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Date : 20220513


Dossier : T-30-22

Référence : 2022 CF 722

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 13 mai 2022

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

JOSEPH ALAIN THERIAULT

(POUR SON PROPRE COMPTE)

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

REPRÉSENTÉE PAR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LE MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DU SOLLICITEUR GÉNÉRAL

ROAD SAFETY BC,

SOCIÉTÉ D’ÉTAT

MINISTÈRE DES TRANSPORTS ET DES INFRASTRUCTURES

INSURANCE CORPORATION OF BRITISH COLUMBIA,

SOCIÉTÉ D’ÉTAT

LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA (GRC)

LA COMMISSION CIVILE D’EXAMEN ET DE TRAITEMENT DES PLAINTES RELATIVES À LA GRC

défendeurs

MOTIFS ET ORDONNANCE

I. Aperçu

[1] Par voie de requête présentée au titre de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], M. Joseph Alain Theriault, le demandeur, interjette appel du jugement daté du 7 mars 2022 par lequel la protonotaire Kathleen Ring a radié la déclaration qu’il avait faite sans autorisation de la modifier. M. Theriault n’est pas représenté par un avocat.

[2] Le demandeur sollicite une ordonnance :

  1. annulant le jugement du 7 mars 2022;

  2. rétablissant l’action dans son entièreté;

  3. déclarant que les défendeurs n’ont pas respecté les Règles, car ils n’ont pas répondu à la déclaration dans les délais prescrits.

[3] Après avoir examiné les dossiers de requête déposés par le demandeur et le procureur général du Canada, qui représente les défendeurs de la Couronne fédérale [la Couronne fédérale], je rejette l’appel pour les motifs qui suivent.

II. Le contexte

[4] Le 6 janvier 2022, le demandeur a déposé une déclaration dans laquelle il allègue plusieurs cas de conduite illégale, d’atteinte à ses droits et de délits commis par divers policiers. Il a présenté une demande de réparation contre les nombreux défendeurs désignés, sollicitant notamment des dommages‑intérêts généraux et spéciaux.

[5] La demande semble découler des actes répréhensibles allégués de la part d’un membre de la Gendarmerie royale du Canada [la GRC], qui aurait arrêté le véhicule que conduisait le demandeur à Merritt, en Colombie-Britannique, en 2016. Lors de cet arrêt, l’agent de la GRC a fait passer un alcootest au demandeur et a saisi son permis de conduire et son véhicule.

[6] Le procureur général du Canada a déposé une requête par écrit au nom de Sa Majesté la Reine le 16 février 2022 et a demandé qu’une ordonnance de radiation de la déclaration soit rendue. La protonotaire Kathleen Ring a accueilli la requête, annulé la déclaration sans autorisation de la modifier et a adjugé des dépens fixes à la Couronne fédérale.

III. La norme de contrôle

[7] Comme la Cour d’appel fédérale l’a déclaré dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, la norme de contrôle applicable en appel d’une décision discrétionnaire d’un protonotaire est celle de la décision correcte pour les questions de droit. La norme de contrôle est celle de l’erreur manifeste et dominante pour les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit lorsqu’il n’y a pas d’erreur de droit facilement isolable : Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 aux para 8, 10, 36.

[8] Dans la décision Lessard-Gauvin c Canada (Procureur générale), 2020 CF 730, le juge Denis Gascon a mentionné que la norme de « l’erreur manifeste et dominante » était une norme qui appelle un degré élevé de retenue :

[43] La CAF a affirmé à maintes reprises que la norme de l’« erreur manifeste et dominante » est une « norme de contrôle appelant un degré élevé de retenue » (Figueroa c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CAF 12 au para 3; Montana c Canada (Revenu national), 2017 CAF 194 au para 3; 1395804 Ontario Ltd (Blacklock’s Reporter) c Canada (Procureur général), 2017 CAF 185 au para 3; NOV Downhole Eurasia Limited c TLL Oilfield Consulting Ltd, 2017 CAF 32 au para 7; Revcon Oilfield Constructors Incorporated c Canada (Revenu national), 2017 CAF 22 au para 2). Il s’agit là d’un lourd fardeau pour un demandeur. Comme l’a déclaré de façon métaphorique le juge Stratas dans Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157 [Mahjoub] et Canada c South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165 [South Yukon], pour satisfaire à cette norme, « [...] on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier » (Mahjoub au para 61; South Yukon au para 46, cité avec approbation par la CSC dans Benhaim c St‑Germain, 2016 CSC 48 [Benhaim] au para 38). [Non souligné dans l’original.]

IV. Analyse

[9] Dans la présente requête, le demandeur ne précise pas clairement le fondement de l’appel.

[10] Le demandeur exprime son désaccord avec les conclusions factuelles de la protonotaire Ring et avec son évaluation des allégations. Il affirme que la protonotaire a commis une erreur de droit lorsqu’elle a abordé des questions de compétence. Il réitère ses nombreuses allégations d’inconduite et d’atteinte à ses droits par divers policiers, la GRC, la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes et les ministères du gouvernement de la Colombie‑Britannique.

[11] M. Theriault fait valoir qu’étant donné qu’il agit pour son propre compte, la protonotaire était tenue de procéder à un examen large et libéral des arguments qu’il a présentés. Il encourage également la Cour à adopter une interprétation similaire dans le cadre de la présente requête.

[12] Le présent appel n’a guère de fondement.

[13] Lorsqu’elle a accueilli la requête en radiation, la protonotaire Ring a d’abord énoncé les types de réparation demandés, détaillé les vastes allégations et décrit avec exactitude la demande comme étant longue, répétitive et compliquée. Elle a mentionné que le demandeur avait reçu signification du dossier de requête de la Couronne fédérale, qui voulait faire radier la demande, mais qu’il n’a pas déposé de dossier de requête en réponse.

[14] Lorsqu’elle a conclu que la demande ne révélait aucune cause d’action valable aux termes de l’alinéa 221(1)a) des Règles, la protonotaire Ring a énoncé le critère applicable et les principes sous-jacents :

  1. Pour radier une déclaration au motif qu’elle ne révèle aucune cause d’action raisonnable, il doit être évident et manifeste que la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable ou la demande doit n’avoir aucune possibilité raisonnable d’être accueillie (Hunt c Carey Canada Inc, [1990] 2 RCS 959 au para 36 [Hunt]; R c Imperial Tobacco Canada Ltd, 2011 CSC 42 au para 17);

  2. Toutes les allégations de fait, sauf si elles sont manifestement ridicules ou impossibles à prouver, doivent être considérées comme prouvées ( Hunt, aux para 33 et 34; Edell c Canada, 2010 CAF 26 au para 5; Operation Dismantle c La Reine [1985] 1 RCS 441 [Operation Dismantle]);

  3. La déclaration doit être interprétée de manière libérale afin de remédier à toute carence rédactionnelle (Operation Dismantle, au para 14).

  4. Pour qu’une déclaration révèle une cause d’action valable, elle doit (1) alléguer des faits susceptibles de donner lieu à une cause d’action; (2) indiquer la nature de l’action; (3) préciser le redressement sollicité. Tout acte de procédure doit contenir un exposé concis des faits substantiels sur lesquels la partie se fonde, mais pas les moyens de preuve à l’appui de ces faits (Oleynik c Canada (Procureur général), 2014 CF 896 au para 5; art 174 des Règles);

  5. La pertinence des faits est déterminée par la cause d’action et la réparation demandée. L’acte de procédure doit indiquer au défendeur par qui, quand, où, comment et de quelle façon sa responsabilité a été engagée. Un récit des faits et du moment où ces faits se sont déroulés suffit rarement et la Cour et les parties adverses n’ont pas à formuler des hypothèses sur la façon dont les faits étayent les diverses causes d’action (Mancuso c Canada (Santé Nationale et Bien-être Social), 2015 CAF 227 au para 19; Simon c Canada, 2011 CAF 6 au para 18).

[15] Appliquant ce qui précède, la protonotaire Ring a conclu que la demande comportait un récit long et de nature argumentaire, des aspects aléatoires de concepts juridiques assortis et des conclusions regroupées de manière décousue. Elle a relevé des lacunes dans les allégations de délits et de négligence ainsi que l’absence de faits importants pour étayer les allégations d’atteinte aux droits. Elle a également noté que la Cour n’avait pas compétence à l’égard des actions contre la Couronne provinciale et d’autres aspects clés de l’objet des demandes. La protonotaire Ring a jugé que la demande était scandaleuse, frivole et vexatoire aux termes de l’alinéa 221(1)a) et qu’elle était si mal définie que la Couronne fédérale ne pouvait y répondre.

[16] Dans la présente requête, le demandeur allègue des erreurs de droit, mais ne les définit pas ou ne les explique pas de manière convenable. Il exprime son désaccord avec les conclusions de fait et les conclusions mixtes de fait et de droit de la protonotaire, mais ses observations ne satisfont pas au lourd fardeau de démontrer une erreur manifeste et dominante.

[17] Le demandeur soutient à raison que les tribunaux font généralement preuve d’une certaine clémence lorsque vient le temps de déterminer si la demande d’un plaideur qui agit pour son propre compte est suffisante pour que l’autre partie y réponde. La protonotaire a expressément reconnu ce fait, mais a ensuite conclu que la demande, même si elle l’interprétait de manière généreuse, était tellement lacunaire qu’elle devait être radiée.

[18] Je suis également conscient que le demandeur agit pour son propre compte. Cependant, la souplesse et l’ouverture souvent démontrées par les plaideurs qui ne sont pas représentés ne dispensent pas le demandeur de son obligation de démontrer qu’une erreur justifie l’intervention de la Cour dans le présent appel. Je suis d’accord avec la protonotaire; une interprétation généreuse de la demande ne suffit pas à combler les lacunes et il n’est pas évident que les défauts puissent être réglés par des modifications.

[19] L’appel du demandeur doit être rejeté.

[20] La Couronne fédérale demande une somme globale à titre de dépens. Reconnaissant que la requête nécessitait une réponse écrite du défendeur, j’adjuge des dépens d’un montant de 200 $ en faveur de la Couronne fédérale.

 


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T-30-22

LA COUR ORDONNE :

  • 1) L’appel est rejeté.

  • 2) Le demandeur doit payer à la Couronne fédérale la somme de 200 $, taxes et débours compris.

En blanc

« Patrick Gleeson »

En blanc

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Vézina


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Dossier :

T-30-22

INTITULÉ :

JOSEPH ALAIN THERIAULT (POUR SON PROPRE COMPTE) c SA MAJESTÉ LA REINE, REPRÉSENTÉE PAR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, LE MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DU SOLLICITEUR GÉNÉRAL, ROAD SAFETY BC, SOCIÉTÉ D’ÉTAT, LE MINISTÈRE DES TRANSPORTS ET DES INFRASTRUCTURES, INSURANCE CORPORATION OF BRITISH COLUMBIA, SOCIÉTÉ D’ÉTAT, LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA (GRC), LA COMMISSION CIVILE D’EXAMEN ET DE TRAITEMENT DES PLAINTES RELATIVES À LA GRC

REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR ÉCRIT ET EXAMINÉE À VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

DATE DES MOTIFS :

LE 13 MAI 2022

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Joseph Alain Theriault

POUR SON PROPRE COMPTE

Rupinder K. Gosal

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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