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Date : 20220427


Dossier : T‑1156‑21

Référence : 2022 CF 621

[TRADUCTION FRANÇAISE]

St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador), le 27 avril 2022

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

SALTSTREAM ENGINEERING LTD.

demanderesse

et

 

LA MINISTRE DES PÊCHES, DES OCÉANS ET DE LA GARDE CÔTIÈRE CANADIENNE

défenderesse

 

ALEXANDRA MORTON, LA FONDATION DAVID SUZUKI,

LA GEORGIA STRAIT ALLIANCE, LA LIVING OCEANS SOCIETY

et LA WATERSHED WATCH SALMON SOCIETY

intervenants

 

MOTIFS ET JUGEMENT

I. INTRODUCTION

[1] Par avis de demande soumis le 22 juillet 2021, modifié avec autorisation conformément à l’ordonnance rendue par la juge Aylen le 7 septembre 2021, Saltstream Engineering Ltd. (Saltstream) sollicite le contrôle judiciaire de la décision prise le 29 juin 2021 (la décision) par la ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne (la ministre).

[2] Dans cette décision, la ministre a refusé la demande de permis présentée par Saltstream en vertu de l’article 56 du Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/93‑53 (le Règlement), pour le transfert de 10 000 saumons chinooks juvéniles de son écloserie aux parcs d’eau salée adjacents. La filiale de Saltstream, 622335 BC Ltd., détient un permis d’aquaculture pour ces parcs d’eau salée.

[3] Saltstream sollicite les réparations suivantes :

  • 1 un jugement déclaratoire portant que la décision est invalide;

  • 2 une ordonnance de certiorari annulant la décision;

  • 3 une ordonnance de mandamus enjoignant à la ministre de délivrer à Saltstream Engineering, en vertu de l’article 56, un permis de transfert dans les deux jours ouvrables;

  • 4 les dépens de la demande;

  • 5 toute autre réparation que les avocats peuvent réclamer et que la Cour estime indiquée.

[4] Aux termes d’une ordonnance rendue le 4 octobre 2021, Alexander Morton, la Fondation David Suzuki, la Georgia Strait Alliance, la Living Oceans Society et la Watershed Watch Salmon Society (collectivement, la Coalition de conservation) ont obtenu l’autorisation d’intervenir dans la présente demande de contrôle judiciaire.

II. CONTEXTE

A. Les parties

[5] Saltstream exploite une ferme d’élevage de saumons dans les îles Discovery, qui sont un groupe d’îles situées entre la côte est de l’île de Vancouver et la partie continentale de la Colombie‑Britannique.

[6] Saltstream élève des saumons chinooks. L’entreprise possède une installation d’élevage et une écloserie dans les îles Discovery, à Doctor Bay et à la ferme de Doctor Bay, respectivement.

[7] La ministre est responsable de la gestion et du contrôle des pêches au Canada, y compris de la conservation et de la protection du poisson et de son habitat.

B. Processus de pisciculture de Saltstream

[8] Suivant la preuve, la province de la Colombie‑Britannique délivre des permis pour les sites de pisciculture en vertu de la Land Act, RSBC 1996, c 245. La ministre délivre des permis d’exploitation d’installations d’aquaculture en vertu de l’article 3 du Règlement du Pacifique sur l’aquaculture, DORS/2010‑270, pris en application de la Loi sur les pêches, RSC 1985, c F‑14 (la Loi).

[9] Les paragraphes qui suivent décrivent de façon générale le processus de pisciculture suivi par Saltstream.

[10] Le processus de pisciculture commence par la collecte des œufs du stock de « géniteurs », c’est‑à‑dire de saumons choisis pour engendrer les prochaines générations de poissons. On transfère ensuite les œufs vers les écloseries, où ils sont incubés jusqu’à leur éclosion.

[11] Les œufs récemment éclos sont appelés « alevins ». Les alevins sont transférés dans des réservoirs d’eau douce où ils poursuivent leur croissance jusqu’à ce qu’ils atteignent la taille de petits poissons. On appelle ces petits poissons « tacons ».

[12] Les tacons demeurent dans les écloseries pendant douze à quatorze mois, jusqu’à ce que commence la « smoltification ». La smoltification est le processus par lequel les tacons subissent des changements physiques et physiologiques nécessaires pour leur permettre de migrer vers les eaux salées. Une fois cette transition terminée, les poissons sont appelés « saumoneaux ».

[13] Les saumoneaux sont transférés des écloseries d’eau douce à des parcs d’eau salée situés dans les eaux de Doctor Bay. Le transfert doit se faire dans la semaine qui suit la smoltification et il nécessite un permis de transfert en vertu de l’article 56.

[14] Les saumoneaux restent dans le parc d’eau salée pendant dix‑huit à vingt‑quatre mois.

[15] Après cette période de dix‑huit à vingt‑quatre mois, les saumoneaux auront atteint la taille commerciale optimale et seront prêts à être récoltés et transportés hors de la ferme d’élevage.

C. Contexte

[16] Dans un communiqué de presse publié le 17 décembre 2020 (le communiqué de presse), la ministre a annoncé son intention :

  • - d’éliminer progressivement les exploitations de salmoniculture existantes dans les îles Discovery, en tenant compte que la période de 18 mois à venir est la dernière fois que des permis seront délivrés pour cette zone;

  • - de prescrire qu’aucun nouveau poisson, quelle que soit sa taille, ne puisse être introduit dans les exploitations des îles Discovery pendant cette période;

  • - d’exiger que toutes les exploitations soient exemptes de poissons d’ici le 30 juin 2022; mais de préciser que les poissons existants sur les sites peuvent achever leur cycle de croissance et être capturés.

[17] Saltstream, Mowi Canada West Inc. (Mowi), Cermaq Canada Ltd. (Cermaq) et Grieg Seafood B.C. Ltd. (Grieg) ont toutes des exploitations piscicoles sur les îles Discovery. Elles ont demandé, dans le cadre d’une demande conjointe présentée dans le dossier T‑129‑21 (la demande conjointe), le contrôle judiciaire du communiqué de presse.

[18] En avril 2021, dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire susmentionnée, Saltstream a obtenu une injonction interdisant la mise en application du deuxième volet du communiqué de presse portant sur la cessation du transfert de poissons vers des installations d’aquaculture autorisées dans les îles Discovery (voir Mowi Canada West Inc., Cermaq Canada Ltd., Grieg Seafood B.C. Ltd., et 622 335 British Columbia Ltd. c Ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne, 2021 CF 293 (Mowi).

[19] Par lettre datée du 27 avril 2021, le ministère des Pêches et des Océans (le MPO) a informé Saltstream de l’instauration d’un nouveau processus de traitement des demandes de permis de transfert présentées en vertu de l’article 56. Ce nouveau processus prévoyait la tenue de consultations avec les Premières Nations et la possibilité pour le demandeur de permis de présenter par la suite des observations pour répondre aux préoccupations soulevées.

[20] Saltstream a présenté le 3 mai 2021 une demande de permis de transfert en vertu de l’article 56. Le MPO a consulté les Premières Nations Homalco et Tla’amin (les Nations sœurs). Un résumé des consultations et de la réponse de Saltstream a été soumis à la ministre dans la note datée du 29 juin 2021 (la note).

[21] La note recommandait à la ministre, en conclusion, d’approuver la demande de permis de transfert de Saltstream, sous réserve d’une modification qui avait déjà été convenue.

[22] Dans sa décision, la ministre a refusé cette recommandation et rejeté la demande.

III. LE DOSSIER CERTIFIÉ DU TRIBUNAL

[23] La décision de la ministre était fondée sur son examen des documents versés au dossier certifié du tribunal (le DCT) qui avait été produit conformément à l’alinéa 318(1)a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles).

[24] Le DCT a été préparé par Mme Cindy Scale. Il comprend l’attestation suivante, qui a été signée le 5 août 2021 :

[traduction]

Je, Cindy Scale, du bureau du sous‑ministre de Pêches et Océans Canada, ministère des Pêches et des Océans du Canada, d’Ottawa, dans la province de l’Ontario, atteste par la présente que les documents joints à la présente attestation sont des copies conformes des documents qui ont été soumis à l’honorable Bernadette Jordan, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne lorsqu’elle a pris sa décision en réponse à la demande présentée le 3 mai 2021 en vue de transférer des poissons vivants de leur écloserie de Doctor Bay à l’installation de Doctor Bay située dans la région des îles Discovery, en Colombie‑Britannique.

[25] Le DCT, qui compte 50 pages, est composé des documents suivants :

  • - Note à l’intention de la ministre — Demande de transfert de saumons d’élevage vivants des installations de Saltstream Engineering aux îles Discovery, datée du 29 juin 2021;

  • - Demande de Saltstream Engineering Ltd. pour l’introduction ou le transfert de saumons dans des installations de pisciculture marine, datée du 3 mai 2021;

  • - Programme de réglementation de l’aquaculture en Colombie‑Britannique — évaluation du transfert proposé de poissons vivants dans un environnement marin ou entre sites marins en vertu de l’article 56 du Règlement de pêche (dispositions générales);

  • - Note à l’intention de la ministre — Mode de consultation pour les demandes de transferts de poissons marins dans les îles Discovery, datée du 23 avril 2021;

  • - Résumé des consultations et autres points de vue;

  • - Analyses des demandes par le MPO;

  • - Ébauche de lettre de la ministre Bernadette Jordan à Robert W. Smeal, Saltstream Engineering Ltd. (non signée);

  • - Lettre de la ministre Bernadette Jordan à Robert W. Smeal, Saltstream Engineering Ltd. (signée), datée du 29 juin 2021.

IV. LA PREUVE

[26] Les faits et les détails qui suivent sont tirés du DCT et des affidavits déposés par les parties.

A. Les affidavits

[27] Saltstream a déposé les trois affidavits suivants :

  • - l’affidavit souscrit le 15 mars 2021 par M. Robert Smeal;

  • - l’affidavit souscrit le 11 août 2021 par M. Robert Smeal;

  • - l’affidavit souscrit le 18 août 2021 par Mme Jamilla Ng.

[28] La ministre a déposé les deux affidavits suivants :

  • - l’affidavit souscrit le 9 septembre 2021 par Mme Tracey Sandgathe;

  • - l’affidavit souscrit le 22 septembre 2021 par Mme Tracey Sandgathe.

[29] La Coalition de conservation n’a pas soumis d’affidavit dans la présente instance. Aux fins de sa requête en intervention, elle s’est fondée sur l’affidavit suivant déposé par la ministre dans la présente instance :

  • - Affidavit souscrit le 9 septembre 2021 par Mme Tracey Sandgathe.

B. Les déposants

[30] M. Smeal est président, secrétaire et administrateur unique de 622 335 British Columbia Ltd. Dans son premier affidavit, il fait l’historique de l’établissement de la ferme d’élevage de saumons de Doctor Bay, dans les îles Discovery. Il passe également en revue l’historique des relations de son entreprise avec les communautés des Premières Nations environnantes.

[31] M. Smeal a fourni une description détaillée de l’exploitation piscicole de l’entreprise, qui ne se concentre que sur la production de saumons chinook. Il a expliqué la différence entre le saumon chinook et le saumon atlantique. Il a indiqué que le site de Doctor Bay est exempt de maladies et de poux du poisson depuis sa création.

[32] M. Smeal a également relaté son expérience dans le cadre du processus de consultation et s’est dit d’avis que le processus était insuffisant. Il a expliqué l’incidence de la décision sur son entreprise, ainsi que sur les poissons actuellement dans le cycle de production.

[33] Dans son deuxième affidavit, M. Smeal a expliqué que Saltstream détient un permis pour l’écloserie de la ferme de Doctor Bay, qui constitue la totalité de l’entreprise aquacole de Saltstream. M. Smeal a expliqué comment il vit à la ferme de Doctor Bay.

[34] M. Smeal a expliqué que tout retard dans l’instruction de la demande de contrôle judiciaire serait préjudiciable à Saltstream en raison de l’incertitude qui en résulterait pour ses revenus personnels et son logement et des pertes financières qui pourraient en découler. M. Smeal a expliqué en quoi le moment où la décision sera rendue dans le cadre du contrôle judiciaire aura une incidence sur l’exploitation piscicole.

[35] Mme Ng est adjointe juridique au cabinet d’avocats qui représente Saltstream. Elle a joint les annexes qui accompagnaient les affidavits souscrits par Mme Sandgathe et M. Foulds à l’appui de la demande conjointe.

[36] Mme Sandgathe est la directrice régionale par intérim de la Direction de la gestion des écosystèmes du MPO. Mme Sandgathe était auparavant directrice de la gestion de l’aquaculture au MPO. Mme Sandgathe est chargée de la réglementation de l’industrie de l’aquaculture en Colombie‑Britannique.

[37] Dans son premier affidavit, Mme Sandgathe a décrit le processus de délivrance de permis de transfert de poissons vivants d’une installation aquacole à l’autre. Elle a expliqué que les demandes de transfert étaient d’abord reçues par le Comité des introductions et des transferts de la Colombie‑Britannique (le BC ITC), après quoi une recommandation était formulée et envoyée à la ministre, ou à son délégué, pour décider si le permis de transfert devrait être délivré. Mme Sandgathe a énuméré les facteurs et les considérations dont on tient compte pour prendre une décision au sujet d’un permis de transfert.

[38] Mme Sandgathe a décrit le contexte historique et politique de la pisciculture, ainsi que la décision prise en décembre 2020 par la ministre au sujet de l’aquaculture dans les îles Discovery. Mme Sandgathe a également parlé des demandes de transfert reçues après la décision de décembre 2020.

[39] Dans son second affidavit, Mme Sandgathe a joint les réponses aux questions soumises par Saltstream. Elle a également joint des extraits de l’entente définitive conclue avec la Première Nation Tla’amin. Ces documents étaient annexés à son affidavit.

C. Contre‑interrogatoires

[40] En l’espèce, la ministre s’est appuyée sur la transcription du contre‑interrogatoire de M. Smeal qui a eu lieu lors de l’instruction de la demande conjointe.

V. LES OBSERVATIONS

A. Observations de Saltstream

[41] Saltstream fait valoir que la décision relative au transfert ne respecte pas la norme établie dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov (2019), 441 DLR (4th) 1 (CSC). Elle estime que la décision n’est pas suffisamment motivée.

B. Observations de la ministre

[42] La ministre reconnaît que la décision est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable. Elle fait par ailleurs valoir que l’appréciation du « caractère raisonnable » doit reposer sur les facteurs énumérés dans l’arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c Canada, [1982] 2 RCS 2.

[43] La ministre estime que, si elle conclut que la décision n’est pas déraisonnable, la Cour ne peut accorder à titre de réparation un bref de mandamus, puisque Saltstream ne satisfait pas au critère qui lui permettrait d’obtenir cette réparation.

C. Observations de la Coalition de conservation

[44] Dans ses observations, la Coalition de conservation se concentre sur le rôle que joue le principe de précaution lorsqu’il s’agit d’évaluer si la décision est raisonnable.

[45] À l’instar de la ministre, la Coalition de conservation affirme que le bref de mandamus n’est pas la réparation appropriée.

VI. DISCUSSION ET DÉCISION

[46] La présente instance porte sur la décision par laquelle la ministre a refusé la demande de permis de transfert présentée par Saltstream en vertu du Règlement. Le contexte juridique général de la décision est la Loi.

[47] Le paragraphe 7(1) de la Loi confère à la ministre le pouvoir de délivrer des permis. Il est ainsi libellé :

Baux, permis et permis de pêche

Fishery leases and licences

7 (1) En l’absence d’exclusivité du droit de pêche conférée par la loi, le ministre peut, à discrétion, délivrer des baux et permis de pêche ainsi que des licences d’exploitation de pêches — ou en permettre la délivrance —, indépendamment du lieu de l’exploitation ou de l’activité de pêche

7 (1) Subject to subsection (2), the Minister may, in his absolute discretion, wherever the exclusive right of fishing does not already exist by law, issue or authorize to be issued leases and licences for fisheries or fishing, wherever situated or carried on.

[48] La Cour suprême du Canada s’est penchée sur le vaste pouvoir discrétionnaire de la ministre en matière de délivrance de permis dans l’affaire Comeau’s Sea Food Ltd. c Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1997] 1 RCS 12.

[49] Les articles 55 et 56 du Règlement sont pertinents pour la délivrance des permis de transfert. Ils disposent :

Libération ou transfert de poissons

Release or Transfer of Fish

55 (1) Sous réserve du paragraphe (2), il est interdit à quiconque, à moins d’y être autorisé en vertu d’un permis :

55 (1) Subject to subsection (2), no person shall, unless authorized to do so under a licence,

a) de libérer des poissons vivants dans tout habitat du poisson;

(a) release live fish into any fish habitat; or

b) de transférer des poissons vivants dans des installations d’élevage.

(b) transfer any live fish to any fish rearing facility.

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas au poisson qui est immédiatement remis dans l’eau où il vient d’être pris.

(2) Subsection (1) does not apply in respect of fish that is immediately returned to the waters in which it was caught.

Permis pour libérer ou transférer des poissons

Licence to Release or Transfer Fish

56 Le ministre peut délivrer un permis dans le cas où :

56 The Minister may issue a licence if

a) la libération ou le transfert des poissons est en accord avec la gestion et la surveillance judicieuses des pêches;

(a) the release or transfer of the fish would be in keeping with the proper management and control of fisheries;

b) les poissons sont exempts de maladies et d’agents pathogènes qui pourraient nuire à la protection et à la conservation des espèces;

(b) the fish do not have any disease or disease agent that may be harmful to the protection and conservation of fish; and

c) la libération ou le transfert ne risque pas d’avoir un effet néfaste sur la taille du stock de poisson ou sur les caractéristiques génétiques du poisson ou des stocks de poisson.

(c) the release or transfer of the fish will not have an adverse effect on the stock size of fish or the genetic characteristics of fish or fish stocks.

[50] Dans la décision Morton c Canada (Ministre des Pêches et des Océans) (2015), 480 FTR 148, au paragraphe 97, le juge Rennie a formulé les commentaires suivants au sujet de l’objet de l’article 56 du Règlement :

À mon avis, l’alinéa 56b) du RPDG, interprété correctement, donne corps au principe de précaution. Premièrement, l’alinéa 56b) interdit au ministre de délivrer un permis de transfert si une maladie ou des agents pathogènes sont présents qui « pourraient nuire à la protection et à la conservation des espèces ». Le membre de phrase « pourraient nuire » n’exige pas une certitude scientifique, et d’ailleurs, il n’exige même pas que le transfert puisse vraisemblablement être nuisible. Dans le même ordre d’idées, le membre de phrase « de maladies et d’agents pathogènes » à l’alinéa 56b) ne devrait pas être interprété comme exigeant un consensus scientifique unanime selon lequel un agent pathogène (p. ex. le RVP) est la cause de la maladie (p. ex. le HSMI).

[51] Saltstream et la ministre ne s’entendent pas sur ce en quoi « consiste » la décision. Elles divergent également d’opinion sur la teneur de la norme de la « décision raisonnable ».

[52] Saltstream affirme que la lettre du 29 juin 2021 par laquelle sa demande de permis de transfert a été refusée constitue « la » décision.

[53] La ministre soutient pour sa part que la décision se compose à la fois de la lettre et de la note qui lui a été adressée et qui a été versée au DCT.

[54] En l’espèce, la ministre a motivé par écrit sa décision dans la lettre du 29 juin 2021. La note versée au DCT fait partie des documents qui lui ont été soumis avant qu’elle ne prenne sa décision.

[55] À mon avis, c’est la lettre du 29 juin 2021 qui constitue la décision, et cette décision doit être interprétée à la lumière du dossier dont la ministre était saisie. Voici à cet égard ce qu’on lit dans l’arrêt Vavilov, précité, aux paragraphes 94 et 95 :

La cour de révision doit également interpréter les motifs du décideur en fonction de l’historique et du contexte de l’instance dans laquelle ils ont été rendus. Elle peut considérer, par exemple, la preuve dont disposait le décideur, les observations des parties, les politiques ou lignes directrices accessibles au public dont a tenu compte le décideur et les décisions antérieures de l’organisme administratif en question. Cela peut expliquer un aspect du raisonnement du décideur qui ne ressort pas à l’évidence des motifs eux‑mêmes; cela peut aussi révéler que ce qui semble être une lacune des motifs ne constitue pas en définitive un manque de justification, d’intelligibilité ou de transparence […]

[…]

Cela dit, les cours de révision doivent garder à l’esprit le principe suivant lequel l’exercice de tout pouvoir public doit être justifié, intelligible et transparent non pas dans l’abstrait, mais pour l’individu qui en fait l’objet. Il serait donc inacceptable qu’un décideur administratif communique à une partie concernée des motifs écrits qui ne justifient pas sa décision, mais s’attende néanmoins à ce que sa décision soit confirmée sur la base de dossiers internes qui n’étaient pas à la disposition de cette partie.

[56] Saltstream fait valoir que la décision est assujettie à la norme de contrôle énoncé dans l’arrêt Vavilov, précité, au paragraphe 99, qui exige que la décision soit justifiée, transparente et intelligible.

[57] La ministre soutient toutefois que, compte tenu du caractère discrétionnaire de la décision, les facteurs énoncés dans l’arrêt Maple Lodge, précité, s’appliquent. À cet égard, elle invoque le jugement Barry Seafoods NB Inc. c Canada (Pêches, Océans et Garde côtière), 2021 CF 725 (Barry Seafoods 2021).

[58] Selon l’arrêt Maple Lodge, précité, pour conclure qu’une décision discrétionnaire est déraisonnable, l’un des facteurs suivants doit être présent :

  1. mauvaise foi;

  2. non‑respect des principes de justice naturelle exigés par la loi;

  3. prise en compte de facteurs non pertinents ou étrangers à l’objet de la loi.

[59] Je suis d’accord avec Saltstream pour dire que le contrôle selon la norme de la décision raisonnable ne se limite plus aux facteurs énoncés dans l’arrêt Maple Lodge, précité. Je me reporte à l’arrêt Portnov c Canada (Procureur général) (2021), 461 DLR (4th) 130, dans lequel la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit au paragraphe 25 :

Aujourd’hui, le cadre utilisé pour faire le contrôle du fond d’un processus décisionnel administratif est celui défini dans l’arrêt Vavilov. Ce cadre se veut vaste et exhaustif; une « révision globale du cadre d’analyse qui sert à déterminer la norme de contrôle applicable » (par. 143). Nous devons nous fonder sur l’arrêt Vavilov, et non sur des décisions comme l’arrêt Katz : nous devons « d’abord [nous] en remettre aux [...] motifs [de l’arrêt Vavilov] pour savoir comment s’applique [l]e cadre général [énoncé dans l’arrêt Vavilov] dans [une] affaire » (ibid.).

[60] Il s’ensuit que la ministre a tort d’invoquer le jugement Barry Seafoods 2021, précité.

[61] Pour reprendre les termes employés dans l’arrêt Vavilov, précité, la Cour doit, en l’espèce, déterminer si la décision est « justifiée, intelligible et transparente ».

[62] Saltstream soutient que la décision ne satisfait pas au critère de la décision raisonnable, et ce, pour plusieurs raisons.

[63] Saltstream affirme que, dans sa décision, la ministre fait référence à des observations que Saltstream n’avait pas formulées au sujet de sa demande de permis de transfert. Elle relève notamment le fait que la décision mentionne la [traduction] « prise en compte » du point de vue de la Première Nation de Klahoose, alors que cette dernière n’a pas présenté d’observations au sujet de la demande de permis.

[64] Saltstream se plaint également du fait que la décision fait référence au [traduction] « point de vue » de la ministre sur l’enseignement à tirer des données scientifiques disponibles selon lesquelles [traduction] « les risques pour les poissons sauvages découlant du piscine orthoreovirus, du tenacibaculum maritium et du pou du poisson sont faibles ».

[65] Saltstream affirme que, comme il en ressort des résumés joints à la note qu’elle a adressée à la ministre, elle n’a pas commenté les données scientifiques concernant ces parasites et ces pathogènes. Elle a plutôt fait valoir que les parasites [traduction] « préoccupants » ne constituaient pas un problème à Doctor Bay.

[66] Saltstream affirme que ces erreurs démontrent que la ministre n’a pas tenu compte des observations qu’elle avait présentées dans le cadre de sa demande de permis de transfert.

[67] La ministre répond que ces erreurs ne sont que des « fautes de frappe ».

[68] Je ne suis pas de cet avis.

[69] Je conviens avec Saltstream que ces déclarations, que l’on trouve dans la décision, sont des erreurs qui exigent que l’on vérifie si la ministre a tenu compte des observations que Saltstream avait formulées à l’appui de la demande de permis de transfert qu’elle avait présentée en vertu de l’article 56. Je cite de nouveau l’arrêt Vavilov, précité, au paragraphe 127, où la Cour suprême du Canada déclare ce qui suit :

[…] [l]a notion de « motifs adaptés aux questions et préoccupations soulevées » est inextricablement liée à ce principe étant donné que les motifs sont le principal mécanisme par lequel le décideur démontre qu’il a effectivement écouté les parties.

[70] Je m’appuie également sur le paragraphe 102 de l’arrêt Vavilov, précité, où la Cour suprême du Canada explique qu’une décision raisonnable :

[…] doit être fondée sur un raisonnement à la fois rationnel et logique […] [L]a cour de révision doit être en mesure de suivre le raisonnement du décideur sans buter sur une faille décisive dans la logique globale […]

[71] Compte tenu des enseignements de l’arrêt Vavilov, précité, je conclus que la mention des « observations » que, selon la décision, Saltstream aurait faites, alors que cette dernière n’a présenté aucune observation de ce genre, n’est pas rationnelle et constitue une faille dans la « logique globale » de la décision.

[72] Saltstream soutient également que la ministre n’a pas bien compris les faits concernant ses activités et l’importance pour elle d’obtenir le permis de transfert pour être en mesure de poursuivre ses activités.

[73] Selon Saltstream, la ministre a fourni une réponse générique à sa demande de permis de transfert, sans tenir compte des aspects particuliers et uniques de ses activités à Doctor Bay, qui la différencient des grandes exploitations des autres participants à la salmoniculture. Selon la preuve, Saltstream est une petite entreprise familiale dans laquelle M. Smeal a investi toute sa vie et toutes ses ressources.

[74] Saltstream souligne qu’à quelques exceptions près, elle a reçu la même décision que celle qui a été communiquée à Cermaq, qui avait également présenté des demandes de permis de transfert le 6 janvier 2021, le 16 février 2021, le 16 avril 2021 et le 30 avril 2021.

[75] Je suis d’accord avec ces observations. La décision motivée ne démontre pas que la ministre « s’est attaquée » à ces faits, en l’occurrence les faits concernant le caractère unique de l’exploitation de Saltstream et l’incidence que la décision aurait sur elle. Je me reporte au paragraphe 128 de l’arrêt Vavilov, où la Cour suprême dit ceci :

[…] [L]e fait qu’un décideur n’ait pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties permet de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise […]

[76] Je me réfère également aux paragraphes 133 à 135 de l’arrêt Vavilov, où la Cour suprême déclare ce qui suit :

Il est bien établi que les individus ont droit à une plus grande protection procédurale lorsque la décision sous examen est susceptible d’avoir des répercussions personnelles importantes ou de leur causer un grave préjudice : Baker, par. 25. Toutefois, ce principe a également une incidence sur la manière dont une cour de justice effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Le point de vue de la partie ou de l’individu sur lequel l’autorité est exercée est au cœur de la nécessité d’une justification adéquate. Lorsque la décision a des répercussions sévères sur les droits et intérêts de l’individu visé, les motifs fournis à ce dernier doivent refléter ces enjeux. Le principe de la justification adaptée aux questions et préoccupations soulevées veut que le décideur explique pourquoi sa décision reflète le mieux l’intention du législateur, malgré les conséquences particulièrement graves pour l’individu concerné. Cela vaut notamment pour les décisions dont les conséquences menacent la vie, la liberté, la dignité ou les moyens de subsistance d’un individu.

En outre, les préoccupations relatives à l’arbitraire sont généralement plus prononcées dans les cas où la décision a des conséquences particulièrement graves ou sévères pour la partie visée et le défaut de traiter de ces conséquences peut fort bien se révéler déraisonnable […

Bon nombre de décideurs administratifs se voient confier des pouvoirs extraordinaires sur la vie de gens ordinaires, dont beaucoup sont parmi les plus vulnérables de notre société. Le corollaire de ce pouvoir est la responsabilité accrue qui échoit aux décideurs administratifs de s’assurer que leurs motifs démontrent qu’ils ont tenu compte des conséquences d’une décision et que ces conséquences sont justifiées au regard des faits et du droit.

[77] Saltstream signale que la note contenait une recommandation du MPO d’accorder le permis de transfert. Elle fait valoir que, lorsqu’un décideur s’écarte de la ligne de conduite recommandée, il doit s’expliquer. Je suis du même avis.

[78] Je me reporte à la décision Wilkinson c Canada (2014), 460 FTR 175, aux paragraphes 20, 44 et 45, où la Cour a déclaré ce qui suit au sujet de la décision de l’administrateur général de ne pas retenir la conclusion du Comité de règlement des griefs de classification :

Les Comités de règlement des griefs de classification ont une grande expertise et leurs décisions doivent faire l’objet d’un haut niveau de déférence (décisions Beauchemin et McEvoy, précitées). Dans l’affaire qui nous occupe, l’administrateur général a choisi de rejeter la conclusion du Comité. Il en a certainement le droit même si cela se produit très peu souvent comme l’a reconnu le défendeur. Il se peut donc que la décision de l’administrateur général fasse partie des issues possibles acceptables parce qu’elle peut se justifier au regard des faits et du droit. Toutefois, on s’attendrait à ce que ce rejet soit justifié de manière à satisfaire à la norme de raisonnabilité. La décision faisant l’objet du contrôle ne satisfait pas à cette norme.

Dans une affaire comme celle‑ci, les motifs pour lesquels une recommandation bien articulée n’est pas retenue doivent être intelligibles, en ce sens qu’ils [TRADUCTION] « peuvent être compris » (The Canadian Oxford Dictionary, 2001, au mot « intelligible »). Avec égard, la décision n’est pas vraiment intelligible. Il semble que certaines déclarations relatives aux degrés 7 et 6 soient considérées comme portant sur les degrés 6 et 5. Si tel n’était pas réellement le sens de la décision, le défendeur n’a pas non plus réussi à éclairer la Cour en fournissant une autre explication. Le défendeur semble également se fonder sur « l’objectif de la création du poste » pour éloigner son analyse de la description de travail qui est au cœur de l’arbitrage des griefs. Enfin, il critique le Comité pour n’avoir pas tenu compte du contexte organisationnel alors qu’il semblerait que le Comité l’ait fait. Si l’administrateur général n’était pas d’accord avec les conclusions pour cette raison, il n’a pas expliqué la source de son désaccord. Au final, il a été impossible pour la cour de révision de comprendre « le fondement de la décision du tribunal » (arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, précité, paragraphe 16).

La conclusion de la Cour concernant le caractère raisonnable de la décision suffit pour trancher l’affaire. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, avec dépens.

[79] Je songe également à la décision Ross c Canada (Ministre de la Justice) (2014), 453 FTR 56, dans laquelle la Cour a déclaré ce qui suit, au paragraphe 56 :

M. Pringle a été mandaté par le ministre pour mener l’enquête au titre du paragraphe 696.2(3) du Code. Il était loisible au ministre de ne pas accepter l’avis et les opinions de M. Pringle au moment de rendre la décision finale. Cependant, comme il ne s’est pas rangé à son avis, il était soumis à une obligation plus stricte d’expliquer les raisons de son désaccord afin de satisfaire à la norme de la raisonnabilité.

[80] Je me reporte également au jugement Séguin c Canada (Procureur général), 2021 CF 45, au paragraphe 40, dans lequel la Cour a déclaré ce qui suit :

Enfin, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable s’intéresse au contexte : ce qui constitue une décision raisonnable « dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov au para 90). Dans de tels cas, lorsqu’un administrateur général choisit de s’écarter des recommandations du CRGC, cette dérogation doit être justifiée à la lumière de l’expertise du CRGC (Wilkinson 1 aux para 20, 40; voir aussi Wilkinson c Canada (Procureur général), 2020 CAF 223 aux para 19‑21).

[81] Saltstream affirme que le fait que la ministre invoque notamment l’« acceptabilité sociale » pour justifier sa décision ne la dispensait pas d’analyser la situation particulière de Saltstream. Saltstream s’appuie sur la décision Keating c Canada (Ministre des Pêches et des Océans) (2002), 224 FTR 98, dans laquelle la Cour fédérale écrit ce qui suit, au paragraphe 68 :

[…] [L]orsqu’un organisme gouvernemental prend une décision au sujet d’une personne, en particulier lorsque l’intérêt de cette personne est fortement en jeu, le décideur n’agit pas d’une façon équitable en fondant sa décision, du moins dans une certaine mesure, sur le désir de mettre fin aux critiques des autres.

[82] Je constate que l’affaire Keating, précitée, portait sur des questions d’équité procédurale qui ne se posent pas en l’espèce.

[83] Saltstream fait par ailleurs valoir qu’il ressort de sa décision que la ministre n’a pas tenu compte de l’effet prévu de l’injonction prononcée par le juge Pamel, dans l’affaire Mowi, précitée, pour éliminer l’impact du communiqué de presse sur les demandes de permis de transfert présentées en vertu de l’article 56. Il ne s’agit pas d’un argument déterminant.

[84] La question en jeu dans la présente demande est le caractère raisonnable de la décision.

[85] La Coalition de conservation a soumis des observations à l’appui de la décision. Je prends acte des objections de Saltstream selon lesquelles bon nombre de ces arguments étaient fondés sur des documents qui ne se trouvaient pas dans le DCT et qui ne satisfaisaient à aucune des exceptions énumérées dans l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, 428 NR 297, au paragraphe 19, exceptions qui permettraient de tenir compte de documents étrangers à l’affaire.

[86] Je suis d’accord avec les affirmations de Saltstream sur ce point.

[87] Bien que certains des arguments avancés par Saltstream ne permettent pas, en eux‑mêmes, de trancher la question principale, je suis convaincue que l’effet cumulatif de toutes les observations qu’elle a formulées montre que la décision est déraisonnable. Elle n’est pas suffisamment justifiée, transparente et intelligible pour satisfaire aux exigences de l’arrêt Vavilov, précité.

VII. RÉPARATION

[88] Comme je l’ai déjà indiqué, si elle obtient gain de cause dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, Saltstream sollicite les réparations suivantes :

  1. un jugement déclaratoire portant que la décision est invalide;

  2. une ordonnance de certiorari annulant la décision;

  3. une ordonnance de mandamus enjoignant à la ministre de délivrer à Saltstream Engineering, en vertu de l’article 56, un permis de transfert dans les deux jours ouvrables;

  4. les dépens de la demande;

  5. toute autre réparation que les avocats peuvent réclamer et que la Cour estime indiquée.

[89] Le paragraphe 18.1(3) des Lois sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 est pertinent. Il prévoit ce qui suit :

Pouvoirs de la Cour fédérale

Powers of Federal Court

18.1 (3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

18.1 (3) On an application for judicial review, the Federal Court may

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

[90] Il est clair que les réparations à accorder dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire relèvent du pouvoir discrétionnaire de la Cour.

[91] Saltstream sollicite un jugement déclaratoire portant que la décision est invalide. Ce type de réparation peut être accordé en vertu de l’alinéa 18.1(3)b) de la Loi.

[92] L’article 64 des Règles précise les cas d’ouverture à une demande de jugement déclaratoire. En voici le libellé :

Jugement déclaratoire

Declaratory relief available

64 Il ne peut être fait opposition à une instance au motif qu’elle ne vise que l’obtention d’un jugement déclaratoire, et la Cour peut faire des déclarations de droit qui lient les parties à l’instance, qu’une réparation soit ou puisse être demandée ou non en conséquence.

64 No proceeding is subject to challenge on the ground that only a declaratory order is sought, and the Court may make a binding declaration of right in a proceeding whether or not any consequential relief is or can be claimed.

[93] Un jugement déclaratoire est une mesure discrétionnaire en vertu de laquelle un tribunal peut prononcer une déclaration judiciaire confirmant ou refusant un droit légal ou un état du droit existant. La Cour n’a pas compétence pour prononcer des déclarations de faits (voir la décision Administration de pilotage des Laurentides c Pilotes du St‑Laurent Central Inc. (1993), 74 FTR 185 (CF 1re inst), au paragraphe 22).

[94] La réparation qui est « habituellement » accordée lorsqu’une demande de contrôle judiciaire est accueillie consiste à rendre une ordonnance annulant la décision faisant l’objet de contrôle et à renvoyer l’affaire pour nouvel examen. Dans l’arrêt Vavilov, précité, au paragraphe 142, la Cour suprême du Canada fait référence au fait qu’il faut « respect[er] la volonté du législateur de confier l’affaire à un décideur administratif ».

[95] À mon avis, rien ne justifie d’accorder en l’espèce une autre réparation que la réparation habituelle, en l’occurrence d’annuler la décision et de la renvoyer pour nouvel examen dès lors qu’elle ne satisfait pas à la norme de contrôle applicable.

[96] En plus d’un jugement déclaratoire, Saltstream sollicite une ordonnance annulant la décision, de même qu’une ordonnance de mandamus enjoignant à la ministre de délivrer à Saltstream Engineering, en vertu de l’article 56, un permis de transfert dans les deux jours ouvrables, si elle obtient gain de cause dans la présente demande de contrôle judiciaire.

[97] Dans ses observations orales et écrites, Saltstream précise davantage sa demande d’ordonnance de mandamus en demandant à la Cour de donner à la ministre des directives pour qu’elle substitue la décision de la Cour à la sienne.

[98] Le bref de mandamus constitue une réparation exceptionnelle soumise au critère juridique énoncé dans l’arrêt Apotex Inc. c Canada (Procureur général) (1993), [1994] 1 CF 742 (CAF). Les conditions suivantes doivent être réunies pour que la Cour accorde un bref de mandamus :

  1. Il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public.

  2. L’obligation doit exister envers le demandeur.

  3. Il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment :

  4. Lorsque l’obligation dont on demande l’exécution forcée est discrétionnaire, les règles suivantes s’appliquent :

    1. le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire ne doit pas agir d’une manière qui puisse être qualifiée d’« injuste », d’« oppressive » ou qui dénote une « irrégularité flagrante » ou la « mauvaise foi »;

    2. un mandamus ne peut être accordé si le pouvoir discrétionnaire du décideur est « illimité », « absolu » ou « facultatif »;

    3. le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire « limité » doit agir en se fondant sur des considérations « pertinentes » par opposition à des considérations « non pertinentes »;

    4. un mandamus ne peut être accordé pour orienter l’exercice d’un « pouvoir discrétionnaire limité » dans un sens donné;

    5. un mandamus ne peut être accordé que lorsque le pouvoir discrétionnaire du décideur est « épuisé », c’est‑à‑dire que le demandeur a un droit acquis à l’exécution de l’obligation.

  5. Le demandeur n’a aucun autre recours.

  6. L’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique.

  7. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en vertu de l’équité, rien n’empêche d’obtenir la réparation demandée.

  8. Compte tenu de la « balance des inconvénients », une ordonnance de mandamus devrait (ou ne devrait pas) être rendue.

a. le demandeur a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

b. il y a eu (i) une demande d’exécution de l’obligation, (ii) un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande à moins que celle‑ci n’ait été rejetée sur‑le‑champ, et (iii) il y a eu refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple un délai déraisonnable.

[renvois omis]

[99] À mon avis, Saltstream ne peut demander un bref de mandamus en l’espèce, compte tenu de l’article 7 de la Loi.

[100] La Loi, à son article 7, permet à la ministre d’octroyer « à discrétion » des permis. Il s’ensuit que la ministre est placée en l’espèce devant l’alternative d’accorder ou de refuser à Saltstream les permis qu’elle sollicite.

[101] En raison de ce pouvoir de délivrer des permis « à discrétion », Saltstream ne peut satisfaire au critère de l’arrêt Apotex, précité, qui lui permettrait d’obtenir un bref de mandamus.

[102] Saltstream soutient toutefois qu’elle n’est pas assujettie au critère de l’arrêt Apotex, précité, et que la Cour devrait donner des directives à la ministre.

[103] Saltstream fait valoir que la Cour peut donner des directives au décideur quant à la décision à rendre. Elle invoque l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Tennant (2019), 436 DLR (4th) 155, qui concernait une question relevant de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C‑29.

[104] Il est vrai que, dans des circonstances rares et exceptionnelles, la Cour peut proposer une décision de substitution.

[105] Au paragraphe 72 de l’arrêt Tennant, précité, la Cour d’appel fédérale énumère les situations dans lesquelles la Cour peut substituer sa décision à celle du décideur administratif :

Il est maintenant bien établi que cette forme de réparation, soit une combinaison du certiorari et du mandamus, est possible lorsque, selon les faits et le droit, le décideur administratif dispose d’une seule issue légale ou peut tirer une seule conclusion raisonnable, de sorte qu’il serait inutile de renvoyer la décision au décideur pour nouvelle décision. [renvois omis]

[106] Ces conditions ne sont pas réunies en l’espèce.

[107] En l’espèce, les faits et le droit ne justifient pas la Cour de substituer sa décision à celle de la ministre et cette réparation ne sera donc pas accordée.

VIII. CONCLUSION

[108] En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de la ministre sera annulée et l’affaire sera renvoyée à la ministre pour qu’elle l’examine de nouveau conformément à la loi.

[109] Saltstream a demandé qu’on lui offre la possibilité de formuler des observations au sujet des dépens si elle obtient gain de cause dans la présente demande. Cette possibilité lui sera accordée et une directive sera donnée à cet égard.


JUGEMENT dans le dossier T‑1156‑21

LA COUR STATUE QUE la demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision de la ministre est annulée et que l’affaire est renvoyée à la ministre pour qu’elle l’examine de nouveau conformément à la loi. La demanderesse aura l’occasion de formuler des observations au sujet des dépens et une directive sera donnée à cet égard.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1156‑21

 

INTITULÉ :

SALTSTREAM ENGINEERING LTD. c MINISTRE DES PÊCHES, DES OCÉANS ET DE LA GARDE CÔTIÈRE CANADIENNE c ALEXANDRA MORTON, LA FONDATION DAVID SUZUKI,

LA GEORGIA STRAIT ALLIANCE, LA LIVING OCEANS SOCIETY et LA WATERSHED WATCH SALMON SOCIETY

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 27 ET 28 OCTOBRE 2021

MOTIFS ET JUGEMENT :

LA JUGE HENEGHAN

COMPARUTIONS :

Aubin Calvert

POUR LA DEMANDERESSE

Jennifer Chow, c.r.

Michele Charles

Paul Saunders

 

POUR LA DÉFENDERESSE

Margot Venton

Kegan Pepper‑Smith

 

POUR LES INTERVENANTS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hunter Litigation Chambers Law Corp.

Avocats et procureurs

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

Eco Justice Canada

Avocats et procureurs

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LES INTERVENANTS

 

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