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Date : 20220512


Dossier : IMM-6412-20

Référence : 2022 CF 698

TRADUCTION FRANÇAISE

Ottawa (Ontario), le 12 mai 2022

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE :

GWENDOLYN WILLIAMS-CAMPBELL

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle, le 19 novembre 2020, la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle la demanderesse n’est pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] La demanderesse, une citoyenne de la Jamaïque âgée de 57 ans, affirme craindre d’être persécutée et menacée de mort par son ex-mari, qui l’a déjà agressée et qui, selon elle, continuerait de lui faire du mal si elle retournait en Jamaïque puisqu’il la menace constamment. La SPR a reconnu que la demanderesse avait été victime de violence familiale, mais elle a conclu qu’il n’y avait aucun risque prospectif que son ex-mari la menace si elle retournait en Jamaïque.

[3] Dans sa décision, la SAR (qui a également reconnu que la demanderesse avait été victime de violence familiale) a conclu que, même si la SPR avait commis un certain nombre d’erreurs dans son évaluation de la crédibilité de la demanderesse et dans ses conclusions défavorables à son égard, il restait un certain nombre de préoccupations importantes quant à la crédibilité des éléments de preuve présentés par la demanderesse concernant le risque prospectif. En outre, le fait que la demanderesse soit retournée plusieurs fois en Jamaïque minait son allégation selon laquelle elle craignait pour sa sécurité dans ce pays.

[4] La demanderesse affirme que la SAR a commis les erreurs suivantes susceptibles de contrôle : (i) la SAR n’a pas appliqué convenablement les Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe et n’a pas démontré comment elle les a appliquées; (ii) la SAR a conclu que la demanderesse n’était pas crédible parce que des renseignements avaient été omis dans une lettre d’appui écrite par sa mère, ce qui va à l’encontre de la conclusion répétée de la Cour selon laquelle certains aspects du récit d’un demandeur d’asile ne devraient pas être écartés parce qu’une lettre d’appui ne corrobore pas cette partie de son récit; et (iii) la SAR a commis une erreur en concluant que la demanderesse n’était pas exposée à un risque prospectif en Jamaïque puisqu’elle y avait fait plusieurs aller-retour, alors qu’elle a reconnu que, lors de certains de ces voyages, la demanderesse n’était pas au courant qu’elle pouvait présenter une demande d’asile en tant que victime de violence familiale, et que pour le seul voyage qu’elle a effectué par la suite, la SAR n’a pas tenu compte du fait qu’elle était restée chez des amis pendant ce bref séjour afin d’éviter tout contact avec son ex-mari.

[5] La seule question que la Cour doit trancher en l’espèce est celle de savoir si la décision de la SAR était raisonnable.

[6] La norme de contrôle applicable est présumée être celle de la décision raisonnable, et je conclus qu’aucune exception à cette présomption n’a été soulevée ni ne s’applique [voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23, 25]. Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit établir si la décision faisant l’objet du contrôle, y compris son raisonnement et son résultat, est transparente, intelligible et justifiée. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti [voir Vavilov, précité, aux para 15, 85]. La Cour n’interviendra que si elle est convaincue que la décision souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence [Adenjij-Adele c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 418 au para 11].

[7] Bien que la demanderesse ait soulevé un certain nombre de questions, je suis convaincue que la SAR a commis une erreur dans son examen des voyages de retour de la demanderesse en Jamaïque, et que cette erreur est suffisante pour rendre la décision déraisonnable.

[8] La demanderesse a visité le Canada en janvier 2016 et en avril 2016 pour voir son fils et son petit-fils. Par la suite, elle a effectué d’autres voyages au Canada à titre de visiteuse en septembre 2016, en février 2017, en juin 2017, puis en septembre 2017. Elle a présenté sa demande d’asile en juillet 2018.

[9] Dans sa décision, la SAR a exprimé son désaccord avec la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse avait tardé à présenter sa demande d’asile. La SAR a accepté l’explication de la demanderesse selon laquelle elle n’a présenté sa demande d’asile qu’en 2018, car ce n’est qu’en 2017 qu’elle a su qu’elle avait la possibilité de demander l’asile en tant que victime de violence familiale. Cependant, la SAR a conclu que la demanderesse était retournée en Jamaïque à plusieurs reprises entre 2016 et 2018 pour de longues périodes, ce qui laissait supposer une intention de se réclamer de nouveau de la protection de la Jamaïque et minait la crédibilité de sa crainte subjective. La SAR a conclu que la demanderesse n’avait pas fourni d’explication raisonnable pour ses multiples voyages de retour en Jamaïque.

[10] Je conviens avec la demanderesse que la SAR a commis une erreur dans son évaluation de l’explication de la demanderesse au sujet de ses voyages de retour en Jamaïque en concluant qu'elle s’était réclamée de nouveau de la protection du pays de « nombreuses » fois sans tenir compte raisonnablement du fait que les éléments de preuve présentés par la demanderesse (acceptée par la SAR) démontraient qu’elle ne savait pas qu’elle pouvait demander l’asile avant 2017. La SAR n’a pas correctement tenu compte du fait qu’au moment de tous les voyages de retour de la demanderesse en Jamaïque, sauf un, celle-ci croyait qu’elle n’avait pas d’autre choix que de retourner en Jamaïque, car son visa de visiteur canadien n’était valide que pour six mois. De plus, la décision de la SAR ne fait aucune mention du fait que, en ce qui concerne le seul voyage de retour en Jamaïque en septembre 2017 (après que la demanderesse eut appris qu’elle pouvait demander le statut de réfugié), la demanderesse ne résidait pas chez elle, mais plutôt chez des amis afin d’éviter tout contact avec son ex-mari. Je conclus que ces éléments de preuve donnent à penser que, contrairement à la conclusion tirée par la SAR, la demanderesse a continué d’avoir une crainte subjective à l’égard de son ex-mari. Par ailleurs, le dernier voyage de la demanderesse en Jamaïque n’a duré que deux mois et visait à remettre de l’ordre dans ses affaires et à s’assurer que ses fils adultes sont réinstallés en toute sécurité. Je conclus que ce seul voyage en Jamaïque ne démontre pas l’intention de résider de façon permanente en Jamaïque et que, par conséquent, on ne peut raisonnablement le considérer comme une réclamation de la protection de l’État [voir Camargo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1434 aux para 33-36; Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 266 aux para 48 et 49].

[11] J’estime que les erreurs susmentionnées rendent la décision de la SAR déraisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SAR est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAR pour nouvelle décision.

[12] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.



JUGEMENT dans le dossier IMM-6412-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section d’appel des réfugiés pour nouvelle décision.

  2. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.

« Mandy Aylen »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Vézina


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6412-20

INTITULÉ :

GWENDOLYN WILLIAMS-CAMPBELL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 AVRIL 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE AYLEN

DATE DES MOTIFS :

LE 12 MAI 2022

COMPARUTIONS :

Nicholas Woodward

POUR LA DEMANDERESSE

Catherine Vasilaros

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Migration Law Group

Cabinet d’avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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