Dossier : IMM-462-21
Référence : 2022 CF 619
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 27 avril 2022
En présence de madame la juge Sadrehashemi
ENTRE :
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SUKHCHAIN SINGH
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1] Le demandeur, M. Singh, conteste la décision par laquelle un agent des visas (l’agent) a rejeté la demande de permis de travail qu’il avait présentée dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires. M. Singh avait accepté un poste de conducteur de grand routier au Canada. Sa demande de permis de travail a été rejetée parce que l’agent n’était pas convaincu : i) qu’il remplissait les conditions de l’emploi qu’il voulait exercer au Canada; ii) qu’il quitterait le Canada lorsqu’il serait tenu de le faire.
[2] Concernant les deux questions, je conviens avec M. Singh que les motifs de l’agent ne tiennent pas compte d’éléments de preuve importants et pertinents figurant au dossier. Au regard des contraintes factuelles auxquelles l’agent était assujetti, la décision n’est pas justifiée. Par conséquent, je conclus qu’elle est déraisonnable.
[3] Pour les motifs qui suivent, j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire.
II.
Le contexte factuel
[4] M. Singh est un citoyen de l’Inde. Il a vécu et travaillé aux Émirats arabes unis (les ÉAU) de 2013 à 2020. Il a obtenu un permis de conduire pour les véhicules lourds, puis il a travaillé comme [traduction] « conducteur de véhicule lourd »
aux ÉAU de 2016 à 2020. En 2020, M. Singh est retourné en Inde, où il vit avec sa femme, leur enfant et sa mère.
[5] En 2020, M. Singh a obtenu un emploi d’une durée de deux ans comme conducteur de grand routier au sein de la société Ancor Transport Ltd.
[6] Le 7 décembre 2020, Emploi et Développement social Canada (Service Canada) a approuvé la demande d’étude d’impact sur le marché du travail (l’EIMT) d’Ancor Transport Ltd visant à embaucher 15 conducteurs de camions de transport (no 7511 dans la Classification nationale des professions), dont M. Singh.
[7] Le 18 décembre 2020, M. Singh a présenté une demande de permis de travail pour exercer un emploi de conducteur de grand routier. Le 14 janvier 2021, cette demande a été rejetée.
III.
Les questions en litige et la norme de contrôle applicable
[8] Les seules questions que soulève la présente demande de contrôle judiciaire se rapportent aux conclusions de l’agent selon lesquelles i) M. Singh n’a pas démontré qu’il pouvait faire le travail pour lequel il avait demandé un permis de travail; ii) il y avait un risque que M. Singh prolonge son séjour au Canada sans en avoir l’autorisation.
[9] Dans mon examen de la décision de l’agent, la norme de contrôle que j’appliquerai est celle de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a confirmé que la norme de contrôle qui est présumée s’appliquer à l’examen des décisions administratives sur le fond est celle de la décision raisonnable. En l’espèce, aucune question ne justifie de s’écarter de cette présomption.
IV.
Analyse
[10] L’article 179 et le paragraphe 200(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement] sont les principales dispositions législatives qui régissent le pouvoir qu’a un agent des visas de délivrer un visa de résident temporaire et un permis de travail à un étranger qui en fait la demande avant son entrée au Canada. Un agent peut rejeter la demande s’il croit que le demandeur ne quittera pas le Canada à la fin de la période de séjour autorisée qui lui est applicable (art 179b) et 200(1)b) du Règlement). Un agent doit rejeter la demande de permis de travail s’il a « des motifs raisonnables de croire que l’étranger est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé »
(art 200(3) du Règlement).
[11] En l’espèce, le rejet est fondé sur les deux motifs suivants : l’incapacité d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé et le risque de prolongation du séjour sans autorisation.
A.
La capacité d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé
[12] En ce qui concerne la question de savoir si M. Singh est capable d’exercer l’emploi de conducteur de grand routier, les motifs de l’agent se limitaient à ce qui suit :
[traduction]
Le demandeur a présenté une lettre de remerciement de la société Emirates Flight Catering datée de janvier 2017. Il n’a pas présenté de bulletin de salaire ni d’autres documents attestant l’expérience revendiquée. Faute de documents suffisants, je ne suis pas convaincu que le demandeur possède de l’expérience dans la profession envisagée. […] Compte tenu des documents présentés, je ne suis pas convaincu que le demandeur a démontré qu’il possède l’expérience requise pour travailler comme camionneur au Canada.
[13] Il ne s’agit pas d’un cas où l’agent a évalué l’expérience revendiquée et conclu qu’une expérience de cette nature ne suffisait pas à le convaincre que le demandeur était en mesure d’exercer le travail pour lequel il avait demandé un permis de travail. Sur ce point, la décision de l’agent repose uniquement sur son avis selon lequel M. Singh ne s’est pas acquitté de son obligation de fournir suffisamment de documents pour établir qu’il possède de l’expérience de travail comme camionneur aux ÉAU.
[14] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a expliqué que « [l]e caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur [n’a pas tenu compte de la preuve qui lui a été soumise] »
(au para 126). Je juge qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de conclure que les documents du demandeur étaient insuffisants sans avoir traité de plusieurs des documents pertinents contenus dans le dossier.
[15] Ces documents comprenaient : un permis de conduire un véhicule lourd de classe 4 délivré aux ÉAU; des visas des ÉAU indiquant que le demandeur exerce l’emploi de conducteur de poids lourds pour Emirates Flight Catering; un affidavit provenant de son employeur au Canada attestant que M. Singh a été embauché en raison de son [traduction] « expérience, [de ses] qualifications et [de son] intégrité »
et qu’il possède [traduction] « plus de quatre ans d’expérience comme conducteur de véhicule lourd dans divers pays du Moyen-Orient »
; l’affidavit de M. Singh lui-même dans lequel il atteste qu’il possède [traduction] « plus de quatre ans d’expérience aux ÉAU »
et que [traduction] « la langue utilisée dans le cadre de [son] travail de conducteur aux ÉAU est l’anglais »
. Aucun de ces documents n’a été examiné parallèlement à la lettre de remerciement de l’ancien employeur du demandeur aux ÉAU, laquelle, selon l’agent, ne suffisait pas à établir que la demandeur avait travaillé comme camionneur.
[16] Le défendeur a soutenu qu’il n’était pas nécessaire que l’agent mentionne explicitement ces éléments de preuve, car aucun d’eux ne suffisait à établir que M. Singh possédait l’expérience de travail revendiquée. Par exemple, le défendeur a fait valoir que les visas et les permis indiquaient que le demandeur pouvait exercer cet emploi, mais qu’ils n’établissaient pas que le demandeur avait effectivement exercé un emploi là-bas. Le défendeur a également soutenu que l’affidavit de l’employeur n’indiquait pas que M. Singh avait passé une entrevue pour obtenir l’emploi. Le problème général que posent de tels arguments est que, par ceux-ci, le défendeur vient compléter les motifs limités fournis par l’agent. Ce dernier n’a pas effectué pareille analyse, et ce, même si sa décision ne s’appuie que sur le caractère insuffisant de la preuve de M. Singh.
[17] Le défendeur s’est appuyé sur une décision de la Cour, Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2022 CF 80 [Singh], dans laquelle le juge Pamel avait conclu que l’affidavit de l’employeur décrivant l’expérience et les antécédents de la société avec des conducteurs des ÉAU n’aidait pas l’agent à décider si le demandeur était capable d’exercer l’emploi pour lequel il avait demandé un permis de travail (au para 14). La présente affaire est différente à deux égards. Premièrement, si l’affidavit de l’employeur déposé en l’espèce décrit de manière générale les pratiques d’embauche de l’entreprise, l’employeur a en outre attesté que M. Singh avait été embauché en raison de son expérience et, en particulier, de ses [traduction] « quatre années d’expérience aux ÉAU »
. De plus, en l’espèce, la seule question était celle de savoir si le demandeur avait fourni suffisamment de documents pour établir qu’il possédait de l’expérience de travail, ce qui n’était pas le cas dans l’affaire Singh, où s’ajoutait celle de savoir si deux ans et demi d’expérience de travail suffisaient pour exercer l’emploi (au para 16).
B.
Risque de prolongation du séjour sans autorisation
[18] En ce qui concerne la prolongation du séjour de M. Singh sans autorisation, les motifs de l’agent se limitaient à ceci : [traduction] « De plus, le demandeur n’a présenté aucun document démontrant qu’il dispose d’un revenu, d’économies ou d’actifs. […] Je ne suis pas non plus convaincu que l’établissement économique du demandeur dans son pays d’origine l’inciterait à quitter le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. »
[19] L’agent n’a pas mentionné les importants liens familiaux de M. Singh en Inde. Il n’a pas non plus mentionné que M. Singh avait vécu pendant des années aux ÉAU grâce à des permis de travail, et qu’il n’avait aucun antécédent de non-respect ou de prolongation sans autorisation de la durée de validité de son statut. En outre, l’agent n’a pas traité des affirmations de M. Singh contenues dans un affidavit portant précisément sur cette question. M. Singh a affirmé qu’il ne demeurerait jamais au Canada illégalement, n’ayant [traduction] « jamais violé les lois ou les politiques d’aucun pays »
. Il a ajouté qu’il savait que, plus tard, si son employeur au Canada appuyait sa demande et s’il aimait l’emploi et le Canada, il pourrait présenter une demande de résidence permanente par l’intermédiaire du Programme des candidats des provinces de la Colombie-Britannique et faire renouveler son permis de travail conformément à la loi à cette occasion.
[20] Le défendeur a soutenu qu’il n’était pas nécessaire que l’agent traite de ces autres questions, car, à son avis, l’absence d’établissement économique en Inde était la question déterminante concernant la question de savoir si M. Singh y retournerait à la fin de la période autorisée. Comme je l’ai mentionné plus haut, le problème de cet argument est que, par celui-ci, le défendeur demande à la Cour de compléter les motifs de l’agent. Il demande à la Cour de déclarer que l’agent a conclu que l’absence d’établissement économique était déterminante par rapport aux autres facteurs qui, normalement, seraient favorables à M. Singh. Or, ce n’est pas ce que l’agent a écrit dans ses motifs; ces autres facteurs n’ont tout simplement pas été mentionnés.
V.
Les dépens
[21] M. Singh a soutenu que les dépens devraient être adjugés contre le défendeur. Je ne conviens pas qu’il y a des « raisons spéciales »
d’adjuger les dépens (article 22 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106). M. Singh a fait valoir que les motifs de l’agent démontraient qu’il avait agi de [traduction] « mauvaise foi »
en refusant la demande. Je ne suis pas d’avis que l’on puisse tirer pareille conclusion à partir des motifs.
VI.
Conclusion
[22] La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il rende une nouvelle décision. Aucuns dépens ne sont adjugés. Aucune des parties n’a soulevé de question aux fins de la certification, et l’affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM-462-21
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il rende une nouvelle décision;
Aucuns dépens ne sont adjugés;
Aucune des parties n’a soulevé de question aux fins de la certification, et l’affaire n’en soulève aucune.
« Lobat Sadrehashemi »
Juge
Traduction certifiée conforme
N. Belhumeur
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-462-21
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INTITULÉ :
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SUKHCHAIN SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 12 AVRIL 2022
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE SADREHASHEMI
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DATE DES MOTIFS :
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LE 27 AVRIL 2022
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COMPARUTIONS :
Gabriel Chand
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POUR LE DEMANDEUR
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Jessica Ko
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Chand & Company Law Corporation
Vancouver (Colombie-Britannique)
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POUR LE DEMANDEUR
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Procureur général du Canada
Vancouver (Colombie-Britannique)
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POUR LE DÉFENDEUR
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