Dossier : T‑553‑20
Référence : 2022 CF 741
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 18 mai 2022
En présence de monsieur le juge Fothergill
ENTRE :
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RYAN WAYNE LEGAULT
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demandeur
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et
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1] Wayne Legault sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la division d’appel [la division d’appel] du Tribunal de la sécurité sociale [le TSS]. La division d’appel a refusé d’accorder la permission d’interjeter appel d’une décision de la division générale [la division générale] du TSS. La division générale a confirmé la décision du ministre de l’Emploi et du Développement social [le ministre] selon laquelle M. Legault n’était pas admissible à une pension d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada, LRC 1985, c C‑8 [le RPC].
[2] Le ministre a rejeté la demande de pension d’invalidité de M. Legault parce que ce dernier n’avait pas été en mesure de démontrer qu’il était atteint d’une invalidité « grave et prolongée »
au sens du RPC avant la date de fin de sa période minimale d’admissibilité [PMA]. M. Legault a demandé une révision de cette décision et a présenté une lettre de son médecin qui indiquait qu’il était définitivement incapable de travailler. Il a reconnu avoir travaillé durant sa PMA pour des raisons financières, mais il a affirmé que son invalidité l’empêchait d’accomplir l’ensemble des tâches de son poste.
[3] Le 4 septembre 2018, la division générale a rejeté l’appel de la décision du ministre qu’avait interjeté M. Legault. Le 20 avril 2020, la division d’appel a rejeté la demande de permission d’en appeler après avoir conclu que l’appel n’avait aucune chance raisonnable de succès.
[4] M. Legault n’était pas représenté par un avocat dans la présente demande de contrôle judiciaire et était épaulé par son beau‑père. L’avocate du ministre ne s’est pas opposée à ce que le beau‑père de M. Legault lui fournisse de l’aide et l’a incité à l’occasion à présenter ses observations à la Cour.
[5] Il est faux de penser que quiconque éprouve des problèmes de santé et des difficultés à se trouver et à conserver un emploi a droit à une pension d’invalidité. Les demandeurs doivent démontrer qu’ils sont atteints d’une « invalidité grave et prolongée »
qui les rend régulièrement incapables de détenir une occupation véritablement rémunératrice durant la PMA.
[6] La division générale a raisonnablement conclu que la preuve médicale présentée par M. Legault ne permettait pas d’établir qu’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée. M. Legault a été régulièrement capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice pendant sa PMA. Ayant conclu que l’appel n’avait aucune chance raisonnable de succès, la division d’appel n’a eu d’autre choix que de rejeter la demande de permission d’en appeler.
[7] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
II.
Le contexte
[8] M. Legault travaillé à temps partiel en milieu hospitalier de juin 2010 à janvier 2014. Il affirme avoir arrêté de travailler en raison d’une cardiomyopathie hypertrophique, d’hémorroïdes et d’une hernie périombilicale.
[9] La PMA est établie en fonction des cotisations du demandeur au Régime de pensions du Canada. La division générale a conclu que la PMA de M. Legault avait pris fin le 31 décembre 2012 ou le 31 janvier 2013 (date possible calculée au prorata).
[10] M. Legault est atteint d’une malformation cardiaque congénitale qui n’a été diagnostiquée qu’en 2015. Elle a été détectée lors d’un dépistage pour une chirurgie des hémorroïdes. M. Legault a expliqué que bon nombre de ses symptômes, comme la fatigue, l’essoufflement et la prise de poids, étaient attribuables à sa maladie cardiaque. Il a mentionné que ses symptômes étaient présents en 2012 et qu’ils se sont aggravés en 2013, et qu’il était incapable de travailler sans d’importantes limitations. Il n’a pas consulté de médecin à l’époque, parce qu’il ignorait que ses symptômes pouvaient être liés à un problème plus grave. Il a finalement demandé de l’aide en 2014, lorsque la douleur débilitante qu’il ressentait à cause de ses hémorroïdes et de sa hernie l’a incité à aller voir un médecin.
[11] La division générale a retenu les éléments de preuve présentés par M. Legault qui indiquaient qu’il avait eu une opération pour l’implantation d’un stimulateur cardiaque en 2016, mais qu’il avait encore des palpitations cardiaques et des pertes de connaissance en 2017. Son médecin a déclaré que sa mobilité était limitée et qu’il était incapable de soulever ou de porter des objets. Il n’était donc pas en mesure de travailler efficacement. Il a continué d’avoir des complications, comme en témoignent les notes de son médecin. Cependant, la division générale a conclu que le rapport du médecin de 2017 et les autres éléments de preuve médicale dataient de bien après l’échéance de sa PMA vers la fin de 2012.
[12] La division générale a jugé que M. Legault était crédible et qu’il avait été incapable de travailler pendant plusieurs années en raison de ses problèmes médicaux complexes. Toutefois, elle a conclu que rien ne prouvait qu’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée qui l’empêchait d’exercer une occupation véritablement rémunératrice durant sa PMA et avant la fin de celle‑ci. Les éléments de preuve confirmaient plutôt que M. Legault avait été capable de travailler tout au long de sa PMA en dépit de ses problèmes de santé.
[13] Le 20 avril 2020, la division d’appel a rejeté la demande de permission d’interjeter appel de la décision de la division générale qu’avait présentée M. Legault, invoquant les moyens énumérés au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34 [la LMEDS].
III.
La question en litige
[14] La seule question que soulève la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir s’il était raisonnable de la part de la division d’appel de refuser d’accorder la permission d’interjeter appel de la décision de la division générale.
IV.
Analyse
[15] La décision de la division d’appel de refuser d’accorder la permission d’en appeler est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Parks c Canada (Procureur général), 2020 CAF 91 au para 7, citant Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 83). La Cour doit tenir compte du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous‑jacent à celle‑ci, et elle doit s’assurer que la décision est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au para 15). Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit apprécier les motifs du décideur administratif en fonction de son expertise, de son expérience et de ses connaissances spécialisées (Vavilov, aux para 92‑94).
[16] Pour être admissible à une pension d’invalidité, le demandeur doit démontrer qu’il est atteint d’une « invalidité physique ou mentale grave et prolongée »
au sens des alinéas 42(2)a) et 42(2)b) du RPC. Une invalidité est grave si elle rend la personne incapable de détenir « une occupation véritablement rémunératrice »
(RPC, art 42(2)a)(i)). Une invalidité est prolongée si elle est déclarée « devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir vraisemblablement entraîner le décès »
(RPC, art 42(2)a)(ii)).
[17] Le paragraphe 42(2) du RPC énonce une formule complexe servant à établir la PMA des demandeurs. M. Legault ne conteste pas la décision du ministre, qui a été confirmée par la division générale et la division d’appel. Selon cette décision, sa PMA avait pris fin le 31 décembre 2012 ou le 31 janvier 2013 (date possible calculée au prorata).
[18] La division générale peut rejeter l’appel d’une décision du ministre ou confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision visée par l’appel ou rendre la décision que le ministre aurait dû rendre (LMEDS, art 54(1)). La division d’appel ne peut instruire un appel que si l’un des trois moyens d’appel suivants est invoqué : a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence; b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier; c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
[19] La division d’appel doit rejeter la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès (LMEDS, art 58(2)).
[20] M. Legault affirme que sa cardiomyopathie était une condition préexistante durant sa PMA. Il soutient que ni la division générale ni la division d’appel n’ont remis en question cette affirmation et qu’elles ont donc commis une erreur en n’appréciant pas la façon dont sa condition préexistante aurait pu entraîner son invalidité pendant sa PMA.
[21] M. Legault s’appuie sur la décision de la Cour Karadeolian c Canada (Procureur général), 2016 CF 615 [Karadeolian] au paragraphe 10, dans laquelle le juge Robert Barnes a conclu que la division d’appel ne devrait pas apprécier l’invalidité de façon mécanique ni de façon superficielle. Au contraire, la division d’appel devrait examiner le dossier et décider si la division générale a omis de tenir correctement compte de certains éléments de preuve. Lorsqu’une partie agit pour son propre compte, la division d’appel devrait apprécier la preuve médicale afin de savoir si des éléments importants ont été laissés de côté ou mal interprétés (Karadeolian, au para 10).
[22] M. Legault fait également valoir que la division d’appel n’a pas reconnu que la division générale avait appliqué une norme trop rigoureuse lorsqu’elle a analysé la « gravité »
de son invalidité. Il soutient que, selon le RPC, il n’est pas nécessaire que le demandeur soit totalement incapable de travailler. L’analyse doit plutôt être effectuée dans un contexte « réaliste »
. La question qui se pose est de savoir si le demandeur est incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice (citant Villani c Canada (Procureur général), [2002] 1 CF 130 [Villani] au para 38).
[23] M. Legault prétend que le fait que la division générale a reconnu qu’il n’avait conservé qu’une « certaine »
capacité d’exercer une occupation véritablement rémunératrice revenait à admettre qu’il avait d’importantes limitations durant la PMA en raison de son état de santé.
[24] Le ministre répond que la définition de l’invalidité aux termes du RPC est très restrictive. Les demandeurs doivent démontrer qu’ils étaient atteints d’une invalidité grave et prolongée avant la fin de leur PMA et qu’ils étaient régulièrement incapables de détenir une occupation véritablement rémunératrice. C’est la capacité de travailler du demandeur, et non le diagnostic médical, qui définit la gravité d’une invalidité (citant Kinsella c Canada (Procureur général), 2019 CF 429 au para 33). Pour démontrer qu’il était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice, le demandeur doit également démontrer que les efforts qu’il a déployés pour trouver un emploi et le conserver se sont avérés infructueux en raison de son état de santé ou d’une déficience (citant Inclima c Canada (Procureur général), 2003 CAF 117 [Inclima] au para 3).
[25] Le ministre convient que la capacité du demandeur de trouver un emploi et de le conserver doit être analysée dans un contexte « réaliste »
où son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de la vie sont pris en compte (citant Villani, au para 50).
[26] La division générale a fait remarquer que M. Legault avait 37 ans à l’époque de sa PMA, qu’il parle anglais, qu’il a terminé ses études secondaires et qu’il a un certificat d’aide‑soignant. Elle a conclu qu’il ne possédait que quelques compétences transférables compte tenu de l’uniformité de son expérience professionnelle à titre d’aide‑soignant. Cependant, il n’a pas tenté de trouver un autre emploi moins exigeant physiquement et il a continué de travailler comme aide‑soignant jusqu’en 2014, lorsqu’il a trouvé un autre emploi au sein d’une entreprise de nettoyage de filtres. Le ministre soutient donc que la conclusion de la division générale selon laquelle M. Legault avait conservé une « certaine capacité de travail »
au cours de sa PMA était bien étayée par la preuve, et qu’il était raisonnable de la part de la division d’appel de rejeter la demande de permission d’en appeler.
[27] Je ne suis pas convaincu que la division d’appel ait laissé de côté ou mal interprété certains des éléments de preuve médicale présentés par M. Legault ni qu’elle a appliqué une définition trop restrictive de ce qui constitue une invalidité grave et prolongée. La division générale et la division d’appel ont toutes deux reconnu que les problèmes médicaux de M. Legault sont réels et qu’ils affectent gravement sa santé. Toutefois, les deux divisions sont assujetties à des contraintes législatives. Il ressort de la preuve médicale que c’est seulement quelque temps après la fin de sa PMA que M. Legault est devenu incapable de travailler. Sa maladie cardiaque non diagnostiquée n’équivalait pas à une invalidité grave et prolongée durant sa PMA.
[28] La Cour d’appel fédérale a confirmé qu’il est faux de penser que quiconque éprouve des problèmes de santé et des difficultés à se trouver et à conserver un emploi a droit à une pension d’invalidité. Les demandeurs sont toujours tenus de démontrer qu’ils sont atteints d’une « incapacité grave et prolongée »
qui les rend « régulièrement incapables de détenir une occupation véritablement rémunératrice »
. Une preuve médicale suffisante sera nécessaire, de même qu’une preuve des efforts déployés pour se trouver un emploi et de l’existence de possibilités d’emploi (Inclima, au para 3, citant Villani, au para 50).
[29] Les premiers éléments de preuve médicale donnant à penser que M. Legault avait des problèmes médicaux étaient les résultats de la tomodensitométrie effectuée en 2014 qui révélaient la présence d’une petite hernie. Les éléments de preuve concernant la maladie cardiaque non diagnostiquée qui ont été présentés par la suite ne changeaient rien au fait que M. Legault avait été régulièrement capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice tout au long de sa PMA.
[30] M. Legault conteste la conclusion de la division générale selon laquelle il n’a pas démontré qu’il avait déployé des efforts suffisants pour trouver un autre emploi et le conserver. Toutefois, son emploi d’aide‑soignant et son emploi de nettoyeur de filtres étaient tous deux exigeants sur le plan physique. La division générale a raisonnablement conclu que rien n’indiquait que M. Legault avait déjà cherché un emploi comportant des tâches plus légères ou moins exigeantes physiquement. De plus, cette question est importante seulement si le demandeur n’occupait pas d’emploi rémunéré. M. Legault a occupé un emploi rémunéré d’aide‑soignant durant toute sa PMA.
[31] La division d’appel a raisonnablement conclu que l’appel de M. Legault n’avait aucune chance raisonnable de succès. Elle n’a donc eu d’autre choix que de rejeter la demande de permission d’en appeler.
V.
Conclusion
[32] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Le ministre ne demande pas les dépens, et, par conséquent, aucuns dépens ne sont adjugés.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée sans dépens.
« Simon Fothergill »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T‑553‑20
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INTITULÉ :
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RYAN WAYNE LEGAULT c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À PORTAGE LA PRAIRIE (MANITOBA), CHARLOTTETOWN (ÎLE‑DU‑PRINCE‑ÉDOUARD) et OTTAWA (ONTARIO)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 20 AVRIL 2022
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JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE FOTHERGILL
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DATE DES MOTIFS :
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LE 18 MAI 2022
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COMPARUTIONS :
Ryan Wayne Legault
(pour son propre compte)
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POUR LE DEMANDEUR
|
Sandra Doucette
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Procureur général du Canada
Gatineau (Québec)
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POUR LE DÉFENDEUR
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