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Date : 20220426


Dossier : IMM-4767-21

Référence : 2022 CF 602

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 26 avril 2022

En présence de madame la juge Furlanetto

ENTRE :

SANHAN THANH TRUONG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 16 juin 2021 [la décision] par laquelle un consul et gestionnaire adjoint du programme de migration [l’agent] a rejeté la demande d’approbation de la réadaptation présentée au titre de l’alinéa 36(3)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] et de l’alinéa 17a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR]. L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas présenté de preuve suffisante pour établir qu’il était réadapté.

[2] Pour les motifs exposés ci-dessous, je conclus que la décision est raisonnable et qu’il y a lieu de rejeter la demande.

I. Contexte

[3] Le demandeur, Sanhan Thanh Truong, est un ressortissant américain. Le 4 avril 2019, il a présenté une demande d’approbation de la réadaptation [la demande]. Neuf condamnations et quatre autres accusations étaient indiquées dans la demande. À cette dernière étaient également joints les détails relatifs à un travail autonome en 2017, une déclaration personnelle et des lettres de recommandation provenant du frère, du colocataire et de la belle-sœur du demandeur.

[4] Le 16 juin 2021, l’agent a rejeté la demande au motif que la demande et les documents à l’appui avaient été [traduction] « examinés de manière exhaustive et avec bienveillance », mais ne l’avaient pas convaincu que M. Truong était réadapté. Par conséquent, l’interdiction de territoire du demandeur est demeurée en vigueur, conformément à l’alinéa 36(2)b) de la LIPR.

[5] Les notes consignées au Système mondial de gestion des cas [le SMGC] renferment les motifs de la décision, y compris un résumé des antécédents criminels du demandeur et une liste des éléments dont a tenu compte l’agent au moment de déterminer si le demandeur était réadapté. L’analyse qu’a effectuée l’agent des documents présentés par le demandeur est rédigée en ces termes :

[traduction]
[…] En raison de ses cinq condamnations, il est déclaré interdit de territoire au Canada pour criminalité, aux termes de l’alinéa 36(2)b). Dans sa réponse à la question 16, il affirme que, jeune adulte, il a commis de nombreuses erreurs, mais qu’il a, depuis, appris de ses erreurs. Il a décrit brièvement les événements qui ont donné lieu aux accusations et aux condamnations. L’explication selon laquelle il se trouvait à la mauvaise place au mauvais moment revient constamment. Il affiche un modèle de comportement criminel, dont de nombreuses infractions et des démêlés avec la justice. Il a présenté trois lettres de recommandation personnelles : de son colocataire, de sa belle-sœur, et de son frère. Malheureusement, ces lettres de recommandation n’indiquent aucune connaissance détaillée que ce soit au sujet des multiples condamnations du demandeur, mais renvoient plutôt à ses erreurs passées de façon générale ou au fait que, comme le dit son frère, « il a commis de nombreuses erreurs dans le passé ». Toutefois, la dernière infraction du demandeur remonte à plus de cinq ans et il a pris ses distances par rapport aux gens qui n’étaient pas de bonnes fréquentations pour lui. Le demandeur a présenté sa déclaration de revenus des États-Unis pour l’année 2017, affichant des revenus d’entreprise de 49 522 $, à titre de travailleur autonome. Il déclare dans le formulaire qu’il est technicien en pose d’ongles. Il n’a déposé aucun document indiquant qu’il aurait eu recours à des séances de counseling, de traitement ou à quelque autre forme de réadaptation. Après examen de la demande de réadaptation, la documentation ne suffit pas à me convaincre que le demandeur est réadapté et qu’il ne récidivera pas.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[6] Le demandeur soulève les deux questions suivantes dans sa demande :

[7] La norme de contrôle judiciaire applicable à une décision relative à une demande de réadaptation est celle de la décision raisonnable : Kyari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 159, au para 24. Aucune des situations permettant de réfuter la présomption voulant que les décisions administratives soient susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable ne se présente en l’espèce : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], aux para 9-10.

[8] En évaluant le caractère raisonnable de la décision, la Cour doit déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov, aux para 85-86; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, aux para 2, 31. Une décision est raisonnable si, lorsqu’elle est lue dans son ensemble et que le contexte administratif est pris en compte, elle possède les caractéristiques de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité : Vavilov, aux para 91-95, 99-100.

[9] Les questions relatives à l’équité procédurale ne sont pas, à strictement parler, assujetties à une analyse selon la norme de contrôle judiciaire. Il s’agit plutôt de déterminer si la procédure suivie par le décideur était juste et équitable : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au para 54; Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196, au para 35; Sangha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 95, au para 13.

III. Analyse

A. L’examen qu’a réalisé l’agent des condamnations antérieures du demandeur était-il obscur, imprécis et contradictoire, de manière à rendre sa décision déraisonnable et inéquitable sur le plan procédural?

[10] Selon le demandeur, l’agent a commis une erreur en déclarant que cinq condamnations emportaient interdiction de territoire, alors que, tout au plus, le demandeur avait fait l’objet de seulement trois condamnations. Le demandeur soutient que la décision était inintelligible et inéquitable sur le plan procédural, car les condamnations auxquelles il était fait référence dans la décision n’étaient pas précisées.

[11] À titre préliminaire, je remarque que la première question était caractérisée comme un argument d’équité procédurale dans les documents écrits du demandeur; or, les arguments présentés étaient uniquement fondés sur la teneur des motifs et leur caractère suffisant, plutôt que sur l’équité du processus décisionnel. L’argument de manquement à l’équité procédurale est sans fondement. J’ai donc traité l’argument uniquement comme une question liée au caractère raisonnable.

[12] Le demandeur renvoie à neuf condamnations dans sa demande. L’agent fait remarquer que deux des condamnations ont été prononcées alors que le demandeur était âgé de moins de 18 ans et n’emportent pas interdiction de territoire. L’agent affirme également que deux condamnations (l’une datant de 2007, l’autre de 2017) avaient pour objet la conduite d’un véhicule sans permis de conduire. Selon lui, ces accusations sont l’équivalent d’infractions provinciales au Canada et n’emportent pas interdiction de territoire. Bien que cette explication ne figure pas expressément dans les notes consignées au SMGC, on peut directement conclure que les cinq autres condamnations énoncées dans la demande sont celles auxquelles l’agent renvoie dans sa décision comme étant les cinq condamnations qui emportent interdiction de territoire. À mon avis, le fait que les cinq infractions ne sont pas expressément énoncées dans les notes consignées au SMGC, ou le fait qu’il y a erreur administrative au sujet de l’une des peines, ne rend pas la décision inintelligible, en particulier là où il est possible de tirer une conclusion logique.

[13] N’est pas non plus convaincant le renvoi, par le demandeur, à des entrées antérieures dans les notes consignées au SMGC, comme moyen de soulever l’incohérence dont aurait fait preuve l’agent au moment d’examiner les accusations criminelles. Le registre dans les notes consignées au SMGC indique que des entrées antérieures n’ont pas été effectuées par le même agent ayant écrit l’entrée de juin 2021 et ne font pas partie de la décision.

[14] Le demandeur s’oppose également à ce que l’accusation relative à la perturbation de la paix publique fasse partie de la liste des cinq infractions, car il s’agit d’un délit mineur. Or, je suis d’accord avec le défendeur, car, étant donné qu’il y avait déjà plusieurs actes criminels énumérés dans la liste des condamnations, il était raisonnable que l’agent tienne compte de cette autre condamnation. En outre, alors qu’une certaine incertitude avait été soulevée quant au règlement de l’accusation liée à la course d’accélération en 2004, je ne crois pas que l’agent ait commis une erreur en se fiant aux détails relatifs à l’infraction, tel que le soutient le demandeur en l’espèce.

[15] De plus, même si l’accusation liée à la course d’accélération ne figure pas dans la liste, cela ne signifie pas que le raisonnement de l’agent présente une erreur fatale ni que la décision souffre de lacunes graves à un point tel que cela la rende inintelligible ou déraisonnable : Vavilov, aux para 100, 103-104; Canada (Citizenship and Immigration) v Mason, 2021 FCA 156, au para 36. Il ne fait aucun doute que les condamnations criminelles antérieures du demandeur emportent interdiction de territoire. Dans sa déclaration personnelle, le demandeur reconnaît son interdiction de territoire pour criminalité, ses [traduction] « nombreuses erreurs » et ses multiples accusations et condamnations.

[16] Comme l’a fait remarquer le défendeur, il n’incombe pas à l’agent de déterminer si le demandeur est frappé d’interdiction de territoire pour criminalité, car cela est déjà un fait établi; plutôt, il évalue la demande de réadaptation du demandeur.

[17] Semblablement, l’argument du demandeur selon lequel l’agent a commis une erreur en constatant un modèle de comportement criminel n’est pas convaincant. Le fait qu’il y a eu plusieurs condamnations et accusations de toutes sortes portées contre lui par la police pendant une période prolongée n’est pas contesté par le demandeur dans sa déclaration personnelle ou dans les déclarations des personnes ayant présenté des lettres de recommandation. Il ne s’agit pas d’une demande fondée sur un incident isolé. À mon avis, il n’était pas déraisonnable de la part de l’agent de conclure qu’un modèle de comportement criminel se dégageait du dossier et qu’il fallait l’examiner dans le cadre de la demande.

B. L’agent a-t-il commis l’erreur d’appliquer le mauvais critère juridique au moment de déterminer si le demandeur était réadapté?

[18] Le demandeur soutient également que l’agent a appliqué le mauvais critère juridique au moment d’examiner la demande. Le demandeur affirme que l’agent a rejeté sa demande parce qu’il n’a pas reçu de counseling, de traitement ou autres formes de réadaptation, alors qu’il était seulement exigé qu’il démontre que son dossier était sans tache depuis au moins cinq ans. Or, cette dernière affirmation n’est pas juste au sens de la loi, ni l’affirmation précédente, par ailleurs.

[19] Le critère énoncé par le demandeur s’apparente au critère relatif aux personnes présumées réadaptées, aux termes de l’article 18 du RIPR. Le demandeur n’appartient pas à la catégorie des personnes présumées réadaptées. Plutôt, sa demande de réadaptation est visée par l’alinéa 36(3)c) de la LIPR et l’alinéa 17a) du RIPR. En vertu de ces dispositions, il incombe au demandeur le fardeau de convaincre le ministre qu’il est réadapté et ne posera pas de risques pour les Canadiens. Le fardeau ne consiste pas simplement à établir que le demandeur n’a pas été déclaré coupable d’actes criminels depuis au moins cinq ans.

[20] L’agent dresse une longue liste de facteurs qu’il a examinés au moment d’établir s’il y a eu réadaptation. L’un de ces facteurs était la question de savoir si le demandeur avait suivi un programme de réadaptation ou participé à des séances de counseling.

[21] L’agent examine ensuite la déclaration personnelle du demandeur et les documents à l’appui, mais les déclare insuffisants pour établir qu’il y a eu réadaptation. L’agent fait remarquer l’explication qui revient souvent dans la déclaration personnelle du demandeur, selon laquelle ce dernier se serait trouvé à la mauvaise place au mauvais moment. L’agent prend acte des lettres de recommandation, mais soutient qu’aucune de ces lettres ne fournit une connaissance détaillée des nombreuses condamnations du demandeur, car ces lettres renvoient seulement de façon générale aux erreurs passées commises par le demandeur et à son désir général de se distancier de ces expériences. Même si l’agent affirme que le demandeur n’a présenté aucun document pour démontrer qu’il aurait obtenu du counseling, un traitement ou une autre forme de réadaptation, selon moi, ses commentaires n’imposent pas au demandeur l’exigence d’obtenir du counseling, un traitement ou une autre forme de réadaptation. Plutôt, l’agent fait simplement remarquer que ce type de preuve positive n’a pas été présenté à l’appui de la demande, et que la preuve documentaire du demandeur se limitait à sa déclaration de revenus des États-Unis pour l’année 2017 et aux déclarations générales des personnes ayant fourni les lettres de recommandation pour le demandeur. L’agent a conclu que la preuve présentée n’était pas suffisante pour établir qu’il y avait eu réadaptation. À mon avis, il était loisible à l’agent de parvenir à cette conclusion en raison de la nature limitée de la preuve présentée. Je n’arrive pas à la conclusion que la décision était déraisonnable.

[22] Pour les motifs énoncés précédemment, la demande est rejetée. Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question à certifier, et la présente affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-4767-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Angela Furlanetto »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4767-21

 

INTITULÉ :

SANHAN THANH TRUONG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 AVRIL 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

La JUGE FURLANETTO

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 AVRIL 2022

 

COMPARUTIONS :

Herman Dhade

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Lorne McClenaghan

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dhade & Associates

Avocats

Brampton (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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