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Date : 20220512


Dossier : IMM-7140-19

Référence : 2022 CF 703

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 mai 2022

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE :

AKASH BALAKUMAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION,

DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. La nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision, datée du 23 octobre 2019, par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a rejeté l’appel du demandeur et confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle le demandeur n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

II. Les faits

[2] Le demandeur, âgé de 24 ans, est un citoyen du Sri Lanka né en Inde, où il n’a pas de statut juridique. Il craint d’être persécuté par les autorités sri-lankaises en raison de son profil. Il allègue qu’à son retour au Sri Lanka, son profil serait celui d’un jeune homme tamoul dont les parents sont originaires du Nord, qui reviendrait en tant que demandeur d’asile débouté, qui ne possède pas de carte d’identité nationale, qui a été détenu à quatre occasions par les autorités sri-lankaises, qui a été interrogé à deux occasions sur ses liens avec les Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul [les TLET], qui a été battu à une occasion et libéré à une autre grâce à un pot-de-vin versé par sa mère, et qui n’a pas exécuté l’ordre de se présenter chaque semaine à la police. Il soutient qu’en raison de ce profil, il a des liens présumés avec les TLET et que, par conséquent, il serait exposé à un risque s’il était renvoyé au Sri Lanka.

[3] La SPR a conclu que le demandeur n’était pas crédible, et la SAR a rejeté cette conclusion.

[4] Par conséquent, les faits qui suivent sont tirés du formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA] du demandeur et, dans les circonstances, sont considérés comme véridiques.

[5] En 2006, le père du demandeur a quitté l’Inde, où il vivait avec sa famille, à destination du Sri Lanka, et il est porté disparu depuis. En 2007, la mère du demandeur est retournée au Sri Lanka avec le demandeur, alors âgé de neuf ans, et ses sœurs. Sa mère et sa sœur de 16 ans ont été agressées sexuellement par des soldats sri-lankais. La sœur du demandeur a fui au Canada en février 2008 et elle a maintenant qualité de réfugiée au sens de la Convention.

[6] En juin 2008, le demandeur et sa mère sont retournés en Inde, où ils ont vécu sans statut juridique. À la fin de la guerre civile au Sri Lanka, la mère du demandeur a décidé de retourner au Sri Lanka parce que, sans statut, il lui était difficile de travailler en Inde. Le demandeur a obtenu de faux passeports et il est retourné au Sri Lanka en juin 2013. Le demandeur a allégué qu’au Sri Lanka, il avait été harcelé par des Cinghalais, puis arrêté, détenu et menacé par les autorités sri-lankaises à quatre occasions, dont deux où il avait été questionné sur ses liens avec les TLET. À l’une de ces deux occasions, la police l’a convoqué pour un interrogatoire. Il a également été battu et, à une occasion, sa mère a soudoyé la police pour obtenir sa libération.

[7] Après cet incident, le demandeur et sa mère sont retournés en Inde, où ils ont attendu qu’un agent emmène le demandeur au Canada. En novembre 2014, il s’est enfui au Canada avec l’aide d’un agent et a présenté une demande d’asile. Il avait alors 17 ans.

[8] À sa première audience devant la SPR, le demandeur n’était pas représenté par un conseil; sa tante était sa représentante désignée. Sa demande d’asile a été rejetée par la SPR, et son appel a été rejeté par la SAR en 2015. Sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été accueillie sur consentement, et l’affaire a été renvoyée à la SAR, qui a ordonné qu’elle soit renvoyée à la SPR pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

[9] Dans une décision datée du 14 mai 2018, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur. La SPR a conclu que son témoignage n’était pas crédible du fait qu’il contiendrait des incohérences et que son profil de jeune homme tamoul ne l’exposait pas, en soi, à une possibilité sérieuse de persécution. Le demandeur a interjeté appel de cette décision devant la SAR.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[10] Le 23 octobre 2019, la SAR a rejeté l’appel du demandeur. Bien qu’elle ait infirmé les conclusions de la SPR en matière de crédibilité, la SAR a finalement conclu que le demandeur n’avait pas démontré qu’il serait exposé à davantage qu’une simple possibilité de persécution à son retour au Sri Lanka.

[11] La SAR a admis que le demandeur avait été arrêté par la police à trois occasions et harcelé par un Cinghalais, et elle a conclu que la SPR avait commis une erreur en mettant en doute la survenance de ces incidents sans s’appuyer sur la moindre contradiction, omission ou incohérence dans la preuve. Elle a également admis que la police l’avait rencontré en novembre 2013 et que, comme il l’a affirmé, lui avait demandé s’il avait quelque lien avec les TLET.

[12] La SAR a également conclu que le profil de jeune homme tamoul du demandeur ne l’exposait pas, à lui seul, à une sérieuse possibilité de persécution au Sri Lanka. Je souscris à cette conclusion, prise isolément. La SAR a retenu les antécédents du demandeur en matière d’arrestations, mais elle a fait remarquer que, bien qu’il n’ait pas exécuté l’ordre de se présenter au poste de police, les autorités n’avaient pas recherché sa mère à Colombo. S’appuyant sur cette constatation, elle a conclu que rien n’indiquait que les autorités sri-lankaises s’intéressaient toujours à lui du fait de ses liens présumés avec les TLET. En outre, elle a conclu que, d’après la preuve objective, rien dans le profil du demandeur ne justifiait une protection.

[13] Les Principes directeurs du HCR relatifs à l’évaluation des besoins de protection internationale des demandeurs d’asile originaires du Sri Lanka, qui ont été appliqués en l’espèce, sont loin d’être récents (2012) et indiquent que le fait qu’une personne soit originaire d’une région auparavant contrôlée par les TLET ne justifie pas, en soi, une protection internationale. Bien qu’il soit possible, compte tenu de son profil, que le demandeur soit interrogé à son retour au Sri Lanka, la SAR a conclu qu’il ne s’agit pas d’une sérieuse possibilité de persécution. Encore là, prise isolément, cette conclusion est incontestable.

[14] Enfin, la SAR a conclu que le demandeur pourrait établir son identité et sa nationalité au moyen de son acte de naissance, et la preuve objective indiquait qu’il pourrait présenter une demande de carte d’identité nationale, qui serait traitée en six mois. Étant donné que ni le demandeur ni sa famille n’avaient de lien avec les TLET et que rien dans la preuve n’établissait que les autorités étaient à sa recherche, le fait qu’il ne possédait pas de carte d’identité nationale entre-temps ne l’exposait pas à davantage qu’une simple possibilité de persécution.

IV. Les questions en litige

[15] Selon le demandeur, les questions en litige sont les suivantes :

  1. Le manquement à l’équité :

  1. Les conclusions tirées en matière de crédibilité;

  2. Le défaut d’évaluer sa situation du point de vue de l’agent de persécution;

  3. Le défaut de tenir compte de ses observations;

  1. L’omission d’apprécier de façon appropriée son profil;

  2. La question de savoir si le tribunal, en faisant abstraction d’éléments de preuve et en se livrant à des conjectures à propos d’éléments de preuve, a rendu une décision déraisonnable.

[16] À mon humble avis, la question en litige est celle de savoir si la décision de la SAR est raisonnable. Bien que le demandeur indique que la première question se rapporte à un manquement à l’équité et aux principes de justice naturelle, ses arguments se rapportent plus précisément à la question du caractère raisonnable de la décision.

V. La norme de contrôle applicable

[17] En ce qui concerne le caractère raisonnable, dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, rendu en même temps que l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], le juge Rowe, s’exprimant au nom des juges majoritaires de la Cour suprême du Canada, a expliqué ce qui est nécessaire pour conclure qu’une décision est raisonnable et ce qui est exigé lorsqu’une cour procède à un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable. Un tel contrôle doit être effectué au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « … ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] […] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100).

[Non souligné dans l’original.]

[18] Au paragraphe 86 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a fait remarquer qu’« il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur doit également, au moyen de ceux-ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique. » La Cour suprême a également indiqué que la cour de révision doit prendre sa décision en fonction du dossier dont elle dispose :

[126] Cela dit, une décision raisonnable en est une qui se justifie au regard des faits : Dunsmuir, par. 47. Le décideur doit prendre en considération la preuve versée au dossier et la trame factuelle générale qui a une incidence sur sa décision et celle-ci doit être raisonnable au regard de ces éléments : voir Southam, par. 56. Le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte. Dans l’arrêt Baker, par exemple, le décideur s’était fondé sur des stéréotypes dénués de pertinence et n’avait pas pris en compte une preuve pertinente, ce qui a mené à la conclusion qu’il existait une crainte raisonnable de partialité : par. 48. En outre, la démarche adoptée par le décideur permettait également de conclure au caractère déraisonnable de sa décision, car il avait démontré que ses conclusions ne reposaient pas sur la preuve dont il disposait en réalité : ibid.

[Non souligné dans l’original.]

[19] En outre, suivant l’arrêt Vavilov, la cour de révision doit évaluer si le décideur qui a rendu la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire s’est attaqué de façon significative aux questions clés :

[128] Les cours de révision ne peuvent s’attendre à ce que les décideurs administratifs « répondent à tous les arguments ou modes possibles d’analyse » (Newfoundland Nurses, par. 25) ou « tire[nt] une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à [leur] conclusion finale » (par. 16). Une telle exigence aurait un effet paralysant sur le bon fonctionnement des organismes administratifs et compromettrait inutilement des valeurs importantes telles que l’efficacité et l’accès à la justice. Toutefois, le fait qu’un décideur n’ait pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties permet de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise. En plus d’assurer aux parties que leurs préoccupations ont été prises en considération, le simple fait de rédiger des motifs avec soin et attention permet au décideur d’éviter que son raisonnement soit entaché de lacunes et d’autres failles involontaires : Baker, par. 39.

VI. Analyse

A. La décision est-elle raisonnable?

(1) La carte d’identité nationale

[20] Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en ne tenant pas compte de sa situation particulière lorsqu’elle a conclu qu’il pouvait demander et obtenir une carte d’identité nationale. Selon son témoignage, le traitement de la demande de carte d’identité nationale qu’il a présentée à son retour au Sri Lanka en 2013 a tardé parce que les forces de sécurité sri-lankaises avaient des doutes à son sujet, étant donné son profil en tant que jeune homme tamoul qui n’avait pas vécu au pays pendant plusieurs années. Dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA, il a également affirmé qu’il n’avait toujours pas reçu sa carte d’identité nationale.

[21] Le défendeur soutient que la SAR a raisonnablement conclu que, même sans passeport ou carte d’identité nationale, le demandeur pourrait établir son identité au moyen de son acte de naissance. La SAR a cité des éléments de preuve objective à l’appui de cette conclusion, et elle a souligné que le demandeur avait quitté le Sri Lanka avant la fin du délai normal de traitement d’une demande de carte d’identité nationale et qu’aucune preuve n’établissait qu’il s’était renseigné sur l’état de sa demande après son départ du Sri Lanka.

[22] En toute déférence, la SAR a, à mon avis, fait fausse route pour parvenir à cette conclusion. La demande de carte d’identité nationale a été déposée par la mère du demandeur en 2014 (alors qu’il était mineur), et, lorsqu’elle a quitté le Sri Lanka en 2019, la carte d’identité n’avait pas été délivrée. La question n’était pas de savoir s’il pouvait ou non présenter une nouvelle demande, mais plutôt pourquoi la carte d’identité nationale n’avait toujours pas été délivrée après autant de temps. La SAR n’en a pas fait mention dans l’analyse qui l’a menée à sa conclusion, et elle a plutôt répondu à une question différente, soit celle de savoir si les autorités cherchaient le demandeur au Sri Lanka. Il me semble que la SAR ne s’est pas attaquée à la véritable question dont elle était saisie à cet égard, tel que l’exige le paragraphe 128 de l’arrêt Vavilov.

[23] Je souligne que le demandeur fait valoir que la SAR aurait dû tenir une audience ou, à tout le moins, l’informer de ses réserves avant de tirer une conclusion à partir de son inférence selon laquelle il n’était pas recherché. Il soutient qu’en ne faisant ni l’un ni l’autre, elle a manqué aux principes de justice naturelle. À mon avis, cet argument ne se rapporte pas à l’équité procédurale, mais, comme je l’ai souligné plus haut, au caractère raisonnable, tel qu’il est exposé dans l’arrêt Vavilov.

(2) Le défaut d’examiner le profil du demandeur du point de vue de l’agent de persécution présumé, c’est-à-dire le Sri Lanka

[24] Le demandeur soutient que la SAR n’a pas examiné son profil en tant que personne qui a des liens [TRADUCTION] « présumés » avec les TLET et qu’elle s’est appuyée principalement sur une analyse fragmentaire de la question de savoir si lui-même ou sa famille avaient des liens réels avec les TLET. Il souligne en particulier qu’il a été détenu et interrogé au sujet de ses liens avec les TLET avant le sommet du Commonwealth à Colombo, qui s’est tenu en novembre 2013, et qu’il avait aussi été interrogé à ce sujet lors d’une arrestation antérieure.

[25] Le demandeur soutient que la SAR a déraisonnablement qualifié de harcèlement ses rapports antérieurs avec la police et qu’elle n’a pas considéré que ses arrestations et la façon dont il avait été traité par la police constituaient des actes de persécution.

[26] Le défendeur soutient que la SAR a examiné les liens présumés du demandeur avec les TLET, mais qu’elle a conclu que la majorité des rapports du demandeur avec la police découlaient de litiges personnels. En novembre 2013, la police a rencontré le demandeur dans le cadre d’une enquête sur une éventuelle attaque de la part des TLET, mais le demandeur a été libéré le jour même, sans qu’aucune accusation soit déposée contre lui, et aucun autre élément de preuve ne démontrait que la police continuait à s’intéresser à lui. Lors des plaidoiries, le défendeur a soutenu que les trois détentions antérieures étaient légales.

[27] Bien que je convienne que ces actes ne constituent pas, eux-mêmes, de la persécution, ils sont néanmoins tout à fait pertinents dans l’examen des risques.

[28] En outre, la SAR semble avoir omis le fait qu’à une occasion, le demandeur a été battu et qu’à une autre occasion, sa mère a dû verser un pot-de-vin pour obtenir sa libération. Pour moi, ce ne sont pas des caractéristiques d’une détention légale.

(3) Le défaut d’examiner les observations du demandeur à propos de son profil de risque en tant que demandeur d’asile débouté

[29] Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en ne tenant pas compte de ses observations à propos de son profil de risque de façon globale ou cumulative. À cet égard, il s’appuie sur la décision du juge Gibson dans l’affaire Boroumand c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1219 [Boroumand] :

[63] La représentante du ministre aurait pu sans doute arriver à la conclusion qu’elle a tirée, mais je suis d’avis qu’elle ne le pouvait tout simplement pas après sa très brève analyse du risque. Elle a négligé l’une des sources de risque alléguées par le demandeur pour justifier sa crainte d’un renvoi en Iran. Elle n’a prêté que peu d’attention à un document d’une tierce partie indépendante sur lequel s’était fondée l’agente d’examen des risques avant renvoi. Elle a laissé de côté d’autres renseignements de tierces parties sur lesquels s’était fondée l’agente. Il n’est nulle part établi qu’elle a pleinement analysé les observations détaillées qui avaient été présentées à l’agente d’ERAR et à elle-même directement, au nom du demandeur. Elle n’a pas non plus tenu compte de l’alinéa 3(3)f) de la LIPR et a laissé de côté la question des répercussions cumulatives de toutes les sources de risque alléguées par le demandeur et en son nom.

[64] Eu égard à l’analyse qui précède, et que ce soit après examen global de la décision contestée, et d’après la norme de la décision raisonnable simpliciter, ou parce que les motifs exposés par la représentante du ministre étaient tout simplement insuffisants compte tenu de l’importance de la décision pour le demandeur, une conclusion qui serait fondée sur la norme de la décision correcte étant donné que l’à-propos des motifs d’une décision relève de l’équité ou de la justice naturelle, je suis d’avis que la décision contestée est entachée d’une erreur susceptible de contrôle.

[Non souligné dans l’original.]

[30] Le défendeur soutient que la SAR a pris acte que, selon la preuve documentaire, le demandeur pourrait être surveillé à son retour au Sri Lanka, mais que la surveillance ne constituait pas, à elle seule, de la persécution. Encore là, pris isolément, cet élément ne peut être contesté.

[31] Tout bien considéré, je suis d’accord avec le demandeur. Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a affirmé que « [l]es principes de la justification et de la transparence exigent que les motifs du décideur administratif tiennent valablement compte des questions et préoccupations centrales soulevées par les parties » (au para 127).

[32] À cet égard, dans ses observations présentées devant la SAR, le demandeur a invoqué des rapports dans lesquels on indique que les demandeurs d’asile tamouls déboutés sont exposés à des risques et, surtout, ses expériences personnelles avec la police sri-lankaise ainsi que son profil, d’un point de vue global ou cumulatif, en tant que 1) jeune homme tamoul dont les parents sont originaires du Nord, 2) qui reviendrait en tant que demandeur d’asile débouté, 3) qui ne possède pas de carte d’identité nationale, et, il est important de le souligner, 4) qui a été détenu par les autorités sri-lankaises à quatre occasions et interrogé à deux occasions sur son association avec les TLET, l’une de façon générale et l’autre de façon très explicite; 5) qui a été battu par les autorités à une occasion (fait que la SAR a omis), 6) qui a été libéré à une autre occasion grâce à un pot-de-vin versé par sa mère (fait que la SAR a omis), et 7) qui n’a pas exécuté l’ordre de se présenter chaque semaine à la police.

[33] La SAR a examiné plusieurs aspects du profil global du demandeur, mais j’ai conclu qu’elle n’avait pas examiné le profil du demandeur de façon cumulative et globale, comme l’exige la décision Boroumand. Par conséquent, je conclus que la SAR n’a pas examiné la question de savoir si les divers éléments de son profil, considérés globalement et cumulativement, pouvaient engendrer davantage qu’une simple possibilité de persécution : Boroumand, précitée, aux para 63-64; voir également Subramaniam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 163 [le juge Favel] aux para 49-54, et KS c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 999 [le juge Southcott] au para 42.

VII. Conclusion

[34] À mon humble avis, le demandeur a établi que la décision était déraisonnable du fait que la SAR ne s’était pas attaquée à la question centrale dont elle était saisie, conformément au paragraphe 127 de l’arrêt Vavilov, et qu’elle n’avait pas examiné le profil du demandeur de façon globale et cumulative, comme l’exigeaient les précédents établis par la Cour. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Je souligne que des éléments de preuve de la présente affaire sont datés de 2019, et d’autres de 2012; étant donné l’évolution de la situation au Sri Lanka évoquée au paragraphe 18 de la décision contestée, il serait indiqué de produire de nouveaux éléments de preuve en vue du nouvel examen.

VIII. Question à certifier

[35] Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-7140-19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision est annulée, que l’affaire est renvoyée à un tribunal de la SAR différemment constitué en vue d’un nouvel examen pour lequel de nouveaux éléments de preuve pourront être présentés, qu’aucune question de portée générale n’est certifiée et qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

N. Belhumeur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7140-19

 

INTITULÉ :

AKASH BALAKUMAR c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 MAI 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 12 MAI 2022

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman

POUR LE DEMANDEUR

Leanne Briscoe

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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