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Date : 20220503


Dossier : IMM-291-20

Référence : 2022 CF 642

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 mai 2022

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

YAOCHUN ZHANG

XUCHEN ZHANG (UN MINEUR)

 

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs sont Yaochun Zhang (M. Zhang) et son fils, Xuchen Zhang (Xuchen), lequel était mineur au moment où la décision sous-jacente a été rendue. Outre Xuchen, M. Zhang a trois autres enfants : l’aîné est issu d’une union précédente et n’est pas venu au Canada; les deux autres sont nés au Canada et ont la même mère que Xuchen.

[2] Les demandeurs sont des citoyens de la Chine. Ils ont présenté des demandes d’asile dès leur arrivée au Canada au motif qu’ils risquaient d’être persécutés par le gouvernement chinois pour avoir enfreint les règles de planification familiale. L’appel qu’ils ont interjeté à l’encontre du rejet de leurs demandes d’asile par la Section de la protection des réfugiés a été rejeté par la Section d’appel des réfugiés [la SAR]. Cette dernière a conclu que les demandeurs n’encourraient qu’une sanction pécuniaire à Shanghai pour avoir enfreint l’exigence, actuellement imposée aux familles, de n’avoir qu’un maximum de deux enfants. Les demandeurs contestent le refus de la SAR dans la présente demande de contrôle judiciaire.

[3] La conclusion de la SAR selon laquelle les demandeurs n’encourraient qu’une sanction pécuniaire était fondée sur un examen déraisonnable de la preuve. Pour les motifs exposés ci-dessous, je conclus que la décision de la SAR est déraisonnable et j’accueille la demande de contrôle judiciaire.

II. Le contexte factuel

[4] M. Zhang s’est marié avec son épouse actuelle, la mère de trois de ses enfants, en 2002. Après la naissance de leur premier enfant, l’épouse de M. Zhang a dû se faire poser un dispositif intra-utérin, conformément à la politique de planification familiale en vigueur en Chine. En 2013, le dispositif intra-utérin s’étant déplacé, le couple a commencé à utiliser d’autres méthodes de contraception. L’épouse de M. Zhang avait un rendez-vous prévu en décembre 2013 pour faire poser de nouveau le dispositif. Cependant, elle est tombée enceinte avant ce rendez-vous. M. Zhang et son épouse ne voulaient pas mettre fin à la grossesse et ils craignaient les répercussions que leur ferait subir le bureau de planification familiale. L’épouse de M. Zhang ne s’est pas présentée au rendez-vous prévu pour la pose du dispositif intra-utérin et elle s’est cachée chez un parent à la campagne pendant que des dispositions étaient prises pour qu’elle puisse s’enfuir au Canada.

[5] L’épouse de M. Zhang est venue au Canada et elle a présenté une demande d’asile en avril 2014. Sa demande a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés [la SPR] en juin 2014. L’appel qu’elle a interjeté devant la SAR a été rejeté peu après, en juillet 2014. Le 19 juillet 2014, elle a donné naissance au deuxième enfant du couple (le troisième enfant de M. Zhang). Elle s’est vu refuser par la Cour l’autorisation de contester la décision défavorable de la SAR.

[6] M. Zhang et son fils, Xuchen, sont arrivés au Canada en juillet 2015 et ils ont présenté des demandes d’asile. Avant leur audience devant la SPR, M. Zhang et son épouse ont eu un autre fils, né le 11 juillet 2017. La SPR a rejeté les demandes d’asile des demandeurs le 8 septembre 2017. Ceux-ci ont interjeté appel de la décision de la SPR devant la SAR et, en août 2018, la SAR a rejeté l’appel. Ils ont présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAR, demande que le juge Gleeson a accueillie (Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 870).

[7] L’affaire a été renvoyée à un autre commissaire de la SAR pour qu’il rende une nouvelle décision. La SAR a rejeté l’appel en décembre 2019.

III. Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[8] Les questions soulevées par M. Zhang, qui portent sur le fond de la décision de la SAR, doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable. Les deux parties conviennent que la norme de la décision raisonnable s’applique. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a confirmé que la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer au contrôle des décisions administratives sur le fond. La présente affaire ne soulève aucune question qui justifierait de s’écarter de cette présomption.

[9] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a décrit la norme de la décision raisonnable comme une forme de contrôle empreinte de déférence, mais néanmoins « rigoureuse », et dont l’analyse a pour point de départ les motifs du décideur (au para 13). Les motifs écrits du décideur sont interprétés « eu égard au dossier et en tenant dûment compte du régime administratif dans lequel ils sont donnés » (Vavilov, au para 103). Selon la description de la Cour suprême, une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Un décideur administratif doit garder à l’esprit que l’exercice de son pouvoir public doit être « justifié, intelligible et transparent non pas dans l’abstrait, mais pour l’individu qui en fait l’objet » (Vavilov, au para 95).

IV. Analyse

[10] Selon la SAR, la question déterminante était que les demandeurs n’avaient pas démontré qu’ils encourraient une sanction autre qu’une sanction pécuniaire pour avoir enfreint les règles de planification familiale à Shanghai. Je juge que la conclusion de la SAR reposait sur une analyse et un examen déraisonnables de la preuve au dossier.

[11] La SAR a reconnu que des mesures coercitives de régulation des naissances, comme la stérilisation et l’avortement forcés, étaient toujours employées en Chine. Elle a souligné que, dans certaines régions, les règlements locaux prévoient le recours soutenu à de telles mesures; elle a donné quelques exemples de régions où ces types de règlements sont en vigueur et elle a précisé que rien n’indiquait qu’il en existait à Shanghai. Elle a toutefois reconnu que même dans les régions où il n’existe pas de règlements locaux confirmant le recours à la stérilisation ou à l’avortement forcés, ces pratiques existent toujours. Le dossier ne contenait aucune mention d’une région ou d’une localité en particulier où se seraient produits des stérilisations ou des avortements forcés malgré l’absence de règlements locaux prévoyant le recours à de telles mesures. Pourtant, la SAR en est arrivée à conclure que puisque rien n’indiquait que de tels incidents se produisaient à Shanghai, ces mesures coercitives de régulation des naissances n’y avaient pas cours. Il s’agit là d’une conclusion déraisonnable à tirer d’après le dossier dont disposait la SAR.

[12] La conclusion de la SAR selon laquelle les demandeurs n’encourraient qu’une sanction pécuniaire pour leur infraction était aussi fondée, en partie, sur l’examen qu’elle avait fait des avis délivrés par le bureau de planification familiale de Shanghai après que l’épouse de M. Zhang ne se fut pas présentée à son rendez-vous pour la vérification de son dispositif intra-utérin. La SAR a conclu que ces avis étayaient l’opinion selon laquelle les autorités de Shanghai se contentent d’imposer des sanctions pécuniaires en cas de violation des règles de planification familiale. Je suis d’avis que l’examen de ces avis fait par la SAR est déficient. La SAR a conclu que les mentions d’autres mesures, comme des [traduction] « mesures forcées » et des « mesures correspondantes », étaient vagues et n’étaient donc pas importantes à l’égard de sa conclusion selon laquelle seule une sanction pécuniaire était imposée à Shanghai. La SAR est parvenue à cette conclusion sans tenir compte de la preuve documentaire dont elle disposait, qui indiquait que des termes vagues comme « mesures correctives » figurant dans les avis et les documents du gouvernement étaient des euphémismes employés pour désigner les pratiques coercitives de régulation des naissances comme les stérilisations et les avortements forcés. Un problème semblable a été souligné par la Cour aux paragraphes 10 à 12 de la décision Zheng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 608.

[13] La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la SAR pour qu’il rende une nouvelle décision. Aucune question à certifier n’a été proposée, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-291-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la SAR pour qu’il rende une nouvelle décision.

  2. Aucune question à certifier n’a été proposée, et l’affaire n’en soulève aucune.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge

Traduction certifiée conforme

Geneviève Bernier


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-291-20

 

INTITULÉ :

YAOCHUN ZHANG ET AUTRE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 18 octobre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS :

le 3 mai 2022

 

COMPARUTIONS :

Michael Korman

 

POUR LES DEMANDEURS

Nicole Rahaman

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Korman & Korman LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Pour le défendeur

Toronto (Ontario)

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