions différentes (Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 754 au para 68).

(2) Évaluation de la raison d’être de la demande de Mme Meniuk

[24] Mme Meniuk soutient que les motifs de l’agent ne montrent pas que celui‑ci a tenu compte de la raison d’être de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, à savoir son désir de rester au Canada auprès de sa famille à la suite du décès de son mari. Cet argument est sans fondement. La décision de l’agent montre clairement qu’il était au courant du désir de Mme Meniuk de demeurer au Canada et du décès de son mari. Il a tenu compte de ces facteurs ainsi que d’autres. Le fait que Mme Meniuk soit mécontente du poids accordé par l’agent au décès de son mari ne constitue pas un motif d’intervention (Begum c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 265, [2013] ACF no 285 (QL) au para 20).

(3) Intérêt supérieur de Daniel, le petit‑fils de Mme Meniuk

[25] Mme Meniuk affirme que l’agent ne s’est pas montré réceptif, attentif ou sensible à l’intérêt supérieur de son petit‑fils Daniel. Elle soutient que l’agent n’a aucunement tenu compte de l’intérêt supérieur de Daniel. Elle fait valoir que l’agent a commis une erreur en menant une analyse fondée sur les difficultés plutôt qu’en évaluant s’il était dans l’intérêt supérieur de Daniel qu’elle reste au Canada. Elle avance que, selon l’approche appliquée par l’agent, Daniel devait démontrer que ses besoins fondamentaux ne seraient pas compromis par son renvoi, ce qui est contraire à la jurisprudence de la Cour (Williams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 166 aux para 63‑64). Elle soutient qu’une constatation d’absence de difficultés ne peut pas servir de substitut valide à une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant (Osun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 295 aux para 20‑21).

[26] Je suis convaincu que l’agent s’est montré réceptif à l’intérêt supérieur de Daniel, contrairement à ce qu’affirme Mme Meniuk. Il a notamment fait référence à l’avis psychologique selon lequel la séparation d’avec sa grand‑mère pourrait entraîner une détresse psychologique chez Daniel. L’agent a reconnu que Daniel appréciait la présence de sa grand‑mère et qu’une séparation physique serait sans doute difficile pour lui. L’agent a également tenu compte du fait que Mme Meniuk n’est pas la principale responsable des soins de Daniel, qu’elle détient un VRT valide jusqu’en 2023 et qu’elle pourrait déposer une demande de parrainage dans la catégorie du regroupement familial pour obtenir la résidence permanente. Tous ces facteurs démontrent que l’agent a procédé à une évaluation complète de l’intérêt supérieur de Daniel. La Cour a rejeté la notion selon laquelle l’examen de l’intérêt supérieur de l’enfant nécessite simplement que l’agent décide si l’intérêt supérieur de l’enfant favorise le non‑renvoi, puisque cela sera presque toujours le cas (Zlotosz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 724 au para 22; Garraway c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 286 au para 46). Je suis d’avis que l’agent est parvenu à la conclusion raisonnable selon laquelle le meilleur intérêt de Daniel ne serait pas compromis par le renvoi de Mme Meniuk.

[27] Mme Meniuk soutient en outre qu’il était déraisonnable et inéquitable sur le plan de la procédure que l’agent rejette l’évaluation psychologique à laquelle avait été soumis Daniel parce qu’elle avait été préparée quatre (4) ans avant la date de la décision. Elle affirme qu’il était déraisonnable pour l’agent de tirer une conclusion défavorable à partir d’un élément de preuve qui était récent au moment du dépôt de la demande. Elle soutient qu’un agent ne peut pas invoquer un retard dans le traitement d’une demande pour aller à l’encontre de son obligation de tenir compte de l’intérêt supérieur d’un enfant (Noh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 529 au para 66). Mme Meniuk fait valoir que l’agent, qui a pris deux (2) ans avant de rendre sa décision, était tenu de demander une évaluation psychologique à jour avant de rejeter cet élément de preuve.

[28] Je suis convaincu qu’il n’était ni déraisonnable ni inéquitable sur le plan de la procédure pour l’agent d’accorder peu de poids à l’évaluation psychologique parce qu’elle avait été effectuée quatre (4) ans avant que la décision soit rendue. Il incombe à un demandeur de produire une preuve à jour. Un agent n’est pas tenu de demander des renseignements supplémentaires ou à jour (Rodriguez Zambrano c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 481, [2008] ACF no 601 (QL) [Rodriguez] au para 39). Mme Meniuk a eu amplement le temps de produire un rapport à jour, mais elle ne l’a pas fait. Il était raisonnable pour l’agent de conclure que les effets psychologiques de la séparation avec sa grand‑mère sont vraisemblablement différents pour un enfant de 8 ans et pour un enfant de 12 ans. C’est à l’agent qu’il revient de décider du poids à accorder à la preuve. Le fait que Mme Meniuk soit mécontente de la conclusion tirée ne signifie pas que celle‑ci est déraisonnable (Kooner c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1201 au para 36).

(4) Traitement réservé au rapport psychologique de la demanderesse

[29] Mme Meniuk soutient également qu’il était déraisonnable et inéquitable sur le plan de la procédure que l’agent n’accorde que peu de poids à l’évaluation psychologique à laquelle elle a pris part en 2017. Comme elle l’a fait pour l’évaluation psychologique de son petit‑fils Daniel, elle affirme qu’il était déraisonnable pour l’agent d’estimer que son évaluation n’était plus à jour étant donné qu’elle avait été déposée avec la demande en 2018. Elle fait de nouveau valoir qu’elle ne devrait pas subir de préjudice en raison du temps qu’il a fallu pour traiter sa demande.

[30] L’agent a conclu que, étant donné le manque d’éléments de preuve démontrant que Mme Meniuk souffrait toujours de problèmes de santé mentale en 2020, il n’était pas en mesure d’accorder beaucoup de poids à l’évaluation. Comme il a été mentionné précédemment, il incombe à un demandeur de produire une preuve à jour. Un agent n’est pas tenu de demander des renseignements supplémentaires ou à jour (Rodriguez, au para 39). Il est bien établi en droit qu’un agent, tout comme un juge, peut accepter une partie ou la totalité des témoignages, ou n’en rien croire. Si un agent choisit de n’accorder que peu de poids à une évaluation psychologique, il doit fournir des explications claires et fondées à l’appui de son choix (Sutherland c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1212 au para 24; Rainholz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 121 au para 47). J’estime que c’est exactement ce que l’agent a fait en l’espèce. Je ne peux pas conclure qu’il était déraisonnable pour lui de n’accorder que peu de poids à l’évaluation psychologique de 2017.

[31] Mme Meniuk soutient également que l’agent a imposé un seuil de difficultés trop élevé en ce qui concerne son rapport psychologique. Elle affirme que l’agent a exigé qu’elle prouve qu’elle serait exposée à une menace grave à sa vie. Elle fait valoir qu’il a commis une erreur en appliquant la norme prévue à l’article 97 de la LIPR relativement à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (Pinter c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 296, [2005] ACF no 366 (QL) au para 5).

[32] Contrairement à ce qu’affirme Mme Meniuk, l’agent n’a pas exigé qu’elle démontre que son renvoi en Ukraine entraînerait une [traduction] « détérioration importante de sa santé mentale ». L’agent a simplement mentionné qu’il était [traduction] « incapable d’accorder tout le poids voulu à la conclusion selon laquelle le retour de la demanderesse en Ukraine à l’heure actuelle entraînerait une détérioration importante de sa santé mentale ». L’agent s’est simplement montré réceptif à l’évaluation, dans laquelle le psychologue a conclu qu’un renvoi entraînerait [traduction] « directement des difficultés permanentes inhabituelles et injustifiées » pour Mme Meniuk et serait [traduction] « très préjudiciable pour sa santé mentale ».

[33] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que la façon dont l’agent a traité l’évaluation psychologique de Mme Meniuk n’était ni déraisonnable ni inéquitable.

(5) Séparation de la famille, liens à distance et possibilité de présenter une demande de parrainage

[34] Mme Meniuk affirme que l’agent a déraisonnablement rejeté ses préoccupations au sujet de la séparation de la famille en laissant entendre que les membres de la famille pourraient continuer à se rendre mutuellement visite et qu’ils pourraient demeurer en contact malgré la distance, ainsi qu’en invoquant la possibilité qu’elle puisse être parrainée en vue d’obtenir la résidence permanente.

[35] Je suis d’avis que la conclusion de l’agent selon laquelle Mme Meniuk pourrait continuer de voyager entre l’Ukraine et le Canada pour rendre visite à sa famille n’était ni déraisonnable ni incompatible avec une approche humanitaire. L’agent ne disposait d’aucun élément de preuve montrant que Mme Meniuk subirait des difficultés si elle devait voyager entre les deux pays. Au contraire, la preuve indique que Mme Meniuk est en excellente santé et qu’elle voyage régulièrement entre l’Ukraine et le Canada depuis 2006, au moins.

[36] Mme Meniuk soutient que l’agent a déraisonnablement supposé qu’elle pourrait entrer au pays avec son VRT à l’avenir ou que son visa serait renouvelé après son expiration. Elle affirme également que l’agent a fait allusion sans motif raisonnable à la possibilité d’une demande de parrainage pour l’obtention de la résidence permanente. Je ne suis pas d’accord avec Mme Meniuk lorsqu’elle qualifie les observations de l’agent d’hypothèses. Ce sont des facteurs qu’il a pris en compte à partir des arguments de Mme Meniuk concernant les difficultés qu’entraînerait la séparation. Il s’agit de facteurs raisonnables dont l’agent devait tenir compte dans les circonstances. Je conviens avec le défendeur que la thèse de Mme Meniuk est qu’elle est admissible à la résidence permanente au Canada et que l’agent, de façon déraisonnable, n’a pas reconnu qu’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire était le moyen le plus rapide pour qu’elle puisse l’obtenir. Ces arguments soulevés par Mme Meniuk s’opposent au principe fondamental selon lequel l’immigration est un privilège, et non un droit (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Chiarelli, [1992] 1 RCS 711, [1992] ACS no 27 aux pages 733‑734).

(6) Évaluation des conditions dans le pays

[37] Mme Meniuk soutient que l’agent a conclu de manière déraisonnable que la preuve n’était pas suffisante pour démontrer qu’elle était exposée à un risque de préjudice de la part de son voisin en Ukraine. Elle fait valoir que l’agent s’est concentré sur ce qui ne figurait pas dans les déclarations fournies par les témoins des attaques contre son mari en Ukraine plutôt que sur ce qui y figurait, à savoir des affirmations selon lesquelles les attaques avaient bel et bien eu lieu. Elle renvoie au paragraphe 9 de la décision Navaratnam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 244. Elle affirme également que l’agent s’est indûment concentré sur l’absence de preuve montrant que le conflit armé dans l’Est de l’Ukraine a provoqué un afflux de personnes déplacées à Odessa. Elle soutient qu’elle a produit des éléments de preuve attestant de l’existence — sans lien avec le conflit armé persistant — d’un risque généralisé de criminalité et de piètres conditions relatives à la sécurité en Ukraine. Elle fait valoir que l’agent a erronément associé ces facteurs au conflit armé lorsqu’il a rejeté les éléments de preuve concernant la criminalité et les piètres conditions relatives à la sécurité.

[38] Le défendeur soutient que Mme Meniuk n’a pas réussi à établir un lien entre sa situation personnelle et les conditions défavorables alléguées dans le pays. Il fait valoir qu’un demandeur doit produire suffisamment d’éléments de preuve établissant qu’il serait personnellement touché par la situation (Webb c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1060, [2012] ACF no 1147 (QL) au para 17). Je partage cet avis.

[39] L’argument de Mme Meniuk concernant la conclusion de l’agent sur la menace potentielle du voisin est sans fondement. Indépendamment de la question de savoir s’il y a bel et bien eu un conflit entre le mari de Mme Meniuk et leur voisin, l’agent a raisonnablement conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve montrant que ce voisin aurait une quelconque raison de nuire à Mme Meniuk si elle devait retourner en Ukraine ou qu’il avait l’intention de le faire.

[40] L’agent a également évalué de façon raisonnable la situation générale du pays à la lumière de la situation à Odessa, où vit la demanderesse en Ukraine. Un agent doit évaluer la relation entre la situation particulière d’un demandeur et la preuve relative à la situation générale du pays en ce qui concerne le degré de risque ou l’étendue du préjudice auquel il pourrait être exposé (Arsu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 617 au para 16). C’est exactement ce qu’a fait l’agent en l’espèce.

[41] L’agent a conclu qu’il était raisonnablement possible d’obtenir la protection de la police en Ukraine. Je conviens avec Mme Meniuk qu’une telle conclusion ne tranche pas la question de savoir si un demandeur serait confronté à des difficultés à son retour au pays (Pacia c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 804, au para 13). Toutefois, la conclusion de l’agent selon laquelle Mme Meniuk pourrait obtenir la protection de l’État ne remplace pas son analyse de la question de savoir si la sécurité de cette dernière serait menacée si elle devait retourner en Ukraine. L’observation de l’agent concernant la protection de l’État était, à mon avis, indépendante de ses conclusions concernant le risque de préjudice. Il a essentiellement expliqué que le risque était minime, mais que si un problème survenait, la demanderesse pourrait obtenir la protection de l’État.

(7) Observations générales

[42] Bien que j’aie tenté de répondre à chacune des allégations de Mme Meniuk concernant le [traduction] « caractère déraisonnable » de la décision de l’agent, je l’ai fait non sans hésitation. L’approche en vase clos adoptée par Mme Meniuk lorsqu’elle a présenté ses arguments, ainsi que les efforts que j’ai déployés pour répondre à chaque préoccupation s’opposent à l’approche globale qui devrait être adoptée à l’égard des demandes de dispense pour des motifs d’ordre humanitaire. Une seule conclusion déraisonnable, en supposant qu’il en existe une, ne rend pas une décision déraisonnable. Les motifs doivent être lus dans leur ensemble. Une décision relative à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est hautement discrétionnaire. Il n’y a aucun « algorithme rigide » qui en détermine l’issue (Sivalingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1185 au para 7).

[43] Enfin, bien que j’éprouve beaucoup de sympathie pour la demanderesse, la dispense pour des motifs d’ordre humanitaire est, à mon avis, une mesure exceptionnelle et ne doit pas être considérée comme un volet d’immigration distinct. Il faut davantage qu’une affaire qui attire la sympathie pour justifier la dispense pour des motifs d’ordre humanitaire (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Nizami, 2016 CF 1177 au para 16; Shackleford, au para 16).

VII. Conclusion

[44] Je conclus que Mme Meniuk ne s’est pas acquittée de son fardeau de prouver que la décision de l’agent est déraisonnable. Je suis convaincu que la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable énoncées dans l’arrêt Vavilov. L’agent a examiné chaque question soulevée par Mme Meniuk à la lumière de la preuve présentée. Il a évalué la preuve et les observations, et il a rendu une décision. Sa décision démontre qu’il a bien compris les questions, elle est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle, et elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur était assujetti. La décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Vavilov, aux para 86 et 102 à 104; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au para 47).

[45] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[46] Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question à certifier aux fins d’examen par la Cour d’appel fédérale, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5419‑20

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée aux fins d’examen par la Cour d’appel fédérale.

« B. Richard Bell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5419‑20

 

INTITULÉ :

NINA MENIUK c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 29 NOVEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 DÉCEMBRE 2021

 

COMPARUTIONS :

Daniel Kingwell

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Michael Butterfield

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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