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Date : 20220516


Dossier : IMM-5974-21

Référence : 2022 CF 716

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 16 mai 2022

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

EDIT SZEPESI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Mme Edit Szepesi, est une femme rom née en Hongrie. Elle allègue avoir été victime de discrimination à l’école et au travail ainsi qu’en tentant d’obtenir des soins de santé. De plus, la demanderesse affirme qu’elle a été attaquée à plusieurs reprises par des skinheads ou des racistes de 2001 à 2011, et que la police a généralement refusé de l’aider. Elle allègue également qu’en juin 2014, elle a été victime d’une attaque à l’acide de la part d’un collègue, et a été congédiée après avoir signalé cet incident à son employeur.

[2] La demanderesse soutient en outre avoir été maltraitée par son ex-petit ami d’origine ethnique hongroise, G. S., qu’elle avait commencé à fréquenter en mars 2015. Elle déclare que G. S. l’a agressée et a menacé de la tuer et que, lorsqu’elle a demandé l’aide de la police, celle-ci ne l’a pas aidée. La demanderesse affirme que G. S. l’a droguée un jour lors d’une fête où elle a été violée par deux hommes et que, en mars 2016, il a tenté de la frapper, ainsi que sa belle-sœur, avec sa voiture avant de l’agresser dans la rue. Elle a demandé l’aide d’un défenseur des droits des Roms, qui n’a pas pu l’aider en raison de la corruption de la police et qui lui a conseillé de quitter la Hongrie.

[3] La demanderesse est arrivée au Canada le 11 octobre 2016 et a présenté une demande d’asile au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, au motif qu’elle craignait d’être persécutée en raison de son appartenance à l’ethnie rom et de la violence familiale fondée sur le sexe en Hongrie.

[4] Le défendeur est intervenu dans l’instance devant la Section de la protection des réfugiés [la SPR], et a présenté des éléments de preuve démontrant que la demanderesse avait été aux États-Unis pendant environ sept mois à compter d’août 2012, ce qu’elle n’avait pas divulgué auparavant. La demanderesse a affirmé qu’elle s’était rendue aux États-Unis dans l’espoir d’éviter d’autres mauvais traitements en Hongrie. Cependant, elle n’a pas demandé l’asile compte tenu de la barrière linguistique et de l’absence de contacts aux États-Unis. La demanderesse a affirmé qu’elle n’avait pas mentionné le voyage aux États-Unis sur la recommandation de son ancien conseil.

[5] Le 26 novembre 2019, la SPR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse. La Section d’appel des réfugiés [la SAR] a rejeté son appel, jugeant qu’elle n’était pas crédible et qu’elle n’avait pas de crainte subjective [la décision]. La SAR a également conclu que la demanderesse n’avait pas présenté d’éléments de preuve clairs et convaincants pour démontrer qu’elle n’avait pas accès à une protection adéquate de l’État.

[6] La demanderesse fait valoir que la SAR n’a pas appliqué les Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe [les Directives]. Elle fait aussi valoir que la SAR a commis des erreurs dans son analyse de la crédibilité, de la crainte subjective et de la protection de l’État.

[7] Je rejetterai la demande, car je juge que la SAR a raisonnablement tranché les questions concernant la crédibilité et la protection de l’État, et qu’elle n’a pas commis d’erreur dans son application des Directives ou sa conclusion relative à l’inexistence d’une crainte subjective.

II. Les questions en litige et la norme de contrôle

[8] La demanderesse fait valoir que la SAR a commis une erreur : 1) dans l’application des Directives; 2) en remettant en cause sa crédibilité; 3) dans l’appréciation de la crainte subjective et de son défaut de demander l’asile aux États-Unis; et 4) dans l’appréciation de la protection de l’État en ce qui concerne son risque prospectif.

[9] Les parties conviennent que ces questions sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[10] Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85. L’analyse du caractère raisonnable d’une décision tient compte du contexte administratif dans lequel elle est rendue, du dossier dont dispose le décideur et de l’incidence de la décision sur les personnes touchées par ses conséquences : Vavilov, aux para 88-90, 94, 133-135.

[11] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer qu’elle souffre de lacunes suffisamment capitales ou importantes : Vavilov, au para 100. Ce ne sont pas toutes les erreurs ou préoccupations au sujet des décisions qui justifieront une intervention. Une cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, ne doit pas modifier les conclusions de fait de celui-ci : Vavilov, au para 125. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision, ou constituer une « erreur mineure » : Vavilov, au para 100.

III. Analyse

Question no 1 : Les conclusions relatives à la crédibilité

[12] Je commence mon analyse par les conclusions de la SAR en matière de crédibilité.

[13] La demanderesse fait valoir que la SAR a commis une erreur dans son analyse de la crédibilité, et qu’elle n’a pas appliqué la présomption de véracité énoncée dans l’arrêt Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CAF). Elle s’oppose au traitement par la SAR (a) de son manque de dossiers médicaux relatifs à sa demande d’asile, (b) de sa lettre d’appui, (c) de son rapport psychologique et (d) de sa résidence aux États-Unis. Je traiterai d’abord de cette dernière question.

a) La résidence aux États-Unis

[14] Comme je l’ai mentionné précédemment, la demanderesse n’a pas initialement divulgué son séjour de sept mois aux États-Unis. Après que l’omission a été révélée, la demanderesse a modifié son exposé circonstancié et a déposé un nouveau formulaire Fondement de la demande d’asile indiquant que la date de l’un des incidents mentionnés dans les documents qu’elle avait présentés dans le cadre de sa demande initiale était incorrecte, car cet incident se serait produit lorsqu’elle se trouvait aux États-Unis.

[15] La SPR a conclu que son défaut de mentionner le voyage qu’elle avait fait aux États-Unis et son retour subséquent en Hongrie étaient des éléments importants, et minaient sa crédibilité globale. Bien que la demanderesse ait fait valoir qu’elle n’avait pas mentionné le voyage aux États-Unis sur la recommandation de son ancien conseil, la SPR a conclu qu’elle était représentée par un conseil expérimenté qui aurait su que l’échange de renseignements biométriques entre le Canada et le département de la Sécurité intérieure des États-Unis était chose courante, et que cette erreur aurait fini par être révélée.

[16] La SAR était d’accord avec la SPR, faisant remarquer que rien n’indiquait que l’ancien conseil avait été avisé ni qu’une plainte avait été déposée auprès du Barreau de l’Ontario ou de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Invoquant la gravité des allégations de la demanderesse et l’absence de preuve à l’appui, la SAR a rejeté l’argument de la demanderesse selon lequel ce n’est pas parce qu’un conseil est compétent qu’il a nécessairement des principes.

[17] Maintenant, dans le cadre du contrôle judiciaire, la demanderesse fait valoir qu’il est possible qu’elle ait mal interprété les recommandations de son conseil précédent, étant donné son manque de raffinement et sa méconnaissance du processus de demande d’asile, bien qu’elle ait également continué de soutenir qu’elle a agi sur ces recommandations. Lors de l’audience, l’avocat actuel de la demanderesse a invoqué la santé mentale de cette dernière comme une raison possible des difficultés de communication avec l’ancien conseil, tout en réitérant la croyance sincère de la demanderesse que son ancien conseil lui avait dit que le voyage aux États-Unis n’était pas pertinent. Dans les deux cas, la demanderesse fait valoir qu’il était déraisonnable de présumer qu’elle induisait délibérément en erreur en ne mentionnant pas sa résidence aux États-Unis, et d’imposer le fardeau de déposer une plainte officielle contre l’ancien conseil.

[18] Bien que je ne considère pas qu’il soit nécessaire qu’un demandeur dépose une plainte officielle auprès du Barreau avant d’alléguer des problèmes d’incompétence et d’éthique à l’égard d’un conseil, je conviens avec la SAR que les allégations faites par la demanderesse contre son ancien conseil sont « graves et, si elles sont exactes, elles touchent au cœur de l’intégrité du système d’asile ». À mon avis, une allégation selon laquelle un conseil n’a pas « d[e] principes » est plus grave qu’une allégation d’incompétence. Pourtant, comme la SAR l’a souligné à juste titre, il n’y a eu aucune preuve de ce genre concernant la conduite de l’ancien conseil, tant devant la SPR que devant la SAR.

[19] Un tel manque de preuve a amené la SAR à souscrire raisonnablement à la conclusion de la SPR selon laquelle le défaut de la demanderesse de divulguer son séjour de sept mois aux États-Unis « min[ait] effectivement sa crédibilité et la crédibilité de sa demande d’asile ». Je ne vois aucune raison de modifier cette conclusion.

[20] La SAR a déclaré ce qui suit : « le défaut de mentionner ce qui est, selon l’appelante, une fuite de la Hongrie pour échapper à la persécution, puis le retour depuis un tiers pays sûr dans le pays d’origine où la persécution aurait eu lieu, ne constitue pas une omission mineure, puisque cela est lié à un élément fondamental qui sous-tend sa demande d’asile ». Je ne vois aucune erreur dans cette conclusion.

b) Les dossiers médicaux

[21] La SAR partageait la préoccupation de la SPR selon laquelle la demanderesse « avait présenté un assez grand nombre de dossiers médicaux, dont aucun ne concernait des incidents durant lesquels elle aurait subi de la persécution violente et grave ». La SAR a jugé que, lorsque la SPR avait interrogé la demanderesse à ce sujet, elle avait « répondu de façon évasive, incohérente et changeante ». La SAR a également jugé que son explication contredisait les éléments de preuve contenus dans le Cartable national de documentation [le CND] mentionnant que des procédures existaient pour permettre aux anciens patients à l’intérieur et à l’extérieur du pays d’obtenir des rapports médicaux.

[22] La demanderesse fait valoir que la SAR n’a pas tenu compte de la raison pour laquelle elle avait fourni les documents qu’elle avait fournis, et qu’elle a commis une erreur en jugeant son témoignage incohérent et changeant. Je rejette l’argument de la demanderesse. Comme il est mentionné dans la décision, la demanderesse a fourni plusieurs réponses à la question concernant les rapports médicaux manquants : [traduction] « la police n’est pas venue »; [la demanderesse] a oublié d’apporter ces documents avec elle; « il est très probable » que son ex-époux a les documents; les « autres » médecins […] ne se souciaient pas d’elle. Compte tenu de cet éventail de réponses, je ne vois rien de déraisonnable dans les conclusions de la SAR selon lesquelles la demanderesse avait répondu de façon « évasive, incohérente et changeante ».

c) La lettre d’appui

[23] La demanderesse a fourni une lettre d’appui de sa mère, qui relatait les actes violents de l’ancien partenaire de la demanderesse. La SPR a rejeté la lettre au motif que son authenticité ne pouvait être établie. La SAR a déclaré ce qui suit : « même si la SPR pouvait effectivement examiner davantage la lettre, je conclus qu’il y a dans la lettre elle-même certaines déclarations qui soulèvent des doutes quant à sa fiabilité ». La SAR a conclu que la lettre contenait certains renseignements au sujet de blessures infligées à la demanderesse, ainsi que des renseignements sur des agressions et des menaces contre ses parents, qui n’étaient pas inclus dans l’exposé circonstancié de la demanderesse.

[24] La demanderesse fait valoir que la SAR a commis une erreur en jugeant la lettre de sa mère peu fiable, sans tenter de confirmer son authenticité ou de se renseigner davantage : Paxi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 905 [Paxi] au para 52. La demanderesse soutient que la richesse des détails dans la lettre et l’absence de ces détails dans sa propre preuve ne constituent pas une incohérence et ne soulèvent pas de préoccupation quant à la fiabilité ou à l’exactitude de la lettre.

[25] La décision Paxi ne s’applique pas, à mon avis, puisque le problème de la SAR avec la lettre de la mère n’était pas son authenticité ou l’absence de celle-ci, mais plutôt les incohérences entre la lettre et l’exposé circonstancié de la demanderesse.

[26] Je ne suis pas non plus convaincue par l’argument de la demanderesse selon lequel un document problématique ne peut servir de fondement pour rejeter tous les autres documents fournis : Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 84 aux para 11, 12. Je conviens avec le défendeur que la SAR a apprécié toutes les lettres d’appui de la demanderesse, et a conclu qu’elles ne corroboraient pas sa demande d’asile. Il ne m’appartient pas d’apprécier à nouveau la preuve.

d) Le rapport psychologique

[27] La demanderesse conteste les préoccupations de la SAR quant à la crédibilité du rapport de son psychothérapeute, qui déclarait qu’elle présentait des symptômes correspondant au trouble de stress post-traumatique, au trouble d’anxiété généralisée et au trouble dépressif majeur. La SAR a conclu que l’auteur du rapport « outrepass[ait] également son rôle de psychothérapeute en faisant des commentaires à la défense de l’appelante, selon lesquels ses symptômes [allaient] s’aggraver considérablement si elle était forcée de retourner en Hongrie, et en mentionnant des [traduction] " antécédents d’automutilation ", même si aucun élément de preuve n’a été présenté quant à ce dernier point ». La SAR a en outre conclu que le contenu du rapport était entièrement fondé sur l’autodéclaration de la demanderesse.

[28] La demanderesse fait valoir qu’« un décideur qui n’est pas un expert […] commet une erreur lorsqu’il rejette la preuve psychologique d’un expert sans motif » pour la simple raison que le document n’est pas fondé sur une connaissance directe : Lainez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 914 au para 42.

[29] Je prends acte du fait que, comme le souligne la demanderesse, les rapports psychologiques doivent souvent s’appuyer sur l’autodéclaration, et que ces documents ne devraient pas être rejetés pour ce seul motif. Cependant, en l’espèce, comme l’a conclu la SAR, le rapport en question était entièrement basé sur l’autodéclaration de la demanderesse. Comme l’a noté la SAR, il n’est « indiqué nulle part dans le rapport que l[a demanderesse] a subi des tests diagnostiques » pour corroborer les conclusions.

[30] Par conséquent, je rejette l’argument de la demanderesse selon lequel le rapport psychologique s’appuie sur des tests objectifs effectués par un psychologue expérimenté. La SAR a plutôt raisonnablement conclu que le rapport avait peu de valeur probante.

[31] Lors de l’audience, l’avocat a renvoyé à deux rapports médicaux de la Hongrie indiquant que la demanderesse cherchait un traitement pour son anxiété. Je note toutefois que le psychothérapeute n’a pas mentionné qu’il avait accès aux rapports médicaux antérieurs de la demanderesse au moment de l’évaluation.

[32] L’avocat a en outre soutenu à l’audience que la demanderesse est une personne ayant de graves problèmes de santé mentale. C’est peut-être le cas, mais la preuve au dossier était mince, et la question de savoir comment la santé mentale de la demanderesse a pu influencer son témoignage n’a jamais été soulevée devant la SPR ou la SAR.

Question no 2 : Les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe

[33] Devant la SAR, la demanderesse a soutenu que la SPR n’avait pas tenu compte de la persécution qu’elle avait subie en tant que femme victime de violence familiale, et avait imposé une norme de preuve incompatible avec les Directives. La SAR a rejeté cet argument et a conclu que « les Directives [avaient] été prises en considération lors de l’audience et, dans le même ordre d’idées, que les motifs [étaient] cohérents avec les objectifs énoncés dans les Directives et les respectent ». Le commissaire de la SAR a également confirmé qu’il a écouté l’enregistrement de l’audience, et que les questions avaient été posées avec sensibilité. Après avoir entendu l’enregistrement et examiné la transcription, je suis d’accord.

[34] La SAR n’a pas non plus souscrit à l’argument de la demanderesse selon lequel les Directives exigeaient que les considérations en matière de preuve soient « plus souples ». Elle a déclaré ce qui suit : « les Directives ne permettent pas de rétablir des éléments de preuve peu crédibles, même s’il faut tout de même que les décideurs de la [Commission de l’immigration et du statut de réfugié] tiennent une audience et analysent la demande d’asile et les éléments de preuve à l’appui de celle-ci dans le respect des principes énoncés dans les Directives ».

[35] La demanderesse fait valoir que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a tenté d’expliquer la norme de preuve à la lumière des Directives, puisqu’elle a d’abord déclaré que celles-ci ne favorisaient pas un assouplissement de la norme et n’empêchaient pas de mettre à l’épreuve les éléments de preuve d’une demandeure d’asile, mais a ensuite déclaré que, selon les Directives, les décideurs doivent s’engager à tenir compte de certaines considérations en matière de preuve, comme le fait que certains éléments de preuve peuvent manquer ou être difficiles à obtenir dans le cadre de demandes d’asile fondées sur le sexe.

[36] L’argument de la demanderesse est sans fondement. Pour commencer, la demanderesse n’étaye aucunement la position selon laquelle les Directives exigent que les considérations en matière de preuve soient « plus souples ». Ensuite, la demanderesse a cité de manière sélective l’analyse de la SAR concernant les Directives, et a ainsi mal interprété son raisonnement.

[37] Dans la décision, la SAR a pris acte du fait que les Directives prévoyaient que les demandeurs qui présentent des demandes fondées sur le sexe soient traités avec sensibilité, et a indiqué avoir tenu compte de certaines considérations en matière de preuve. Toutefois, elle a également souligné que ces considérations doivent être prises en compte dans le respect des principes fondamentaux du processus d’asile, y compris l’appréciation de la crédibilité et la preuve d’une crainte fondée de persécution ou du fait que le demandeur d’asile a qualité de personne à protéger. À mon avis, l’interprétation des Directives par la SAR est raisonnable.

[38] Selon la demanderesse, l’analyse de la SAR était insuffisante et n’a pas abordé tous les points des Directives, en particulier ceux concernant les attentes en matière de preuve relatives à la protection de l’État. Je rejette cet argument. Comme le fait valoir le défendeur, et je suis d’accord, il n’est pas possible de traiter les Directives « comme si elles corroboraient un quelconque élément de preuve étayant la thèse de la persécution fondée sur le sexe, de sorte que le seul fait de témoigner suffise à prouver la véracité des propos tenus » : Pazmandi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1094 au para 29, citant Newton c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 15385 au para 18.

Question no 3 : La crainte subjective

[39] La SPR et la SAR ont convenu que le défaut de la demanderesse de demander l’asile aux États-Unis et son retour subséquent en Hongrie avaient miné sa crainte subjective.

[40] La demanderesse fait valoir que, contrairement au paragraphe 12 de la décision Nezhalskyi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 299, la SAR n’a pas tenu compte du fait que son statut juridique aux États-Unis était précaire, et qu’elle n’a pas pu obtenir l’aide d’un professionnel du droit en raison de son manque de ressources et de contacts, de son incapacité à communiquer en anglais, ainsi que de son manque de connaissances sur la procédure de demande d’asile aux États-Unis.

[41] Je ne suis pas convaincue par l’argument de la demanderesse. Tout d’abord, je souligne que la SAR a bel et bien tenu compte de ses explications, et a reconnu que « son statut juridique […] était précaire » aux États-Unis. Le principal problème soulevé par la SAR concernant la demande d’asile de la demanderesse à cet égard était la décision de celle-ci de retourner en Hongrie, et non sa décision de ne pas présenter une demande d’asile aux États-Unis.

[42] La demanderesse fait valoir que le défaut d’un demandeur de demander l’asile ne peut pas être fatal à une demande d’asile, et ce, même dans les cas où il se réclame de nouveau de la protection de son pays, invoquant les paragraphes 3 et 8 de la décision Akpojiyovwi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 745. Toutefois, je note que la question déterminante pour la Cour n’était pas la celle de se réclamer de nouveau de la protection du pays d’origine.

[43] De plus, la demanderesse soutient que la SAR n’a pas tenu compte du fait que la persécution à laquelle elle avait fait face en Hongrie s’était intensifiée après son retour, et avait été exacerbée davantage par la violence familiale qu’elle avait subie à partir de 2015. Encore une fois, l’argument de la demanderesse est sans fondement. La SAR a pris en considération la « persécution contre elle » à la suite de son retour en Hongrie en raison de sa relation avec G. S., mais a finalement rejeté ses allégations fondées sur « des incohérences et des préoccupations en matière de crédibilité qui min[aient] sa crédibilité ».

Question no 3 : La protection de l’État

[44] La SAR a conclu que la SPR avait effectué une analyse incorrecte de la protection de l’État, car « [p]eu importe si la persécution antérieure a[vait] été établie, la SPR a[vait] admis que l’appelante [était] d’origine ethnique rom et, en conséquence, son profil d[evait] faire l’objet d’une analyse au regard des conditions dans le pays et des faits et circonstances qui lui [étaient] propres ». La SAR a effectué sa propre analyse de la protection de l’État pour corriger l’erreur de la SPR, mais a néanmoins conclu que l’État en Hongrie fournissait une protection efficace sur le terrain. Bien que les éléments de preuve aient été « contradictoires et parfois difficilement conciliables », la SAR a conclu qu’il existait de solides processus de plaintes pour les Roms qui se heurtaient à une indifférence de la part des autorités.

[45] La demanderesse fait valoir que la SPR — et probablement la SAR — a commis une erreur en ne considérant pas que la forme de harcèlement, de mauvais traitements et de privation qu’elle avait subie démontrait un risque important de persécution future. La demanderesse invoque le paragraphe 12 de la décision Kadhm c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 7257 (CF), qui énonce que, « dans certains cas, le harcèlement peut équivaloir à de la persécution s’il revêt un caractère suffisamment grave et s’il dure, au point où l’on puisse dire qu’il porte atteinte à l’intégrité physique ou morale du demandeur ». De plus, la demanderesse s’appuie sur le paragraphe 42 de l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Munderere, 2008 CAF 84, qui énonce que le décideur doit tenir compte « des incidents qui, pris isolément, ne constitueraient pas de la persécution mais qui, pris globalement, pourraient justifier une allégation de crainte fondée de persécution ».

[46] La demanderesse soutient également que la Cour fédérale a conclu que le traitement des Roms en Hongrie équivalait à de la persécution, invoquant le paragraphe 88 de la décision Majoros c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 667. Elle affirme que, bien qu’il n’appartienne pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, si la conclusion de la SAR contredit les conclusions antérieures de la Cour, elle ne devrait pas être maintenue : Csoka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1220 au para 25.

[47] Bien que la SAR ait reconnu que la preuve relative à la protection par l’État accordée aux citoyens roms de Hongrie était mitigée et difficile à concilier, la demanderesse soutient que la SAR n’a pas tenu compte des éléments de preuve en sa faveur, contrairement à la décision Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (CF). La demanderesse a fait référence à des rapports précis dans le CND sur les conditions dans le pays démontrant que les mécanismes de protection de l’État ne sont tout simplement pas efficaces en Hongrie, en particulier pour les Roms. À la lumière de ces éléments de preuve, la demanderesse fait valoir que la SAR a mal interprété le critère relatif à la protection de l’État, et a mal apprécié le CND lorsqu’elle a conclu que les conditions en Hongrie n’étaient pas désastreuses à un point tel qu’elles rendraient tous les Roms victimes de discrimination équivalant à de la persécution.

[48] À mon avis, la demanderesse demande à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, ce qui, avec égards, n’est pas un rôle que la Cour devrait jouer.

[49] La SAR a pris acte du fait qu’il ne suffit pas d’établir qu’un État fait « tout en son pouvoir », ou qu’il « essaie d’améliorer sa situation intérieure en ce qui concerne le caractère adéquat de la protection de l’État ». La SAR a plutôt déclaré que le critère approprié « [était] celui de l’efficacité concrète de la protection, ce qui suppos[ait] d’évaluer l’efficacité de la protection de l’État sur le terrain ». La SAR n’a commis aucune erreur dans sa détermination du critère approprié.

[50] Ensuite, la SAR a mené son propre examen indépendant des éléments de preuve figurant dans le CND, et a conclu qu’ils « [étaient] contradictoires au sujet de la protection de l’État en Hongrie ». La SAR a reconnu que les éléments de preuve étaient souvent « contradictoires et difficilement conciliables », et qu’ils « montr[aient] que les Roms [étaient] discriminés depuis longtemps en Hongrie ». La SAR a ensuite procédé à un examen de la preuve documentaire, en tenant compte des expériences personnelles de la demanderesse lorsqu’elle avait informé la police des situations au cours desquels elle allègue avoir été persécutée, et a noté qu’au moins un cas impliquait des agresseurs qui n’avaient pas pu être identifiés, tandis que dans d’autres cas, la police avait été contactée, « rien de plus ». Par conséquent, la SAR a conclu que la demanderesse « n’a[vait] pas fait tout en son pouvoir pour obtenir » la protection de l’État en Hongrie. Encore une fois, je ne suis pas en mesure de juger que cette conclusion était déraisonnable, à la lumière de la preuve.

[51] Même s’il était possible qu’un autre décideur parvienne à une conclusion différente sur la question de la protection de l’État accordée aux Roms en Hongrie, à la lumière de l’analyse menée par la SAR en l’espèce et de la preuve dont elle disposait, je conclus que la SAR s’est intéressée « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », et que la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Vavilov, au para 86.

IV. Conclusion

[52] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

  • [53] Il n’y a aucune question à certifier.



JUGEMENT dans le dossier IMM-5974-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Avvy Yao‑Yao Go »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christopher Cyr


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5974-21

 

INTITULÉ :

EDIT SZEPESI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 avril 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GO

 

DATE DES MOTIFS :

Le 16 mai 2022

 

COMPARUTIONS :

Ian Geoffrey Mason

 

Pour la demanderesse

 

Nick Continelli

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ian Geoffrey Mason

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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