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Date : 20220517


Dossier : IMM-5007-20

Référence : 2022 CF 735

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 mai 2022

En présence de monsieur le juge James W. O’Reilly

ENTRE :

SAID ALI GABANE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] En 2017, M. Said Ali Gabane a fui son domicile en Somalie et a demandé l’asile au Canada au motif qu’il craignait d’être persécuté par le groupe terroriste al-Chabaab. Il affirme que des membres du groupe l’ont menacé, lui et sa famille, puis ont tenté de le tuer.

[2] M. Gabane a présenté sa demande d'asile à la Section de la protection des réfugiés [la SPR], qui l’a rejetée en raison d’un manque d’éléments de preuve crédibles et parce qu’il ne pouvait pas prouver son identité. Il a interjeté appel de la décision de la SPR devant la Section d’appel des réfugiés [la SAR], laquelle a confirmé les conclusions de la SPR et a rejeté l’appel.

[3] M. Gabane soutient que la SAR a commis une erreur en rejetant les nouveaux éléments qu’il souhaitait déposer en preuve, qu’elle l’a traité de façon inéquitable en ne l’informant pas de ses réserves quant à sa crédibilité et qu’elle n’a pas dûment tenu compte de ses éléments de preuve corroborants. Il me demande d’annuler la décision de la SAR et d’ordonner à un tribunal différemment constitué de réexaminer sa demande d'asile.

[4] Je ne vois aucun motif pour infirmer la décision de la SAR et je dois donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. La SAR a raisonnablement écarté les nouveaux éléments que M. Gabane voulait déposer en preuve, a traité ce dernier de manière équitable et a correctement soupesé les éléments de preuve corroborants.

[5] La Cour doit trancher les trois questions suivantes :

1. La SAR a-t-elle commis une erreur en rejetant les nouveaux éléments de preuve?

2. La SAR a-t-elle traité M. Gabane inéquitable en ne l’informant pas des réserves qu'elle avait quant à sa crédibilité?

3. La SAR a-t-elle dûment tenu compte des éléments de preuve corroborants?

II. La décision de la SAR

[6] Devant la SAR, M. Gabane voulait présenter une preuve documentaire expliquant les exigences relatives à la production d’un affidavit au Kenya. Cette preuve visait à répondre aux réserves de la SPR liées au fait qu'il n’avait pas déposé de déclarations à l’appui de la part des membres de sa famille qui résidaient au Kenya. Le commissaire de la SPR, s’appuyant sur ses connaissances spécialisées, a conclu qu’il était possible pour des personnes sans papiers d’obtenir des déclarations et des affidavits notariés.

[7] Le document en question précisait qu’en règle générale, les déposants doivent avoir une pièce d’identité pour pouvoir souscrire un affidavit, mais les membres de la famille de M. Gabane n’en avaient aucune.

[8] La SAR a examiné le document et a relevé qu’il indiquait simplement qu’une certaine forme d’identification était « normalement » nécessaire pour souscrire un affidavit. Quoi qu’il en soit, le document ne pouvait pas être considéré comme un nouvel élément de preuve parce qu’il aurait pu être présenté à la SPR. Il était daté du 10 août 2016 et l’audience devant la SPR a eu lieu près de deux ans plus tard.

[9] La SAR a également rejeté les préoccupations de M. Gabane concernant le fait que la SPR s’était fondée sur des connaissances spécialisées et concernant ses conclusions en matière de crédibilité. Elle a souligné que M. Gabane avait été avisé de ces deux problèmes et qu’il avait eu l’occasion d’y répondre au moyen d’un témoignage ou d’observations postérieures à l’audience.

[10] La SAR s’est ensuite penchée sur l’absence de preuve de l’identité de M. Gabane. Bien qu’elle ait reconnu qu’il ne serait pas possible d’obtenir des documents d’identité délivrés par le gouvernement de la Somalie, elle a noté que M. Gabane n’avait fourni aucun autre document auquel il pourrait avoir accès, comme des documents de voyage. M. Gabane a affirmé avoir voyagé avec un passeport néo-zélandais, mais la SAR a conclu que sa preuve concernant le passeport et ses autres préparatifs de voyage était vague et évasive. De même, la SAR a jugé insatisfaisante l’explication de M. Gabane quant à l’absence de documents corroborants provenant de sa famille. Il ne leur a tout simplement pas demandé de lui en fournir.

[11] La SAR a exprimé des réserves concernant les autres éléments de preuve que M. Gabane avait fournis à la SPR. Il a donné des dates contradictoires à propos de son mariage et son témoignage au sujet de son appartenance à un clan était vague. Il a présenté un témoin pour corroborer son identité, mais le témoin était incohérent et en savait peu sur la vie ou la famille de M. Gabane. M. Gabane a produit un diplôme d’études, mais n’a pas été en mesure de fournir une explication convaincante sur la façon dont il l’avait obtenu. Il a également produit un document provenant d’un groupe de soutien somalien appelé Midaynta Community Services, qui était censé corroborer son identité, mais la SAR a conclu que le document contenait peu de renseignements indépendants ou fiables.

[12] En conclusion, la SAR a jugé que M. Gabane n’avait pas présenté d’éléments de preuve crédibles à l’appui de sa demande et qu’il n’avait pas prouvé son identité. Elle a donc rejeté l’appel.

III. Première question – La SAR a-t-elle commis une erreur en rejetant les nouveaux éléments de preuve?

[13] M. Gabane soutient que la SAR aurait dû admettre comme nouvel élément de preuve le document expliquant les exigences relatives à la souscription d’un affidavit au Kenya. Le commissaire de la SPR a déclaré à l’audience qu’il s’en remettait à ses connaissances spécialisées en la matière, ce qui ne laissait à M. Gabane que peu de chances de répondre. De fait, il n’a pas eu beaucoup de temps pour présenter des observations sur ce point après l’audience, car la SPR a rendu sa décision le lendemain. Par conséquent, selon M. Gabane, la SAR aurait dû l’autoriser à présenter de nouveaux éléments de preuve sur la question lors de l’appel interjeté contre la décision de la SPR.

[14] Je ne suis pas d’accord avec la position de M. Gabane.

[15] Dans les circonstances, M. Gabane n’avait présenté aucun élément de preuve ni aucun renseignement de la part des membres de sa famille au sujet de son identité. Il a admis qu’il ne leur avait jamais demandé de fournir des lettres ou d’autres documents à l’appui de sa demande. Par conséquent, même si les nouveaux éléments de preuve confirmaient son allégation selon laquelle les membres de sa famille n’auraient pas pu souscrire d’affidavits officiels (ce qui n’est pas du tout clair), rien ne les empêchait de fournir d’autres renseignements corroborants.

[16] En outre, bien que M. Gabane n’ait pas eu beaucoup de temps à l’audience pour répondre lorsque le tribunal a annoncé qu’il s’appuierait sur des connaissances spécialisées, il a reçu un préavis et a eu la possibilité de répondre (en conformité avec l’article 22 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 – voir l’annexe). De plus, rien ne l’empêchait de demander l’autorisation de présenter des observations postérieures à l’audience, mais il ne l’a pas fait.

[17] Par conséquent, dans les circonstances, la décision de la SAR de ne pas admettre de nouveaux éléments de preuve n’avait rien de déraisonnable ou d’inéquitable.

IV. Deuxième question – La SAR a-t-elle traité M. Gabane de façon inquitable en ne l’informant pas des réserves qu'elle avait quant à sa crédibilité?

[18] M. Gabane soutient que la SPR ne l’a pas informé des réserves qu'elle avait au sujet des divergences entre son témoignage et celui d’un témoin appelé pour établir son identité. En fait, selon lui, les incohérences étaient mineures et liées à des événements qui se sont produits il y a longtemps. Il soutient également que la SAR n’a pas examiné cette question, même si elle figurait parmi les motifs d’appel de la décision de la SPR.

[19] Encore une fois, je ne suis pas d’accord avec M. Gabane.

[20] En réalité, le commissaire de la SPR a interrogé M. Gabane à propos des incohérences dans son témoignage. La SAR a également examiné les éléments de preuve de façon indépendante en réponse aux observations de M. Gabane et elle a conclu que son témoignage et celui du témoin appelé afin d’établir son identité étaient [traduction] « brefs, vagues et incohérents ». Elle a ensuite expliqué ses conclusions en se référant au témoignage des témoins.

[21] Je ne trouve rien d'inéquitable quant à la façon dont la SAR a traité cet élément de preuve.

V. Troisième question – La SAR a-t-elle dûment tenu compte des éléments de preuve corroborants?

[22] M. Gabane soutient que la SAR a déraisonnablement rejeté la valeur probante de la lettre du groupe Midaynta. Il fait également valoir qu’elle a commis une erreur en n’accordant aucun poids à son diplôme d’études. Enfin, M. Gabane soutient que la SAR a tiré une inférence déraisonnable d’une erreur mineure dans la date de son mariage.

[23] Je ne suis pas du même avis. La SAR a correctement examiné les éléments de preuve corroborants.

[24] En ce qui concerne la lettre du groupe Midaynta, tant la SPR que la SAR en ont examiné le contenu. La SPR a noté qu’il n’était pas clair si l’auteur de la lettre possédait une expertise particulière pour déterminer l’identité personnelle ou nationale d’une personne. Il n’y avait pas non plus d’explication sur le fondement de l’opinion exprimée dans la lettre. La SAR a examiné la lettre et a souscrit aux conclusions de la SPR, soulignant que la lettre répétait essentiellement ce que M. Gabane et son témoin avaient avancé.

[25] M. Gabane n’a pas été en mesure d’expliquer adéquatement comment il avait obtenu son diplôme d’études. Bien qu’il ait déclaré que son père le lui avait envoyé par courriel, il n’a pas été en mesure de produire le courriel. Il a pu montrer au commissaire de la SPR une copie du diplôme sur son téléphone. Cependant, il n’a fourni à la SAR aucun autre renseignement sur l’origine du diplôme. La SAR a confirmé le traitement du diplôme d’études par la SPR.

[26] Devant la SPR, M. Gabane s’est trompé dans la date de son mariage. Il a mentionné le 4 mars 2016 dans son témoignage, mais le 4 mai 2016 dans son formulaire Fondement de la demande. Un autre document indiquait la date du 4 mai 2017. Le tribunal a tiré une inférence défavorable de ces incohérences. M. Gabane a exhorté la SAR à tenir compte du fait que les dates ne sont pas importantes dans la culture somalienne et a soutenu que la SPR a appliqué un paradigme canadien lorsqu’elle a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité. Il invoque également la preuve documentaire indiquant que les certificats de mariage sont rarement délivrés, de sorte que les dates de mariage doivent être mémorisées puisqu’elles ne sont pas consignées.

[27] La SAR a souligné que les incohérences avaient trait autant au mois qu’à l’année du mariage et que celui-ci avait eu lieu deux ou trois ans seulement avant l’audience. Par conséquent, la SAR a conclu que la SPR était en droit de tirer une conclusion défavorable des incohérences.

[28] En ce qui concerne chacune de ces conclusions, le tribunal a examiné les éléments de preuve et est arrivé à des conclusions corroborées par ceux-ci. Je ne relève rien de déraisonnable dans le traitement de la preuve par la SAR.

VI. Conclusion et décision

[29] La SAR a raisonnablement rejeté les nouveaux éléments de preuve, a traité M. Gabane de manière équitable en ce qui concerne ses conclusions en matière de crédibilité et a correctement examiné les autres éléments de preuve. Je dois donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier, et aucune n’est énoncée.


 

JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-5007-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est énoncée.

« James W. O’Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Vézina


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5007-20

INTITULÉ :

SAID ALI GABANE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 JANVIER 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

DATE DES MOTIFS :

LE 17 MAI 2022

COMPARUTIONS :

Lina Anani

POUR LE DEMANDEUR

STEPHEN JARVIS

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lina Anani

Avocate

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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