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Date : 20220518


Dossier : T‑530‑21

Référence : 2022 CF 743

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 18 mai 2022

En présence de madame la juge Furlanetto

ENTRE :

BEIJING JUDIAN RESTAURANT CO. LTD.

demanderesse

et

WEI MENG

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse, Beijing Judian Restaurant Co. Ltd. [Beijing Judian], sollicite une déclaration d’invalidité et demande, au titre du paragraphe 57(1) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 [la Loi], la radiation, dans le registre des marques de commerce [le registre], de l’enregistrement canadien no LMC1020055 à l’égard de la marque de commerce combinant les caractères jù et diăn et un dessin [le dessin-marque JU DIAN] illustrée ci‑dessous :

[2] Le dessin-marque JU DIAN a été enregistré au nom du défendeur à titre individuel, Wei Meng, le 25 août 2019 en vue de son emploi en liaison avec des « services de restauration; services de comptoir de plats à emporter » et de la « bière ».

[3] La demanderesse détient et exploite deux restaurants en Colombie‑Britannique et plusieurs restaurants réputés en Chine, par l’entremise desquels elle a utilisé, notamment en Chine, une famille de marques de commerce composées des caractères jù et diăn, dont une marque de commerce identique au dessin-marque JU DIAN. Elle fait valoir que le défendeur n’a pas employé le dessin-marque JU DIAN et qu’il l’a enregistré dans le seul but d’essayer de la lui vendre ou de nuire à ses affaires et à sa réputation, ou d’en tirer profit. Elle prétend qu’il a également présenté des demandes en vue de faire enregistrer les marques d’autres restaurants chinois réputés dans le même but.

[4] La demanderesse soutient que le dessin-marque JU DIAN est invalide parce que son enregistrement a été obtenu de mauvaise foi, ce qui constitue un motif d’invalidation selon l’alinéa 18(1)e) de la Loi. À titre subsidiaire, elle affirme que la marque est invalide aux termes des alinéas 18(1)b) et 18(1)d) de la Loi. Elle sollicite également un jugement déclaratoire portant que les actes du défendeur constituent de la commercialisation trompeuse au sens de l’alinéa 7b) de la Loi et en common law. Elle demande une injonction et des dommages‑intérêts en lien avec son allégation de commercialisation trompeuse et des dommages‑intérêts exemplaires relativement à son allégation d’invalidité fondée sur la mauvaise foi.

[5] Pour les motifs exposés ci‑après, je conclus que l’enregistrement du dessin-marque JU DIAN est invalide et devrait être radié du registre, mais que rien ne justifie que la Cour rende une injonction et octroie des dommages‑intérêts.

I. Le contexte

[6] La seule preuve dont dispose la Cour est celle que lui a présentée la demanderesse. Comme il n’y a pas eu de contre‑interrogatoires, cette preuve n’est pas contredite.

[7] La preuve comprend deux affidavits : 1) un affidavit de Jiantao Zou, cofondatrice et directrice générale de Beijing Judian, qui a été souscrit le 15 mars 2021 [l’affidavit de Zou]; 2) un affidavit de Lai Lam Sing, consultant de Beijing Judian et employé de The Meat Up Restaurant Ltd., une filiale indirecte de Beijing Judian exploitant le restaurant Beijing Judian à Vancouver, qui a été souscrit le 16 mars 2021 [l’affidavit de Sing].

[8] Bien qu’il ait déposé un avis de comparution, le défendeur n’a présenté aucun autre document dans le cadre de l’instance et il n’a pas non plus assisté à l’audition de la demande.

[9] Un résumé des faits qui ressortent de la preuve présentée par la demanderesse est énoncé ci‑après.

A. Les marques de commerce de la demanderesse

[10] Depuis 2005, Beijing Judian exploite une chaîne de restaurants‑bars à barbecue en Chine qui emploie une ou plusieurs des marques de commerce illustrées ci‑dessous qui intègrent les caractères jù et diăn () en formes écrite et stylisée, le mot anglais « Partybase » en caractères stylisés et un motif composé de cercles [les marques de commerce JU DIAN].

Marque intégrant les caractères chinois jù et diăn

(jù diăn chuàn bā)

Dessin‑marque représentant les caractères chinois jù et diăn

Marque représentant le mot anglais « Partybase » en caractères stylisés

Dessin‑marque représentant des cercles

Marque composée

[11] En juin 2020, Beijing Judian possédait près de 40 restaurants en Chine qui étaient exploités par la demanderesse ou par une filiale qui relevait d’elle.

[12] Les restaurants Beijing Judian sont bien connus en Chine. Entre 2011 et 2019, ils ont servi plus de 5 750 000 clients. Beijing Judian utilise beaucoup les marques de commerce JU DIAN pour faire la promotion de ses services de restauration par différents moyens, notamment à l’aide de publications, de panneaux d’affichage, d’annonces dans les médias sociaux, de boutiques éphémères, de publicités vidéo et de publications sur des sites de critiques et des blogues en ligne. Elle utilise également les marques de commerce JU DIAN à cette même fin sur des panneaux dans les stations de métro, ce qui lui apporte une grande visibilité, ainsi que sur des panneaux d’affichage dans des immeubles à bureaux et des quartiers résidentiels. L’affidavit de Zou donne des exemples de l’emploi très fréquent des marques de commerce JU DIAN en liaison avec les restaurants Beijing Judian en Chine.

[13] Depuis 2011 et 2013, respectivement, Beijing Judian emploie également les marques de commerce JU DIAN en liaison avec ses comptes de médias sociaux sur Weibo et WeChat afin de faire la promotion et la publicité de ses services de restauration auprès de la population chinoise en Chine et ailleurs.

B. Les restaurants au Canada

[14] En 2015, la demanderesse a commencé à étudier la possibilité d’implanter sa chaîne de restaurants au Canada. Elle a choisi les régions métropolitaines de Vancouver et de Toronto parce qu’elles comptent une grande population de Canadiens d’origine chinoise qui, selon elle, connaissent les restaurants Beijing Judian et ses marques de commerce JU DIAN.

[15] Beijing Judian a ouvert son restaurant de Vancouver en mai 2018 et a ouvert un deuxième restaurant à Richmond, en Colombie‑Britannique, en 2019. Elle a également eu un restaurant à Toronto d’octobre 2018 à octobre 2019. Son restaurant de Vancouver a servi plus de 77 000 clients et a généré des recettes de plus de 2,6 millions de dollars canadiens du 1er mai 2018 au 1er septembre 2019, et son restaurant de Richmond a servi plus de 36 000 clients et a généré des recettes de 1,2 million de dollars canadiens depuis septembre 2019.

[16] Tous les restaurants canadiens affichent et emploient la marque de commerce illustrée ci‑dessous, qui est composée des caractères jù et diăn sous forme de dessin [la marque JU DIAN canadienne] :

[17] La demanderesse a présenté une demande d’enregistrement de la marque JU DIAN canadienne le 24 novembre 2017.

C. Les activités du défendeur

[18] Le 27 juin 2017, le défendeur à titre individuel, qui habite à Richmond, en Colombie‑Britannique, avait déjà présenté, à l’insu de la demanderesse, une demande d’enregistrement du dessin-marque JU DIAN en vue de son emploi projeté en liaison avec des « services de restauration; services de comptoir de plats à emporter » et de la « bière ». À peu près à la même date, le défendeur a également présenté des demandes pour enregistrer les marques de commerce d’autres chaînes de restaurants en Chine, dont Gangli Restaurant, Jiang Bian Cheng Wai Kao Quan Yu, Saizeriya, Seahood et Yuanmai Shanqiu (Withwheat), en vue de leur emploi projeté.

[19] Le 21 avril 2019, le défendeur s’est rendu au restaurant Beijing de Vancouver pour s’entretenir avec la demanderesse au sujet de sa marque de commerce. L’échange qui a eu lieu est décrit de la façon suivante dans l’affidavit de Sing, qui est fondé sur des éléments tenus pour véridiques sur la foi de renseignements :

[traduction]

5. D’après ce que m’a dit ma fille, Jacqueline Lai, le défendeur s’est présenté au restaurant de Vancouver vers le 21 avril 2019 et a demandé à parler au propriétaire. Ma fille a parlé directement au défendeur, qui prétendait que Beijing Judian avait volé sa marque de commerce. Lorsqu’elle lui a dit que les marques de commerce JUDIAN [sic] avaient été créées et employées à l’origine par Beijing Judian pour ses chaînes de restaurants en Chine et au Canada, le défendeur a insisté sur le fait qu’il se fichait des marques de commerce chinoises et qu’il avait les documents nécessaires au Canada. Elle lui a demandé de laisser ses coordonnées et les renseignements sur les documents dont il parlait au restaurant afin qu’elle puisse les examiner.

[20] Peu de temps après cette rencontre, soit le 25 avril 2019, le défendeur a déposé une déclaration d’emploi du dessin-marque JU DIAN, et un certificat d’enregistrement lui a été délivré le jour même.

[21] Le 1er mai 2019, M. Sing a organisé une autre rencontre avec le défendeur au restaurant Beijing Judian de Vancouver. M. Sing a affirmé que, durant cette rencontre, le défendeur [traduction] « avait demandé 1 500 000 $ CA à Beijing Judian pour l’acquisition du droit d’usage des marques de commerce JU DIAN et avait refusé de céder ses droits de propriété ». M. Sing a refusé de lui verser la somme demandée.

[22] Le 8 mai 2019, le défendeur a envoyé une lettre à l’associé de Mme Zou et cofondateur de l’entreprise, M. Zhang Lin, dans laquelle il alléguait que les restaurants Beijing Judian employaient ses marques de commerce et avaient violé son droit d’auteur au Canada. Il affirmait qu’il communiquerait avec le [traduction] « service d’enregistrement » et l’Agence du revenu du Canada si la demanderesse ne cessait pas d’employer les marques de commerce JU DIAN dans la semaine qui suivait.

[23] Le 28 juin 2019, la demanderesse a fait parvenir une mise en demeure au défendeur, dans laquelle elle exigeait qu’il cesse toute utilisation de ses marques et qu’il abandonne le dessin-marque JU DIAN. Après les échanges qui s’en sont suivis, le défendeur a répliqué qu’il refusait d’accéder aux demandes de la demanderesse et il a répété que le dessin-marque JU DIAN lui appartenait.

[24] Le 3 juin 2019, la demanderesse a découvert une annonce pour la vente de l’enregistrement du dessin-marque JU DIAN sur un site Web contenant des nouvelles et un forum de discussion en ligne sur le marché en Colombie‑Britannique, le site VanSky (www.vansky.com). La demanderesse a demandé à un intermédiaire de communiquer avec le défendeur pour obtenir des renseignements en vue d’acheter la marque. Le défendeur a proposé à cet intermédiaire de payer 100 000 $ par année pour l’emploi de l’enregistrement et l’ouverture d’une franchise du restaurant. Son message texte indiquait ce qui suit :

[traduction]

La somme de 100 000 $ par année ne représente que le salaire d’une personne, sans autres frais de service. Vous ne trouverez pas d’autre franchise à un prix aussi bas. Si vous ouvrez un restaurant qui n’est pas connu, vous perdrez encore plus d’argent [que la somme que je vous demande]. Vous pouvez faire une recherche avec le mot JuDian Chuan Ba sur Baidu et vous verrez le nombre de restaurants qui existent à Beijing. Toute entreprise sait que les marques puissantes attirent les clients. Si vous êtes intéressé, communiquez avec moi.

[25] En octobre 2020, le défendeur s’est opposé à la demande d’enregistrement de la marque JU DIAN canadienne qu’avait présentée la demanderesse. Dans sa déclaration d’opposition, il affirmait que la marque JU DIAN canadienne n’était pas distinctive parce qu’elle était identique à son dessin-marque JU DIAN.

II. Les questions en litige

[26] La présente demande soulève les questions suivantes :

  1. L’enregistrement du dessin-marque JU DIAN devrait‑il être déclaré invalide et radié du registre?

  2. L’enregistrement du dessin-marque JU DIAN a‑t‑il été obtenu de mauvaise foi, ce qui constitue un motif d’invalidation selon l’alinéa 18(1)e) de la Loi, ou est‑il autrement invalide aux termes de l’alinéa 18(1)b) ou 18(1)d) de la Loi?

  3. Les actes du défendeur constituent‑ils de la commercialisation trompeuse au sens de l’alinéa 7b) de la Loi et en common law?

  4. La demanderesse a‑t‑elle droit à une injonction et à des dommages‑intérêts et, dans l’affirmative, quelle somme devrait lui être adjugée?

III. Analyse

A. L’enregistrement du dessin-marque JU DIAN devrait‑il être déclaré invalide et radié du registre?

[27] Le paragraphe 57(1) de la Loi prévoit que la Cour fédérale a compétence exclusive, sur demande du registraire ou de toute personne intéressée, pour ordonner qu’une inscription dans le registre soit biffée, parce que, à la date de cette demande, l’inscription figurant au registre n’exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque de commerce.

[28] Aux termes de l’article 2 de la Loi, est assimilé à une « personne intéressée » quiconque est atteint ou a des motifs valables d’appréhender qu’il sera atteint par une inscription dans le registre.

[29] Comme elle est l’auteure de la demande d’enregistrement de la marque JU DIAN canadienne, qui a fait l’objet d’une opposition engagée sur le fondement du dessin-marque JU DIAN, et comme elle est la propriétaire des marques de commerce JU DIAN, la demanderesse est une personne intéressée pour l’application du paragraphe 57(1) de la Loi.

(1) L’enregistrement du dessin-marque JU DIAN a‑t‑il été obtenu de mauvaise foi, ce qui constitue un motif d’invalidation selon l’alinéa 18(1)e) de la Loi?

[30] Aux termes de l’alinéa 18(1)e) de la Loi, l’enregistrement d’une marque de commerce peut être déclaré invalide si « la demande d’enregistrement a été produite de mauvaise foi ». L’alinéa 18(1)e) de la Loi a été introduit par l’article 218 du projet de loi C‑86, qui est devenu la Loi no 2 d’exécution du budget de 2018, LC 2018, c 27. Le terme « mauvaise foi » n’est pas défini dans cette disposition. Dans le Résumé législatif du 14 décembre 2018 portant le numéro de publication 42‑1‑C86‑F, à la section 2.5.7.2, sous‑section B : modifications apportées à la Loi sur les marques de commerce, il est écrit que l’alinéa 18(1)e), ainsi que le motif d’opposition fondé sur cette disposition, visent à « empêcher l’enregistrement d’une marque de commerce dans le seul but de tirer parti du fait d’empêcher d’autres de l’utiliser ».

[31] Des observations similaires ont été formulées lors de la troisième lecture du projet de loi C‑86, durant laquelle il a été mentionné que les modifications proposées à la Loi permettront « d’éviter une utilisation abusive du régime des marques de commerce, comme les demandes d’enregistrement faites dans la seule intention de recevoir une rémunération du titulaire légitime de la marque de commerce » (projet de loi C‑86, 3e lecture, Débats de la Chambre des communes, 42e législature, 1re session, no 361 (29 novembre 2018) à 1155 (l’honorable Dan Ruimy)).

[32] Étant nouveau, l’alinéa 18(1)e) n’a été pris en considération que dans un petit nombre de décisions canadiennes : Norsteel Building Systems Ltd c Toti Holdings Inc, 2021 CF 927; YIWU Thousand Shores E‑Commerce Co Ltd c Lin, 2021 CF 1040; Advanced Purification Engineering Corporation (APEC Water Systems) c iSpring Water Systems, LLC, 2022 CF 388. La demanderesse affirme que la jurisprudence canadienne portant sur la mauvaise foi qui date d’avant l’adoption de l’alinéa 18(1)e) continue de s’appliquer, mais que la mauvaise foi constitue désormais, à elle seule, un motif suffisant pour justifier la radiation, puisqu’il s’agit d’un fondement législatif exprès permettant de conclure à l’invalidité. Elle renvoie aux décisions Cerverceria Modelo, SA de CV c Marcon, 2008 CanLII 88189, [2008] COMC no 131 (WL) [Cerverceria], et Julia Wine Inc c Les marques metro, SENC, 2016 CF 738 [Julia Wine], qui ont été rendues à la suite de procédures d’opposition engagées au titre de l’alinéa 30i) de la Loi, qui prévoyait qu’il fallait produire une demande renfermant « une déclaration portant que le requérant est convaincu qu’il a droit d’employer la marque de commerce au Canada en liaison avec les produits ou services décrits dans la demande ». Dans ces affaires, il s’agissait de requérants qui avaient déposé plusieurs demandes d’enregistrement de marques bien connues. Au paragraphe 35 de la décision Cerverceria, qui est également citée dans la décision Julia Wine, la registraire a formulé les observations suivantes sur ce qui pourrait constituer de la mauvaise foi :

Je ne connais pas de décision qui décrit la notion de « mauvaise foi » dans le contexte de l’alinéa 30i). Bien que je ne sois pas certaine si cette notion s’applique en l’espèce, je me demande comment une personne raisonnable serait convaincue qu’elle a droit de produire des demandes d’enregistrement pour plus de 18 marques de commerce sans doute bien connues en liaison avec des marchandises et/ou services apparemment connexes. Je m’interroge également sur l’intention qui motive un requérant à le faire. À mon avis, le fait pour un requérant de tenter de profiter de la réputation établie d’un nombre important de marques bien connues devrait être le genre de situation que l’alinéa 30i) vise à empêcher.

[33] La demanderesse souligne que des dispositions similaires à l’alinéa 18(1)e) figurent également dans la législation en matière de marques de commerce de l’Union européenne et du Royaume‑Uni et ont fait l’objet de décisions des tribunaux de l’Union européenne et du Royaume‑Uni : Directive (UE) 2015/2436 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques, [2015] JO L 336/8, art 4(2); Trade Marks Act, 1994 (RU), art 3(6). Elle s’appuie sur cette jurisprudence pour interpréter ce qui constitue de la mauvaise foi au titre de l’alinéa 18(1)e).

[34] Comme l’a précisé le professeur David Vaver dans « Good Faith in Canadian Trademark Applications », Intellectual Property Journal, 33 IPJ 1, décembre 2000 [Vaver] à la page 1 :

[traduction]

Il ne fait aucun doute que la nouvelle interdiction s’inspire des dispositions similaires de la législation en matière de marques de commerce de l’Union européenne et du Royaume‑Uni, ainsi que des dispositions comparables des règles régissant l’enregistrement des noms de domaine. Cette interdiction consacre le principe juridique et moral fondamental selon lequel personne ne peut tirer profit de sa conduite fautive, qui, dans le domaine des marques de commerce, peut être définie comme une tentative d’employer un enregistrement pour acquérir des droits « d’une manière inappropriée ou dans un but illégitime ». Cette interdiction s’applique non seulement aux cas comme celui du requérant qui avait présenté plus de 400 demandes, mais aussi aux abus moins flagrants où des requérants cherchent à interférer de manière déloyale avec les intérêts d’autrui au lieu de simplement faire avancer légitimement leurs propres intérêts commerciaux.

[35] Selon la législation en matière de marques de commerce du Royaume‑Uni et de l’Union européenne, la mauvaise foi lors du dépôt d’une demande d’enregistrement d’une marque de commerce ne se limite pas au comportement malhonnête d’un requérant, mais peut aussi comprendre des actes qui vont à l’encontre des normes en matière de comportement commercial acceptable qu’observeraient des personnes raisonnables et expérimentées si elles se trouvaient dans la même situation : Walton International Ltd and another v Verweij Fashion BV, [2018] EWHC 1608 (Ch) [Walton] au para 186(ii); Gromax Plasticulture Ltd v Don & Low Nonwovens Ltd, [1999] RPC 367 à la p 379; Sky plc and other companies v SkyKick UK Ltd and another company, [2018] EWHC 155 (Ch), aux para 209‑210. Pour apprécier le comportement du requérant, il faut prendre en considération son intention subjective lorsqu’il a produit sa demande en fonction des circonstances objectives propres à l’affaire : Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli AG c Franz Hauswirth GmbH, [2009] EUECJ C‑529/07 [Chocoladefabriken] aux para 41‑45; Walton, au para 186(vi).

[36] La mauvaise foi s’entend généralement du fait, pour le requérant, de manquer à une obligation légale ou morale à l’égard d’un tiers; cependant, il n’est pas nécessaire que les parties aient des relations contractuelles ou précontractuelles pour qu’une demande ait été produite de mauvaise foi : Walton, au para 187. Comme l’a indiqué N. Dawson dans « Bad Faith in European Trade Mark Law », [2011] IPQ 229 [Dawson] à la page 255 :

[traduction]

Si l’existence d’une relation significative permet d’établir la mauvaise foi de manière relativement simple, l’absence d’une telle relation, voire de tout type de contact entre les parties, n’est aucunement fatale, car, dans de nombreux cas de préemption où les parties n’avaient aucun « lien de dépendance », une conclusion de mauvaise foi a été tirée.

La trame factuelle de la préemption comprend généralement une demande d’enregistrement d’une marque identique à une marque qui a déjà été enregistrée ou qui est simplement employée par un tiers à l’égard de produits identiques ou similaires. […]

[37] Selon la législation du Royaume‑Uni et de l’Union européenne, la mauvaise foi peut consister à demander l’enregistrement d’une marque sans aucune intention de l’employer d’une façon commerciale légitime, avec pour seul objectif d’empêcher un tiers d’accéder au marché ou de nuire à ses activités (voir, par exemple, Chocoladefabriken, aux para 43‑45; Byford v Oliver, [2003] EWHC 295 (Ch)). Il peut également y avoir mauvaise foi lorsque le requérant demande ou obtient l’enregistrement d’une marque de commerce dans le but de l’employer comme un moyen d’extorsion : Walton, au para 187, citant Hotel Cipriani srl v Cipriani (Grosvenor Street) [2009] EWHC 3031 (Ch) au para 186, qui renvoie à Melly’s Trade Mark Application (Fianna Fail and Fine Gael Trade Marks), [2008] RPC 20.

[38] La demanderesse affirme – et j’abonde dans son sens – que même s’il est pertinent d’utiliser la date de dépôt de la demande aux fins de l’analyse fondée sur l’alinéa 18(1)e), il peut également être indiqué d’examiner les éléments de preuve présentés après cette date si ceux‑ci aident à clarifier les raisons pour lesquelles la demande a été déposée : Pentastar Transport Ltd c FCA US LLC, 2020 CF 367 au para 98.

[39] La demanderesse reconnaît qu’il lui incombe d’établir, selon la prépondérance des probabilités et au moyen d’une preuve claire et convaincante, que la demande d’enregistrement du dessin-marque JU DIAN a été produite de mauvaise foi : FH c McDougall, 2008 CSC 53 aux para 40, 45‑46. Toutefois, en présence de faits qui relèvent uniquement de la connaissance du défendeur, une preuve circonstancielle et des présomptions découlant des faits établis peuvent être suffisantes pour démontrer les intentions qu’avait le défendeur lorsqu’il a présenté sa demande, mais pas une preuve par ouï‑dire et des sous‑entendus : Beijing Jingdong 360 du E‑Commerce Ltd c Zhang, 2019 CF 1293 aux para 23‑24; Domaines Pinnacle Inc c Les Vergers de la Colline, 2016 CF 188 au para 68; Vaver, à la p 6.

[40] La demanderesse soutient que, lorsqu’il a déposé sa demande pour enregistrer le dessin-marque JU DIAN, le défendeur connaissait manifestement les restaurants Beijing Judian et la réputation associée aux marques de commerce JU DIAN en Chine et dans la communauté sino‑canadienne de Richmond, de Vancouver et de Toronto. Elle prétend que le défendeur n’a jamais eu l’intention d’employer le dessin-marque JU DIAN d’une façon commerciale légitime, mais qu’il a plutôt cherché à obtenir l’enregistrement pour tirer profit de la réputation de la demanderesse et extorquer de l’argent grâce à la vente de la marque.

[41] Le dessin-marque JU DIAN est une reproduction exacte de la marque composée de la demanderesse; elle reprend les caractères jù et diăn, le mot anglais « Partybase » et le motif de cercles employés en liaison avec les restaurants de la demanderesse en Chine. Je suis d’accord avec la demanderesse pour dire qu’il est peu plausible que le demandeur ait créé ce même dessin original par lui‑même. Au contraire, on peut logiquement déduire qu’il avait l’intention d’obtenir l’enregistrement de la marque qu’il savait être associée aux restaurants Beijing Judian en Chine.

[42] Le dépôt intentionnel d’une demande d’enregistrement de la marque de la demanderesse n’est toutefois pas suffisant, en soi, pour invalider le dessin-marque JU DIAN. Comme l’a reconnu la demanderesse, il peut y avoir une raison légitime d’obtenir l’enregistrement d’une marque de commerce au Canada qui est identique à une marque qui a été enregistrée et qui est employée par un tiers dans un autre pays lorsque la marque de ce tiers n’a pas acquis de réputation au Canada : USA PRO IP Limited c Courtaulds Textiles America, Inc, 2018 COMC 90 au para 21; Santa Barbara Restaurant Group, Inc c Jay Veto, 2014 COMC 286 aux para 31‑33; Bousquet c Barmish Inc, [1991] ACF no 813 au para 29 (CF 1re inst), conf par [1993] ACF no 34 (CAF).

[43] Cette position est compatible avec les observations énoncées dans Dawson, à la page 257, en ce qui concerne l’approche adoptée par l’Union européenne à l’égard d’une allégation de mauvaise foi :

[traduction]

L’établissement d’un droit a priori auquel la loi accorde un certain niveau de protection semble être essentiel pour que la mauvaise foi puisse être invoquée comme une « règle de concurrence déloyale intrinsèque » du droit des marques de commerce et semble être fondamental pour que soit appliquée l’approche de l’« abus de droits » décrite plus haut, ce qui constitue désormais deux des principes directeurs qui sous‑tendent le débat communautaire sur la mauvaise foi. En l’absence d’un tel droit antérieurement établi, il est difficile de concevoir comment le comportement du requérant peut être considéré comme un comportement déloyal ou abusif ou comme de la mauvaise foi.

[44] Cependant, en l’espèce, les affidavits de Zou et de Sing et les actes du défendeur sont des éléments de preuve suffisants pour établir que la demanderesse jouissait d’une certaine réputation au sein de la population sino‑canadienne de la Colombie‑Britannique, du moins, lorsque la demande d’enregistrement du dessin-marque JU DIAN a été déposée. Mme Zou a mentionné qu’elle savait que des résidents canadiens fréquentaient les restaurants Beijing Judian en Chine. De même, M. Sing a parlé de façon générale du fait qu’il savait que les Canadiens d’origine chinoise vivant à Vancouver, à Richmond et à Toronto connaissaient les marques de commerce JU DIAN. Mme Zou a également précisé dans son affidavit que la demanderesse se servait de ses comptes WeChat et Weibo pour commercialiser et promouvoir sa marque auprès de la population chinoise, notamment auprès des personnes d’origine chinoise vivant à l’étranger.

[45] Le défendeur laisse entendre qu’il connaît la réputation des marques de commerce JU DIAN de la demanderesse dans le message texte qu’il a envoyé à l’acheteur éventuel, dans lequel il fait référence aux restaurants Beijing de la demanderesse et à la réputation des caractères jù et diăn et de la marque JU DIAN. Je suis d’avis que ces éléments de preuve, combinés aux circonstances objectives, révèlent que le défendeur avait l’intention de tirer un avantage économique de la réputation des marques de commerce JU DIAN.

[46] Il ressort de la preuve que le défendeur a enregistré le dessin-marque JU DIAN dans l’intention d’extorquer de l’argent à la demanderesse ou d’utiliser la réputation des marques de commerce JU DIAN de la demanderesse pour obtenir de l’argent de tiers. Une semaine après l’enregistrement du dessin-marque JU DIAN, le défendeur a contacté la demanderesse pour lui proposer d’acheter la marque pour 1 500 000 $, une somme bien supérieure à tous les coûts associés à l’obtention de la marque. Lorsque la demanderesse a refusé d’acheter la marque, le défendeur a menacé de nuire à son entreprise. Il a ensuite placé une annonce publique sur le site VanSky pour vendre l’enregistrement de la marque, et il a par la suite échangé avec un acheteur potentiel à qui il a offert d’acquérir des droits de franchise au coût de 100 000 $ par année. Lorsqu’il a échangé avec l’acheteur potentiel du dessin-marque JU DIAN, le défendeur a invoqué la réputation des restaurants de la demanderesse pour justifier l’importance de la somme demandée pour l’enregistrement de la marque.

[47] La demanderesse affirme que ces actes doivent être pris en compte avec les éléments de preuve qui indiquent que le défendeur avait présenté des demandes pour enregistrer des marques de commerce similaires vers la même période. Ces demandes visaient des marques de commerce liées à différents restaurants chinois avec lesquels le défendeur n’avait aucune affiliation connue. Ces demandes étaient toutes fondées sur l’emploi projeté. La demanderesse soutient que cette façon de procéder révèle que le défendeur n’avait pas l’intention d’employer le dessin-marque JU DIAN à des fins commerciales légitimes lorsqu’il a demandé son enregistrement. Je suis du même avis.

[48] D’après les tribunaux du Royaume‑Uni, il est possible de réfuter une inférence de mauvaise foi lorsque le requérant a obtenu l’enregistrement d’une marque de commerce associée à une marque bien connue avec laquelle il n’a aucun lien. Cependant, il est beaucoup plus difficile de réfuter une telle inférence lorsque le requérant a obtenu l’enregistrement de plusieurs marques avec lesquelles il n’a pas de liens : Trump International Limited v Dttm Operations LLC, [2019] EWHC 769 (Ch) aux para 46‑48.

[49] La demande d’enregistrement du dessin-marque JU DIAN était fondée sur l’emploi projeté. Bien que le défendeur ait déposé une déclaration d’emploi le 25 avril 2019, rien dans le dossier ne prouve qu’il avait employé le dessin-marque JU DIAN à des fins commerciales. Il ne l’a employé que lorsqu’il a placé une annonce sur le site VanSky en vue de sa vente. Mme Zou a mentionné dans son affidavit que, en dépit des efforts raisonnables qu’elle avait déployés, la demanderesse n’avait pas été en mesure de trouver des renseignements qui prouvaient que le défendeur avait employé le dessin-marque JU DIAN en liaison avec les biens et services visés par l’enregistrement ou avec tout autre bien et service. Selon la demanderesse, l’absence de tels renseignements est frappante, car le défendeur savait que la validité de sa marque était contestée, mais il a choisi de ne produire aucun élément de preuve.

[50] En effet, le défendeur n’a présenté aucun élément de preuve pour réfuter l’inférence qui avait été tirée à partir de la preuve circonstancielle ou pour démontrer qu’il avait l’intention d’employer le dessin-marque JU DIAN comme marque de commerce en liaison avec ses propres services de restauration. Tous les éléments de preuve indiquent plutôt qu’il avait l’intention d’employer le dessin-marque JU DIAN pour extorquer de l’argent à la demanderesse ou pour obtenir de l’argent de tiers. Comme l’a déclaré la Cour dans la décision HomeAway.com Inc c Hrdlicka, 2012 CF 1467 au paragraphe 37, une telle façon de procéder ne devrait pas être tolérée ou encouragée :

[37] La correspondance, notamment par courriel, qui se trouve non seulement à l’annexe Q de l’affidavit souscrit par Me Dickey mais également qui est annexée aux affidavits souscrits par M. Hrdlicka, démontre que M. Hrdlicka tentait de vendre son enregistrement à HomeAway pour une importante somme d’argent et/ou en contrepartie d’un emploi ou de redevances. Je conclus que lorsqu’il a présenté sa demande d’enregistrement, M. Hrdlicka n’avait aucune intention véritable d’employer cette marque d’une façon commerciale légitime au Canada. Son intention était d’extorquer de l’argent ou une autre contrepartie à HomeAway. Une telle façon de procéder ne devrait pas être tolérée ou encouragée.

[51] Je suis d’accord avec la demanderesse. Il ressort de la preuve que le défendeur n’avait aucune intention d’employer le dessin-marque JU DIAN d’une façon commerciale légitime lorsqu’il a demandé son enregistrement. À mon avis, les circonstances en l’espèce constituent de la mauvaise foi et l’enregistrement du dessin-marque JU DIAN devrait être déclaré invalide et être radié en conséquence.

[52] Comme j’ai conclu que l’enregistrement du dessin-marque JU DIAN est invalide sur le fondement de l’alinéa 18(1)e), il n’est pas nécessaire que j’examine la question de savoir s’il est également invalide aux termes des alinéas 18(1)b) et 18(1)d).

[53] Cependant, la demanderesse a également demandé une injonction et des dommages‑intérêts pour commercialisation trompeuse sur le fondement de l’alinéa 7b) de la Loi et de la common law. Même si l’emploi d’une marque de commerce déposée constitue une défense absolue à l’encontre d’une action en commercialisation trompeuse (Remo Imports Ltd c Jaguar Cars Limited, 2007 CAF 258 au para 111), il n’est pas possible d’invoquer cette défense compte tenu de la conclusion à laquelle je suis parvenue au regard de l’alinéa 18(1)e). Passons donc à l’allégation de commercialisation trompeuse.

B. Les actes du défendeur constituent‑ils de la commercialisation trompeuse au sens de l’alinéa 7b) de la Loi et en common law?

[54] Pour démontrer qu’il y a eu commercialisation trompeuse en common law ou au sens de l’alinéa 7b) de la Loi, la demanderesse doit établir l’existence de trois éléments : 1) elle a acquis un achalandage à l’égard de ses marques de commerce; 2) le défendeur a induit le public en erreur par une fausse déclaration; 3) elle a subi un préjudice réel ou subira un préjudice éventuel en raison des actes du demandeur : Kirkbi AG c Ritvik Holdings Inc, 2005 CSC 65 au para 66; Ciba‑Geigy Canada Ltd c Apotex Inc, [1992] 3 RCS 120 [Ciba‑Geigy] à la p 132; Sadhu Singh Hamdard Trust c Navsun Holdings Ltd, 2016 CAF 69 au para 20.

[55] Abstraction faite de la question de savoir si la demanderesse a acquis un achalandage relativement à ses marques de commerce au Canada, je suis d’avis qu’elle ne peut pas avoir gain de cause quant à la question de la commercialisation trompeuse, car elle n’a pas démontré, à tout le moins, l’existence du deuxième élément du critère de la commercialisation trompeuse.

[56] Pour établir le deuxième élément du critère de la commercialisation trompeuse, la demanderesse doit prouver que la fausse déclaration qu’a faite le défendeur au public cause ou causera vraisemblablement de la confusion entre ses produits, ses services ou son entreprise et ceux du défendeur. Comme l’a déclaré la Cour suprême dans l’arrêt Ciba‑Geigy, à la page 132, en citant l’arrêt Reckitt & Colman Products Ltd c Borden Inc, [1990] 1 All ER 873 à la page 880 :

[traduction] Le droit en matière de commercialisation trompeuse peut se résumer par un bref énoncé général : il est interdit à quiconque de faire passer ses produits pour ceux d’une autre personne. Plus précisément, il peut s’énoncer selon les trois éléments que le demandeur doit prouver dans une telle action pour avoir gain de cause. Premièrement, il doit établir l’existence d’un achalandage ou d’une réputation relativement aux produits ou services qu’il fournit en raison du fait que le public associe, dans son esprit, la présentation particulière (qu’il s’agisse simplement d’une marque de commerce ou d’une description commerciale, ou des caractéristiques particulières de l’étiquetage ou de l’emballage) des produits ou des services qui lui sont offerts à ceux du demandeur, de sorte que cette présentation est reconnue par le public comme constituant un caractère distinctif des produits ou services du demandeur. Deuxièmement, il doit établir que le défendeur a fait (intentionnellement ou non) une représentation trompeuse au public qui l’amène ou est susceptible de l’amener à croire que ses produits ou services sont ceux du demandeur [...] Troisièmement, il doit établir qu’il subit ou, dans une action quia timet, qu’il est susceptible de subir des dommages à cause de la croyance erronée engendrée par la représentation trompeuse du défendeur que la source de ses produits et services est la même que ceux du demandeur. [Soulignement supprimé.]

[57] Le deuxième élément du critère suppose qu’une fausse déclaration a été faite au public par rapport à la vente, à la mise en vente ou à la publicité de biens ou de services dans le cadre d’opérations commerciales. Certes, la fausse déclaration peut prendre différentes formes (TFI Foods Ltd c Every Green International Inc, 2021 CF 241 au para 51; Ark Innovation Technology Inc c Matidor Technologies Inc, 2021 CF 1336 au para 69), mais il faut établir qu’elle cause, ou est susceptible de causer, de la confusion sur le marché chez les acheteurs concernés.

[58] En l’espèce, comme l’a reconnu la demanderesse, le défendeur n’a pas fait un usage commercial du dessin-marque JU DIAN. Il ne l’a employé que lorsqu’il a placé une annonce sur le site VanSky afin de le vendre.

[59] La demanderesse prétend que le défendeur menace d’employer la marque sur une base quia timet, car il l’a enregistrée et il a tenté de trouver des licenciés pour l’employer. Cependant, je ne crois pas que le message texte qu’a envoyé le défendeur à la personne qui lui avait posé des questions au sujet de son annonce sur le site VanSky constitue en soi une preuve suffisante permettant d’établir qu’il existe un risque de confusion sur le marché au sein du public visé. En effet, le défendeur a écrit à un interlocuteur anonyme qui avait des liens avec la demanderesse après que ce dernier eut répondu à son annonce sur le site VanSky où il offrait à la vente la marque JU DIAN et Dessin, et non après que le défendeur eut employé le dessin-marque JU DIAN à des fins commerciales. D’ailleurs, l’annonce elle‑même ne proposait pas d’acquérir des droits de franchise. Il n’a été fait mention de tels droits que dans le message texte privé qu’avait envoyé le défendeur à son interlocuteur.

[60] La demanderesse s’appuie sur l’arrêt Law Society of British Columbia v Canada Domain Name Exchange Corporation, 2004 BCSC 1102 [Law Society] au paragraphe 23, conf par 2005 BCCA 535, qui renvoie à l’arrêt British Telecom plc v One in a Million Ltd, [1998] 4 All ER 476, [1997] EWJ no 1599 (QL) (HC), pour faire valoir que le seul fait d’inscrire la marque d’un tiers dans un registre de noms de domaine peut constituer une fausse déclaration et être en soi une preuve suffisante de commercialisation trompeuse. Je tiens toutefois à souligner que dans l’affaire Law Society, certains éléments de preuve révélaient que le nom de domaine en cause avait été utilisé pour diriger le trafic vers un autre site Web (voir aussi Cabanons Mirabel c Cabanons Fontaine inc, 2020 QCCS 1419 aux para 3 et 49; Dentec Safety Specialists Inc v Degil Safety Products Inc, 2012 ONSC 4721 aux para 1 et 12). Bien que cette thèse puisse également s’appliquer à l’inscription d’une marque de commerce dans le registre des marques de commerce, je ne crois pas que ce seul acte soit suffisant, en l’espèce, pour établir qu’il y a confusion ou risque de confusion, d’autant plus qu’aucun des éléments de preuve présentés n’indique que le défendeur a employé la marque de commerce en question.

[61] Même si j’ai conclu que la demande d’enregistrement du dessin-marque JU DIAN a été produite de mauvaise foi, ce qui constitue un motif d’invalidation aux termes de l’alinéa 18(1)e) de la Loi, je ne dispose pas d’une preuve suffisante pour conclure que le défendeur a causé ou est susceptible de causer de la confusion sur le marché en ce qui a trait à la source de tout bien, service ou entreprise, car il n’a ni exercé d’activités commerciales en lien avec le dessin-marque JU DIAN ni employé celui‑ci.

C. La demanderesse a‑t‑elle droit à une injonction et à des dommages‑intérêts et, dans l’affirmative, quelle somme devrait lui être adjugée?

[62] Étant donné ma conclusion par rapport à la question de la commercialisation trompeuse, la demanderesse n’a pas droit à une injonction ou à des dommages‑intérêts compensatoires.

[63] La demanderesse sollicite également des dommages‑intérêts exemplaires de 15 000 $ compte tenu de la conclusion que j’ai tirée sur le fondement de l’alinéa 18(1)e) de la Loi. Elle soutient qu’une telle somme devrait lui être adjugée afin de dissuader le défendeur d’agir de manière répréhensible comme il l’a fait lorsqu’il a demandé l’enregistrement d’une marque de commerce dans l’unique but de lui forcer la main ou de profiter de tiers à leur insu.

[64] Dans l’arrêt Fidler c Sun Life du Canada, compagnie d’assurance‑vie, 2006 CSC 30 au paragraphe 63, la Cour suprême du Canada revient sur l’arrêt Whiten c Pilot Insurance Co, 2002 CSC 18, dans lequel elle a énoncé les principes régissant l’attribution de dommages‑intérêts punitifs dans les cas de violation de contrat. La Cour suprême a confirmé que « la conduite doit non seulement s’écarter des normes ordinaires de bonne conduite mais doit en plus donner elle‑même ouverture à action ». À mon avis, le même raisonnement s’applique en l’espèce. Comme les allégations de mauvaise foi ne constituent pas un fondement pour intenter une action en responsabilité délictuelle distincte, je ne vois aucune raison d’accorder les dommages‑intérêts punitifs demandés.

[65] Je suis d’avis que la radiation de la marque est la réparation appropriée. La demanderesse a également droit aux dépens et, comme elle l’a demandé, un délai lui est donc accordé pour présenter des observations distinctes.

 


JUGEMENT dans le dossier T‑530‑21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. L’enregistrement canadien no LMC1020055 à l’égard de la marque de commerce JU DIAN et dessin est déclaré invalide et doit être radié du registre canadien des marques de commerce par le registraire.

  2. Les autres éléments de la demande sont rejetés.

  3. La demanderesse dispose de trente (30) jours à compter de la date du présent jugement pour présenter ses observations sur les dépens.

« Angela Furlanetto »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑530‑21

 

INTITULÉ :

BEIJING JUDIAN RESTAURANT CO. LTD. c WEI MENG

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 OCTOBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FURLANETTO

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 MAI 2022

 

COMPARUTIONS :

Christopher S. Wilson

James Z. Jeffries‑Chung

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Aucune comparution

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

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