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Date : 20220512


Dossier : IMM-4459-21

Référence : 2022 CF 710

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 mai 2022

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE :

XIAOJING SUN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision de la Section d’appel des réfugiés [la SAR] datée du 14 juin 2021. La SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle la demanderesse n’a ni la qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] [la décision contestée].

II. Les faits

[2] La demanderesse, âgée de 33 ans, est une citoyenne de Chine. Elle craint d’être persécutée parce qu’elle est chrétienne et membre d’une église chrétienne clandestine en Chine.

[3] La demanderesse vivait en union de fait et a eu un fils en 2012. Toutefois, en raison de problèmes conjugaux, elle et son conjoint se sont séparés à la fin de 2015, et elle a perdu la garde de son fils. Elle a fait une dépression.

[4] En août 2018, la demanderesse a été initiée au christianisme par un ami et, en octobre 2018, elle a commencé à fréquenter la maison-église clandestine de cet ami. En décembre 2018, alors qu’elle distribuait des tracts religieux, des inconnus se sont approchés d’elle et elle est parvenue à s’enfuir en courant. Peu après, des agents du Bureau de la sécurité publique [le BSP] qui étaient à sa recherche se sont présentés chez elle, mais ne l’ont pas trouvée. Cependant, ils sont revenus le lendemain et ils l’ont battue. Son père est intervenu, ce qui lui a permis de s’échapper. Elle est demeurée cachée jusqu’à ce qu’un passeur l’aide à quitter la Chine.

[5] La demanderesse affirme qu’après avoir quitté la Chine, elle a appris de son père qu’un agent de police lui avait dit qu’elle devait se présenter à la police.

[6] La demanderesse est entrée au Canada en mars 2019. Au Canada, elle a commencé à fréquenter une église chrétienne et a plus tard été baptisée. Elle a présenté une demande d’asile en avril 2019. La SPR a conclu que la preuve ne suffisait pas à établir qu’elle est chrétienne.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[7] La SAR a rejeté l’appel le 14 juin 2021 et a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Elle a affirmé avoir procédé à une appréciation indépendante de la preuve et des arguments.

[8] La SAR a souligné que la SPR avait tiré plusieurs conclusions en matière de crédibilité.

[9] Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, la SAR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer la sincérité de la foi de la demanderesse et que la demanderesse n’était pas une adepte authentique de la foi chrétienne.

[10] La SAR a relevé plusieurs contradictions entre les notes prises au point d’entrée et la preuve de la demanderesse :

  • Au cours de son entrevue avec l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC), le 24 mars 2019, la demanderesse a mentionné que les policiers prenaient des photos, mais, à l’audience, elle a affirmé qu’ils la fixaient;

  • À l’audience, elle a affirmé que cet incident s’était produit à la mi-décembre, mais, dans son formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA], elle a déclaré qu’il s’était produit à la fin de décembre et que les policiers étaient venus à la fin de décembre;

  • Au cours de son entrevue, elle a affirmé que quatre ou cinq policiers étaient venus chez elle, mais, à l’audience, elle a affirmé que deux personnes étaient venues la chercher.

[11] La SAR a conclu que les éléments de preuve concernant les croyances de la demanderesse étaient vagues, brefs et contradictoires :

  • La demanderesse n’a pas démontré de compréhension du christianisme ou de lien avec le christianisme auquel il serait raisonnable de s’attendre d’une adepte authentique;

  • Des éléments de preuve crédibles concernant un lien émotif ou spirituel avec le christianisme font défaut;

  • La demanderesse n’a pas exposé clairement le fondement de sa demande d’asile, soit la raison pour laquelle elle est chrétienne;

  • Elle a eu l’occasion de présenter suffisamment d’éléments de preuve crédibles à l’appui de sa demande d’asile, puisqu’elle avait une conseil pour la représenter et qu’elle avait accès aux services d’un interprète, mais sa conseil a choisi de ne pas poser de questions lors de l’audience, et la demanderesse n’a pas présenté d’affidavit contenant des renseignements supplémentaires à la SAR.

[12] La SAR a examiné les éléments de preuve corroborante et a conclu qu’ils n’étaient pas suffisants pour répondre aux réserves que suscitait la preuve. Ces éléments, dont une lettre du révérend Ko datée du 13 octobre 2020 et un certificat de baptême, démontrent que la demanderesse a participé à certaines activités chrétiennes au Canada.

[13] Cela dit, la SAR a souligné que la persécution de chrétiens en Chine est un fait et que, même si le BSP ne recherchait pas la demanderesse, si elle était une véritable chrétienne ou perçue comme telle, « elle pourrait prétendre à une demande d’asile ». Les enjeux dans cette affaire sont donc élevés.

[14] La SAR a souligné que le fait que la demanderesse avait participé à des activités chrétiennes au Canada n’était pas remis en question, mais que les éléments de preuve étaient insuffisants pour démontrer que la demanderesse est une chrétienne authentique.

[15] La SAR a également examiné la question de savoir si la demanderesse était fondée à présenter une demande d’asile sur place au motif qu’elle avait participé à certaines activités chrétiennes au Canada, mais elle a conclu que les éléments de preuve étaient insuffisants pour conclure que ces activités avaient été portées à l’attention des autorités. De plus, comme les éléments de preuve sont insuffisants pour démontrer que la demanderesse est une véritable adepte du christianisme, la SAR a conclu que sa demande d’asile sur place devait être rejetée. La SAR a conclu qu’il était peu probable que la demanderesse poursuive ses activités chrétiennes en Chine, que les éléments de preuve étaient insuffisants pour conclure qu’il est probable que les autorités la considéreraient comme une chrétienne, et que, même si elle avait participé à certaines activités chrétiennes au Canada, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve concernant un risque éventuel.

IV. Les questions en litige

[16] Les questions en litige sont les suivantes :

  • A) La SAR a-t-elle manqué à l’équité procédurale?

  • B) La décision était-elle raisonnable?

V. La norme de contrôle applicable

A. Le principe d’équité procédurale

[17] En ce qui concerne la première question, les questions d’équité procédurale sont examinées selon la norme de la décision correcte : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, le juge Binnie, au para 43. Cela dit, je tiens à souligner qu’au paragraphe 69 de l’arrêt Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160, la Cour d’appel fédérale, sous la plume du juge Stratas, a affirmé qu’il peut être de mise d’appliquer la norme de la décision correcte « “en se montrant respectueux [des] choix [du décideur]” et en faisant preuve d’un “degré de retenue” : Ré:Sonne c. Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, 455 N.R. 87, au paragraphe 42. » Toutefois, je renvoie à l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [le juge Rennie]. À cet égard, je renvoie également à l’arrêt récent de la Cour d’appel fédérale selon lequel le contrôle judiciaire d’une question d’équité procédurale s’effectue selon la norme de la décision correcte : voir Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196, le juge de Montigny [les juges Near et LeBlanc souscrivant aux motifs du jugement] :

[35] Ni l’arrêt Vavilov ni, à ce sujet, l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, n’ont abordé la question de la norme applicable pour déterminer si le décideur a respecté l’obligation d’équité procédurale. Dans ces circonstances, je préfère m’en remettre à l’abondante jurisprudence, de la Cour suprême et de notre Cour, selon laquelle la norme de contrôle concernant l’équité procédurale demeure celle de la décision correcte.

[18] Je souligne également que, selon les principes que la Cour suprême du Canada a énoncés au paragraphe 23 de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la norme de contrôle qui s’applique aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte :

[23] Lorsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond (c.-à-d. le contrôle judiciaire d’une mesure administrative qui ne comporte pas d’examen d’un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale), la norme de contrôle qu’elle applique doit refléter l’intention du législateur sur le rôle de la cour de révision, sauf dans les cas où la primauté du droit empêche de donner effet à cette intention. L’analyse a donc comme point de départ une présomption selon laquelle le législateur a voulu que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable.

[Non souligné dans l’original.]

[19] Au paragraphe 50 de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a expliqué ce qui est exigé d’un tribunal qui procède à un examen selon la norme de la décision correcte :

[50] […] La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

B. Le caractère raisonnable

[20] En ce qui concerne le caractère raisonnable d’une décision, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable : voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 au para 35.

[21] Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Postes Canada], que la Cour suprême du Canada a rendu au même moment que l’arrêt Vavilov, le juge Rowe, s’exprimant au nom de la majorité, a exposé les critères d’une décision raisonnable et les exigences que doit respecter la cour qui procède à un examen selon la norme de la décision raisonnable :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « … ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] […] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100).

[Non souligné dans l’original.]

[22] Au paragraphe 86 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a fait remarquer qu’« il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur doit également, au moyen de ceux-ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique. » La Cour suprême a également indiqué que la cour de révision doit prendre sa décision en fonction du dossier dont elle dispose :

[126] Cela dit, une décision raisonnable en est une qui se justifie au regard des faits : Dunsmuir, par. 47. Le décideur doit prendre en considération la preuve versée au dossier et la trame factuelle générale qui a une incidence sur sa décision et celle-ci doit être raisonnable au regard de ces éléments : voir Southam, par. 56. Le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte. Dans l’arrêt Baker, par exemple, le décideur s’était fondé sur des stéréotypes dénués de pertinence et n’avait pas pris en compte une preuve pertinente, ce qui a mené à la conclusion qu’il existait une crainte raisonnable de partialité : par. 48. En outre, la démarche adoptée par le décideur permettait également de conclure au caractère déraisonnable de sa décision, car il avait démontré que ses conclusions ne reposaient pas sur la preuve dont il disposait en réalité : ibid.

[Non souligné dans l’original.]

VI. Analyse

A. La SAR a-t-elle manqué à l’équité procédurale?

[23] La demanderesse soutient que la SAR a soulevé de nouvelles questions relatives à la crédibilité concernant les incohérences que comporterait sa preuve. Ce faisant, la SAR a selon elle manqué aux principes de justice naturelle, car la SPR, en première instance, n’avait relevé aucune des divergences alléguées, et la SAR ne l’a pas informée de ses nouvelles réserves. Elle cite le paragraphe 10 de la décision Husian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 684 [Husian], où le juge Hughes a affirmé que, lorsque « la SAR décide de se plonger dans le dossier afin de tirer d’autres conclusions de fond, elle devrait prévenir les parties et leur donner la possibilité de formuler des observations ». Elle ajoute, citant la décision Fu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1074 [le juge Diner] aux para 12-15 [Fu], qu’il était loisible à la SAR d’apprécier sa crédibilité, mais pas de soulever de sa propre initiative de nouvelles questions en appel sans l’en informer ni lui donner la possibilité d’y répondre.

[24] Cependant, en l’espèce, c’est la conseil de la demanderesse qui a soulevé la question de la crédibilité devant la SAR. De ce fait, la crédibilité de la demanderesse était l’une des questions déterminantes dont la SAR était saisie, comme l’avait été la SPR. Ainsi, la SAR ne s’est pas « plong[ée] dans le dossier », comme dans les affaires Husian et Fu, et les conclusions en matière de crédibilité ne sont pas de « nouvelles questions ».

[25] Il est bien établi que, lorsque la crédibilité d’un demandeur est en cause devant la SPR, la SAR ne manque pas à l’équité procédurale si elle invoque un autre motif justifiant de remettre en question la crédibilité du demandeur en s’appuyant sur le dossier dont disposait la SPR. Lorsque la crédibilité est au cœur de la décision de la SPR et fait partie des motifs d’appel, la SAR est habilitée à tirer de façon indépendante des conclusions sur la crédibilité d’un demandeur, et ce, sans avoir à lui donner une occasion supplémentaire de présenter des observations. À cet égard, elle n’est pas tenue de fournir un résultat intermédiaire à un demandeur. En l’espèce, la crédibilité était au cœur des réserves de la SPR, et la demanderesse a choisi de soulever cette question devant la SAR. Elle n’aurait pas dû être surprise que la SAR se soit penchée et ait tiré des conclusions sur une question qu’elle avait elle-même soulevée devant la SPR. Elle ne disposait pas d’un droit d’avis et de réponse : voir Yimer c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1335 [le juge Bell] au para 17, citant Corvil c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 300 [le juge LeBlanc, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale] au para 13 :

[17] La SAR n’a pas enfreint les principes de l’équité procédurale. En l’espèce, les conclusions de la SPR et les motifs d’appel devant la SAR concernaient la crédibilité du demandeur. Lorsque la crédibilité du demandeur est déjà en litige devant la SPR, il n’est pas un manquement à l’équité procédurale pour la SAR d’invoquer un autre fondement pour la remettre en cause au moyen du dossier devant la SPR. Le demandeur savait que la crédibilité était une question à trancher selon la décision originale de la SPR. Celle-ci est reconnue comme une question à trancher dans ses motifs d’appel. Par conséquent, des conclusions par rapport à sa crédibilité selon l’analyse indépendante du dossier par la SAR ne constituent pas de « nouvelles questions » donnant lieu à un droit d’avis et de réponse (Corvil c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 300 aux para 13-15 [Corvil]; Oluwaseyi au para 13; Sary c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 178 aux para 27-32; Ibrahim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 380 aux para 21-30). J’accepte que ma conclusion et la jurisprudence citée ne se conforment pas avec la décision récente dans Palliyaralaage c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 596.

[18] Comme dans Corvil au paragraphe 16, même en faisant abstraction des deux conclusions indépendantes de la SAR par rapport à la crédibilité du demandeur, la décision de la SAR demeure raisonnable. En l’espèce, la SAR a affirmé les conclusions auxquelles est arrivée la SPR par rapport à la crédibilité du demandeur, ce qui était raisonnable. L’affirmation de ces conclusions est suffisante pour justifier le rejet de l’appel du demandeur.

[26] Je renvoie également aux paragraphes 31 et 32 de la décision Smith c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1472 [Smith], dans laquelle j’ai fait état de la jurisprudence, puis conclu que la SAR peut tirer des conclusions indépendantes quant à la crédibilité lorsque celle-ci était en cause devant la SPR :

[31] De plus, comme il a été souligné dans la décision Nuriddinova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1093, la juge Walker, aux par. 47 et 48, la SAR aurait de toute façon eu le droit de tirer des conclusions indépendantes quant à la crédibilité à l’endroit d’un appelant lorsque la crédibilité était en cause devant la SPR, que les conclusions de la SPR étaient contestées en appel et que les conclusions additionnelles de la SAR découlaient du dossier de preuve :

[47] Dans le cadre du présent appel, le rôle de la SAR consiste à examiner le dossier dont disposait la SPR et à réviser la décision rendue par la SPR compte tenu des points soulevés par l’appelant, et du principe fondamental de l’équité procédurale voulant que toute partie doit se voir offrir la possibilité de s’exprimer au sujet des nouvelles questions et préoccupations qui auront une incidence sur une décision la concernant (Tan, au paragraphe 32). La SAR ne peut soulever une nouvelle question sans en aviser les parties, mais elle peut formuler des conclusions défavorables indépendantes quant à la crédibilité d’un appelant lorsque la crédibilité était en cause devant la SPR, que les conclusions de la SPR sont contestées dans le cadre d’un appel et que les conclusions additionnelles de la SAR découlent du dossier de preuve (Adeoye, aux paragraphes 12 et 13, citant la décision Sary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 178, aux paragraphes 27 à 32). Ce principe a été reconnu dans Kwakwa, décision citée par les demandeurs, où le juge Gascon a déclaré qu’une nouvelle question est une question qui « constitue un nouveau motif, ou raisonnement, sur lequel s’appuie un décideur, autre que les moyens d’appel soulevés par le demandeur pour soutenir le caractère valide ou erroné de la décision portée en appel » (Kwakwa, au paragraphe 24).

[48] Je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que la question de la crédibilité est très large et que la SAR n’a pas carte blanche pour cerner une nouvelle question quelconque relative à la crédibilité. Cependant, les demandeurs ont soulevé en termes généraux la question du témoignage de Mme Nurridinova, affirmant qu’il était [traduction] « cohérent, irréfuté, plausible et corroboré ». La SAR a répondu de manière précise à ce moyen d’appel, soulignant les incohérences entre son formulaire FDA, son témoignage et celui de M. Nurridinov, qui découlaient des questions posées par la SPR. Par conséquent, j’estime que la SAR n’a pas soulevé une nouvelle question dans sa décision et qu’elle n’a pas enfreint le droit à l’équité procédurale des demandeurs.

[Non souligné dans l’original.]

[32] À cet égard, il convient de souligner que le demandeur a soulevé la question de la crédibilité dans ses observations à la SAR, dans lesquelles il a également fait valoir que la SAR devrait convenir que [traduction] « nous devons alors présumer que [la mère] était crédible et que son témoignage était véridique ».

[27] Sans trop insister sur ce point, je renvoie également à ce qu’a affirmé le juge Diner, en citant la juge Walker, aux paragraphes 7 et suivants de la récente décision Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 682 :

[7] En ce qui concerne la seconde question, le demandeur soutient que la SAR a enfreint les principes d’équité procédurale en omettant de lui faire part de ses réserves concernant les certificats de naissance. À cet égard, il s’appuie principalement sur la décision Gondi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 433, dans laquelle la juge Layden-Stevenson a conclu, aux paragraphes 14-15, que la SPR avait utilisé un rapport se trouvant dans le CND pour blâmer les demandeurs sans les aviser du rapport et leur donner la chance d’y répondre.

[8] Je juge que cet argument n’a aucun fondement. Premièrement, il y avait des erreurs au recto du certificat de naissance (en ce qui a trait à la numérotation, qui ne concordait pas avec l’année de naissance de l’enfant). D’abord, je souligne que cette conclusion de la SAR est étayée par des documents sur les conditions dans le pays, dont le demandeur n’a pas traité dans les observations écrites qu’il a présentées à la Cour. Le demandeur se contente plutôt de remettre en question l’équité procédurale.

[9] À cet égard, le demandeur a déclaré à la SAR que la SPR avait omis d’examiner d’autres pièces d’identité, ce qui, selon lui, constitue une erreur dans la décision de la SPR. Pourtant, c’est exactement ce que la SAR a fait en évaluant les certificats de naissance. Je fais remarquer que la jurisprudence est claire : la SAR peut tirer des conclusions indépendantes supplémentaires en matière de crédibilité si la SPR a soulevé la question de la crédibilité et que le demandeur l’a soulevée dans ses observations à l’intention de la SAR.

[10] Par exemple, dans la décision Gedara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1023, aux paragraphes 37-39, le juge Brown a cité d’autres décisions confirmant ce droit de la SAR, notamment la décision Nuriddinova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1093, dans laquelle la juge Walker a déclaré ce qui suit au paragraphe 47 :

La SAR ne peut soulever une nouvelle question sans en aviser les parties, mais elle peut formuler des conclusions défavorables indépendantes quant à la crédibilité d’un appelant lorsque la crédibilité était en cause devant la SPR, que les conclusions de la SPR sont contestées dans le cadre d’un appel et que les conclusions additionnelles de la SAR découlent du dossier de preuve.

[28] Par conséquent, dans la présente affaire, la SAR était en droit de tirer de nouvelles conclusions relatives à la crédibilité en se fondant sur le dossier qu’elle a examiné, car 1) la SPR avait fondé ses conclusions sur la crédibilité, et 2) la demanderesse avait présenté à la SAR des observations sur les conclusions de la SPR en matière de crédibilité.

[29] Aucun manquement à l’équité procédurale n’a été commis.

B. La décision est-elle raisonnable?

(1) L’analyse microscopique de la preuve

[30] La SAR a relevé plusieurs contradictions entre les notes prises au point d’entrée et le témoignage de la demanderesse. Mes commentaires suivent chacune d’elles :

  • Au cours de son entrevue avec l’ASFC, le 24 mars 2019, la demanderesse a mentionné que les policiers prenaient des photos, mais, à l’audience, elle a affirmé qu’ils la fixaient. Commentaire de la Cour : Il n’y a pas d’incohérence, puisqu’il est possible qu’elle ait été à la fois photographiée et fixée du regard.

  • À l’audience, elle a affirmé que cet incident s’était produit à la mi-décembre, mais, dans son formulaire FDA, elle a déclaré qu’il s’était produit à la fin de décembre et que les policiers étaient venus à la fin de décembre. Commentaire de la Cour : En fait, les mots de la demanderesse sont les suivants : [traduction] « Probablement au milieu du mois [de décembre], je pense. » Je ne vois pas la divergence alléguée dans le présent dossier.

  • Au cours de son entrevue, elle a affirmé que quatre ou cinq policiers étaient venus chez elle, mais, à l’audience, elle a affirmé que deux personnes étaient venues la chercher. Commentaire de la Cour : Je conviens qu’il s’agit d’une marque d’incohérence concernant la mesure dans laquelle l’État s’intéressait à elle et qu’il ne s’agit pas d’une simple analyse microscopique.

[31] La SAR a conclu qu’il n’y avait « pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour conclure que l’incident est plus que probable ». Je conviens que la cohérence est un signe de la crédibilité d’un demandeur d’asile et qu’un décideur est en droit de tirer une inférence défavorable d’un témoignage incohérent : voir Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 179 [le juge Pentney] au para 17, citant Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319 [la juge Gleason, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale] aux para 41-46, et Magonza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 14 [le juge Grammond] aux para 16-20.

[32] Cependant, il semble que le raisonnement derrière ces conclusions soit vicié.

[33] Je suis également conscient que la Cour a formulé une mise en garde contre une trop grande importance accordée aux notes prises au point d’entrée, car les « circonstances dans lesquelles ces déclarations sont recueillies sont loin d’être idéales, et leur fiabilité soulève souvent des doutes » : voir Cetinkaya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 8 [le juge Russell] au para 50, citant Wu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1102 [le juge O’Reilly] au para 16.

(2) Le niveau de connaissance religieuse

[34] La demanderesse soutient, et je suis d’accord, que la SAR a effectué une analyse déraisonnable de la question de savoir si elle est une véritable chrétienne. La SAR a reconnu que la demanderesse était en mesure d’énoncer « certains concepts fondamentaux » liés à sa foi, mais a conclu que son témoignage sur le christianisme était trop vague pour être crédible et qu’un « lien émotif ou spirituel » avec sa foi n’avait pas été démontré.

[35] Premièrement, la demanderesse a répondu de façon détaillée et crédible lorsqu’elle a été interrogée à propos du christianisme, et, compte tenu du peu de questions qui lui ont été posées sur ce sujet, la conclusion de la SAR est particulièrement déraisonnable. La demanderesse attire notamment l’attention sur l’extrait suivant de la transcription de l’audience devant la SPR :

[traduction]

La SPR : […] Je vous demande de décrire ce qui a été dit lors des rencontres ou des services précédents auxquels vous avez assisté.

La demanderesse : Il y avait une femme, une pratiquante. Elle nous a raconté des histoires la fois avant dimanche dernier. Elle n’était pas religieuse, mais elle avait reçu la grâce de Dieu. Elle avait un cancer avant de commencer à croire en Jésus. Après que le cancer est apparu, elle a prié tous les jours, et son cancer est disparu. Pour moi, c’était une histoire miraculeuse et très touchante.

La SPR : Pouvez-vous me parler de quelques-uns des récits bibliques dont vous avez parlé ou que vous avez entendus lors des services?

La demanderesse : Mon récit biblique préféré est dans l’Évangile selon Marc. C’est l’histoire d’une veuve qui a donné des pièces à la trésorerie. Elle était très pauvre, mais elle a donné tout l’argent qu’elle avait. Aux yeux de Jésus, être riche ou pauvre, ce n’est pas combien on a, mais combien on donne. J’ai été très touchée par ce récit biblique.

La SPR : Lisez-vous la Bible?

La demanderesse : Oui.

La SPR : À quelle fréquence?

La demanderesse : J’ai une très mauvaise mémoire, mais je le fais un peu chaque jour. Je lis un peu chaque jour.

La SPR : D’accord. Pouvez-vous me dire quelle est la signification de Pâques?

La demanderesse : C’est le jour de la résurrection de Jésus.

La SPR : Que s’est-il passé avant?

La demanderesse : La crucifixion de Jésus.

La SPR : Comment est-ce arrivé?

La demanderesse : Jésus a été crucifié sur la croix au Golgotha, et il y avait aussi deux gardes à ses côtés, à gauche et à droite. Puis Jésus est mort à midi.

La SPR : Qui est responsable de sa crucifixion?

La demanderesse : C’est Pilate.

La SPR : Vous fréquentez une église de quelle confession ici?

La demanderesse : Pentecôtiste.

La SPR : En quoi consiste la Pentecôte?

La demanderesse : Je n’en sais pas beaucoup, mais je sais que notre Église insiste sur le Saint-Esprit.

La SPR : Vous ne savez donc pas ce qu’est la Pentecôte?

La demanderesse : Oui, je sais ce qu’est la Pentecôte. C’est une fête.

La SPR : Expliquez-moi.

La demanderesse : C’est le jour où le Saint-Esprit est descendu.

La SPR : Quand est-ce qu’elle est célébrée?

La demanderesse : Je crois que c’est en septembre.

La SPR : Pourquoi le croyez-vous?

La demanderesse : La dernière fois, je me souviens qu’on l’a mentionné une fois, mais je ne m’en souviens pas très bien. Désolée.

La SPR : D’accord. Avec qui vivez-vous au Canada?

La demanderesse : Est-ce que je peux ajouter quelque chose?

La SPR : Oui.

La demanderesse : Je crois me souvenir qu’on a d’abord mentionné que la Pentecôte a lieu vers le mois de mai. Je ne me souviens pas. Désolée.

[36] La demanderesse s’appuie également sur la décision Zeng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 318. Je suis d’accord avec le juge Barnes lorsqu’il conclut que « les décideurs en matière d’immigration [doivent] faire montre de prudence lorsqu’il s’agit de tirer des conclusions fermes sur la crédibilité du demandeur quant à l’authenticité de ses croyances religieuses ou philosophiques en se fondant sur de supposées faiblesses dans sa connaissance de la doctrine en question » :

[6] En l’espèce, la SPR et la SAR ont cherché à apprécier l’authenticité du prétendu système de croyances de la demanderesse qui se dit disciple du Falun Gong. Or, la Cour a souvent incité les décideurs en matière d’immigration à faire montre de prudence lorsqu’il s’agit de tirer des conclusions fermes sur la crédibilité du demandeur quant à l’authenticité de ses croyances religieuses ou philosophiques en se fondant sur de supposées faiblesses dans sa connaissance de la doctrine en question : voir Dong c Canada (MCI), 2010 CF 55, [2010] ACF no 54; Chen c Canada (MCI), 2007 CF 270, [2007] ACF no 395; Feradov c Canada, 2007 CF 101, [2007] ACF no 135; Huang c Canada (MCI), 2008 CF 346, [2008] ACF no 452; Ullah c Canada (MCI), [2000] ACF no 1981, 101 ACWS (3d) 792; et Wang c Canada (MCI), 2011 CF 1030, [2011] ACF no 1291.

[7] La prudence est de mise, car il est possible qu’un véritable adepte ne soit pas en mesure de comprendre parfaitement, ni d’interpréter, ni d’expliquer un code complexe de principes. Le problème est exacerbé lorsque la doctrine est obscure, ou que le décideur ne mène pas un examen suffisant de la question.

[37] La Pentecôte est une fête chrétienne dont la date est liée au Vendredi saint et au dimanche de Pâques. Ces fêtes, comme la Pâque juive et d’autres fêtes religieuses d’autres confessions, sont célébrées à une date variable déterminée en partie selon le calendrier lunaire. Bien que la demanderesse semble avoir donné une réponse incorrecte à cette question, car elle a répondu que la Pentecôte a lieu en septembre, le dossier démontre qu’elle a immédiatement rectifié son erreur en disant qu’elle a lieu en mai. On ne peut lui reprocher d’être parvenue à une réponse correcte parce qu’elle s’est brièvement méprise auparavant. Voilà essentiellement ce qu’est une analyse inacceptablement microscopique.

[38] Deuxièmement, la SAR a reproché à la demanderesse l’absence d’éléments de preuve crédibles concernant son « lien émotif ou spirituel » avec le christianisme, pour reprendre ses mots. À cet égard, la demanderesse soutient, et je suis d’accord, qu’il est difficile de savoir comment elle aurait pu démontrer un « lien émotionnel ou spirituel » suffisant avec le christianisme pour convaincre la SAR, ou comment la SAR pouvait mesurer son « lien émotionnel ou spirituel » avec le christianisme.

[39] La demanderesse s’appuie, comme moi, sur la jurisprudence de longue date de la Cour exposée dans la décision Wei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 694. Dans cette décision, le juge Beaudry a conclu que la SPR avait commis une erreur en mettant en doute la sincérité de la foi d’un demandeur d’asile au motif qu’il n’avait pas démontré un lien « émotionnel » avec le christianisme :

[17] Ensuite, le tribunal remarque que le demandeur ne semble pas éprouver d’engagement émotionnel envers la foi chrétienne. Il s’agit d’une conclusion quelque peu étrange, surtout compte tenu du fait que le demandeur a témoigné par l’intermédiaire d’un interprète, et je ne vois pas comment la Commission pourrait évaluer convenablement l’engagement émotionnel du demandeur dans cette situation.

[18] Je suis d’avis que l’intervention de la Cour est justifiée.

[40] Par ailleurs, en l’espèce, la demanderesse a témoigné avec l’aide d’un interprète. J’ajouterais seulement sur ce point que je suis aussi perplexe que le juge Beaudry l’était et qu’en toute honnêteté, je ne vois pas comment la SAR pouvait évaluer correctement le lien émotionnel, et encore moins le lien spirituel, de la demanderesse avec le christianisme. Cette conclusion ne résiste pas à l’examen.

[41] Troisièmement, il me semble que la SAR a commis une erreur en tirant une inférence défavorable du fait qu’à l’audience, la demanderesse n’a pas été interrogée par sa conseil au sujet de ses connaissances sur le christianisme et qu’elle n’a pas présenté de nouveaux éléments de preuve à l’appui de sa position en appel devant la SAR. En toute déférence, la SPR est maître de sa propre procédure et dispose de la marge de manœuvre requise pour décider de la conduite à tenir dans un cas donné (Rodriguez Vieira c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 838 [la juge Mactavish, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale] au para 14). La possibilité qu’avait le commissaire d’interroger la demanderesse n’était aucunement limitée par le contenu des questions de la conseil. Comme il est indiqué au paragraphe 11 de la décision Zeng, précitée, « la SPR a la responsabilité, lorsqu’elle nourrit une telle inquiétude, d’interroger plus avant les demandeurs et de les inciter à lui répondre. En outre, la SAR a une responsabilité analogue de faire en sorte que la SPR respecte cette norme en matière d’interrogatoire. » Par ailleurs, en toute déférence, il n’y a aucun fondement à la proposition selon laquelle un demandeur peut déposer une nouvelle preuve à l’appui de sa position en appel sauf si cette preuve était inaccessible lors de l’audience de la SPR.

[42] Il me semble que la SAR a fait fausse route en reprochant à la demanderesse le fait que la SPR ne l’avait pas « interrog[ée] plus avant », comme l’exige la Cour, sous la plume du juge Barnes, dans la décision Zeng.

[43] Je souligne également qu’il peut être déraisonnable de la part de la SAR de faire des connaissances religieuses le seul baromètre de la sincérité de la foi. Le critère selon lequel les demandeurs d’asile doivent démontrer leurs connaissances religieuses pour établir leur identité religieuse est « très peu exigeant ». C’est la sincérité avec laquelle une personne croit ou pratique qui importe, et non pas la validité objective de ses croyances ou de la pratique, et l’enquête sur des croyances religieuses doit être menée avec la plus grande précaution en raison du caractère subjectif de ces croyances : voir Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1002 [le juge Mandamin] :

[11] Plus récemment, au paragraphe 61 de la décision Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 288, le juge Russell a déclaré :

Compte tenu du critère très peu exigeant que notre Cour impose aux demandeurs d’asile pour démontrer leurs connaissances religieuses, je suis d’avis que, comme dans l’affaire Huang, la SPR s’est livrée en l’espèce à une analyse trop rigoureuse et microscopique des connaissances que le demandeur avait du Falun Gong. La SPR a commis une erreur en évaluant le témoignage donné par le demandeur sur cette question à partir de sa propre conception erronée de ce qu’une personne se trouvant dans la même situation que le demandeur saurait ou comprendrait ou devrait savoir ou comprendre. Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que, ce faisant, la SPR a fondé sa conclusion qu’il n’était pas un adepte authentique du Falun Gong sur des exigences déraisonnables et impossibles à respecter en ce qui concerne la connaissance du Falun Gong. La SPR a également négligé de tenir compte du fait, comme le juge Francis Muldoon l’a expliqué dans le jugement Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] ACF no 1131, que « les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu’on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu’on les considère en fonction du milieu ».

[12] L’enquête faite par les tribunaux (et les organismes administratifs) sur les croyances religieuses doit être menée avec précaution, vu le caractère subjectif et personnel des croyances religieuses d’une personne. Dans l’arrêt Syndicat Northcrest c Amselem, 2004 CSC 47 (Amselem), la Cour suprême du Canada a déclaré que, les demandeurs qui invoquent la liberté de religion ne devraient pas être tenus d’établir la validité objective de leurs croyances en apportant la preuve que d’autres les reconnaissent comme telles. La Cour suprême a indiqué qu’une personne doit établir la sincérité de sa croyance, et non pas que sa croyance est valide :

50 […] Les tribunaux devraient donc éviter d’interpréter — et ce faisant de déterminer —, explicitement ou implicitement, le contenu d’une conception subjective de quelque exigence, « obligation », précepte, « commandement », coutume ou rituel d’ordre religieux. Statuer sur des différends théologiques ou religieux ou sur des questions litigieuses touchant la doctrine religieuse amènerait les tribunaux à s’empêtrer sans justification dans le domaine de la religion.

51 Cela dit, bien que les tribunaux ne soient pas qualifiés pour se prononcer sur la validité ou la véracité d’une pratique ou croyance religieuse, ou pour choisir parmi les diverses interprétations d’une croyance, ils sont qualifiés pour statuer sur la sincérité de la croyance du demandeur, lorsque cette sincérité est effectivement une question litigieuse : voir Jones, précité; Ross, précité. Toutefois, il importe de souligner qu’une croyance sincère s’entend simplement d’une croyance honnête : voir Thomas c. Review Board of the Indiana Employment Security Division, précité.

[…]

53 L’appréciation de la sincérité est une question de fait qui repose sur une liste non exhaustive de critères, notamment la crédibilité du témoignage du demandeur (voir Woehrling, loc. cit., p. 394) et la question de savoir si la croyance invoquée par le demandeur est en accord avec les autres pratiques religieuses courantes de celui-ci. Cependant, il est important de souligner qu’il ne convient pas que le tribunal analyse rigoureusement les pratiques antérieures du demandeur pour décider de la sincérité de ses croyances courantes […]

[Non souligné dans l’original.]

[44] Pour se conformer à cette observation, la Cour n’a pas besoin d’apprécier à nouveau la preuve. La SAR doit plutôt se conformer à la jurisprudence contraignante, comme il est exigé aux paragraphes 31 et 32 de l’arrêt Postes Canada, précité.

VII. Conclusion

[45] À mon humble avis, la demanderesse n’a pas démontré que la SAR avait violé son droit à l’équité procédurale. Toutefois, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie parce que, en ce qui concerne l’évaluation des connaissances religieuses de la demanderesse et l’examen de la question de savoir si elle est une véritable chrétienne, la décision de la SAR est déraisonnable.

VIII. Question à certifier

[46] Aucune partie n’a proposé de question de portée générale, et aucune n’est soulevée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4459-21

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision est annulée, que l’affaire est renvoyée à un tribunal de la SAR différemment constitué pour qu’une nouvelle décision soit rendue, qu’aucune question de portée générale n’est certifiée et qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

N. Belhumeur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4459-21

 

INTITULÉ :

XIAOJING SUN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 MAI 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 12 MAI 2022

COMPARUTIONS :

Elnaz Dast Parvardeh

POUR LA DEMANDERESSE

Idorenyin Udoh-Orok

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Korman & Korman LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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