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Date : 20220517


Dossier : T-374-21

Référence : 2022 CF 733

Ottawa (Ontario), le 17 mai 2022

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

VIDÉOTRON LTÉE

GROUPE TVA INC.

Demanderesses

Défenderesses reconventionnelles

et

TECHNOLOGIES KONEK INC.

COOPÉRATIVE DE CÂBLODISTRIBUTION HILL VALLEY

LIBÉO INC.

LOUIS MICHAUD

JOÉ BUSSIÈRE

JEAN-FRANÇOIS ROUSSEAU

MANON GAUVREAU

Défendeurs

Demandeurs reconventionnels

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Le 24 février dernier, j’ai accueilli la requête en procès sommaire présentée par les demanderesses : 2022 CF 256. J’ai accordé les dépens aux demanderesses. Celles-ci présentent maintenant une requête pour en faire fixer le montant. Elles réclament une somme globale de 120 000 $, qui représente environ 30 p. cent des honoraires d’avocat qu’elles ont dû encourir, ainsi qu’une somme de 23 332 $ à titre de débours, principalement pour le rapport et le témoignage de leur experte, ainsi qu’une somme de 5000 $ liés à la préparation de la présente requête. Les défenderesses soutiennent que les dépens devraient plutôt être calculés selon le tarif.

[2] Voici les motifs pour lesquels j’adjuge les dépens au montant de 54 593,33 $, en application du tarif, plutôt que d’accorder une somme globale plus élevée.

[3] L’octroi d’une somme globale à titre de dépens est maintenant une pratique bien acceptée dans les litiges complexes, notamment en matière de propriété intellectuelle : Nova Chemicals Corporation c Dow Chemical Company, 2017 CAF 25 [Nova]; Apotex Inc c Shire LLC, 2021 CAF 54 [Apotex]; Seedlings Life Science Ventures, LLC c Pfizer Canada SRI, 2020 CF 505 [Seedlings]; Bauer Hockey Ltd c Sport Maska Inc (CCM Hockey), 2020 CF 862.

[4] Cependant, l’octroi d’une somme globale n’est pas automatique, même dans le cadre de litiges en matière de propriété intellectuelle. Le seul fait que l’application du tarif conduirait à une somme qui représente une faible proportion des honoraires réellement engagés n’est pas, à lui seul, un motif suffisant pour justifier l’octroi d’une somme globale supérieure : Nova, au paragraphe 13; Apotex, au paragraphe 18. Dans des décisions récentes, notre Cour a refusé d’adjuger une somme globale à l’encontre d’un inventeur individuel, d’une entreprise en démarrage ou d’une partie qui ne peut se qualifier de « partie commerciale avisée » : Betser-Zilevitch c Petrochina Canada Ltd, 2021 CF 151; Swist c MEG Energy Corp, 2021 CF 198 au paragraphe 22; dTechs epm Ltd c British Columbia Hydro and Power Authority, 2021 CF 357. Évidemment, dans chaque cas, notre Cour a examiné l’ensemble des facteurs pertinents avant de conclure que l’octroi d’une somme globale n’était pas justifié.

[5] En l’espèce, je ne peux que constater un déséquilibre important entre la taille et les ressources à la disposition des parties. Les demanderesses figurent parmi les plus grandes entreprises du domaine des médias et des télécommunications au Québec. Par contre, les défenderesses contre lesquelles j’ai prononcé une condamnation sont de petites entreprises en démarrage. Bien qu’aucune information financière n’ait été mise en preuve, le déséquilibre entre les parties est manifeste. Dans ce contexte, il ne faut pas oublier que l’une des fonctions du tarif est de « s’assurer que le montant adjugé ne dépend pas du fait qu’une partie a engagé un avocat dont les services sont coûteux ou bon marché » : Seedlings, au paragraphe 3.

[6] Par ailleurs, bien que l’affaire soulève l’interprétation d’une disposition législative sur laquelle les tribunaux se sont rarement penchés et que les deux parties aient présenté une preuve d’expert, elle n’atteint pas le degré de complexité des affaires précitées dans lesquelles une somme globale a été adjugée.

[7] La conduite des parties durant l’instance n’est pas non plus un facteur qui justifie de s’écarter du tarif. L’instance a donné lieu à des désaccords entre les parties quant à la portée des questions en litige. Les deux parties ont fait certaines concessions tardives. Il n’y a cependant là aucune conduite qui mérite d’être dénoncée par l’octroi de dépens majorés. Somme toute, les deux parties ont collaboré afin de résoudre rapidement les principales questions en litige au moyen d’une requête en procès sommaire.

[8] Envisageant la situation dans son ensemble, j’estime que l’octroi d’une somme globale majorée n’est pas approprié.

[9] Il se peut que la tendance de notre Cour à octroyer les dépens sous forme de somme globale dans les affaires de propriété intellectuelle soit le reflet du consentement tacite des entreprises de grande envergure impliquées dans ces instances, qui estiment qu’une somme plus élevée permet d’accomplir plus efficacement les objectifs de l’adjudication des dépens. Dans certains cas, ce consentement est donné explicitement, avant que l’issue du litige ne soit connue : Corey Bessner Consulting Inc c Core Consulting Realty Inc, 2020 CF 224; Amgen Inc c Pfizer Canada ULC, 2020 CF 522 aux paragraphes 482 à 484; Banque de Montréal c Canada (Procureur général), 2020 CF 1014 au paragraphe 164. À l’avenir, les parties devraient être encouragées à présenter leurs observations sur les dépens à la fin de l’audience, comme le suggère la directive du juge en chef du 30 avril 2010 (https://www.fct-cf.gc.ca/Content/assets/pdf/base/notice-avis-30apr2010_fr.pdf), ou à tout le moins avant que l’issue du litige ne soit connue. Une telle pratique permettrait à notre Cour de cerner plus facilement les cas qui justifient l’octroi d’une somme globale et présente le potentiel de simplifier les débats concernant les dépens.

[10] Puisque je n’adjuge pas les dépens sous forme de somme globale, ceux-ci devraient normalement être calculés selon la colonne III du tarif, selon ce que prévoit la règle 407 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Les demanderesses ont d’ailleurs préparé un mémoire de frais calculé selon le milieu de la colonne III, pour un montant de 54 593,33 $, incluant les honoraires, les débours et les taxes. Les défenderesses acceptent ce montant. En cas de rejet de leur demande d’une somme globale, les demanderesses n’ont pas présenté de position subsidiaire autre que ce mémoire de frais. Afin d’éviter de prolonger l’affaire, j’adjugerai donc les dépens à ce montant.

[11] Les défenderesses soutiennent néanmoins que ce montant devrait être réduit de 15 p. cent puisque l’une d’entre elles, Libéo inc., a eu entièrement gain de cause. Or, la conséquence de cette exonération est que Libéo inc. ne sera pas condamnée aux dépens. Il ne s’ensuit pas que le montant des dépens auquel les demanderesses ont droit doit être réduit. En fait, lorsqu’un demandeur a partiellement gain de cause, les dépens auxquels il a droit ne sont habituellement pas réduits : Philip Morris Products SA v Marlboro Canada Ltd, 2014 FC 2 aux paragraphes 7 à 9 [Philip Morris]; Fluid Energy Group Ltd c Exaltexx Inc, 2020 FC 299 aux paragraphes 6 à 11 [Fluid Energy]; Bertrand c Première nation Acho Dene Koe, 2021 CF 525 aux paragraphes 10 à 15; Canadian Pacific Railway Company v Canada, 2022 FC 392 aux paragraphes 29 à 36. De la même manière, lorsqu’un demandeur poursuit plusieurs défendeurs, mais n’a gain de cause qu’à l’égard d’un sous-ensemble de ceux-ci, il a normalement droit à la totalité de ses dépens, à l’encontre des défendeurs qui ont succombé.

[12] Les demanderesses soutiennent que les dépens devraient être payables immédiatement, puisque la requête en procès sommaire a tranché une bonne partie des questions en litige. Elles soulignent l’analogie avec les cas où l’instance est scindée entre la responsabilité et les dommages-intérêts. Il est alors possible d’ordonner le paiement de dépens sans délai lorsque la Cour rend jugement concernant la responsabilité : Philip Morris, aux paragraphes 11, 12 et 21. J’estime cette analogie convaincante, même si je suis conscient que l’octroi de dépens payables immédiatement à l’égard d’une requête est l’exception plutôt que la règle : Fluid Energy, aux paragraphes 27 à 29.

[13] Je condamnerai donc les deux défenderesses qui ont succombé, Technologies Konek inc. et Coopérative de câblodistribution Hill Valley, à payer aux demanderesses une somme de 54 593,33 $ à titre de dépens, sans délai.


ORDONNANCE dans le dossier T-374-21

LA COUR ORDONNE que :

1. Les défenderesses Technologies Konek inc. et Coopérative de câblodistribution Hill Valley sont condamnées à payer aux demanderesses la somme de 54 593,33 $ à titre de dépens, incluant les débours et les taxes, à l’égard du jugement relatif à la requête en procès sommaire.

2. La somme visée au paragraphe précédent est exigible dès maintenant.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T-374-21

INTITULÉ :

VIDÉOTRON LTÉE, GROUPE TVA INC. c TECHNOLOGIES KONEK INC., COOPÉRATIVE DE CÂBLODISTRIBUTION HILL VALLEY, LIBÉO INC., LOUIS MICHAUD, JOÉ BUSSIÈRE, JEAN-FRANÇOIS ROUSSEAU, MANON GAUVREAU

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À MONTRÉAL (QUÉBEC), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

DATE DES MOTIFS :

LE 17 MAI 2022

COMPARUTIONS :

François Guay

Jean-Sébastien Dupont

Olivier Jean-Lévesque

Pour les demanderesses

 

Camille Aubin

Cara Parisien

Gabriel St-Laurent

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar s.e.n.c.r.l., s.r.l.

Montréal (Québec)

Pour les demanderesses

 

Robic s.e.n.r.c.l.

Montréal (Québec)

Pour les défendeurs

 

 

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