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Date : 20220506


Dossier : T-1705-21

Référence : 2022 CF 667

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 mai 2022

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

KAREN HENDERSON ROY

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Dans le cadre de la présente demande, Karen Roy conteste la légalité des déductions faites par la Province de l’Alberta sur les prestations d’invalidité qu’elle reçoit du Régime de pensions du Canada (le RPC). Elle soutient que ces déductions lui ont occasionné de graves difficultés financières, à tel point qu’elle est forcée de vivre dans son camion et qu’elle n’est plus en mesure de subvenir à ses besoins de base.

[2] Mme Roy, qui n’est pas représentée par un avocat dans le cadre de la présente demande, sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (le TSS) a rejeté son appel au motif que ses questions concernaient le programme provincial, lequel ne relève pas de la compétence du Tribunal.

[3] Pour les motifs qui suivent, bien que je reconnaisse que Mme Roy se trouve manifestement dans une situation difficile, la réparation qu’elle demande ne peut être obtenue au moyen du présent processus judiciaire. La demande de contrôle judiciaire de Mme Roy est donc rejetée, et je n’adjuge pas de dépens à son encontre.

I. Contexte

[4] En avril 2019, Mme Roy a présenté une demande de prestations au titre du programme Assured Income for the Severely Handicapped (le programme AISH ou le programme de revenu assuré pour les personnes gravement handicapées) de l’Alberta. Sa demande de prestations a été approuvée, et un montant de 1 685 $ par mois lui a été accordé.

[5] En juin 2019, Mme Roy a aussi présenté une demande de prestations d’invalidité du RPC. Cette demande, qui avait initialement été rejetée, a été réexaminée puis approuvée en février 2021, et Mme Roy s’est vu accorder des prestations d’invalidité du RPC d’un montant de 1 145 $ par mois.

[6] En février 2021, Mme Roy a reçu les prestations du RPC et du programme AISH. Conformément à l’alinéa 76(2)b) du Règlement sur le Régime de pensions du Canada, CRC, c 385 et au formulaire Consentement de déduction et de paiement signé par Mme Roy, la somme de 1 145,11 $ a été remboursée directement au programme AISH par le RPC.

[7] Après février 2021, les prestations du RPC ont commencé à être versées en entier à Mme Roy. Des prestations mensuelles qu’il verse à Mme Roy, le programme AISH déduit 1 145 $ (soit le montant qu’elle reçoit du RPC). Par conséquent, le versement mensuel que Mme Roy reçoit du programme AISH est maintenant de 540 $, soit la différence entre la prestation mensuelle de 1 685 $ du programme AISH et la prestation mensuelle de 1 145 $ du RPC.

[8] Mme Roy soutient qu’elle a droit au montant complet de la prestation du programme AISH (1 685 $) sans que soit déduit le montant de la prestation qu’elle reçoit du RPC. Elle affirme que les déductions ne sont pas autorisées, que les représentants du programme AISH ne répondent pas à ses questions et que sa situation personnelle s’est détériorée.

[9] En appel devant la division générale du TSS, Mme Roy a demandé le paiement complet de ses prestations d’invalidité du RPC à compter de juin 2019. Elle a eu partiellement gain de cause devant la division générale, laquelle a convenu que Mme Roy avait droit à des prestations d’invalidité du RPC à compter d’une date antérieure. Cependant, la division générale a déclaré qu’elle n’avait pas compétence pour trancher la question du remboursement à un programme provincial comme le programme AISH. Elle a conclu qu’une décision concernant un tel régime de remboursement ne pouvait pas faire l’objet d’un appel devant le TSS, au titre des articles 81 et 82 du Régime de pensions du Canada, LRC 1985, c C-8.

[10] Mme Roy a demandé la permission d’interjeter appel de la décision de la division générale devant la division d’appel, faisant valoir qu’elle n’avait consenti à la déduction du montant de la prestation du RPC que pour février 2021, mais que le programme AISH avait continué à déduire ce montant chaque mois.

II. Décision de la division d’appel

[11] Le 4 novembre 2021, la division d’appel a refusé à Mme Roy la permission d’en appeler.

[12] Elle s’est fondée sur l’article 58 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34 (la LMEDS), selon lequel elle doit se demander si l’appel a une « chance raisonnable de succès ».

[13] La division d’appel a conclu que Mme Roy avait « malheureusement déposé sa plainte au mauvais endroit ». Elle a précisé que la division générale n’instruit que les appels interjetés à l’encontre de décisions rendues par Service Canada, et qu’elle ne se penche pas sur les décisions rendues par le programme AISH. Soulignant qu’il n’y avait rien que la division générale ou la division d’appel pouvaient faire au regard d’une décision du programme AISH, la division d’appel a recommandé à Mme Roy de communiquer avec le programme AISH afin de savoir si un appel était possible.

III. Question en litige

[14] Dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision rendue par la division d’appel, Mme Roy soutient qu’il est injuste que le montant de ses prestations du RPC soit déduit du montant de ses prestations du programme AISH.

IV. Norme de contrôle applicable

[15] Pour examiner la conclusion de la division d’appel selon laquelle l’appel de Mme Roy n’avait pas de chance raisonnable de succès, la Cour applique la norme de la décision raisonnable (Cameron c Canada (Procureur général), 2018 CAF 100 au para 3).

[16] Pour appliquer la norme de la décision raisonnable, la Cour s’efforce de comprendre le processus de raisonnement de la division d’appel, elle vérifie si la décision répond aux exigences en matière de justification, de transparence et d’intelligibilité, et elle se demande si la décision de la division d’appel est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 99).

V. Analyse

[17] La Cour commence son analyse en soulignant qu’il n’existe pas de véritable litige quant aux faits pertinents et que nul ne conteste l’invalidité de Mme Roy. En outre, nul ne conteste le fait que Mme Roy reçoit le plein montant des prestations d’invalidité du RPC auxquelles elle est admissible. La seule question en litige concerne le fait que le montant de ses prestations du RPC est déduit de ses prestations du programme AISH par la Province de l’Alberta.

[18] En ce qui concerne l’examen de la demande d’appel de Mme Roy, le mandat de la division d’appel est limité. Au titre du paragraphe 58(1) de la LMEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants : (1) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a commis une erreur de compétence; (2) la division générale a commis une erreur de droit; (3) la division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée. En plus de devoir être fondée sur l’un des trois moyens d’appel prévus, une demande d’appel ne peut être accueillie que s’il existe « certains motifs défendables grâce auxquels l’appel proposé pourrait avoir gain de cause » (Osaj c Canada (Procureur général), 2016 CF 115 au para 12).

[19] En somme, la division d’appel a conclu que Mme Roy n’avait avancé aucun moyen d’appel susceptible de lui donner gain de cause en vertu du paragraphe 58(1) de la LMEDS puisque la question soulevée par Mme Roy ne relevait pas de la compétence de la division générale.

[20] Il est bien clair en droit qu’un tribunal établi par une loi, comme le TSS, ne peut statuer que sur les types d’affaires qui, selon la loi, relèvent de sa compétence (Mudie c Canada (Procureur général), 2021 CAF 239 au para 22). Comme l’a précisé la division d’appel, le TSS n’a pas compétence à l’égard du programme AISH, lequel est administré par la Province de l’Alberta. La division d’appel a souligné, à juste titre, que « [l]a division générale ou la division d’appel ne peuvent rien faire contre une décision rendue par le programme AISH ».

[21] Malheureusement, bien que Mme Roy soutienne que la division d’appel n’a pas correctement tenu compte de sa situation personnelle, la division d’appel ne peut agir que dans les limites du mandat que lui confère la loi. Aucun des arguments de Mme Roy ne fait partie des moyens d’appel que la division d’appel pouvait examiner au titre de la loi (art 58(1) de la LMEDS).

[22] Mme Roy exprime sa frustration et ses difficultés relativement au programme AISH. Toutefois, ce programme est administré par la Province de l’Alberta et pas par le TSS. Par conséquent, il n’existe aucune réparation que la division d’appel ou la Cour peuvent offrir en réponse à la contestation de Mme Roy concernant les déductions effectuées par le programme AISH.

[23] En l’espèce, la division d’appel a bien examiné la décision de la division générale, et la décision de la division d’appel est raisonnable.

[24] La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[25] Dans les circonstances, je refuse d’adjuger des dépens.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1705-21

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

 

T-1705-21

INTITULÉ :

KAREN HENDERSON ROY c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 mai 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DES MOTIFS :

Le 6 mai 2022

 

COMPARUTIONS :

Karen Henderson Roy

Pour la demanderesse

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Jordan Fine

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Gatineau (Québec)

Pour le défendeur

 

 

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