Dossier : IMM-2021-20
Référence : 2022 CF 681
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Toronto (Ontario), le 9 mai 2022
En présence de monsieur le juge Diner
ENTRE :
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RAHIMA MUHAMMAD HASHEM
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HANIFA M. YOSUF
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ZABIULLAH MOHAMMAD YUSOF
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SAMANA ABDUL HUSSAIN
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RAIHAN ZABIULLAH et
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KASRA ZABIULLAH
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle ont été rejetées les demandes de résidence permanente qu’ils avaient présentées au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières (la décision contestée). Ils soutiennent qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de migration (l’agent) de conclure qu’ils disposaient d’une solution durable au Tadjikistan. Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision est raisonnable et je rejetterai la demande.
II.
Le contexte
[2] Les demandeurs sont des citoyens de l’Afghanistan qui résident au Tadjikistan depuis une vingtaine d’années. Ils résident au Tadjikistan de façon continue depuis 2008 et détiennent des permis de résidence renouvelables qui leur ont été délivrés vers 2008, qu’ils ont renouvelés en 2015, et qui étaient valides jusqu’en 2020. En 2016, en vue de s’établir au Canada, ils ont présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières. Le 22 octobre 2019, l’agent les a interrogés avec l’aide d’un interprète.
[3] Selon les notes à propos de l’entrevue consignées dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC), les demandeurs ont informé l’agent que leur permis de résidence leur permettait de vivre là où ils le voulaient au Tadjikistan, de travailler, et d’accéder aux soins de santé et à l’éducation. Ils ont ajouté qu’ils n’étaient pas exposés à un risque d’expulsion. Toutefois, ils ont également informé l’agent qu’ils étaient confrontés à de nombreux problèmes, notamment celui de ne pas pouvoir acquérir une propriété ou obtenir la citoyenneté. Ils ont également affirmé qu’ils avaient de la difficulté à obtenir des documents pour voyager à l’extérieur du pays et qu’ils payaient davantage que les autres pour accéder aux mêmes services publics.
[4] Au cours de l’entrevue, l’agent a exprimé une réserve, à savoir que les demandeurs semblaient disposer d’une solution durable pour s’intégrer localement au Tadjikistan, car leurs permis de résidence leur permettaient d’y vivre, d’y travailler et d’y accéder aux soins de santé et à d’autres services offerts à la population en général. Toujours au cours de l’entrevue, l’agent a donné aux demandeurs une première occasion de répondre à cette réserve et les a également informés qu’une autre occasion leur serait donnée par écrit. Les demandeurs ont alors répété qu’ils avaient été confrontés à de nombreux problèmes liés à leurs cartes de résidence, dont des cas de corruption de la police et de traitement différent en ce qui a trait à l’accès aux services publics.
[5] Tel qu’il s’y était engagé, l’agent a fait parvenir une lettre d’équité procédurale aux demandeurs. Il y a réitéré sa réserve selon laquelle ils disposaient d’une possibilité raisonnable de solution durable réalisable dans un délai raisonnable au Tadjikistan. Il a renvoyé à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) ainsi que l’alinéa 139(1)d) et les articles 145 et 147 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), qui sont reproduits à l’annexe A des présents motifs. Il a pris acte des réponses fournies par les demandeurs lors de l’entrevue concernant des restrictions de voyage et des problèmes avec les autorités, mais il a souligné que ces réponses n’indiquaient pas qu’ils avaient effectivement été empêchés de voyager à l’étranger ou que la conduite de la police envers eux était systémique ou qu’elle résultait de droits dont ils ne disposaient pas en tant que résidents du Tadjikistan.
[6] Le 19 décembre 2019, le conseil des demandeurs a transmis une réponse écrite à la lettre d’équité procédurale, accompagnée d’un dossier sur la situation au Tadjikistan qui comprenait des articles sur la discrimination et la répression religieuse à l’encontre des minorités, et sur les restrictions imposées aux réfugiés concernant les déplacements, ainsi que des documents du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés selon lesquels les Afghans installés au Tadjikistan sont en pratique incapables d’obtenir la citoyenneté, bien qu’ils y soient en théorie admissibles.
[7] Dans leur réponse à la lettre d’équité procédurale, les demandeurs ont insisté sur le fait qu’ils ne disposaient pas d’une solution durable au Tadjikistan, et ce, pour plusieurs raisons : leur statut de titulaires de permis de résidence diffère de celui de résident permanent au Canada; ils ne peuvent pas obtenir la citoyenneté tadjike; le gouvernement du Tadjikistan a adopté une politique visant à supprimer la liberté de religion des Afghanes; des restrictions considérables concernant les déplacements ont été imposées aux réfugiés; les Afghans ont de la difficulté à trouver un emploi rémunéré ou à exploiter une entreprise en raison de problèmes économiques et de la corruption.
III.
La décision faisant l’objet du contrôle
[8] Le 21 janvier 2020, l’agent a conclu que les demandeurs ne satisfaisaient pas aux exigences de l’article 96 de la Loi et de l’alinéa 139(1)d) et des articles 145 et 147 du Règlement. Il a écrit ce qui suit :
[traduction]
Vous êtes en mesure de vous prévaloir de la protection au Tadjikistan, là où vous habitez actuellement, étant donné que vous êtes un résident permanent de ce pays. Vous pouvez participer de manière générale à la société, à peu près comme les personnes qui ont la nationalité de ce pays. Par conséquent, vous avez une solution durable dans un pays autre que le Canada et vous ne satisfaites pas aux dispositions du paragraphe ci-dessus [l’alinéa 139(1)d) du Règlement].
[9] En outre, concernant la réponse à la lettre d’équité procédurale, l’agent a noté dans le SMGC que la difficulté à se trouver un emploi à laquelle les demandeurs sont confrontés découle de la situation économique du pays, qui touche également les personnes de nationalité tadjike. Il a également noté leurs allégations selon lesquelles ils étaient discriminés et harcelés par la police, mais il a considéré que ces facteurs étaient anecdotiques et qu’ils n’avaient pas empêché les demandeurs de travailler.
[10] De même, l’agent a pris acte des préoccupations des demandeurs à propos de la répression religieuse et a souligné encore là qu’il s’agit de lois tadjikes sur l’expression religieuse, des lois d’application générale, c’est-à-dire qui s’appliquent également aux personnes de nationalité tadjike.
[11] L’agent a également considéré que le statut juridique des demandeurs à titre de résidents à long terme était un indicateur clé de leur intégration, et qu’ils pouvaient participer de manière générale à la société.
[12] Enfin, dans le SMGC, l’agent a également noté que les demandeurs craignaient de ne pas obtenir la citoyenneté tadjike. Il en a pris acte et a souligné que [traduction] « comme au Canada, la résidence permanente au Tadjikistan n’équivaut pas à la citoyenneté et qu’il y existe une certaine discrimination à l’encontre des personnes d’origine afghane »
. Néanmoins, il a conclu que les demandeurs s’étaient intégrés localement au Tadjikistan, qu’ils pouvaient y demeurer sans craindre d’être refoulés dans leur Afghanistan natal, et qu’ils disposaient donc d’une solution durable dans un pays autre que le Canada.
[13] Les demandeurs contestent la décision de l’agent au titre de l’article 72 de la Loi.
IV.
La question en litige et analyse
[14] La seule question à trancher en l’espèce est celle de savoir si la décision de l’agent est raisonnable.
[15] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, que la Cour suprême a exposée dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. La cour qui procède à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si elle est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci (Vavilov, au para 99).
[16] Les demandeurs soulèvent deux arguments à l’appui de leur position selon laquelle la décision est déraisonnable. Premièrement, ils soutiennent que l’agent n’a pas examiné la preuve documentaire, dont les éléments relatifs à la situation au Tadjikistan selon lesquels les Afghans qui ont le statut des demandeurs y sont privés de liberté religieuse et de droits.
[17] Deuxièmement, ils soutiennent que l’agent a commis une erreur en concluant que, vu le temps qu’ils avaient passé au Tadjikistan, ils s’y étaient intégrés localement. Ils affirment que, compte tenu du mal considérable qu’ils ont eu à trouver un emploi, de la discrimination sous diverses formes qu’ils ont subie et de l’impossibilité pour eux d’obtenir la citoyenneté ou de voyager librement à l’extérieur du pays, l’agent a commis une erreur en concluant qu’ils disposaient d’une solution durable. Je ne puis convenir que l’agent a commis des erreurs susceptibles de contrôle sur ces points.
(a)
Les conclusions concernant la preuve relative à la situation dans le pays étaient raisonnables
[18] Comme premier argument, les demandeurs soutiennent essentiellement que l’agent n’a pas examiné divers éléments de la preuve documentaire joints à la réponse à la lettre d’équité procédurale et qu’il n’a pas expliqué de façon logique pourquoi ces éléments étaient insuffisants pour étayer leur position. À l’appui de cet argument, ils citent le paragraphe 30 de la décision Saifee c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 589 [Saifee], pour faire valoir que le fait qu’un agent rende une décision sans connaître la situation dans le pays pourrait justifier l’annulation de la décision. Ils ajoutent que la preuve relative à la situation dans le pays [traduction] « fait abondamment état de la suppression systémique de la liberté de religion et des droits des groupes minoritaires au Tadjikistan »
et qu’elle indique qu’en tant que musulmans chiites afghans, ils n’y seraient pas en mesure d’observer leurs coutumes religieuses.
[19] Le défendeur réplique qu’il existe des restrictions au port de symboles religieux dans divers pays et que, comme au Canada, les restrictions en question s’appliquent à la population en général, et non pas en particulier aux demandeurs. Il signale que, dans une décision récente à l’égard d’une affaire très semblable concernant des titulaires de permis de résidence installés au Tadjikistan depuis longtemps, la Cour a jugé qu’il était raisonnable de conclure que les demandeurs y disposaient d’une solution durable (Hayatullah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 466 [Hayatullah].
[20] En l’espèce, je ne puis convenir qu’il y a une raison de croire que l’agent a fait abstraction d’éléments de preuve ou qu’il a rendu la décision contestée sans avoir pris connaissance de la preuve relative à la situation dans le pays. Au contraire, bien que ses motifs soient brefs, il a analysé et soupesé la réponse des demandeurs à la lettre d’équité procédurale conjointement avec les lois tadjikes sur l’expression religieuse, dont il a souligné qu’elles s’appliquaient à la population en général. Il est manifeste qu’il a néanmoins examiné la preuve relative à la situation dans le pays avant de conclure que les demandeurs disposaient d’une solution durable au Tadjikistan. Les demandeurs ne m’ont signalé aucun élément de preuve en particulier, contradictoire ou non, que l’agent aurait omis d’examiner.
[21] En fait, les conclusions de l’agent dans la présente affaire concordent avec celles auxquelles est parvenu l’agent dans l’affaire Hayatullah, bien que les faits soient différents. Au paragraphe 19 de la décision Hayatullah, la juge McVeigh a énuméré de nombreuses conclusions de l’agent qui démontraient le caractère raisonnable de sa conclusion concernant la solution durable, conclusions qui sont très semblables à celles qui sont fondées sur la preuve relative à la situation générale dans le pays présentée en l’espèce. Dans l’affaire Hayatullah, l’agent a conclu que : les demandeurs s’étaient vu accorder tous les droits socio-économiques semblables à ceux qu’ils auraient au Canada; leurs cartes portaient la mention « résident permanent »
et, en ce qui a trait à la forme et aux droits conférés, elles différaient des documents de réfugiés que détenaient d’autres Afghans au Tadjikistan; ils avaient seulement à renouveler ces cartes tous les cinq ans, alors que les réfugiés devaient le faire chaque année; ils s’étaient intégrés à la société tadjike; leur preuve concernant la discrimination (y compris l’intimidation, la corruption et le harcèlement) était vague et de nature générale; ils avaient pu obtenir un emploi et faire des études; ils avaient le droit de vivre dans la capitale, Douchanbé, contrairement à la plupart des demandeurs d’asile et des non-titulaires de permis; il n’y a pas d’emplois offerts ou créés par le gouvernement tadjik pour les réfugiés, qui doivent subvenir à leurs propres besoins sans l’aide des services sociaux, ce qui n’est pas si différent de la situation au Canada, où ils devraient également subvenir à leurs besoins.
[22] Bien que je reconnaisse que, comme l’avocat du demandeur le soutient, chaque affaire doit être examinée en fonction de ses propres faits, je cite les conclusions tirées dans l’affaire Hayatullah pour rejeter l’affirmation selon laquelle, en l’espèce, les conclusions de l’agent concernant la situation dans le pays sont déraisonnables. Dans la présente affaire, d’après les notes détaillées sur l’entrevue et les commentaires sur la réponse à la lettre d’équité procédurale versés dans le SMGC, l’agent s’est montré sensible à la situation au Tadjikistan et à celle des demandeurs, et a pris acte que la population d’origine afghane y était confrontée à « une certaine discrimination »
. En outre, par divers commentaires, tel que celui selon lequel le statut des demandeurs i) n’équivalait pas à la citoyenneté, mais ii) leur permettait de circuler librement, ce que ne pouvaient pas faire les demandeurs d’asile et les réfugiés, il a également démontré qu’il était bien au fait du statut accordé aux demandeurs et de leur situation au Tadjikistan.
[23] Au paragraphe 30 de la décision Saifee, sur laquelle les demandeurs se sont appuyés, le juge Mainville a expressément reconnu que l’on peut supposer que l’agent soit connaissait la situation dans le pays, soit pouvait facilement avoir accès à la documentation sur celui-ci. En l’espèce, il n’est pas nécessaire de le supposer. L’agent a démontré qu’il avait apprécié les nuances en ce qui a trait aux titulaires de permis de résidence, comme les demandeurs, au Tadjikistan et à la situation dans laquelle ils se trouvaient. Il n’y a pas lieu de modifier ses conclusions concernant la preuve relative à la situation dans le pays.
(b)
Les conclusions concernant la possibilité d’une solution durable pour les demandeurs étaient raisonnables
[24] Comme deuxième argument, les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur en concluant que, vu le temps qu’ils avaient passé au Tadjikistan, ils s’y étaient intégrés localement et y disposaient d’une solution durable, et que l’agent a fait abstraction de leur témoignage et de la preuve sur la situation dans le pays, qui faisait état des difficultés auxquelles y sont confrontés les Afghans. Encore là, je ne puis en convenir.
[25] Premièrement, et en cela mon analyse est semblable à celle du premier argument, les demandeurs ne m’ont pas convaincu qu’il y a une raison de considérer que l’agent avait fait abstraction de leur témoignage ou de leur preuve relative à la situation dans le pays.
[26] L’agent a pris acte des diverses préoccupations que les demandeurs ont exprimées au sujet de leur situation personnelle lors de l’entrevue et dans leur réponse à la lettre d’équité procédurale, et il y a explicitement répondu. Dans ses notes consignées dans le SMGC en janvier 2021, il a traité en particulier de la situation au Tadjikistan, en mentionnant : le statut du pays en tant que signataire de la Convention relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 RTNU 137 (la Convention); les conditions d’emploi difficiles; les restrictions concernant les déplacements imposées aux demandeurs d’asile, mais pas aux résidents permanents; l’application universelle des lois sur l’expression religieuse. Selon les demandeurs, toutes ces conclusions sont viciées. Je souligne que le fait que l’agent n’ait pas accordé autant de poids que les demandeurs l’auraient souhaité à un élément de preuve en particulier qu’ils jugeaient important n’est pas suffisant pour laisser entendre qu’il a [traduction] « fait complètement abstraction »
de la preuve relative à la situation dans le pays.
[27] Deuxièmement, je souscris aux observations du défendeur selon lesquelles l’agent n’a tout simplement jamais disposé du moindre élément de preuve concernant les problèmes personnels dont se plaignaient les demandeurs, qu’il s’agisse de la discrimination en milieu de travail ou de l’interdiction d’inscrire un enfant à l’école, de trouver un logement ou de voyager librement à l’intérieur du pays. Les demandeurs n’ont pas pu voyager à l’étranger autant qu’ils l’auraient souhaité, mais il ne s’agit pas d’un critère d’une solution durable. Assurément, ils n’ont présenté aucun élément de preuve démontrant que, s’ils décidaient de quitter le Tadjikistan, le gouvernement ne leur permettrait pas d’y revenir. Une preuve suffisante à ces égards aurait peut-être convaincu l’agent qu’ils n’y ont jamais disposé d’une solution durable, mais une telle preuve faisait défaut.
[28] En outre, les demandeurs font valoir que, même si elle décrivait la situation plus générale des réfugiés afghans au Tadjikistan, la preuve, examinée globalement, établissait qu’ils satisfaisaient aux exigences de l’alinéa 139(1)d) du Règlement. Cependant, je souligne que cette disposition du Règlement exige que l’étranger qui présente une demande de résidence permanente démontre qu’aucune possibilité raisonnable de solution durable, à savoir le rapatriement volontaire ou la réinstallation dans un pays autre que le Canada, n’est à son égard réalisable dans un délai raisonnable.
[29] L’examen de ce critère est prospectif. Le terme « solution durable »
n’est défini ni dans la Loi ni dans le Règlement (Kediye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 888 au para 12). Néanmoins, la Convention et le guide opérationnel OP 5 (Sélection et traitement à l’étranger des cas de réfugiés au sens de la Convention outre-frontières et de personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières) (le guide OP 5) de Citoyenneté et Immigration Canada peuvent servir de guide pour décider si un agent a raisonnablement conclu qu’une solution durable était réalisable (voir Al-Anbagi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 273 aux para 16-18 [Al-Anbagi]).
[30] Bien que les manuels de politiques comme le guide OP 5 ne lient ni l’agent ni la Cour, ils peuvent néanmoins éclairer utilement l’objet et le sens de la Loi et du Règlement (Saifee, au para 31; Al-Anbagi, au para 18). Le guide OP 5 indique précisément que « [l]e statut juridique à titre de résident à long terme est un indicateur clé de l’intégration locale »
(guide OP 5, à la p 54; Al-Anbagi, au para 21). De plus, il contient des questions visant à aider les agents des visas à évaluer si l’intégration locale du demandeur satisfait à des normes minimales. Il s’agit par exemple de vérifier s’il : i) risque d’être refoulé ou expulsé; ii) est fondé à craindre d’être persécuté dans le pays d’accueil; iii) peut ou devrait, dans un délai raisonnable, pouvoir participer à l’économie, louer un logement ou acquérir une propriété; iv) est libre de circuler dans le pays d’accueil.
[31] En l’espèce, il ressort clairement d’un examen du compte rendu de la décision contestée que, contrairement à ce que font valoir les demandeurs, l’agent ne s’est pas uniquement arrêté au fait qu’ils étaient des résidents à long terme du Tadjikistan, et ce, même si le fait qu’ils y avaient vécu de façon continue pendant plus d’une décennie avait une importance certaine. Il a plutôt examiné de manière globale l’ensemble des circonstances, y compris la possibilité de pratiquer leur religion.
[32] En particulier, des questions que l’agent a posées lors de l’entrevue, des réserves soulevées au cours de l’entrevue et dans la lettre d’équité procédurale et, enfin, de la décision contestée, y compris de l’analyse des réponses à la lettre d’équité procédurale, il ressort très clairement que l’agent s’est arrêté, outre leur long séjour dans le pays, à la possibilité pour eux de participer de manière générale à la société, y compris leur droit de travailler, de faire des études et de voyager à l’intérieur du pays. Les demandeurs ont confirmé qu’ils avaient un logement, qu’ils avaient accès à l’éducation, qu’ils pouvaient voyager à l’intérieur du pays et qu’ils ne risquaient pas d’être expulsés. Les problèmes qu’ils ont soulevés, dont la difficulté de trouver un emploi (dans un marché de l’emploi anémique) et la question du port du hijab dans les lieux publics, touchent toutes les personnes de nationalité tadjike.
[33] Pour conclure sur ce point, et notamment parce que la situation décrite par l’agent n’était pas parfaite, étant donnée, par exemple, l’existence de disparités en matière de logement et de coût des études, et même une certaine discrimination, je souligne qu’une solution durable ne doit pas nécessairement être parfaite (Gebreselasse c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 865 au para 2). En effet, une solution durable peut exister malgré l’existence d’un risque généralisé (Hassan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 531 au para 19).
[34] En l’espèce, tout au plus, les demandeurs ont démontré que leur situation, dans un contexte de risque généralisé, était imparfaite. Tout comme une solution durable, l’explication de l’agent ne doit pas nécessairement être parfaite. Cependant, elle était suffisamment convaincante et rationnelle pour rendre la justification et l’issue raisonnables.
V.
Conclusion
[35] Les demandeurs ne m’ont pas convaincu qu’une erreur susceptible de contrôle avait été commise en l’espèce : le raisonnement de l’agent est logique et possède les indices du caractère raisonnable à la lumière de l’ensemble de la preuve. Par conséquent, la demande sera rejetée.
JUGEMENT dans le dossier IMM-2021-20
LA COUR STATUE :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée;
Aucuns dépens ne sont adjugés;
Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.
« Alan S. Diner »
Juge
Traduction certifiée conforme
N. Belhumeur
Annexe A – Dispositions applicables
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27
Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27
Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227
Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002-227
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-2021-20
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INTITULÉ :
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RAHIMA MUHAMMAD HASHEM, HANIFA M. YOSUF, ZABIULLAH MOHAMMAD YUSOF, SAMANA ABDUL HUSSAIN, RAIHAN ZABIULLAH et KASRA ZABIULLAH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR TÉLÉCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 4 MAI 2022
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE DINER
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DATE DES MOTIFS :
|
LE 9 MAI 2022
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COMPARUTIONS :
Mohammad Hadi Hakimi
|
POUR LES DEMANDEURS
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Adam Lupinacci
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POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Mohammad Hadi Hakimi
Avocat
Ottawa (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURS
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Procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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