Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220512

Dossier : T-954-18

Référence : 2022 CF 709

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 mai 2022

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

DEEPROOT GREEN INFRASTRUCTURE, LLC ET DEEPROOT CANADA CORP.

demanderesses/

défenderesses reconventionnelles

et

GREENBLUE URBAN NORTH AMERICA INC.

défenderesse/

demanderesse reconventionnelle

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les présents motifs font suite à une audience pour outrage au tribunal dans le cadre laquelle les demanderesses (DeepRoot) ont allégué que la défenderesse (GreenBlue) est coupable d’outrage au tribunal en raison de son non-respect du jugement Deeproot Green Infrastructure, LLC c Greenblue Urban North America Inc, 2021 CF 501, rendu par la Cour (le jugement).

[2] Dans le jugement sous-jacent, la Cour a statué que les cellules structurales RootSpace de GreenBlue contrefaisaient différentes revendications des brevets de DeepRoot, soit les brevets canadiens numéros 2,552,348 (le brevet 348) et 2,829,599 (le brevet 599). Le jugement interdisait également à GreenBlue, par injonction, de contrefaire les brevets 348 et 599 de DeepRoot.

[3] GreenBlue nie être coupable d’outrage au tribunal en raison d’un non-respect du jugement et prétend que son ensemble RootSpace AirForm [traduction] « tient compte » des brevets 348 et 599 afin de ne pas les contrefaire, et qu’il échappe donc à l’injonction de la Cour.

[4] Pour les motifs exposés ci-après, je ne suis pas convaincue, compte tenu de la preuve, que DeepRoot a établi hors de tout doute raisonnable que GreenBlue est coupable d’outrage au tribunal pour non-respect du jugement. La requête en outrage est donc rejetée.

II. Contexte

[5] Le brevet 348 et le brevet 599 de DeepRoot sont tous les deux intitulés « Système d’eau pluviale et de racine d’arbre intégré ». Le domaine d’invention est le même pour les deux brevets et est ainsi libellé :


 

[traduction]

La présente divulgation porte de façon générale sur un réseau de gestion des racines des arbres et du ruissellement des eaux pluviales dans les milieux urbains, et plus particulièrement sur des cellules intégrées utilisées dans un réseau structural servant à supporter les trottoirs et autres surfaces revêtues de matériaux inertes de façon à permettre la croissance des racines des arbres ainsi qu’à assurer la filtration, la rétention, le stockage et l’infiltration des eaux pluviales tout en prévenant les dommages causés aux surfaces revêtues de matériaux inertes.

[6] Les descriptions sommaires des inventions des brevets reproduites ci-après sont pertinentes pour la présente instance.

[7] Le brevet 348 indique ce qui suit :

[traduction]

Selon un aspect particulier de l’invention, un réseau de cellules structurales est fourni pour supporter les surfaces revêtues de matériaux inertes et permettre la croissance des racines des arbres ainsi qu’assurer la filtration, la rétention, le stockage et l’infiltration des eaux pluviales tout en prévenant les dommages causés aux surfaces revêtues de matériaux inertes; ce réseau est constitué des éléments suivants : une multitude de cellules structurales positionnées sous une surface revêtue de matériaux inertes qui recouvre substantiellement les cellules structurales, chaque cellule structurale étant composée d’une base, d’un dessus et d’éléments structuraux positionnés entre les deux et servant à maintenir une distance d’au moins environ huit pouces entre la base et le dessus; la base, le dessus et les membres structuraux définissent collectivement un volume comprenant ces éléments et au moins environ 85 % du volume peut être rempli de sol; où les cellules structurales supportent substantiellement la charge entière de la surface revêtue de matériaux inertes ainsi que la circulation des véhicules dirigée sur cette surface, tout en maintenant le sol contenu dans ce volume dans un état faiblement compacté, afin de permettre la croissance naturelle des racines structurales d’un arbre qui se trouve dans ce volume; une ou plus d’une barrière perméable autour des cellules structurales; la pénétration de l’eau dans une multitude de cellules structurales; et l’évacuation de l’eau de la multitude de cellules structurales. [Non souligné dans l’original.]

[8] Le brevet 599 indique ce qui suit :

[traduction]

Selon un aspect particulier de l’invention, une cellule structurale est fournie aux fins du support d’une surface revêtue de matériaux inertes, cette cellule étant composée des éléments suivants : une base; des éléments de support périphériques qui s’insèrent dans la base et qui s’étendent vers l’extérieur à partir de ladite base, et pouvant se fixer à la base d’une autre cellule ou à un couvercle aux fins du support de la surface revêtue de matériaux inertes susmentionnée, lesdits éléments de support étant disposés et dimensionnés de façon à ce qu’au moins environ 85 % d’un volume défini par les bords extérieurs de ladite cellule soient constitués d’espace vide. [Non souligné dans l’original.]

[9] Lorsque j’ai interprété les revendications, j’ai accepté que la formulation [traduction] « 85 % d’un volume » que l'on trouve dans l’extrait ci-dessus correspondait à une tolérance de mesure signifiant 84,5 % ou plus (jugement, au para 117).

[10] Dans le jugement de la Cour, j’ai conclu que le produit RootSpace de GreenBlue, montré ci-dessous, contrefaisait les deux brevets :


[11] Il est indiqué ce qui suit dans le jugement :

[traduction]

les revendications 1 à 5, 7 et 8, 11 à 14, 16 à 20, et 22 à 24 du brevet canadien no 2,552,348 sont valides et sont contrefaites par le produit RootSpace de la défenderesse;

les revendications 1 à 4 du brevet canadien no 2,829,599 sont valides et sont contrefaites par le produit RootSpace de la défenderesse;

il est interdit, de façon permanente, à la défenderesse de contrefaire ces revendications du brevet canadien no 2,552,348 et ces revendications du brevet canadien 2,829,599 jusqu’à l’expiration des brevets;

[12] Selon le PDG de DeepRoot, M. Ray, l’obtention de l’injonction de la Cour contre GreenBlue constituait une partie importante du jugement, car les deux entreprises sont en étroite concurrence dans le même marché à créneaux.

[13] Après avoir reçu le jugement de la Cour daté du 28 mai 2021, GreenBlue a publié un communiqué de presse. M. Ray a expliqué qu’il a été furieux lorsqu’il a vu ce communiqué de presse, qui indiquait que [traduction] « [DeepRoot était] entrée sur le marché et [avait] commencé à utiliser le concept de GreenBlue » et que [traduction] « DeepRoot utilise depuis ses brevets pour intimider les concurrents et exercer des pressions sur eux pour éliminer des produits uniques et supérieurs exclusivement pour son bénéfice commercial ». Le communiqué indiquait aussi que GreenBlue présenterait l’ensemble RootSpace AirForm afin de se conformer à l’injonction de la Cour.

[14] La position de DeepRoot est que l’ensemble RootSpace AirForm de GreenBlue contrefait ses brevets et que, par conséquent, GreenBlue est coupable d’outrage au tribunal parce qu’elle ne respecte pas l’injonction de la Cour.

III. L’ordonnance de justification

[15] La présente audience a eu lieu conformément à l’article 467 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles] à la suite d’une ordonnance de justification rendue le 7 octobre 2021 prévoyant ce qui suit :


 

[traduction]

1. Un représentant de GreenBlue doit comparaître devant la Cour à une date encore non déterminée et être prêt à entendre la preuve des actes desquels GreenBlue est accusée, à savoir, violation de l’injonction de la Cour accordée dans la décision portant la référence 2021 CF 501 en raison de :

a) la vente ou l’offre de vente au Canada des cellules structurales RootSpace avec l’ensemble RootSpace AirForm;

b) l’importation ou l’exportation des cellules structurales à des fins de vente commerciale;

c) l’accumulation des stocks de cellules structurales RootSpace au Canada à des fins commerciales;

[16] À la suite d’un report des dates initialement fixées pour l’audience relative à l’allégation d’outrage au tribunal, GreenBlue s’est engagée à ne pas vendre le système RootSpace AirForm tant qu’une décision ne serait pas rendue au sujet de la requête en outrage. Il n’est pas allégué qu’elle n’a pas respecté cet engagement.

IV. La preuve

A. Les témoins

[17] À l’audience relative à l’outrage, DeepRoot a présenté les témoignages des personnes suivantes :

  • Charles Graham Ray, PDG de DeepRoot;

  • Marc Crans, gestionnaire technique chez Infinity Testing Solutions, qui a présenté un rapport daté du 9 décembre 2021;

  • M. Richard leBrasseur, professeur adjoint en architecture paysagère à l’Université Dalhousie, qui a précédemment – au procès – été reconnu comme témoin expert et qui a préparé un rapport daté du 10 décembre 2021.

[18] GreenBlue a fait entendre les témoins suivants :

  • Dean Bowie, PDG de GreenBlueUrbanLimited (R.-U.) et président de GreenBlueUrbanNorthAmerica;

  • Jeremy Bailey, expert-conseil et ancien directeur général de GreenBlueUrbanNorthAmerica;

  • Mme Jennifer Drake, professeure associée à l’Université de Toronto, Faculté d’ingénierie et de sciences appliquées, Département de génie civil et minier, qui a présenté un rapport daté du 21 janvier 2022;

  • Michael Hoffman, ing., qui a présenté un rapport daté du 21 janvier 2022;

  • M. Barrett L. Kays, architecte paysager professionnel et scientifique en science du sol, qui a précédemment – au procès – été reconnu comme témoin expert et qui a préparé un rapport daté du 21 janvier 2021.

B. Le RootSpace AirForm de GreenBlue

[19] Dans son témoignage, le président de GreenBlue, M. Bowie, a déclaré que la planification d’une conception tenant compte des brevets 348 et 599 a commencé pendant le procès pour contrefaçon pour se préparer au [traduction] « pire scénario ». Selon le témoignage de M. Bowie, le jugement de la Cour [traduction] « traçait une ligne dans le sable » en interprétant que les brevets visaient une cellule structurale comportant un volume disponible d’au moins 84,5 %. GreenBlue affirme qu’elle a intentionnellement conçu l’AirForm pour atteindre un volume de sol inférieur à 84,5 %. En fait, M. Bowie affirme que l’objectif était que la cellule structurale atteigne un volume de sol de 82 %. Selon lui, bien que le volume de sol moindre soit un inconvénient, l’ajout de l’AirForm qui est installé au bas de la cellule structurale comporte l’avantage d’accroître l’aération dans le trou de plantation d’arbre. De plus, il affirme que l’AirForm facilitait l’installation en gardant la structure carrée et en offrant de la rigidité.

[20] GreenBlue a commencé à vendre l’ensemble RootSpace AirForm en juillet 2021. M. Bowie a confirmé que cet ensemble est vendu en composantes, car il serait trop dispendieux d’expédier un produit assemblé. La composante AirForm est fabriquée en Ontario, alors que le reste des composantes sont fabriquées au Royaume-Uni. Il a expliqué que l’AirForm, en tant que produit indépendant, n’a aucune utilité et qu’il n’est vendu qu’avec l’ensemble RootSpace AirForm.

[21] Le produit et les composantes RootSpace AirFrom sont montrés dans l’image ci‑dessous :

[22] Selon les instructions d’installation de GreenBlue, le RootSpace AirForm comprend trois composantes : le couvercle AirFlow, les panneaux verticaux et l’AirForm. Il y a un quatrième élément facultatif consistant en un panneau de remplissage (montré dans l’image ci‑dessus) pour accroître la stabilité latérale. Selon les instructions, il faut installer les panneaux verticaux ensemble, puis le panneau AirForm. On place ensuite de la terre sur le dessus, puis le couvercle AirFlow. Les instructions d’installation montrent une construction partielle dont l’image est reproduite ci-dessous :

V. Question

[23] Dans la présente procédure pour outrage au tribunal, la question consiste à savoir si DeepRoot a établi hors de tout doute raisonnable que la vente par GreenBlue du RootSpace AirForm contrevient au jugement de la Cour daté du 28 mai 2021.

VI. Analyse

A. Principes juridiques

[24] Selon l’article 469 des Règles, un outrage au tribunal doit être établi hors de tout doute raisonnable.

[25] Dans l’arrêt Carey c Laiken, 2015 CSC 17 [Carey], la Cour suprême a confirmé que le critère pour établir l’outrage civil comporte les trois éléments énoncés ci-après, qui doivent être établis hors de tout doute raisonnable :

  • (1) l’ordonnance dont on allègue la violation formule de manière claire et non équivoque ce qui doit et ne doit pas être fait;

  • (2) la personne à qui on reproche l’outrage doit avoir été au courant de l’existence de l’ordonnance;

  • (3) la personne à qui on reproche l’outrage doit avoir intentionnellement commis un acte interdit par l’ordonnance ou intentionnellement omis de commettre un acte comme elle l’exige (aux para 33-35).

[26] Dans l’arrêt Carey, la cour souligne également que « [l]e pouvoir en matière d’outrage est discrétionnaire et les tribunaux ont toujours refusé de l’exercer de façon routinière pour faire respecter des ordonnances judiciaires » (au para 36). Elle ajoute que « lorsque l’auteur présumé de l’outrage a agi de bonne foi et pris des mesures raisonnables pour se conformer à l’ordonnance, le juge saisi de la motion conserve généralement un certain pouvoir discrétionnaire pour refuser de tirer une conclusion d’outrage » et peut « refuser de conclure à l’outrage lorsqu’une telle conclusion entraînerait une injustice dans les circonstances de l’affaire » (au para 37).

[27] Pour conclure à l’outrage, il n’est pas nécessaire d’établir une intention de désobéir à l’ordonnance de la cour ou une intention de commettre un outrage au tribunal (Association canadienne de normalisation c P.S. Knight Co Ltd, 2021 CF 770 au para 46 [Association canadienne de normalisation].

B. L’ordonnance était-elle claire et GreenBlue était-elle informée de l’ordonnance?

[28] Nul ne conteste que GreenBlue était informée du jugement et de l’injonction de la Cour, et qu’elle comprenait qu’il lui était interdit de vendre le produit RootSpace. MM. Bowie et Bailey l’ont tous deux confirmé dans leur témoignage. M. Bailey a déclaré qu’après avoir reçu le jugement de la Cour, GreenBlue a informé ses clients que le RootSpace n’était pas disponible et qu’un nouveau produit était en cours de développement. Il a aussi déclaré que certaines commandes de RootSpace ont été annulées.

[29] Selon la preuve, GreenBlue était informée du jugement et comprenait les modalités de l’injonction de la Cour. Par conséquent, je suis convaincue que les deux premiers éléments du critère énoncé dans l’arrêt Carey ont été établis.

C. GreenBlue a-t-elle intentionnellement commis l’acte interdit par l’ordonnance?

[30] Je me pencherai maintenant sur la troisième partie du critère énoncé dans l’arrêt Carey, c’est-à-dire la question de savoir si la vente du RootSpace AirForm par GreenBlue est un acte interdit par l’injonction de la Cour.

[31] Il ne s’agit pas d’une action en contrefaçon; cependant, il faut tenir compte des caractéristiques du RootSpace AirForm pour savoir si la vente de cet ensemble par GreenBlue la rend coupable d’outrage au tribunal relativement au jugement. Cette question sera examinée au regard des questions suivantes :

  • (i) Quel est le volume disponible du RootSpaceAirForm?

  • (ii) L’AirForma-t-il un rôle structural?

(i) Quel est le volume disponible du RootSpace AirForm?

[32] Selon le témoignage de l’expert de DeepRoot, M. leBrasseur, le volume disponible dans le RootSpace AirForm est vraisemblablement supérieur à 85 % lorsque l’espace vide au-dessus et en dessous de la pièce AirForm est pris en considération. M. leBrasseur, qui a observé les essais auxquels a procédé M. Crans, a conclu que l’AirForm est susceptible de se déformer s’il est exposé au poids du sol, augmentant ainsi le volume disponible au-dessus de l’AirForm au‑delà des 82 % mentionnés.

[33] Cependant, M. leBrasseur a confirmé qu’il n’avait pas lui-même procédé à des mesures du volume et, en contre-interrogatoire, il a convenu que lorsque l’AirForm est utilisé dans la structure de sol, le volume disponible est réduit.

[34] L’expert de GreenBlue, M. Kays, a effectué une analyse du système RootSpace AirForm, pour savoir s’il relève du cadre des brevets 348 et 599 tels qu’ils sont interprétés dans le jugement de la Cour. M. Kay est d’avis que le système AirForm ne comporte pas l’élément essentiel des brevets 348 et 599, à savoir que le volume de la cellule doit être [traduction] « [d’]au moins 85 % ». Selon M. Kay, l’élément AirForm réduit la cellule en deçà de l’espace ouvert de 84,5 % pour le sol et, par conséquent, il ne relève pas du cadre des brevets 348 et 599.

[35] Mme Drake a témoigné pour le compte de GreenBlue. Dans son rapport, elle décrit les essais qu’elle a effectués pour mesurer le volume disponible pour le sol et l’eau pluviale du RootSpace AirForm. Elle a expliqué que la méthode qu’elle privilégiait pour mesurer le volume était une mesure de déplacement; cette méthode présentait toutefois un problème, car il y avait une fuite d’eau autour de l’emballage plastique utilisé pour isoler le produit pendant les essais. Elle a donc mesuré le volume apparent de l’unité en mesurant la hauteur, la largeur et la profondeur de l’unité. Au paragraphe 29 de son rapport, elle écrit ceci :[traduction] « d’après les travaux de laboratoire que nous avons effectués et, sous réserve des restrictions et des hypothèses indiquées ci‑dessus, le volume disponible pour les modules du système AirForm que nous avons mis à l’essai variait de 82 % à 83 %, même si le couvercle avait été omis ».

[36] Pendant le contre-interrogatoire, l’avocat a passé en revue une série de calculs avec Mme Drake, laissant entendre que les mesures de cette dernière constituaient une sous-estimation et que le volume disponible dépassait en réalité 84,5 %. Mme Drake a reconnu que le couvercle ne couvrait que 50 % de chacun des quatre panneaux verticaux sur lesquels il repose et que sa mesure du volume apparent ne comprenait pas 50 % du plastique des panneaux verticaux. Cependant, même si elle a reconnu que ses calculs comportaient peut-être une sous-estimation, elle était d’avis que ses mesures étaient plus près du volume réel que les mesures de l’avocat, et qu’elles étaient raisonnables.

[37] On a contesté les mesures de Mme Drake, mais aucun autre expert n’a entrepris de mesurer le volume du RootSpace AirForm. Mme Drake a déclaré que le volume de la cellule structurale est réduit par la présence de l’AirForm. Le pourcentage précis de réduction n’est certes pas certain, mais j’admets l’opinion de Mme Drake voulant qu’il soit réduit.

[38] Par conséquent, sur ce point, il n’y a aucune preuve démontrant hors de tout doute raisonnable que le RootSpace AirForm a un volume disponible d’au moins 84,5 %.

(ii) L’AirForm a-t-il un rôle structural?

[39] L’expert appelé par DeepRoot au procès, M. leBrasseur, conclut comme suit son rapport :

[traduction]

GreenBlue n’a pas modifié le panneau vertical RootSpace et le couvercle AirFlow est utilisé dans le système RootSpace AirForm, et il s’agit des mêmes éléments qui ont été considérés comme emportant contrefaçon du brevet 348 et du brevet 599 dans le jugement rendu au terme du procès. En fait, la seule différence entre les cellules structurales RootSpace qui emportent contrefaçon et le système RootSpace AirForm est que GreenBlue offre désormais le RootSpace AirForm comme composante supplémentaire (au para 63).

[40] M. leBrasseur décrit l’AirForm comme un produit léger qui glisse à l’intérieur de la cellule structurale. Il affirme que l’AirForm n’est pas fixé à la base ou aux panneaux verticaux et, si on retourne la cellule structurale, l’AirForm tombe. En outre, à son avis, il était nécessaire d’assembler entièrement la cellule structurale avant d’ajouter l’AirForm; par conséquent, l’AirForm est simplement un ajout et ne fait pas partie de la cellule structurale. Selon M. leBrasseur, il n’aurait aucune utilité sur le plan structural pour conserver les panneaux verticaux RootSpace à l’équerre et assurer la rigidité pendant l’installation et l’utilisation.

[41] Pour étayer son opinion, M. leBrasseur s’appuie sur l’essai de charge effectué par M. Crans, et conclut dans son rapport que [traduction] « la pièce AirForm n’est pas suffisamment solide pour soutenir ou gérer les charges importantes associées au poids de la surface revêtue de matériaux inertes et des véhicules commerciaux » et [traduction] « est susceptible de se déformer ou d’avoir une défaillance si elle est exposée par le haut au poids du sol à l’intérieur de la cellule structurale ou à des charges » (aux para 117-118).

[42] En contre-interrogatoire, M. leBrasseur a concédé qu’il n’est pas en mesure d’émettre une opinion concernant la capacité portante, car il n’est pas ingénieur civil et la Cour a estimé dans le jugement qu’une personne compétente pour une expertise relativement à la capacité portante serait un ingénieur civil (jugement, au para 69).

[43] M. Crans a achevé l’essai de charge sur la pièce AirForm et a conclu ce qui suit : [traduction] « il ne semble pas que l’AirForm contribue de manière importante à l’intégrité structurale du système RootSpace Airform » (au para 22). En contre-interrogatoire, M. Crans a confirmé qu’il ne comprenait pas comment l’AirForm fonctionnait sur le terrain et qu’aucun essai n’avait été effectué sur l’AirForm au moyen de charges de sol. Il a confirmé que la force sur le terrain serait différente de celle appliquée en laboratoire, laquelle avait été directement appliquée sur l’intégralité de la surface plane de l’AirForm. Enfin, il a confirmé qu’il n’avait procédé à aucun essai latéral ou rotationnel.

[44] M. Bowie, de GreenBlue, a déclaré lors de son témoignage que l’AirForm facilite l’installation et que les rainures sur les côtés de l’AirForm s’emboîtent avec les panneaux verticaux. Lorsqu’on a remis en question son affirmation, il a expliqué que dans les situations où ils ne s’emboîtent pas, c’est en raison de légères différences dans les tailles de l’AirForm imputables aux tolérances de fabrication. Il a renvoyé à la photographie annexée à son affidavit, qui montre l’AirForm maintenu en place dans une cellule structurale RootSpace inversée.

[45] M. Hoffman, qui est ingénieur, affirme ce qui suit dans son rapport :[traduction] « on devrait considérer que le panneau AirForm fait partie de la structure du système, étant donné qu’il contribue effectivement aux charges latérales et verticales dans le système général. Les panneaux AirForm aident à garder les panneaux verticaux à l’équerre et accroissent la rigidité latérale » (au para 13). À son avis, l’AirForm fournit un soutien perpendiculaire et sert de diaphragme horizontal pour le système RootSpace AirForm. Il allègue qu’avec une pression vers le bas, l’AirForm se déplace vers l’extérieur et sollicite les panneaux verticaux. Il n’approuve pas les essais effectués par M. Crans, car ces essais ne reproduisent pas selon lui l’utilisation du produit sur le terrain.

[46] En contre-interrogatoire, M. Hoffman a précisé que même si l’AirForm n’est pas fixé, à savoir qu’il n’est pas attaché, il devient fixé lorsqu’il reçoit une charge de sol en raison de l’interconnexion entre l’AirForm et les autres éléments. Autrement dit, il y a une réaction structurale qui crée la fixation.

[47] Le moment où l’AirForm devrait ou pourrait être placé lors de l’installation a été un sujet de désaccord. M. Hoffman est en désaccord avec M. leBrasseur lorsque ce dernier affirme que les quatre panneaux verticaux doivent être en place afin d’installer adéquatement l’AirForm. Cependant, lorsqu’on lui a demandé de démontrer que la cellule structurale pouvait être assemblée avec l’AirForm et seulement trois panneaux verticaux, M. Hoffman a dû tourner l’AirForm sur son côté pour installer le quatrième panneau vertical. M. Kays a pour sa part démontré qu’il était possible d’insérer simultanément l’AirForm et le quatrième panneau vertical, et il allègue que le RootSpace AirForm peut être assemblé avec deux, trois ou quatre panneaux verticaux.

[48] La preuve sur la question de savoir si l’AirForm ajoute un élément à la cellule structurale demeure obscure. Par conséquent, la Cour n’est pas en mesure de tirer une conclusion définitive sur cette question. Étant donné que la Cour entretient toujours des doutes à cet égard, GreenBlue obtient le bénéfice du doute.

D. Les photographies de l’installation prouvent-elles l’outrage au tribunal?

[49] DeepRoot fait valoir que les photographies déposées en preuve montrant l’installation partielle du système RootSpace AirForm constituent une preuve directe de l’utilisation du produit RootSpace et, par conséquent, une preuve directe de l’outrage au tribunal.

[50] M. Bailey a été interrogé au sujet des photographies qu’il a prises (pièce 36) en août 2021 qui montrent une installation partielle dans un projet de l’entreprise Minto à Ottawa. Il était présent lors de l’installation afin de fournir un soutien à l’entrepreneur. Il a expliqué que les photographies ont été prises au fur et à mesure que l’installation avançait. Selon M. Bailey, on installe habituellement l’AirForm après que deux ou trois panneaux verticaux sont placés. Il affirme que l’AirForm est inséré de manière séquentielle avec le quatrième panneau vertical, mais a reconnu que les quatre panneaux verticaux doivent être placés pour que l’AirForm fonctionne adéquatement.

[51] La preuve photographique illustre différentes étapes d’une installation. Dans certaines photos, les cellules structurales ne contiennent pas la pièce AirForm. Cependant, les pièces AirForm sont clairement montrées dans les photos et les instructions d’installation de GreenBlue indiquent aux installateurs d’utiliser les pièces AirForm et de les installer avant de remplir les structures.

[52] Ainsi, je ne suis pas en mesure de conclure que la preuve photographique illustre une utilisation qui contrevient à l’injonction de la Cour, car les pièces AirForm sont clairement montrées dans les photographies. De toute façon, les photographies illustrant que l’installation « pourrait » éventuellement violer l’injonction de la Cour si l’AirForm n’est pas installé ne constituent pas une preuve hors de tout doute raisonnable de contrefaçon.

E. GreenBlue a-t-elle incité à la contrefaçon?

[53] Même si GreenBlue n’a pas directement contrevenu à l’injonction, la Cour peut néanmoins conclure qu’elle commet un outrage au tribunal pour non-respect de l’injonction si elle a incité à la contrefaçon (Corlac Inc c Weatherford Canada Inc, 2011 CAF 228 au para 162 [Corlac]). Le critère servant à déterminer s’il y a incitation à la contrefaçon a été énoncé dans l’arrêt Corlac comme suit :

Premièrement, l’acte de contrefaçon doit avoir été exécuté par le contrefacteur direct. Deuxièmement, l’exécution de l’acte de contrefaçon doit avoir été influencée par les agissements du présumé incitateur de sorte que, sans cette influence, la contrefaçon directe n’aurait pas eu lieu. Troisièmement, l’influence doit avoir été exercée sciemment par le vendeur, autrement dit le vendeur doit savoir que son influence entraînera l’exécution de l’acte de contrefaçon (au para 162).

[54] DeepRoot fait valoir que chaque assemblage du RootSpace AirForm constitue un acte de contrefaçon à tout le moins à l’égard du brevet 599, car il constitue un assemblage de la cellule structurale RootSpace. Elle fait valoir que GreenBlue est donc responsable d’avoir incité à la contrefaçon.

[55] Il y a des éléments de preuve relatifs à la vente et à l’assemblage de l’ensemble RootSpace AirForm, mais il n’y a aucune preuve de la vente ou de l’assemblage du produit RootSpace originel depuis que la Cour a rendu le jugement. Il n’y a aucune preuve que GreenBlue a mis en marché ou fait la promotion du produit RootSpace originel depuis le jugement.

[56] En l’occurrence, étant donné que je ne suis pas convaincue qu’il y ait une preuve hors de tout doute raisonnable que le RootSpace AirForm est un produit emportant contrefaçon, je ne peux accepter que la preuve montrant l’installation du produit AirForm soit équivalente à une incitation à la contrefaçon.

VII. Conclusion

[57] Le fardeau de la preuve dans la présente procédure pour outrage au tribunal incombe à DeepRoot, qui doit établir au moyen d’une preuve hors de tout doute raisonnable que le RootSpace AirForm de GreenBlue contrevient à l’injonction accordée par la Cour dans le jugement. La preuve concernant le volume disponible et la question de savoir si l’AirForm fait partie de la cellule structurale suffit à soulever un doute quant à la question de savoir s’il s’agit d’un produit emportant contrefaçon. S’agissant d’une procédure pour outrage au tribunal, GreenBlue se voit accorder le bénéfice de ce doute. Par conséquent, la Cour n’est pas convaincue au vu de la preuve que le RootSpace AirForm de GreenBlue contrefait les brevets de DeepRoot.

[58] La requête en outrage au tribunal est donc rejetée avec dépens en faveur de GreenBlue.


 

JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-954-18

LA COUR STATUE que :

  1. la requête est rejetée;

  2. les dépens sont adjugés à la défenderesse.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-954-18

 

INTITULÉ :

DEEPROOT GREEN INFRASTRUCTURE, LLC ET AUTRE c GREENBLUE URBAN NORTH AMERICA INC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Du 21 au 23 et le 25 mars

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

Le 12 mai 2022

 

COMPARUTIONS :

Bentley Gaikis

Geoffrey D. Mowatt

Pour les demanderesses/

défenderesses reconventionnelles

 

Yuri Chumak

Ted A. Kalnins

Donald Cameron

Martin Brandsma

Pour la défenderesse/

demanderesse reconventionnelle

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DLA Piper (Canada) LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demanderesses/

défenderesses reconventionnelles

 

Dickinson Wright LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la DÉFENDERESSE/

DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

Bereskin & Parr LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la DÉFENDERESSE/

DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.