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Date : 20220513

Dossier : T‐2056‐19

Référence : 2022 CF 708

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 mai 2022

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE :

AARON ALCOCK

 

demandeur

 

et

 

LES FORCES ARMÉES CANADIENNES

 

défenderesse

 

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, un ancien membre des Forces armées canadiennes, a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne [la Commission] le 19 août 2017, dans laquelle il alléguait que la défenderesse, les Forces armées canadiennes, avait fait preuve de discrimination à son égard dans le cadre de son emploi pour des motifs fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’état matrimonial, la situation de famille, la déficience et l’état de personne graciée en le soumettant à un traitement défavorable et en ne lui fournissant pas un milieu de travail exempt de harcèlement, ce qui constitue des actes discriminatoires au sens des articles 7 et 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‐6 [la LCDP].

[2] La Commission a conclu que la plainte du demandeur reposait en partie sur des allégations concernant des faits survenus plus d’un an avant la réception de la plainte et que, en ce qui a trait à l’ensemble de la plainte, le demandeur n’avait pas épuisé les procédures de règlement des griefs qui lui étaient normalement ouvertes. La Commission a donc refusé de statuer sur la plainte du demandeur en vertu des alinéas 41(1)a) et 41(1)e) de la LCDP. En l’espèce, le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Commission de refuser de statuer sur sa plainte au motif que cette décision était à la fois déraisonnable et inéquitable sur le plan procédural.

[3] Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

I. Contexte et décision contestée

[4] La plainte du demandeur a été faite selon la forme requise par la Commission et se limitait à quatre pages. Dans sa plainte, le demandeur affirmait que le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes avaient fait preuve de discrimination à son égard du 9 juin 2009 au 19 août 2017 en raison de sa race, de sa couleur, de son origine nationale ou ethnique, de sa religion, de son état matrimonial, de sa situation de famille, de sa déficience et de son état de personne graciée. Plus précisément, il affirmait ce qui suit :

  1. En ce qui concerne sa race et sa couleur en tant que personne noire, il était évident que ses collègues et ses supérieurs faisaient preuve de discrimination raciale à son endroit par leurs attitudes, leurs valeurs et leurs commentaires stéréotypés, notamment lorsqu’ils employaient à son égard l’expression [traduction] « les gens comme vous » et qu’ils lui envoyaient des courriels contenant des images et des commentaires discriminatoires. Le demandeur a décrit plusieurs actes discriminatoires et mesures de représailles dont il aurait fait l’objet pendant son déploiement en Afghanistan en 2010, notamment avoir été évincé de son logement, avoir été escorté par la police militaire, s’être vu refuser le port d’un équipement de protection individuelle dans une zone de guerre, avoir été rapatrié au Canada avec escorte avant la fin de son déploiement en juin 2010, et s’être vu refuser la possibilité de voir sa famille à son arrivée à l’aéroport. Il soutient que la police militaire avait également enquêté sur lui de manière irrégulière à plusieurs reprises après qu’il s’était plaint de la façon dont on le traitait et que des accusations avaient été portées à tort contre lui à l’issue de ces enquêtes.

  2. En ce qui concerne son origine ethnique et sa religion, le demandeur a été traité de façon inégale parce qu’il est juif et il a souvent fait l’objet de moqueries et était surnommé le [traduction] « Juif noir ».

  3. En ce qui a trait à son état matrimonial et à sa situation de famille en tant que père célibataire, le demandeur a vécu les situations suivantes à des dates inconnues [traduction] « dans le passé » : (a) on lui a demandé si ses enfants avaient la même mère parce que [traduction] « les Noirs ont normalement plusieurs mères pour chacun de leurs enfants »; (b) on lui a dit d’obtenir une autorisation pour se loger et exercer un emploi, ce qu’on n’exigeait pas des autres personnes; (c) on l’a menacé de l’expulser du logement militaire où il vivait avec sa famille parce qu’il n’avait pas d’autorisation pour travailler.

  4. En ce qui concerne sa déficience découlant de divers troubles de santé mentale, après être revenu d’Afghanistan et après avoir reçu son diagnostic, le demandeur : (a) n’a fait l’objet d’aucune mesure d’adaptation compte tenu de ses troubles de santé mentale; (b) n’a pas bénéficié d’un programme de retour au travail adéquat; (c) s’est vu refuser une affectation et une promotion; (d) a été relégué à des tâches de concierge; (e) a dû subir un procès à son audience devant une cour martiale malgré ses problèmes de santé mentale et le fait qu’il était médicalement inapte à subir un procès, ce qui n’a pas été pris en compte. En juin 2017, il a finalement été décidé de libérer le demandeur des forces armées pour des raisons médicales à compter du 14 février 2018.

[5] Après avoir reçu la plainte du demandeur, la Commission a informé les parties que l’alinéa 41(1)e) de la LCDP pourrait s’appliquer à la plainte, car certaines des allégations se rapportaient à des faits qui se seraient produits plus d’un an avant que la plainte soit déposée et pourraient être retranchées si elles sont distinctes et indépendantes des autres allégations. La Commission a invité les parties à exposer leur thèse relativement aux questions à trancher.

[6] Le 29 mai 2019, une enquêtrice de la Commission a préparé un rapport fondé sur les articles 40 et 41, dans lequel elle recommandait à la Commission de ne pas statuer sur la plainte pour les motifs énoncés aux alinéas 41(1)a) et 41(1)e) de la LCDP.

[7] Les deux parties ont eu la possibilité de présenter des observations à la Commission en réponse au rapport fondé sur les articles 40 et 41.

[8] Le 24 juillet 2019, la défenderesse a écrit à la Commission pour l’informer qu’elle appuyait la recommandation de l’enquêtrice et qu’elle n’avait pas d’autres observations à présenter.

[9] Le 27 août 2019, le demandeur a déposé un document de quatre pages auquel était jointe une pièce d’une page en réponse au rapport fondé sur les articles 40 et 41.

[10] Le 19 septembre 2019, le demandeur a déposé une lettre en réponse à la lettre du 24 juillet 2019 de la défenderesse.

[11] Le 18 octobre 2019, la défenderesse a déposé une lettre en réponse à la lettre du 19 septembre 2019 du demandeur.

[12] Le 8 novembre 2019, la Commission a écrit aux parties afin de les informer que, après avoir examiné le rapport fondé sur les articles 40 et 41 et les observations que celles‐ci avaient présentées à l’égard de ce rapport, elle a décidé, sur le fondement des alinéas 41(1)a) et 41(1)e) de la LCDP, de ne pas statuer sur la plainte parce que : (a) le demandeur n’avait pas épuisé d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui étaient normalement ouverts relativement aux allégations concernant sa déficience; (b) les allégations fondées sur la race, la couleur, l’origine nationale ou ethnique et la situation de famille reposaient sur des actes qui auraient été commis plus d’un an avant le dépôt de la plainte et qui étaient distincts et indépendants des autres faits allégués relativement à la déficience, et le demandeur n’avait fourni aucune raison valable pour expliquer pourquoi il avait tardé à porter plainte.

I. Questions préliminaires

  1. Opposition à l’affidavit du demandeur

[13] La défenderesse soutient que de grandes parties de l’affidavit souscrit le 12 juillet 2021 par le demandeur contiennent des éléments de preuve qui n’ont pas été présentés au décideur et que, par conséquent, ces éléments sont inadmissibles et devraient être écartés ou radiés par la Cour. Le demandeur n’a présenté aucun argument en réponse à cette question préliminaire.

[14] Dans l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, la Cour d’appel fédérale a indiqué clairement ce qui constitue une preuve admissible dans une instance en contrôle judiciaire :

[...] en principe, le dossier de la preuve qui est soumis à notre Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire se limite au dossier de preuve dont disposait [le décideur]. En d’autres termes, les éléments de preuve qui n’ont pas été portés à la connaissance [du décideur] et qui ont trait au fond de l’affaire soumise [au décideur] ne sont pas admissibles dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire présentée à notre Cour. [...]

Le principe général interdisant à notre Cour d’admettre de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’une instance en contrôle judiciaire souffre quelques exceptions reconnues et la liste des exceptions n’est sans doute pas exhaustive. Ces exceptions ne jouent que dans les situations dans lesquelles l’admission, par notre Cour, d’éléments de preuve n’est pas incompatible avec le rôle différent joué par la juridiction de révision et par le tribunal administratif [...]. En fait, bon nombre de ces exceptions sont susceptibles de faciliter ou de favoriser la tâche de la juridiction de révision sans porter atteinte à la mission qui est confiée au tribunal administratif. Voici trois de ces exceptions :

a) Parfois, notre Cour admettra en preuve un affidavit qui contient des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire [...]. On doit s’assurer que l’affidavit ne va pas plus loin en fournissant des éléments de preuve se rapportant au fond de la question déjà tranchée par le tribunal administratif, au risque de s’immiscer dans le rôle que joue le tribunal administratif en tant que juge des faits et juge du fond. [...]

b) Parfois les affidavits sont nécessaires pour porter à l’attention de la juridiction de révision des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif, permettant ainsi à la juridiction de révision de remplir son rôle d’organe chargé de censurer les manquements à l’équité procédurale [...]. [...]

c) Parfois, un affidavit est admis en preuve dans le cadre d’un contrôle judiciaire pour faire ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée [...].

[15] Après avoir examiné l’affidavit du demandeur et l’ensemble du dossier certifié du tribunal, je suis convaincue que la majeure partie de l’affidavit et toutes les pièces qui y sont jointes (à l’exception de la pièce K) contiennent des renseignements et des documents dont ne disposait pas la Commission lorsqu’elle a rendu sa décision. À mon avis, bien que l’on puisse affirmer à juste titre que quelques paragraphes seulement de l’affidavit du demandeur renferment des renseignements généraux et que d’autres passages reprennent l’information contenue dans le dossier certifié du tribunal, le reste de l’affidavit et l’ensemble des pièces (à l’exception de la pièce K) ne relèvent d’aucune des exceptions énoncées dans l’arrêt Association des universités et collèges du Canada et, par conséquent, ne seront pas pris en compte par la Cour.

B. Mémoire des faits et du droit du demandeur

[16] Au début de l’audience, j’ai fait savoir aux parties que, selon moi, le mémoire des faits et du droit joint au dossier de demande du demandeur semblait avoir été fourni pour étayer une requête antérieure qui avait été déposée dans le cadre de la présente demande et qu’il ne contenait donc pas les observations du demandeur quant au bien‐fondé de la demande. La défenderesse ne s’est pas opposée au mémoire des faits et du droit du demandeur avant l’audience et elle a déposé un mémoire des faits et du droit, dans lequel elle analyse le bien‐fondé de la demande, même si le demandeur n’avait avancé aucun argument de droit auquel elle était tenue de répondre.

[17] À l’audience, l’avocat de la défenderesse a indiqué que cette dernière consentait à ce que le demandeur présente des observations orales sur le bien‐fondé de la demande même s’il n’avait soumis aucune observation écrite. Comme la défenderesse avait donné son consentement, j’ai autorisé le demandeur à présenter des observations orales.

C. Nouvel avis de demande de contrôle judiciaire

[18] Dans son dossier de demande, le demandeur a inclus un nouvel avis de demande (qui portait néanmoins le numéro de dossier original), dans lequel il sollicitait une tout autre réparation (principalement des dommages‐intérêts de plus de 22 000 000 $) et il invoquait d’autres motifs de contrôle. Cependant, il n’a pas déposé correctement cet avis. Par conséquent, la Cour ne tiendra pas compte de ce nouvel avis et s’appuiera sur l’avis de demande qui a été produit le 20 décembre 2019 pour statuer sur la demande. De toute façon, comme je l’ai indiqué au demandeur à l’audience, la Cour n’a pas compétence pour accorder des dommages‐intérêts en contrôle judiciaire.

II. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[19] La présente demande soulève les questions suivantes :

  1. La décision de la Commission de refuser de statuer sur la plainte du demandeur pour les motifs énoncés aux alinéas 41(1)a) et 41(1)e) de la LCDP était‐elle raisonnable?
  2. Y a‐t‐il eu manquement à l’équité procédurale?

[20] En ce qui concerne la première question, lorsque la Cour examine une décision administrative sur le fond, la norme de contrôle présumée est celle de la décision raisonnable. Aucune exception à cette présomption n’a été soulevée ni ne s’applique [voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23, 25]. De plus, la jurisprudence de notre Cour est constante : la norme de contrôle applicable à la décision de ne pas statuer sur une plainte en vertu du paragraphe 41(1) de la LCDP est celle de la décision raisonnable [voir Andrews c Canada (Procureur général), 2015 CF 780 au para 20].

[21] Comme la Commission a adopté la recommandation du rapport fondé sur les articles 40 et 41 sans fournir de motifs distincts, ce rapport constitue les motifs de sa décision et la Cour doit s’y intéresser dans son examen du caractère raisonnable [voir Syed c Canada (Procureur général), 2020 CF 608 au para 42].

[22] Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit établir si la décision faisant l’objet du contrôle, y compris son raisonnement et son résultat, est transparente, intelligible et justifiée. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable [voir Vavilov, précité, aux para 15, 83, 85, 99, 100]. La Cour n’interviendra que si elle est convaincue que la décision souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence [voir Adeniji‐Adele c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 418 au para 11].

[23] En ce qui concerne la deuxième question, l’examen par la Cour des questions d’équité procédurale n’appelle aucune déférence à l’égard du décideur. La Cour doit chercher à savoir si la procédure était équitable compte tenu de l’ensemble des circonstances, en se concentrant sur la nature des droits en cause et les conséquences pour la personne concernée [voir Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Office des transports), 2021 CAF 69 aux para 46‐47]. La question, en définitive, est de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu une possibilité complète et équitable d’y répondre [voir Laag c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 890 au para 10].

III. Analyse

[24] Avant d’examiner les deux questions soulevées dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, il importe d’analyser le cadre réglementaire applicable.

[25] La Commission a pour mandat, aux termes de la loi, de recevoir et de traiter les plaintes de discrimination lorsque telle discrimination est fondée notamment sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, la situation de famille ou la déficience. Le rôle de la Commission consiste à recevoir les plaintes et à en faire un examen préalable afin qu’elles soient traitées comme il convient. Dans l’exercice de sa fonction d’examen préalable, il ne lui appartient pas de juger si la plainte est fondée. Son rôle consiste plutôt à déterminer si, aux termes des dispositions de la LCDP et eu égard à l’ensemble des faits, il est justifié de tenir une enquête [voir Cooper c Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 RCS 854 aux para 52‐53].

[26] Aux termes de l’article 41 de la LCDP, la Commission peut refuser de statuer sur une plainte si elle estime celle‐ci irrecevable pour l’un des motifs énoncés au paragraphe 41(1) :

41 (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle‐ci irrecevable pour un des motifs suivants :

41 (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

a) la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

(a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

(b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;

c) la plainte n’est pas de sa compétence;

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

[27] Dans les cas où la Commission conclut que l’alinéa 41(1)a) pourrait s’appliquer à une plainte donnée, le paragraphe 42(2) de la LCDP prévoit qu’avant de décider si la plainte est irrecevable pour le motif que les recours internes ou procédures d’appel ou de règlement des griefs n’ont pas été épuisés, la Commission doit s’assurer que le défaut est exclusivement imputable au plaignant.

A. La décision de la Commission de refuser de statuer sur la plainte du demandeur pour les motifs énoncés aux alinéas 41(1)a) et 41(1)e) de la LCDP était raisonnable

(1) Alinéa 41(1)a)

[28] Comme je le mentionne plus haut, l’alinéa 41(1)a) de la LCDP confère à la Commission le pouvoir discrétionnaire de refuser de statuer sur une plainte si elle juge qu’un autre recours était normalement ouvert au plaignant pour déposer une plainte pour atteinte aux droits de la personne. Pour rendre une décision en vertu de l’alinéa 41(1)a), la Commission doit répondre à deux questions : (i) la procédure de règlement des griefs ou d’examen était‐elle « normalement ouverte » au demandeur? (ii) est‐ce que le demandeur « devrait » épuiser ces recours avant de déposer une plainte sous le régime de la LCDP? [voir Mun c Canada (Procureur général), 2016 CF 94 au para 17].

[29] En l’espèce, la Commission a conclu que la procédure interne de règlement des griefs des Forces armées canadiennes (à savoir le Système de griefs des Forces canadiennes (SGFC)), qui avait été établie en vertu du paragraphe 29(1) de la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c N‐5, était un autre recours normalement ouvert au demandeur. Elle a conclu que le demandeur connaissait le SGFC, qu’il n’y avait pas eu recours pour déposer un grief et qu’il était le seul responsable de ne pas avoir utilisé ce système.

[30] Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a tiré cette conclusion, car, selon un ordre que lui avait donné son commandant, il ne pouvait pas avoir recours au SGFC pour déposer un grief tant que l’ordre en question était en vigueur et ce dernier n’avait pas été annulé. Le demandeur faisait plus précisément référence à un [traduction] « ordre de cesser et de s’abstenir de formuler des commentaires inappropriés » qui lui avait été donné le 27 juillet 2020 (et qu’il appelait un [traduction] « ordre de garder le silence »), dans lequel son commandant avait indiqué ce qui suit :

[traduction]

Dès maintenant, je vous [le demandeur] ordonne de vous abstenir de faire tout commentaire inapproprié qui témoigne de votre insubordination à l’égard des membres de la FO 1‐10, plus particulièrement en ce qui concerne la cie PM. Cela comprend toute accusation, insinuation, calomnie, remarque incendiaire et autres commentaires similaires en ce qui a trait aux membres de la FO 1‐10.

[31] Le demandeur n’a pas précisé l’erreur qu’aurait commise la Commission lors de son examen préalable au regard de l’alinéa 41(1)a), mais se contente plutôt de répéter ce qu’il avait déclaré à la Commission, à savoir qu’il ne pouvait pas avoir recours au SGFC pour déposer un grief, car, s’il le faisait, il désobéirait à un ordre direct et il pourrait être incarcéré jusqu’à la fin de ses jours.

[32] Je suis d’avis qu’il était raisonnable de la part de la Commission de conclure que le SGFC était normalement ouvert au demandeur et que ce dernier aurait dû épuiser ce recours avant de déposer une plainte sous le régime de la LCDP.

[33] Le paragraphe 29(1) de la Loi sur la défense nationale est rédigé ainsi :

Tout officier ou militaire du rang qui s’estime lésé par une décision, un acte ou une omission dans les affaires des Forces canadiennes a le droit de déposer un grief dans le cas où aucun autre recours de réparation ne lui est ouvert sous le régime de la présente loi.

An officer or non‐commissioned member who has been aggrieved by any decision, act or omission in the administration of the affairs of the Canadian Forces for which no other process for redress is provided under this Act is entitled to submit a grievance.

[34] Selon le sens clair du paragraphe 29(1), la plainte du demandeur aurait pu, à première vue, être traitée au moyen du SGFC. Je souligne que le demandeur ne nie pas qu’il convient généralement d’avoir recours au SGFC, et que la Cour a conclu à maintes reprises que ce système fait partie des autres recours « qui [...] sont normalement ouverts » aux demandeurs [voir Mun, précitée, au para 32]. Cependant, le demandeur affirme que l’ordre de garder le silence l’a empêché d’avoir recours au SGFC. La Commission a rejeté cet argument et a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Le plaignant n’a pas présenté de grief sur les questions soulevées dans la présente plainte, bien que ce recours lui fût normalement ouvert. Son explication selon laquelle il devait respecter un « ordre de garder le silence » n’est pas raisonnable. Comme il est expliqué plus haut dans l’analyse fondée sur l’alinéa 41(1)e) du présent rapport, le plaignant a reçu, en juillet 2010, un ordre de cesser et de s’abstenir de formuler des « commentaires inappropriés ». Le dépôt d’un grief reposant sur des préoccupations légitimes quant au respect des droits de la personne n’équivaut pas à formuler des commentaires inappropriés. De plus, l’ordre en question semble s’appliquer à des incidents survenus en Afghanistan et au rapatriement du plaignant en 2010. Rien n’indique qu’il s’appliquait à des incidents ultérieurs en lien avec la déficience du plaignant. Ce dernier aurait pu déposer un grief concernant les incidents liés à sa déficience, mais il ne l’a pas fait.

[35] Je suis d’avis que la Commission n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle s’est penchée sur cette question et je conclus qu’il était raisonnable de sa part d’en arriver à la conclusion que l’ordre de garder le silence n’empêchait pas le demandeur d’avoir recours au SGFC pour déposer un grief. De plus, l’affirmation du demandeur selon laquelle il ferait l’objet de graves sanctions s’il déposait un grief est contredite par le libellé clair du paragraphe 29(4) de la Loi sur la défense nationale, qui dispose que le « dépôt d’un grief ne doit entraîner aucune sanction contre le plaignant ».

[36] Nul ne conteste que le demandeur connaissait le SGFC et qu’il ne l’avait pas utilisé pour déposer un grief. Ayant conclu que l’ordre de garder le silence n’empêchait pas le demandeur d’avoir recours au SGFC, je suis d’avis qu’il était raisonnable de la part de la Commission de conclure que le demandeur était le seul responsable de ne pas avoir utilisé le SGFC. Même si le SGFC n’est plus ouvert au demandeur parce qu’il a été libéré des forces armées, la décision de la Commission de refuser d’instruire sa plainte était raisonnable dans les circonstances et appelle la retenue [voir Andrews, précitée, au para 62].

(2) Alinéa 41(1)e)

[37] Aux termes de l’alinéa 41(1)e) de la LCDP, la Commission peut refuser de statuer sur une plainte si celle‐ci a été déposée plus d’un an après le dernier acte discriminatoire allégué. En l’espèce, la Commission a conclu qu’il n’y avait aucun désaccord sur le fait que la plainte avait été déposée dans l’année suivant le dernier acte discriminatoire allégué, qui se serait produit le 19 août 2017, et elle a fait remarquer que la question en litige était de savoir si elle devait retrancher de la plainte les allégations se rapportant à des faits antérieurs qui seraient survenus plus d’un an avant le dépôt de la plainte et qui seraient distincts et indépendants des faits allégués plus récents.

[38] Après avoir examiné la preuve dont elle disposait et avoir souligné que le demandeur avait fourni très peu de dates dans l’exposé de sa plainte, la Commission a fait les constatations suivantes :

  1. Les faits allégués concernant la race, la couleur, la religion et l’origine ethnique du demandeur se seraient produits pendant qu’il était en Afghanistan de juin 2009 à juin 2010;

  2. Le fait allégué selon lequel le demandeur n’avait pas pu voir sa famille à son arrivée à l’aéroport après son rapatriement au Canada serait survenu en juin 2010;

  3. Le fait allégué selon lequel on avait dit au demandeur à un certain moment [traduction] « dans le passé » d’obtenir des autorisations pour avoir un logement et exercer un emploi se serait produit plus d’un an avant le dépôt de la plainte;

  4. Les faits allégués relativement à sa déficience (qui ne comportaient pas de dates non plus) se seraient produits après son retour d’Afghanistan.

[39] La Commission a formulé la conclusion suivante :

[traduction]

Il est clair que la présente plainte porte sur des allégations concernant des faits impliquant plusieurs personnes qui se seraient déroulés au cours de deux périodes distinctes à différents endroits, et que ces allégations sont fondées sur divers motifs de distinction illicite. Les faits allégués quant à la race, à la couleur et à l’origine ethnique se seraient produits en Afghanistan et auraient pris fin le 23 juin 2010, tandis que les faits allégués concernant la situation de famille seraient survenus « dans le passé » et en juin 2010. Les actes allégués relativement à la déficience du demandeur auraient été commis au Canada et auraient toujours eu cours lorsque le demandeur a porté plainte. Il est évident et manifeste que les allégations fondées sur la race, la couleur, l’origine ethnique et la situation de famille sont distinctes et indépendantes des allégations concernant la déficience du demandeur.

[40] La Commission a conclu que les allégations du demandeur relatives à sa race, à sa couleur, à sa religion, à son origine nationale ou ethnique et à sa situation de famille concernaient des faits qui se seraient produits en 2010 ou vers cette année‐là et qu’elles devraient être dissociées des allégations liées à sa déficience pour les motifs suivants : les allégations antérieures étaient distinctes et indépendantes; le demandeur n’avait pas fait preuve de diligence en déposant une plainte sur ces allégations; le demandeur n’avait fourni aucune raison valable pour expliquer pourquoi il avait tardé à porter plainte (puisque la Commission avait rejeté son argument concernant les répercussions de l’ordre de garder le silence).

[41] Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que certaines de ses allégations de discrimination concernaient des faits qui se seraient produits plus d’un an avant qu’il dépose sa plainte, parce que les éléments de preuve dont elle disposait démontraient clairement que les actes discriminatoires allégués auraient été commis entre 2009 et 2018, année où il avait été libéré des Forces armées canadiennes. Le demandeur affirme que, même si certains incidents sont survenus en Afghanistan et d’autres au Canada, son lieu de travail se trouvait dans ces deux pays et les problèmes en question l’avaient suivi de l’Afghanistan au Canada.

[42] Lorsque des incidents forment un comportement continu de discrimination, il peut être déraisonnable pour la Commission de refuser d’enquêter sur de tels incidents, même quand ils dépassent la période d’un an prévue à l’alinéa 41(1)e) [voir Khanna c Canada (Procureur général), 2008 CF 576 aux para 27‐29; Heiduk c Whitworth, 2013 CF 119 aux para 17 et 28; Syed, précitée, au para 43]. Toutefois, la Commission jouit du pouvoir discrétionnaire de dissocier des plaintes en cas de ruptures dans la continuité des événements qui se sont déroulés au travail, comme des événements mettant en cause des personnes, des circonstances et des lieux différents [voir Cheng c Société canadienne des postes, 2006 CF 1304 au para 7]. Contrairement à ce qu’a fait valoir le demandeur, il était raisonnable pour la Commission de se demander si les divers incidents de discrimination allégués s’étaient produits dans différents pays pour décider s’il y avait eu une rupture dans la continuité des événements.

[43] Bien que le demandeur prétende que la Commission n’a pas tenu compte des éléments de preuve qui indiquaient clairement que la discrimination était constante (et qui visaient vraisemblablement à étayer ses allégations de discrimination fondée sur la race, la couleur, la religion, l’origine nationale ou ethnique et la situation de famille), il n’a pas précisé lesquels de ces éléments de preuve n’auraient pas été pris en considération par la Commission.

[44] En outre, j’estime qu’il était raisonnable pour la Commission de décider de retrancher de la plainte les allégations de discrimination fondée sur la race, la couleur, la religion, l’origine nationale ou ethnique et la situation de famille qu’avait soulevées le demandeur. Ces allégations antérieures mettaient en cause des personnes, des circonstances et des lieux (tels que des commentaires stéréotypés, des courriels à caractère discriminatoire et le fait d’avoir été victime de harcèlement et d’avoir été chassé de son logement et privé de ses droits en Afghanistan) qui étaient différents par rapport aux allégations du demandeur relatives à sa déficience, qui portaient principalement sur des mesures d’adaptation en milieu de travail, des programmes de retour au travail, le refus de lui accorder des affectations et des promotions et les tâches qu’on lui avait attribuées au Canada. Je suis d’avis que la décision de la Commission de refuser de statuer sur la plainte du demandeur fondée sur ces allégations antérieures était raisonnable, parce qu’il y a eu suffisamment de ruptures dans la continuité des événements entre ces allégations antérieures et celles concernant la déficience du demandeur.

[45] De plus, pour les mêmes raisons que celles mentionnées plus haut concernant l’ordre de garder le silence, je suis d’avis que la Commission n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a tenu compte de la raison fournie par le demandeur pour expliquer pourquoi il avait tardé à soulever ces allégations antérieures.

[46] Par conséquent, je conclus que la décision de la Commission de refuser de statuer sur la plainte du demandeur pour les motifs énoncés aux alinéas 41(1)a) et 41(1)e) de la LCDP était raisonnable, car elle était fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et était justifiée au regard de la preuve dont elle disposait et des principes juridiques applicables.

B. Il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale

[47] Le demandeur a affirmé ce qui suit dans son avis de demande :

[traduction]

La CCDP n’a pas mené une enquête en bonne et due forme sur la plainte du demandeur, et le demandeur a une crainte raisonnable de partialité parce que l’enquêtrice de la Commission s’est fait une opinion sans tenir compte des faits qui démontrent clairement que la défenderesse l’avait placé dans une situation très particulière, laquelle fait l’objet de la présente plainte.

[48] À l’audience, le demandeur a fait valoir que la Commission n’avait pas reconnu que le chef d’état‐major de la défense était le commandant de sa force opérationnelle en Afghanistan et, donc, que ses allégations de discrimination visaient notamment le comportement du chef d’état‐major de la défense. Il soutient que les observations présentées par la défenderesse en réponse à la plainte avaient effectivement été formulées par le chef d’état‐major de la défense, qui était en conflit d’intérêts. Il affirme que, en acceptant les observations de la défenderesse selon lesquelles il avait eu suffisamment de temps pour porter plainte en déposant un grief, l’enquêtrice de la Commission avait également fait preuve de partialité à son égard.

[49] Comme l’a souligné la Cour dans la décision Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 633, au paragraphe 39, il incombe à la partie qui allègue une crainte raisonnable de partialité (réelle ou perçue) de faire la preuve qu’une personne raisonnable et bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, croirait que, selon toute vraisemblance, le décideur, consciemment ou non, ne rendrait pas une décision juste. En l’absence d’une telle preuve, les décideurs administratifs, tout comme les juges, sont présumés avoir agi de façon juste et impartiale. Le seuil à franchir pour conclure à la partialité est donc élevé et de simples soupçons ne suffisent pas pour atteindre ce seuil [voir Première nation Sagkeeng c Canada (Procureur général), 2015 CF 1113 au para 105; Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369].

[50] Une allégation de crainte raisonnable de partialité doit être étayée par des éléments de preuve concrets qui font ressortir un comportement dérogeant à la norme. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, sur des insinuations ou encore sur de simples impressions d’une partie ou de son avocat [voir Arthur c Canada (Procureur général), 2001 CAF 223, [2001] ACF no 1091 (QL) au para 8; Trasvina Ramirez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 809 au para 11; Maxim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1029 au para 30].

[51] Je ne suis pas convaincue que le demandeur a atteint le seuil élevé fixé pour établir la crainte raisonnable de partialité. Contrairement à ce que prétend le demandeur, je suis d’avis que l’enquêtrice de la Commission a examiné minutieusement le contexte factuel de la plainte et que le demandeur n’a présenté aucune preuve à la Cour pour étayer son affirmation selon laquelle l’enquêtrice avait l’esprit fermé lorsqu’elle a examiné sa plainte. Qui plus est, les observations qu’avait présentées la défenderesse à la Commission ne provenaient pas du chef d’état‐major de la défense, mais plutôt du directeur de la Direction des examens internes au Quartier général de la Défense nationale.

[52] À tout cela s’ajoute un autre point, tout aussi fatal à l’argument du demandeur. Ce dernier n’avait pas fait part de ses allégations de partialité à la Commission en ce qui a trait à l’enquêtrice lorsqu’il avait eu la possibilité de formuler des observations sur le rapport fondé sur les articles 40 et 41. Comme il n’avait pas soulevé ces allégations à la Commission, j’estime qu’il ne pouvait pas invoquer cet argument en l’espèce [voir Aloulou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1236 au para 32].

[53] Dans les circonstances, je ne suis pas convaincue que le demandeur a démontré que ses droits à l’équité procédurale ont été enfreints.

IV. Conclusion

[54] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que le demandeur n’a pas démontré que la décision de la Commission était déraisonnable ou qu’il y a eu manquement à ses droits à l’équité procédurale. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[55] La défenderesse ne sollicite pas les dépens afférents à la demande et, par conséquent, aucuns dépens ne seront adjugés.


JUGEMENT dans le dossier T‐2056‐19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés relativement à la présente demande.

« Mandy Aylen »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‐2056‐19

INTITULÉ :

AARON ALCOCK c LES FORCES ARMÉES CANADIENNES

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 MAI 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE AYLEN

DATE DES MOTIFS :

LE 13 MAI 2022

COMPARUTIONS :

Aaron Alcock

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Benjamin Wong

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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