Date : 20220503
Dossier : IMM-5336-20
Référence : 2022 CF 639
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 3 mai 2022
En présence de madame la juge Elliott
ENTRE :
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CHITRANIE SINGH
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1] La demanderesse, Chitranie Singh, agit pour son propre compte. Elle est une résidente permanente du Canada et une citoyenne du Guyana.
[2] En mai 2018, la demanderesse et son époux ont présenté une demande de parrainage du père de la demanderesse, qui présentait une demande de résidence permanente au Canada pour lui-même, son épouse et leurs deux autres enfants (ci-après, sa famille) au titre de la catégorie du regroupement familial. Les membres de sa famille sont tous citoyens du Guyana, où ils résident actuellement.
[3] Le 19 août 2019, un agent des visas a rejeté la demande de parrainage au motif que, pour une famille de six personnes, les répondants ne satisfaisaient pas à l’exigence relative au revenu vital minimum (le RVM) prévue au sous-alinéa 133(1)j)(i) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR).
[4] La demanderesse sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision par laquelle, le 16 septembre 2020, la Section d’appel de l’immigration (la SAI) a rejeté son appel interjeté à l’encontre du rejet de sa demande de parrainage (la décision contestée).
II.
Le contexte factuel
[5] La demanderesse a elle-même présenté la demande de parrainage et, à ce moment, elle ne connaissait pas l’exigence relative au RVM.
[6] La date déterminante de la demande de parrainage était le 18 mai 2018. Les années prises en compte aux fins de l’exigence relative au RVM étaient 2015, 2016 et 2017.
[7] Lorsque la demanderesse a reçu la décision défavorable de l’agent des visas, elle s’est rendu compte qu’elle aurait pu atteindre le revenu exigé en ajoutant ce qu’elle avait reçu en argent comptant d’un deuxième employeur. Elle a communiqué avec cet employeur, puis a obtenu de celui-ci un formulaire T4A pour chacune des trois années ayant précédé la demande, soit de 2015 à 2017.
[8] La demanderesse a ensuite obtenu de l’Agence du revenu du Canada des avis de nouvelle cotisation pour ces trois années qui incluaient les sommes versées par le deuxième employeur.
[9] Les revenus révisés de la demanderesse, combinés à ceux de son époux, dépassaient légèrement chaque année le RVM et satisfaisaient donc à cette exigence.
[10] La demanderesse a interjeté appel du rejet de sa demande de parrainage devant la SAI.
[11] En appel, la demanderesse a contesté la validité juridique du rejet, car, selon les avis de nouvelle cotisation, elle satisfaisait à l’exigence relative au RVM pour six personnes à chacune des trois années.
III.
La décision contestée
[12] Selon la SAI, la question déterminante portait sur la preuve présentée pour établir les revenus de la demanderesse provenant de son deuxième employeur.
[13] La demanderesse a présenté des formulaires T4A et une lettre de recommandation de l’employeur. Les formulaires T4A indiquaient qu’elle avait reçu 8 000 $ en 2015, 12 460 $ en 2016 et 12 950 $ en 2017.
[14] La lettre de recommandation, datée du 18 septembre 2019, indiquait que la demanderesse avait travaillé comme aide de bureau à temps partiel de 2015 [traduction] « à ce jour »
.
[15] La demanderesse a déclaré qu’elle avait été payée en argent comptant et qu’elle avait travaillé pour le deuxième employeur de janvier 2015 à décembre 2017. L’époux de la demanderesse, qui a également témoigné, a confirmé ces dates.
[16] La SAI a conclu que les éléments de preuve étaient insuffisants pour établir les renseignements sur les revenus de la demanderesse. Par exemple, aucun élément de preuve n’a été présenté concernant le taux de rémunération, le nombre total d’heures et de jours travaillés ou la fréquence à laquelle la demanderesse avait été payée. Elle n’a présenté ni talon de paie, ni reçu de banque, ni preuve d’opération de dépôt, ni aucun autre document se rapportant au versement d’argent comptant par son deuxième employeur ou à l’obtention de cet argent comptant. Elle ne disposait peut-être pas de talons de paie, mais elle aurait vraisemblablement pu fournir des relevés bancaires indiquant le dépôt de sa paie.
[17] La SAI a fait remarquer que, selon la lettre du deuxième employeur, la demanderesse travaillait toujours pour ce dernier à la date de la rédaction de la lettre (le 18 septembre 2019). Cette lettre contredisait donc son témoignage et celui de son époux selon lesquels elle avait cessé de travailler pour cet employeur en décembre 2017. Bien qu’il soit trop tard dans le cadre de la présente demande, je souligne que, si la lettre est erronée, l’employeur pourrait fournir une autre lettre comportant une explication et des renseignements exacts.
[18] Étant donné le manque d’éléments de preuve établissant que les revenus de la demanderesse sont véridiques, la SAI a accordé peu de poids à l’exactitude des revenus que lui a versés le deuxième employeur en 2015, 2016 et 2017.
[19] La décision par laquelle l’agent des visas a rejeté la demande de parrainage a été confirmée par la SAI au motif que trop peu de documents indépendants, comme des relevés bancaires, avaient été présentés pour attester les nouveaux revenus allégués.
[20] La SAI a traité du facteur des difficultés invoqué par la demanderesse. Il a été souligné que la demanderesse voulait parrainer sa famille principalement en vue d’obtenir de l’aide pour prendre soin de ses enfants lorsqu’elle en aurait, car elle n’a pas de famille immédiate au Canada.
[21] La SAI a jugé que la visite annuelle de la demanderesse aux membres de sa famille au Guyana et la possibilité de communiquer avec eux par téléphone et par vidéoconférence atténuaient les difficultés émotionnelles causées par la séparation de la famille.
IV.
La question en litige et la norme de contrôle applicable
[22] La seule question en litige est celle de savoir si la décision est raisonnable.
[23] Sous réserve de certaines exceptions qui ne se présentent pas en l’espèce, la norme de contrôle qui est présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable, telle qu’elle a été décrite par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].
[24] Dans le contexte de la présente décision, le mot « raisonnable »
revêt un sens juridique, qui n’est pas le même que son sens ordinaire. En droit, une décision est raisonnable si elle explique au lecteur comment et pourquoi le résultat a été obtenu. Ce terme renvoie aux faits et au droit, et la tâche du juge de révision consiste à décider si la décision est justifiée au regard de ces faits et du droit. Le cas échéant, la cour de révision doit faire preuve de retenue à l’égard de la décision : Vavilov, au para 85.
[25] La SAI, en tant que décideur, peut apprécier la preuve dont elle dispose. À moins de circonstances exceptionnelles, la cour de révision ne modifiera pas ses conclusions de fait. La cour de révision doit s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur »
: Vavilov, au para 125.
V.
Analyse
A.
Le revenu vital minimum
[26] Pour démontrer à la SAI qu’elle satisfaisait à l’exigence relative au RVM après la décision de l’agent des visas, la demanderesse a présenté des avis de cotisation, des feuillets T4 et des talons de paie provenant de son premier employeur. Comme l’a souligné la SAI, exception faite du formulaire T4A et de la lettre du deuxième employeur, rien n’établissait que les revenus nouvellement allégués avaient été versés à la demanderesse.
[27] La SAI avait un doute parce que, dans sa lettre, le deuxième employeur indiquait que la demanderesse était toujours à son emploi environ deux ans après la date à laquelle, selon la demanderesse elle-même et son mari, elle avait cessé de travailler pour lui, soit en décembre 2017.
[28] La SAI a souligné qu’au paragraphe 22 de la décision Motala c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 123, il a été confirmé qu’en vertu de son pouvoir discrétionnaire d’établir si les motifs d’interdiction de territoire ont été réfutés, la SAI peut mettre en doute l’exactitude de documents financiers présentés à l’appui des demandes de parrainage et exiger que le revenu déclaré dans l’avis de cotisation soit corroboré.
[29] Le 5 février 2020, le représentant de la demanderesse a été invité à fournir des documents se rapportant aux revenus de 2019 de la demanderesse et de son époux lorsque ce serait possible. Il a également été invité à [traduction] « fournir dès que possible des documents à jour relatifs aux revenus de 2019 de la répondante et du cosignataire, par exemple des feuillets T4, des lettres d’emploi, des déclarations de revenus et des talons de chèque de paie des dernières périodes de paie »
.
[30] Les doutes de la SAI découlaient du fait que les nouveaux revenus avaient été déclarés uniquement après que l’agent des visas eut rejeté la demande au motif que la demanderesse ne satisfaisait pas à l’exigence relative au RVM pour six personnes. Des éléments de preuve démontrant que l’impôt avait été payé ont également été demandés.
[31] Le 2 mars 2020, le représentant de la demanderesse a été invité à fournir des éléments de preuve confirmant les revenus qui n’avaient pas été déclarés auparavant, par exemple des talons de chèque de paie ou des factures.
[32] À la date de l’audience de la SAI, en septembre 2020, outre les documents déjà mentionnés dont disposait la SAI, aucun des documents supplémentaires suggérés n’avait été présenté.
[33] Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus qu’il était raisonnable que la SAI exige des éléments de preuve plus précis corroborant les feuillets T4 et les avis de cotisation. Cette demande était d’autant plus raisonnable que la lettre du deuxième employeur indiquait erronément que la demanderesse travaillait toujours pour lui en 2019.
[34] Le défaut de présenter les éléments de preuve précisément suggérés pour corroborer les revenus additionnels, ou tout autre élément de cet ordre, n’a pas aidé la cause de la demanderesse.
[35] En définitive, la SAI a raisonnablement conclu que, sans corroboration, la preuve présentée par la demanderesse n’était pas convaincante.
B.
Les motifs d’ordre humanitaire
[36] En vertu de l’alinéa 67(1)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, la SAI peut accueillir un appel si elle est convaincue que, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché, des motifs d’ordre humanitaire justifient, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.
[37] Le seul élément de preuve présenté à l’appui de la demande de mesures spéciales était une note manuscrite, datée du 24 février 2020, que la demanderesse avait rédigée à propos de sa relation avec sa famille pour démontrer combien elle est étroite. Elle a envoyé quelques photos de famille prises entre janvier 2015 et décembre 2019, et elle a indiqué qu’elle essayait de rendre visite à sa famille chaque année.
[38] La SAI a entendu les témoignages de la demanderesse et de son époux. Elle a souligné que le père et la mère de la demanderesse étaient respectivement agriculteur et femme au foyer au Guyana. Ils vivent dans une maison dont ils sont propriétaires. Leurs deux enfants plus jeunes vivent avec eux.
[39] La demanderesse a allégué que la vie au Guyana était généralement plus difficile qu’au Canada. La SAI a dit comprendre son désir que sa famille soit réunie, mais elle a fait observer que très peu d’éléments de preuve avaient été présentés concernant les difficultés auxquelles ses parents sont confrontés au Guyana.
[40] En ce qui concerne les difficultés de la demanderesse elle-même, en tant qu’enfant de ses parents, la SAI a conclu, comme il a déjà été mentionné, que sa situation au Canada ne justifiait pas l’octroi de mesures spéciales, car elle et son mari n’avaient pas encore d’enfants. Puisque la demanderesse voulait parrainer sa famille principalement en vue d’obtenir de l’aide pour s’occuper de ses enfants lorsqu’elle en aurait, je suis d’avis qu’il était raisonnable que la SAI conclue qu’au moment de la décision, elle n’était confrontée à aucune difficulté.
VI.
Conclusion
[41] La SAI a raisonnablement examiné la preuve orale et documentaire dont elle disposait, et elle a expliqué de façon claire et rationnelle pourquoi la demanderesse ne l’avait pas convaincue d’accueillir l’appel.
[42] Au regard des faits et du droit, le résultat auquel la SAI est parvenue dans la présente affaire est raisonnable.
[43] Pour tous les motifs qui précèdent, la demande sera rejetée, sans dépens.
[44] Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.
JUGEMENT dans le dossier IMM-5336-20
LA COUR STATUE :
La demande est rejetée sans dépens;
Il n’y a pas de question de portée générale à certifier.
« E. Susan Elliott »
Juge
Traduction certifiée conforme
N. Belhumeur
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-5336-20
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INTITULÉ :
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CHITRANIE SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 2 MAI 2022
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE ELLIOTT
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DATE DES MOTIFS :
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LE 3 MAI 2022
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COMPARUTIONS :
Chitranie Singh
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POUR SON PROPRE COMPTE
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Lorne McClenaghan
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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