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Date : 20220429


Dossier : T‑1597‑21

Référence : 2022 CF 625

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 avril 2022

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE :

POMMES DE TERRE NOUVEAU‑BRUNSWICK et RICHARD ALLAN

demandeurs

et

AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. La nature de l’affaire

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant la décision de l’Agence canadienne d’inspection des aliments [l’ACIA] de mener une enquête nationale sur la gale verruqueuse de la pomme de terre [l’Enquête nationale] en vertu de la Loi sur la protection des végétaux, LC (1990), c 22 [la LPV ou la Loi] et du Règlement sur la protection des végétaux, DORS/95‑212 [le RPV]. L’Enquête nationale s’inscrit dans le cadre d’une réforme du programme de surveillance de l’ACIA à la suite de la découverte de cas de gale verruqueuse à l’Île‑du‑Prince‑Édouard en 2020, et bien auparavant à Terre‑Neuve‑et‑Labrador.

[2] La demanderesse, Pommes de terre Nouveau‑Brunswick [PTNB], est un organisme à but non lucratif créé par voie législative au Canada et au Nouveau‑Brunswick : la Loi sur la commercialisation des produits de ferme, LRN‑B 1973, c F‑6.1, la Loi sur la commercialisation des produits agricoles, SRC (1970), c A‑7 et le Décret sur les pommes de terre du Nouveau‑Brunswick, DORS/80‑726. PTNB collabore avec des partenaires de l’industrie en vue de promouvoir les besoins des producteurs de pommes de terre du Nouveau‑Brunswick.

[3] Le demandeur, Richard Allan, est membre de PTNB. Il cultive des pommes de terre de semence avec Gailen Allan dans une exploitation agricole appelée Green Brook Farms, qui est située à Glassville (Nouveau‑Brunswick). Richard Allen pratique cette culture depuis 45 ans.

[4] La défenderesse, l’ACIA, est un organisme fédéral qui, dans le contexte de la présente instance, agit sous l’autorité de la LPV et du RPV. L’ACIA gère le parasite de la gale verruqueuse de la pomme de terre à Terre‑Neuve depuis la première fois où il a été découvert, ainsi qu’à l’Île‑du‑Prince‑Édouard depuis 2020.

II. Les faits

A. Le contexte

[5] La gale verruqueuse (Synchytrium endobioticum) [la GV] est un champignon qui attaque les pommes de terre, provoquant la formation de tissus verruqueux qui sont visibles à la surface des tubercules. Le champignon produit des spores qui peuvent germer et causer de nouvelles infections. Les spores présentes sur les tubercules et dans le sol peuvent être propagées par le déplacement des récoltes, de la terre ou de l’équipement. Elles peuvent survivre 30 ans dans le sol.

[6] Les parties conviennent que la gale verruqueuse de la pomme de terre est un « parasite » aux fins de l’application de la LPV et du RPV.

[7] La gale verruqueuse de la pomme de terre est également un « organisme nuisible de quarantaine », car elle peut s’établir et entraîner des effets économiques négatifs importants. La gale verruqueuse de la pomme de terre cause de fortes baisses de rendement et rend les terres impropres à la culture de la pomme de terre pendant une longue période. Elle a également des impacts négatifs sur le commerce d’autres produits de base — autres cultures de racines, plantes — qui sont associés au sol infecté.

[8] Une fois que la gale verruqueuse de la pomme de terre a été introduite dans un champ, il faut de nombreuses années pour que la population des pommes de terre touchées atteigne une taille qui permet à la maladie d’être observable sur la culture attaquée.

[9] L’échantillonnage de sol est donc devenu la nouvelle norme pour tester la gale verruqueuse de la pomme de terre, et des partenaires commerciaux du Canada, dont les États‑Unis, ont adopté ce changement.

[10] La gale verruqueuse de la pomme de terre n’a pas été détectée au Nouveau‑Brunswick. Toutefois, elle a été détectée à Terre‑Neuve‑et‑Labrador [T.‑N.‑L.] et à l’Île‑du‑Prince‑Édouard [Î.‑P.‑É.], et la découverte la plus récente a été faite en 2020 à l’Î.‑P.‑É. Les régions productrices de pommes de terre dans ces deux provinces font désormais l’objet de contrôles réglementaires (Plan canadien de lutte à long terme contre la gale verruqueuse) pour s’assurer que la maladie ne se propage pas. Les contrôles sont mis en œuvre en vertu de la LPV et de son règlement d’application.

[11] En octobre 2020, l’ACIA a détecté la gale verruqueuse de la pomme de terre à l’Î.‑P.‑É. Cela a incité l’ACIA à procéder à un examen de son programme de surveillance de la gale verruqueuse, lequel est utilisé pour vérifier que les régions sont exemptes de la gale verruqueuse. La découverte faite à l’Î.‑P.‑É. en 2020 constitue une « nouvelle trouvaille » du parasite dans des exploitations de pommes de terre de semence qui en étaient auparavant exemptes. Les exploitations de pommes de terre de semence présentent un risque élevé en raison de leur capacité à propager la gale verruqueuse de la pomme de terre. L’ACIA a conclu qu’il était nécessaire d’adopter une approche de surveillance plus robuste et d’accroître les échantillonnages de sol effectués en dehors des régions qui sont déjà réglementées à l’égard de la gale verruqueuse de la pomme de terre.

[12] La majorité du commerce interprovincial des pommes de terre de semence de l’Î.‑P.‑É. se fait avec les provinces de l’Est. Le Nouveau‑Brunswick est la plus grande province importatrice, recevant 59,6 % des pommes de terre de semence issues de l’Î.‑P.‑É. qui sont destinées au commerce interprovincial, suivi de l’Ontario (29,2 %), de la Nouvelle‑Écosse (5,2 %) et du Québec (4,1 %).

[13] Les États‑Unis sont le principal débouché des exportations canadiennes de pommes de terre de semence.

[14] En 2021, après avoir terminé l’examen motivé par la découverte de la gale verruqueuse de la pomme de terre à l’Î.‑P.‑É. dans des exploitations de pommes de terre de semence qui étaient auparavant exemptes de ce parasite, l’ACIA a décidé de mettre en œuvre une enquête nationale portant sur la gale verruqueuse de la pomme de terre. Cela a abouti à la création de l’Enquête nationale sur la gale verruqueuse de la pomme de terre (GV) de 2021. L’Enquête nationale sur la GV de 2021 a été créée pour confirmer l’absence de gale verruqueuse de la pomme de terre dans les régions non réglementées du Canada. La dernière enquête nationale sur la gale verruqueuse de la pomme de terre qui avait été menée au Canada remontait aux années 1990. Depuis la conduite de cette dernière, la surveillance exercée était restreinte à T.‑N.‑L. et à l’Î.‑P.‑É.

[15] Dans le cadre de l’Enquête nationale sur la GV, les inspecteurs de l’ACIA prélèvent et analysent des échantillons de sol dans des champs sélectionnés qui sont utilisés pour la production de pommes de terre de semence partout au Canada, y compris au Nouveau‑Brunswick.

[16] La présente Enquête est réalisée sans frais pour les producteurs de pommes de terre de semence.

[17] Avant sa mise en œuvre, l’ACIA a discuté de la nécessité de mener une enquête nationale sur la gale verruqueuse avec les représentants de l’industrie, et a publié un avis à l’industrie le 9 juillet 2021.

[18] Un certain nombre de représentants de l’industrie ont appuyé la tenue d’une enquête nationale afin de protéger les pommes de terre de semence et les exportations de pommes de terre aux États‑Unis.

[19] Cependant, le demandeur, PTND, était globalement contre la réalisation d’une enquête nationale, tout comme le demandeur Richard Allan.

[20] L’ACIA a préparé un document d’orientation provisoire pour la mise en œuvre de l’enquête en 2021 en réponse à la résistance anticipée des producteurs.

B. Événements ayant conduit à la demande

[21] Le 28 septembre 2021, l’ACIA a publié un « Avis aux producteurs de pommes de terre de semence ». Elle a informé les producteurs de pommes de terre et de pommes de terre de semence, ainsi que d’autres personnes, que l’Enquête nationale sur la GV de 2021 aurait lieu à l’automne 2021.

[22] Le 1er octobre 2021, l’ACIA a envoyé une lettre aux producteurs, notamment au demandeur M. Allan, dont les champs de pommes de terre de semence avaient été sélectionnés pour l’échantillonnage.

[23] Dans son affidavit, M. Allan déclare qu’il n’a jamais donné son consentement à la conduite de l’Enquête nationale sur la GV de 2021. L’ACIA ne lui a jamais demandé si la gale verruqueuse avait été découverte sur des pommes de terre de semence de son exploitation agricole, ou s’il était au courant que des pommes de terre de semence de son exploitation, y compris sa récolte la plus récente, ou du sol de son exploitation agricole, avaient été en contact avec le parasite.

[24] Dans son mémoire, le demandeur indique que l’ACIA [TRADUCTION] « a procédé unilatéralement à la réalisation de l’Enquête sur les exploitations agricoles associées aux demandeurs, et a notamment pénétré dans ces exploitations et prélevé des échantillons de sol sans qu’elle y soit autorisée ». Je note qu’il n’y a pas d’autres preuves que l’Enquête nationale sur la GV de 2021 a eu lieu au Nouveau‑Brunswick, ou de la portée de sa réalisation.

[25] Les demandeurs ont déposé la présente demande de contrôle judiciaire le 20 octobre 2021.

III. La décision faisant l’objet du présent contrôle

A. L’Avis aux producteurs de pommes de terre de semence

[26] L’Avis aux producteurs de pommes de terre de semence du 28 septembre 2021 informe les demandeurs que l’Enquête nationale sur la GV de 2021 sera menée à l’automne 2021. Il indique que l’objectif de l’enquête est de [traduction] « confirmer si les régions du Canada où la GV n’a pas été détectée restent exemptes de cet organisme nuisible de quarantaine ».

[27] L’avis explique en outre la nature de la gale verruqueuse de la pomme de terre et l’historique de sa présence au Canada. Comme le parasite a été trouvé à l’Î.‑P.‑É. et T.‑N.‑L., les exploitations agricoles situées dans ces deux provinces font désormais l’objet de contrôles exercés par l’ACIA pour contenir la propagation de la gale verruqueuse de la pomme de terre. Ces contrôles comprennent la délivrance de certificats de circulation, la réalisation de contrôles de quarantaine et le prélèvement obligatoire d’échantillons de sol. L’Avis informe également que la gale verruqueuse de la pomme de terre a été découverte dans certains champs de l’Î.‑P.‑É. au cours des 20 dernières années, la découverte la plus récente ayant été faite en 2020. Compte tenu de ce qui précède, l’Avis aux producteurs de pommes de terre de semence informe que : [traduction] « L’Enquête nationale sur la GV est nécessaire pour renforcer le programme de surveillance nationale et pour vérifier davantage que les autres régions du Canada sont exemptes de cet organisme nuisible de quarantaine. En démontrant que le Canada s’engage à prévenir et à gérer la propagation de la GV, l’Enquête nationale renforcera la confiance nationale et internationale dans le système canadien de production de pommes de terre de semence et réduira le risque de perturbations commerciales. »

[28] L’Avis de l’ACIA aux producteurs de pommes de terre de semence décrit plus en détail ce qu’implique l’Enquête :

[traduction]

[…] L’Enquête nationale comprendra le prélèvement d’échantillons de sol dans les champs utilisés pour la production de pommes de terre de semence, y compris les pommes de terre à usage domestique. Un certain nombre de champs seront sélectionnés dans chacune des régions productrices de pommes de terre de semence au Canada, à l’exception de Terre‑Neuve‑et‑Labrador qui fait déjà l’objet de contrôles réglementaires à l’égard de la GV. Pour la partie de l’enquête qui est menée dans des lieux où la présence de la GV est connue, l’enquête sera menée indépendamment des programmes d’échantillonnage qui sont réalisés à des fins d’exportation et d’enquête.

Un maximum de 1000 échantillons de sol sera prélevé dans le cadre de l’Enquête nationale sur la GV de 2021. Le nombre d’échantillons à prélever par province est basé sur la proportion d’hectares de pommes de terre de semence plantées et sur la proportion de pommes de terre de semence importées des provinces où la GV était présente au cours des dix années précédentes.

[29] L’Avis de l’ACIA cite la loi et le règlement applicables, notamment l’article 25 de la LPV et l’article 16 du RPV. L’ACIA informe les producteurs que la loi autorise ses inspecteurs à mener l’Enquête nationale et qu’il incombe aux propriétaires des exploitations agricoles ou aux personnes qui en sont chargées d’aider ces inspecteurs à s’acquitter des fonctions que leur confère la Loi. Elle rappelle aux producteurs que le fait d’empêcher un inspecteur de s’acquitter de ses fonctions légales peut donner lieu à des mesures d’exécution prévues par règlement.

B. La lettre à Richard Allan

[30] Dans la lettre de l’ACIA du 1er octobre 2021 adressée à Richard Allan, son inspecteur décrit l’objectif et la justification de l’Enquête nationale sur la GV de 2021 : « Cette enquête confirmera si les régions du Canada où la GV n’a pas été détectée restent exemptes du parasite. Cette activité est menée dans le cadre du mandat général de l’ACIA de protéger la base de ressources végétales du Canada. Elle renforcera la confiance nationale et internationale dans le système canadien de production de pommes de terre de semence, réduira le risque de perturbations commerciales ainsi que le risque que les analyses de sol pour le dépistage de la GV deviennent obligatoires pour les pommes de terre de semence destinées à l’exportation. »

[31] La lettre explique ensuite « qu’[un] ou plusieurs champs de l’unité d’exploitation agricole [de Richard Allan] dédiée à la production de pommes de terre de semence ont été sélectionnés aux fins de cette enquête ».

[32] La lettre avait en pièces jointes un document de Questions et Réponses (Q‑R) et l’Avis aux producteurs de pommes de terre de semence. Les Q‑R fournissent des informations additionnelles sur la gale verruqueuse de la pomme de terre, sa détection, son identification et sa gestion, ainsi que sur les règlements appliqués par l’ACIA. Parmi les Q et R spécifiques, citons :

7. Pourquoi l’ACIA réglemente‑t‑elle la GV?

Au Canada, la galle verruqueuse de la pomme de terre est un organisme de quarantaine, ce qui signifie qu’elle peut s’établir et avoir des effets économiques négatifs importants. La galle verruqueuse de la pomme de terre peut causer de graves réductions de rendement, ce qui peut rendre les terres impropres à la production de pommes de terre pendant une longue période, car les spores peuvent vivre jusqu’à 30 ans. De plus, si la GV est présente, elle peut avoir un impact sur le commerce d’autres produits associés au sol, tels que d’autres cultures racines ou d’autres plantes qui seront replantées.

8. Pourquoi l’ACIA fait‑elle autant d’échantillonnages de sols pour le dépistage de la GV, en particulier dans certaines provinces?

Au Canada et dans de nombreux autres pays, la GV est un organisme nuisible de quarantaine. L’ACIA est donc tenue de mettre en place des contrôles qui réduisent les risques de propagation de la GV à l’échelle nationale et internationale. L’ACIA effectue de nombreuses inspections et analyses de sol pour garantir que les régions sont considérées comme étant exemptes de GV.

[33] L’inspecteur de l’ACIA a dirigé Richard Allan vers le bureau local de l’ACIA pour toute question concernant la procédure d’échantillonnage.

IV. Les questions en litige

[34] Les questions qui sont en litige dans la présente demande consistent à savoir si la décision de l’ACIA de lancer l’Enquête nationale sur la GV de 2021 était raisonnable et si la LPV ou le RPV porte atteinte à l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‑U), 1982, c 11 [la Charte].

V. La norme de contrôle applicable

A. Le caractère raisonnable

[35] Pour ce qui est du caractère raisonnable, dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, lequel a été rendu en même temps que l’arrêt Vavilov de la Cour suprême du Canada, le juge Rowe, s’exprimant au nom de la majorité, explique ce que l’on exige d’une décision raisonnable, et ce que l’on exige d’un tribunal qui procède à un contrôle fondé sur la norme de la décision raisonnable :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « . . . ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [. . .] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100).

[Non souligné dans l’original.]

[36] Comme l’a écrit la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov, la cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient » :

[104] De même, la logique interne d’une décision peut également être remise en question lorsque les motifs sont entachés d’erreurs manifestes sur le plan rationnel — comme lorsque le décideur a suivi un raisonnement tautologique ou a recouru à de faux dilemmes, à des généralisations non fondées ou à une prémisse absurde. Il ne s’agit pas d’inviter la cour de révision à assujettir les décideurs administratifs à des contraintes formalistes ou aux normes auxquelles sont astreints des logiciens érudits. Toutefois, la cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient ».

[105] En plus de la nécessité qu’elle soit fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent, une décision raisonnable doit être justifiée au regard de l’ensemble du droit et des faits pertinents : Dunsmuir, par. 47; Catalyst, par. 13; Nor‑Man Regional Health Authority, par. 6. Les éléments du contexte juridique et factuel d’une décision constituent des contraintes qui ont une influence sur le décideur dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont délégués.

[Non souligné dans l’original.]

[37] De plus, il ressort on ne peut plus clairement de l’arrêt Vavilov que le rôle de notre Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve, « à moins de circonstances exceptionnelles ». Comme le prescrit la Cour suprême du Canada :

[125] Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » : CCDP, par. 55; voir également Khosa, par. 64; Dr Q, par. 41‑42. D’ailleurs, bon nombre des mêmes raisons qui justifient la déférence d’une cour d’appel à l’égard des conclusions de fait tirées par une juridiction inférieure, dont la nécessité d’assurer l’efficacité judiciaire, l’importance de préserver la certitude et la confiance du public et la position avantageuse qu’occupe le décideur de première instance, s’appliquent également dans le contexte du contrôle judiciaire : voir Housen, par. 15‑18; Dr Q, par. 38; Dunsmuir, par. 53.

[Non souligné dans l’original.]

[38] Dans l’arrêt Doyle c Canada (Procureur général), 2021 CAF 237, la Cour d’appel fédérale a récemment décrété que notre Cour n’a pas à soupeser à nouveau la preuve :

[traduction]

[3] La Cour fédérale avait tout à fait raison d’agir ainsi. Selon ce régime législatif, le décideur administratif, en l’espèce le directeur, examine seul les éléments de preuve, tranche les questions d’admissibilité et d’importance à accorder à la preuve, détermine si des inférences doivent en être tirées, et rend une décision. Lorsqu’elle effectue le contrôle judiciaire de la décision du directeur en appliquant la norme de la décision raisonnable, la cour de révision, en l’espèce la Cour fédérale, peut intervenir uniquement si le directeur a commis des erreurs fondamentales dans son examen des faits, qui minent l’acceptabilité de la décision. Soupeser à nouveau les éléments de preuve ou les remettre en question ne fait pas partie de son rôle. S’en tenant à son rôle, la Cour fédérale n’a relevé aucune erreur fondamentale.

[4] En appel, l’appelant nous invite essentiellement dans ses observations écrites et faites de vive voix à soupeser à nouveau les éléments de preuve et à les remettre en question. Nous déclinons cette invitation.

VI. Analyse

A. Le caractère raisonnable de la décision

(1) La LPV et le RPV

[39] La défenderesse se fonde principalement sur les alinéas 25(1)a), c) et e) de la LPV ainsi que sur le paragraphe 16(1) du RPV qui, considère‑t‑elle, sont les dispositions qui ont autorisé la tenue de l’Enquête nationale sur la GV de 2021. Comme il est indiqué au paragraphe 25(1) de la LPV :

Pouvoirs de visite

Inspection

25 (1) Afin de vérifier l’existence de parasites ou à toute fin liée à la vérification du respect ou à la prévention du non‑respect de la présente loi, l’inspecteur peut:

25(1) For the purpose of detecting pests or for a purpose related to verifying compliance or preventing non‑compliance with this Act, an inspector may

a) sous réserve de l’article 26, procéder, à toute heure convenable, à la visite de tout lieu — et à cette fin, à l’immobilisation d’un véhicule — où se trouvent, à son avis, des choses visées par la présente loi ou les règlements;

(a) subject to section 26 [which requires a warrant or consent to enter a dwelling place and is not applicable in this case, ed.], at any reasonable time, enter and inspect any place, or stop any conveyance, in which the inspector believes on reasonable grounds there is any thing in respect of which this Act or the regulations apply;

b) ouvrir tout contenant — bagages, récipient, cage, emballage ou autre — qui, à son avis, contient de telles choses;

(b) open any receptacle, baggage, package, cage or other thing that the inspector believes on reasonable grounds contains any thing in respect of which this Act or the regulations apply

c) examiner celles‑ci et procéder sur elles à des prélèvements;

(c) examine any thing in respect of which this Act or the regulations apply and take samples of it;

d) exiger la communication, pour examen ou reproduction totale ou partielle, de tout document renfermant, à son avis, des renseignements utiles à l’application de la présente loi ou des règlements;

(d) require any person to produce for inspection or copying, in whole or in part, any record or other document that the inspector believes on reasonable grounds contains any information relevant to the administration of this Act or the regulations; and

e) faire des tests et des analyses et prendre des mesures.

(e) conduct any tests or analyses or take any measurements.

L’avis de l’inspecteur doit être fondé sur des motifs raisonnables.

blank

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added]

[40] Le texte du paragraphe 16(1) du RPV est le suivant :

16 (1) L’inspecteur peut mener une enquête ou une étude dans un lieu ou à l’égard de toute chose qui s’y trouve afin de détecter les parasites ou les obstacles biologiques à la lutte antiparasitaire et de délimiter les périmètres où les parasites ou les obstacles biologiques sont ou peuvent être présents.

 

16 (1) An inspector may conduct an investigation or survey of a place or any thing in that place in order to detect pests or biological obstacles to the control of pests and to identify areas in which a pest or biological obstacle to the control of a pest is or could be found.

 

[41] Les demandeurs sont d’avis que l’ACIA ne s’est pas conformée à la LPV et qu’elle mène donc une fouille, une perquisition et une saisie illégales. Ils estiment que les interprétations qui suivent devraient s’appliquer au paragraphe 25(1) de la LPV; chacune d’elles est suivie d’un commentaire de ma part :

[traduction]

  • Le mot “chosesˮ a une définition étroite. Le législateur aurait pu employer le mot “végétauxˮ (c.‑à‑d., “végétaux ou autre choseˮ) mais il ne l’a pas fait. Cela dénote qu’il existe une catégorie plus restreinte de “chosesˮ qui peuvent être inspectées. Commentaire de la Cour : Comme nous le verrons, je rejette cette analyse et je conclus que la définition du mot “chosesˮ s’étend raisonnablement aux pommes de terre en tant que végétaux, au sol dans lequel elles peuvent pousser, ainsi qu’à la gale verruqueuse sous toutes ses formes tout au long de son cycle de vie – un parasite admis de tous.

  • Une interprétation trop large du mot “chosesˮ mène à un résultat absurde. L’ACIA jouirait d’un droit d’inspection complet et absolu car n’importe quelle “chosesˮ pourrait en théorie abriter un “parasiteˮ ». Commentaire de la Cour : il n’est pas nécessaire que je me prononce en l’espèce sur les paramètres du mot “chosesˮ. Il suffit de dire que ce mot s’étend raisonnablement aux pommes de terre en tant que végétaux, au sol dans lequel elles peuvent pousser, ainsi qu’à la gale verruqueuse sous toutes ses formes tout au long de son cycle de vie.

  • Il ressort d’une lecture générale de la LPV et du RPV que ces instruments ne sont pas axés sur les végétaux, mais sur les parasites. Les pouvoirs, les droits, les obligations et les responsabilités que la LPV confère à l’ACIA n’entrent en jeu que s’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un parasite est présent sur les lieux, et non un végétal. Commentaire de la Cour : Comme l’indiquent les deux commentaires qui précèdent, je ne souscris pas à cet argument.

[42] La défenderesse n’est pas d’accord, et soutient que le paragraphe 25(1) accorde des pouvoirs plus étendus aux inspecteurs de l’ACIA que ne le permet le demandeur. L’article 3 de la LPV définit le terme « choses » comme « Y sont assimilés les végétaux et les parasites », ce qui signifie que la définition n’est pas exhaustive. Dans le cas présent, les « choses » auxquelles la Loi s’applique sont la pomme de terre et le parasite de la gale verruqueuse de la pomme de terre sous toutes ses formes tout au long de son cycle biologique, y compris les spores. La LPV accorde le pouvoir corollaire d’entrer dans un lieu pour s’assurer qu’aucun parasite n’y est présent. Par conséquent, les inspecteurs peuvent s’appuyer sur le paragraphe 25(1) pour entrer dans des lieux dans le seul but de délimiter une zone exempte du parasite. Il n’y a aucune obligation législative d’obtenir un consentement, une approbation ou un mandat pour entrer dans un lieu qui n’est pas un lieu d’habitation.

[43] À mon humble avis, il était raisonnablement loisible à l’ACIA d’interpréter le paragraphe 25(1) comme elle l’a fait, tant que son interprétation concordait avec le texte, le contexte et l’objet de la disposition : voir l’arrêt Vavilov, au para 120; l’arrêt Safe Food Matters Inc. c Canada (Procureur général), 2022 CAF 19, au para 40, l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156, au para 42 [Mason] [le juge Stratas, avec l’accord des juges Rennie et MacTavish], autorisation de pourvoi à la CSC accordée, no 39855 (2022‑03‑03).

[44] Dans l’arrêt Mason, la Cour d’appel fédérale écrit :

[16] L’arrêt Hillier commence par rappeler aux cours de révision trois éléments fondamentaux dont elles doivent tenir compte dans les examens effectués selon la norme de la décision raisonnable. Premièrement, dans de nombreuses affaires, un éventail d’options d’interprétation peut s’offrir au décideur administratif, selon le texte, le contexte et l’objet de la loi. Deuxièmement, dans certaines affaires en particulier, le décideur administratif peut être plus en mesure que les cours d’apprécier cet éventail d’options, en raison de sa spécialisation et de son expertise. Enfin, troisièmement, la loi, c’est‑à‑dire le texte législatif que les cours de révision sont tenues d’appliquer, confère non pas aux cours de révision, mais aux décideurs administratifs la responsabilité d’interpréter la loi.

[17] Pour ces motifs, l’arrêt Hillier dit aux cours de révision de laisser aux décideurs administratifs la latitude voulue par le législateur, mais les oblige néanmoins à se justifier. Pour y arriver, les cours de révision peuvent procéder à une analyse préliminaire du texte, du contexte et de l’objet de la loi, simplement pour comprendre l’état de la situation, avant d’examiner les motifs du décideur administratif. Elles doivent toutefois se limiter à cette analyse. Elles ne doivent pas elles‑mêmes rendre des décisions ou des conclusions définitives. Si c’était le cas, elles établiraient alors leur propre critère pour jauger l’interprétation du décideur administratif et s’assurer que cette interprétation est la bonne.

[18] L’arrêt Hillier invite plutôt la cour de révision à « examiner l’interprétation du décideur administratif, à la lumière de ce que ce dernier invoque pour l’étayer et de ce que les parties soulèvent pour ou contre », en tentant de comprendre la démarche du décideur et les motifs qui l’ont amené à rendre la décision qu’il a rendue : Hillier, par. 16.

[19] Selon cette approche, la cour de révision n’agit pas de manière [traduction] « externe », c’est‑à‑dire [traduction] « arriver à une conclusion définitive quant à la meilleure façon d’interpréter la disposition législative en cause avant d’examiner si l’interprétation faite par le décideur correspond à [l’]interprétation privilégiée ». Comme l’a noté le professeur Daly, la cour de révision agit plutôt d’une manière [traduction] « interne », c’est‑à‑dire qu’elle procède à [traduction] « un examen relativement sommaire de la disposition en litige, dans le but d’analyser la rigueur de l’interprétation qu’en a faite le décideur ». Voir Paul Daly, « Waiting for Godot: Canadian Administrative Law in 2019 » (en ligne à l’adresse : https://canlii.ca/t/t23p, p. 11).

[45] La perfection n’est pas la norme et l’interprétation que font des organismes administratifs tels que l’ACIA peut ne pas ressembler à celle d’un avocat ou d’un juge : voir l’arrêt Mason au para 39, l’arrêt Safe Food Matters, au para 40. Le décideur doit toutefois s’attaquer à la question du texte législatif qui lui est soumis et expliquer pourquoi sa décision respecte les contraintes imposées par la loi : voir l’arrêt Safe Food Matters, aux para 40‑41. Soit dit en toute déférence, l’ACIA a répondu à ces exigences.

[46] L’idée maîtresse des observations du demandeur est que notre Cour, au stade du contrôle judiciaire, devrait arriver à une interprétation des dispositions réglementaires et législatives applicables qui est différente de celle de l’ACIA. Mais, à ce stade, notre Cour ne peut pas procéder à sa propre interprétation législative ou réglementaire de la LPV ou du RPV : voir l’arrêt Safe Food Matters, au para 39. Il lui faut plutôt déterminer l’interprétation du décideur à partir du dossier et décider si cette interprétation est raisonnable. Si le décideur n’a pas respecté la loi, cela peut entraîner l’annulation de la décision : voir l’arrêt Safe Food Matters, au para 44; l’arrêt Entertainment Software Association c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2020 CAF 100, aux para 33 et 35.

[47] Dans la présente affaire, l’ACIA a déclaré sans ambiguïté qu’elle menait l’Enquête nationale sur la GV de 2021 pour « confirmer si les régions du Canada où la GV n’a pas été détectée restent exemptes de cet organisme nuisible de quarantaine ». L’avis du 28 septembre 2021 indique que l’Enquête comprendra le prélèvement d’échantillons de sol dans les champs utilisés pour la production de pommes de terre de semence. En toute déférence, les « choses » dont il est question aux alinéas 25(1)a) et c) et qui sont raisonnablement appliquées par l’ACIA peuvent être une pomme de terre de semence ou une pomme de terre ou de la terre dans une pomme de terre de semence ou un champ de pommes de terre en plus du parasite de la gale verruqueuse de la pomme de terre sous toutes ses formes tout au long de son cycle biologique, y compris les spores.

[48] À cet égard, et contrairement à la thèse des demandeurs, je signale que le mot « choses » est défini de manière large à l’article 3 de la LPV : « choses Y sont assimilés les végétaux et les parasites ». Le mot « assimilés » est un terme d’extension qui élargit le sens du mot « choses » : voir l’arrêt Banque nationale de Grèce (Canada) c Katsikonouris, [1990] 2 RCS 1029, à la p 1041. En résumé, le mot « choses » s’étend raisonnablement aux pommes de terre de semence en tant que végétaux, au sol dans lequel elles poussent, ainsi qu’à la gale verruqueuse sous toutes ses formes tout au long de son cycle biologique.

[49] Ceci étant dit avec égards, une interprétation large du mot « choses » ne mène pas raisonnablement à un résultat absurde. Si l’on interprète la disposition et le texte intégral de la LPV, un inspecteur ne jouit pas d’un [traduction] « droit d’inspection complet et absolu » juste à cause de l’existence d’un végétal ou d’un parasite. Un inspecteur n’est pas autorisé à procéder à une étude ou à une inspection par simple caprice. Il n’est autorisé à entrer dans un lieu que s’il y a des motifs raisonnables de croire qu’il existe une chose à l’égard de laquelle la LPV ou le RPV s’applique. Pour déclencher le pouvoir en question, il faut à la fois qu’il y ait des motifs raisonnables et que la loi s’applique. De plus, l’article 26 restreint la capacité qu’a un inspecteur d’entrer dans un local d’habitation. Il est question à la section suivante du fait de savoir si l’ACIA avait des motifs raisonnables pour mener l’Enquête.

[50] À mon humble avis, il était raisonnable de la part de l’ACIA de se fonder sur le paragraphe 25(1) pour mener l’Enquête nationale sur la GV de 2021 afin de déterminer si une région demeurait exempte de la gale verruqueuse. Cela cadre raisonnablement avec l’objet de la LPV, qui est énoncé à l’article 2 :

La présente loi vise à assurer la protection de la vie végétale et des secteurs agricole et forestier de l’économie canadienne en empêchant l’importation, l’exportation et la propagation de parasites au Canada et en y assurant la défense contre ceux‑ci ou leur élimination.

[51] Cet objectif législatif ne limite pas l’objet de la Loi aux seuls parasites, comme le soutiennent les demandeurs. En fin de compte, la Loi prévoit la protection de la vie de végétaux, comme les pommes de terre de semence en l’espèce, notamment par la prévention, le contrôle et l’éradication de parasites tels que la gale verruqueuse de la pomme de terre sous toutes ses formes, depuis la spore jusqu’à la pomme de terre.

[52] À mon humble avis, on peut raisonnablement considérer que les objectifs législatifs que sont la protection de la vie végétale, laquelle englobe les pommes de terre de semence, et les mesures de prévention, de lutte et d’élimination qui visent la gale verruqueuse de la pomme de terre ont un lien rationnel avec les mesures d’inspection, d’enquête et de recherche qui étaient inhérentes à l’exécution de l’Enquête nationale sur la GV de 2021, et je signale que l’Enquête est conçue pour confirmer si des régions particulières où l’on cultive la pomme de terre et la pomme de terre de semence sont exemptes ou non de la gale verruqueuse. En fait, l’inspecteur de l’ACIA a fait état d’un énoncé semblable dans la lettre qu’il a envoyée à M. Allan.

[53] J’ajouterais que la surveillance est considérée comme une activité fondamentale et essentielle en matière de protection des végétaux selon les Normes internationales pour les mesures phytosanitaires qu’a produites l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture dans le cadre de la Convention internationale pour la protection des végétaux.

[54] Compte tenu de cette évaluation, j’ai conclu que l’ACIA a agi de manière raisonnable en se fondant sur le paragraphe 25(1) pour justifier son pouvoir légal de mener l’Enquête nationale sur la GV de 2021. L’ACIA a interprété les dispositions, y compris le paragraphe 16(1) du RPV, de manière raisonnable et conforme au texte, au contexte et à l’objet de la LPV et du RPV.

(2) Les motifs raisonnables

[55] Les demandeurs soutiennent qu’il n’y avait aucun motif raisonnable de croire qu’un parasite, en l’occurrence la gale verruqueuse de la pomme de terre, pouvait être présent dans l’exploitation agricole de Richard Allan ou dans d’autres exploitations agricoles au Nouveau‑Brunswick. Ils ajoutent que l’ACIA, en menant l’Enquête nationale, se livre à de vagues conjectures.

[56] La défenderesse estime avoir satisfait au critère relatif aux motifs raisonnables qui est énoncé dans la décision Miel Labonté Inc. c Canada (Procureur général), 2006 CF 195 [Miel], où la Cour souscrit à la décision Friends of Point Pleasant Park c Canada (Procureur général), 188 CFPI 280 [Friends of Point Pleasant Park], et que, comme il en sera question plus loin, elle se conforme à la décision de la Cour suprême du Canada sur les fouilles, les perquisitions et les saisies menées dans le contexte administratif qui est énoncée dans l’arrêt Comité paritaire de l’industrie de la Chemise c Potash, [1994] 2 RCS 406.

[57] Dans la décision Miel, au paragraphe 44, le juge Noël, de notre Cour, souscrit au critère relatif aux « motifs raisonnables » qui a été analysé dans la décision Friends of Point Pleasant Park : l’expression « motifs raisonnables signifie […] qu’une certaine preuve [...] doit exister à l’appui de [la] décision ». Le juge Noël a ensuite appliqué le critère au pouvoir de l’ACIA de rendre des décisions, en vertu toutefois d’une loi différente de la LPV. Ce critère s’applique lui aussi en l’espèce.

[58] Lorsqu’on évalue l’ensemble du dossier, il existe de nombreuses preuves à l’appui de la décision de l’ACIA de mener l’Enquête nationale sur la GV de 2021. Les preuves à l’appui soulignent la difficulté de déterminer la source de propagation de la gale verruqueuse de la pomme de terre à l’Î.‑P.‑É. et la nécessité de confirmer que le parasite est effectivement contenu dans les régions réglementées. En outre, les preuves soulignent le changement général vers l’échantillonnage de sol comme technique normalisée de surveillance de la gale verruqueuse de la pomme de terre, et la nécessité pour le Canada de s’adapter en conséquence.

[59] Plus précisément, dans le Document de gestion du risque de l’Enquête nationale sur la gale verruqueuse de la pomme de terre 2021‑2022, l’ACIA décrit le contexte qui motive son besoin raisonnable de mener l’Enquête dans les régions non réglementées. Les documents expliquent comment, en l’absence de contrôles phytosanitaires, la propagation de la gale verruqueuse de la pomme de terre à partir des zones touchées est probable par le déplacement de pommes de terre de semence et de la terre qui y est associée. Compte tenu du taux de détection de la gale verruqueuse de la pomme de terre à l’Î.‑P.‑É. au cours des 20 dernières années, la source d’un certain nombre des cas détectés n’a pas encore été déterminée. Cependant, ce document indique les deux scénarios les plus probables : une infestation de faible niveau et non détectée à l’Î.‑P.‑É. ou une infestation se propageant à partir d’infestations connues par des voies inconnues. La propagation humaine est peu probable. Le document souligne également que l’ACIA dispose d’autres preuves que la gale verruqueuse de la pomme de terre est contenue dans les zones réglementées, mais une enquête nationale renforcerait cette position.

[60] La préoccupation sous‑jacente de s’assurer que la gale verruqueuse de la pomme de terre ne s’est pas propagée à partir de l’Î.‑P.‑É. est également évidente dans les critères de sélection de l’ACIA pour l’enquête. En application du Protocole de l’Enquête sur la gale verruqueuse de la pomme de terre de 2021‑2022 de l’ACIA et des Critères de sélection pour le prélèvement d’échantillons dans la région du N.‑B. dans le cadre de l’Enquête nationale sur la GV de 2021, les producteurs du Nouveau‑Brunswick, dont Richard Allan, qui satisfont aux critères suivants ont été sélectionnés en priorité pour les échantillonnages de sol :

les champs de pommes de terre de semence des exploitations qui ont des antécédents d’approvisionnement en pommes de terre de semence de l’Î.‑P.‑É., y compris les exploitations dont les champs font l’objet d’une enquête sur la GV, et/ou

les champs de pommes de terre de semence dans lesquels des variétés sensibles ou des variétés dont la sensibilité à la GV est inconnue ont été cultivées cette année.

[61] De plus, l’annexe A du document Orientation provisoire – Mise en œuvre de l’Enquête nationale sur la gale verruqueuse de la pomme de terre décrit la raison pour laquelle l’ACIA mène l’Enquête nationale sur la GV. Les récentes découvertes de GV en 2014 et en 2020 à l’Î.‑P.‑É. ont amené l’ACIA à douter de la rigueur de son programme de surveillance. L’ACIA a conclu qu’il y a eu un changement vers l’échantillonnage de sol en tant que technique normalisée de détection de la gale verruqueuse de la pomme de terre. Les États‑Unis, qui constituent, pour le Canada, le principal débouché de la pomme de terre de semence, ont critiqué le retard avec lequel le Canada s’est adapté à la technique de l’échantillonnage de sol; ce fait a perturbé les activités commerciales et les obligations du Canada en matière de commerce international; et le fait de disposer de dates supplémentaires atténuera une partie du risque de perturbations futures sur le plan commercial.

[62] Je signale que ces conclusions de l’ACIA sont incontestées.

[63] La défenderesse soutient également – et je suis d’accord avec elle – que son expertise relative est un autre facteur pertinent en faveur d’un contrôle fondé sur la norme de la décision raisonnable : voir l’arrêt Vavilov, aux paragraphes 31 et 93. L’ACIA a établi dans le dossier que sa décision de mener l’Enquête nationale sur la GV a été prise en prenant appui sur son expérience et son expertise en tant qu’institution.

[64] Dans l’ensemble selon moi, l’ACIA avait des motifs raisonnables, dont un lien rationnel entre les objets de la loi et les objectifs de l’Enquête nationale sur la GV de 2021, pour entreprendre l’Enquête nationale.

B. L’article 8 de la Charte

[65] Les demandeurs sont d’avis que les vastes pouvoirs d’inspection que la LPV confère à l’ACIA portent atteinte aux droits que leur garantit l’article 8 de la Charte. Ils signalent qu’ils n’ont pas convenu d’un droit restreint au respect de leur vie privée dans leur exploitation juste à cause de la réglementation de la culture de la pomme de terre. Ils font valoir que la LPV autorise à appliquer des pouvoirs d’une portée excessive sans supervision judiciaire et, à l’évidence, sans motif raisonnable pour soupçonner que les échantillons de sol requis renferment le parasite de la gale verruqueuse de la pomme de terre. Et ils allèguent que la saisie d’échantillons de sol agricole est de nature hautement intrusive même s’il ne s’agit pas d’échantillons non corporels.

[66] La défenderesse soutient que l’article 8 de la Charte est un droit personnel qui protège les personnes et non les lieux. Elle ajoute qu’il existe un « lien rationnel » entre l’objet et les objectifs de la LPV et l’Enquête, que l’on impose des limites aux inspecteurs par l’entremise du paragraphe 26(1) et qu’il est présumé que les producteurs de pommes de terre de semence ont convenu de se soumettre aux règles qui régissent leur activité réglementée.

[67] Ceci étant dit avec égards, je suis d’accord avec l’ACIA. Je reconnais que la Cour suprême du Canada a statué que des pouvoirs réglementaires d’inspection constituent une fouille ou une perquisition au sens de l’article 8 de la Charte : voir l’arrêt Comité paritaire de l’industrie de la Chemise c Potash, [1994] 2 RCS 406, aux p 417 et 441 [Comité paritaire].

[68] Cependant, il est vrai aussi que la Cour suprême du Canada a explicitement décrété que les garanties de l’article 8 qui sont énoncées dans l’arrêt Hunter et autres c Southam Inc., [1984] 2 RCS 145 sont « impossibles » à appliquer dans le contexte réglementaire, qui est celui dans lequel s’inscrit la perquisition autorisée par l’Enquête en l’espèce. Dans un contexte réglementaire, une inspection a pour objet sous‑jacent de vérifier si l’on respecte une loi réglementaire : voir l’arrêt Comité paritaire, à la p 421.

[69] Par ailleurs, dans le contexte réglementaire, comme c’est le cas en l’espèce, les inspections réglementaires peuvent être évaluées selon une échelle de raisonnabilité, en évaluant des facteurs tels que le contexte des inspections, l’étendue de l’atteinte en matière de protection de la vie privée, le caractère intrusif des inspections et le fait de savoir si l’on impose des restrictions aux inspections : voir la décision Mandziak v Animal Protection Services of Saskatchewan, 2022 SKQB 75, au para 107 [Mandziak].

[70] Des décisions jurisprudentielles semblables, dont des affaires que les deux parties ont citées et analysées, la décision Motz v Saskatchewan Egg Producers, 2001 SKQB 565 [Motz] et l’arrêt Bertram S Miller Ltd c R, [1986] 3 CF 291 (CA) [Bertram], énoncent les caractéristiques d’un pouvoir d’inspection raisonnable et proportionnel.

[71] Dans l’affaire Motz, avec laquelle je suis essentiellement d’accord, un certain nombre de décisions pertinentes sont regroupées et analysées. De plus, cette décision fait état de quelques caractéristiques nécessaires, dont la présence d’un « lien rationnel » entre l’objet et les objectifs de la loi et l’inspection, les restrictions imposées au pouvoir d’inspection, de même que la décision du demandeur de se livrer à une activité réglementée :

[traduction]

[12] Dans la décision qu’il a rendue dans l’arrêt Comité paritaire, le juge LaForest a écrit ceci, à la p 421 :

On ne saurait donc appliquer, sans autre qualification, les garanties strictes énoncées dans l’arrêt Hunter c. Southam Inc., précité, qui ont été élaborées dans un contexte fort différent. L’inspection a pour objectif fondamental la vérification du respect d’une loi réglementaire; elle s’accompagne souvent d’une dimension informative destinée à promouvoir les intérêts des personnes en faveur desquelles la loi a été édictée. L’exercice des pouvoirs d’inspection n’entraîne pas les stigmates qui sont normalement associés aux enquêtes de nature criminelle et leurs conséquences sont moins draconiennes. Si les lois réglementaires sont accessoirement assorties d’infractions, elles sont principalement édictées dans le but d’en inciter le respect. Il se peut que dans le cadre de leur inspection, les personnes chargées de l’application d’une loi découvrent des indices qui en laissent soupçonner la violation. Mais cette éventualité n’altère pas l’intention fondamentale qui anime l’exercice des pouvoirs d’inspection. Il en est ainsi lorsque leur mise en œuvre est motivée par une plainte. Une telle hypothèse détonne certes avec l’aspect routinier qui caractérise l’inspection. Toutefois, un système de plaintes est souvent envisagé par le législateur lui‑même, car il constitue un moyen pragmatique non seulement de vérifier les manquements à la loi, mais également d’en dissuader la survenance.

La juge L’Heureux‑Dubé, qui était du même avis, a décrété ceci à la p 444 :

Les critères de l’arrêt Hunter c. Southam Inc., précité, exigeant un système d’autorisations préalables basées sur l’existence de motifs raisonnables et probables, ne s’appliquent tout simplement pas dans le cadre d’inspections administratives, comme celles ici visées, lorsqu’il s’agit d’un secteur réglementé de l’industrie. En effet, la LDCC est une loi à caractère réglementaire prévoyant des inspections administratives dans un secteur réglementé de l’industrie, sujet à un décret.

[…]

Elle a ajouté, à partir de la p 452, qu’il n’est pas nécessaire d’obtenir un mandat pour procéder à une enquête réglementaire :

L’obtention par les inspecteurs d’un mandat comme s’il s’agissait d’une matière criminelle exigerait qu’ils aient des motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction à l’encontre de la LDCC a été commise. Or, c’est précisément pour vérifier si une infraction se commet que les inspecteurs possèdent les pouvoirs d’inspection. En suivant les principes établis par l’arrêt Hunter c. Southam Inc., un mandat ne pourrait jamais être émis dans ces circonstances. On constate donc que, sur le plan de la réalité pragmatique, les critères de l’arrêt Hunter c. Southam Inc. doivent nécessairement être inapplicables dans le contexte des inspections administratives dans un secteur réglementé de l’industrie, comme celles faisant l’objet du présent pourvoi. Ils constituent tout simplement ici une "norme trop élevée" (Thomson Newspapers, précité, à la p. 595 (la juge L’Heureux‑Dubé)).

[…]

[…] Par ailleurs, les critères de Hunter c. Southam Inc. ne sauraient s’appliquer lors d’inspections administratives dans une industrie réglementée. En conséquence, il n’y avait donc pas nécessité pour les inspecteurs d’obtenir un mandat préalable à l’accès aux lieux de l’intimée.

[13] Cela étant, il est nécessaire d’examiner la disposition elle‑même pour déterminer si les pouvoirs d’enquête sont raisonnables, compte tenu des attentes raisonnables de l’exploitant en matière de protection de la vie privée. Voir l’affaire Comité paritaire, à la p 441, où la juge L’Heureux‑Dubé écrit :

Conformément au texte de l’art. 8 de la Charte, la seconde étape de cette analyse consiste à établir si les pouvoirs de saisie et de perquisition conférés aux inspecteurs par la LDCC sont abusifs au regard des attentes raisonnables dont jouissent les employeurs en matière de vie privée. Je note, tout d’abord, que bien que les employeurs puissent se réclamer de certaines attentes en matière de vie privée à l’encontre d’un contrôle réglementaire tel celui dont la constitutionnalité est soulevée en l’espèce, ces attentes sont réduites.

[14] Il a été allégué pour le compte de la demanderesse que le paragraphe 29(2) était d’une trop grande portée et qu’il était, de ce fait, déraisonnable. Il était donc inconstitutionnel car il contrevenait à l’article 8 de la Charte, et toute inspection menée en application du paragraphe 29(2) était illégale. La demanderesse s’est appuyée en grande partie sur l’arrêt Hunter et autres c Southam Inc., 1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 RCS 145, où les paragraphes 10(1) et 10(3) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, LRC (1970), C. c 23 ont été déclarés inconstitutionnels. À mon avis, ces deux dispositions sont à distinguer de celle qui m’est soumise. Le pouvoir conféré était d’une portée très large et se rapportait à de nombreuses choses. Il était fort intrusif et n’était restreint d’aucune manière quant aux lieux auxquels il était possible d’avoir accès.

[15] La situation est différente dans le cas du paragraphe 29(2) de l’Agri‑Food Act. Il existe un lien rationnel entre, d’une part, l’objet et les objectifs de la Loi et, d’autre part, les mesures d’inspection, d’enquête ou de recherche. La personne désignée ne peut pas agir par simple caprice; elle doit être en train d’administrer et d’appliquer la loi.

[16] Cette personne ne peut pas entrer dans une habitation privée sans mandat. Bien que la disposition mentionne « tout endroit ou lieu », cela se limite par déduction nécessaire aux lieux où se déroule l’activité réglementée. On ne s’intéresse donc qu’aux locaux commerciaux ou d’affaires et, dans la plupart des cas, dans une exploitation agricole il s’agira des dépendances.

[17] La disposition restreint de plus le pouvoir de la personne nommée. Si l’on croit qu’une infraction a été commise, il est alors nécessaire d’obtenir un mandat. C’est donc dire que lorsqu’il existe des attentes supérieures en matière de protection de la vie privée, il est nécessaire d’obtenir l’autorisation d’un juge avant de pouvoir procéder à une perquisition quelconque.

[18] Enfin, il faut se souvenir que le demandeur a pris la décision de se livrer à une activité réglementée. Il connaissait les règles, et il faut tenir pour acquis qu’il les a acceptées. Cela étant, ses attentes en matière de respect de vie privée, relativement à son exploitation commerciale, sont forcément relativement faibles.

[Non souligné dans l’original.]

[72] Je signale que les jugements précités, ou les extraits qui en sont cités, sont explicités de la même façon dans l’arrêt Comité paritaire, aux p 449‑450, dans la décision Mandziak, aux para 105‑110, dans la décision X (Re), 2017 CF 1047, aux para 123, 236, et dans l’arrêt A Lawyer v The Law Society of British Columbia, 2021 BCSC 914, aux para 152‑157. Dans l’affaire Bertram, les caractéristiques comprenaient la nature des choses ou des biens saisis, la nature des lieux où l’on peut s’attendre normalement à ce que la fouille, la perquisition et la saisie soient menées, de même que les intérêts et les attentes légitimes du public en général et de la personne visée par la perquisition; voir le para 114.

[73] J’estime en toute déférence que le demandeur peut s’attendre à un degré moins élevé de protection de la vie privée. L’objectif de la LPV est de protéger les végétaux tels que les pommes de terre de semence et d’autres pommes de terre contre les parasites, dont la gale verruqueuse. L’Enquête nationale sur la gale verruqueuse de la pomme de terre de 2021 et la capacité de l’inspecteur d’entrer dans l’exploitation et d’inspecter le sol dans les champs et les dépendances, mais à l’exclusion des lieux d’habitation, sont à mon avis raisonnablement nécessaires pour atteindre cet objectif. Comme mentionné plus haut, une surveillance par échantillonnage de sol s’impose pour pouvoir détecter les spores qui peuvent prendre des années à se manifester sous forme de gales visibles sur les tubercules. Les spores de la gale verruqueuse de la pomme de terre — le stade très précoce dans le cycle biologique de ce parasite — ne sont pas détectables par inspection visuelle; elles sont microscopiques et ne sont détectables que par prélèvement d’échantillons de sol. Sans la capacité d’entrer sur les terres et de prélever des échantillons de sol, l’ACIA ne serait pas en mesure de remplir son mandat et d’atteindre l’objectif ou le but législatif escompté. Voir aussi R v Miller, 2015 ABPC 237 aux para 28‑29, 33; Mandziak au para 108.

[74] Notamment, comme c’était le cas dans l’affaire Motz, le paragraphe 26(1) impose des restrictions aux pouvoirs d’inspection de l’ACIA. Un inspecteur ne peut procéder à la visite d’un local d’habitation qu’avec l’autorisation de son occupant ou s’il est muni d’un mandat. Je signale également qu’un inspecteur doit établir l’existence de motifs raisonnables pour commencer son inspection aux termes de l’alinéa 25(1)a) de la LPV, une conclusion qui peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire devant notre Cour – ce qui est le cas en l’espèce. C’est donc dire, d’après moi, qu’il existe un « lien rationnel » entre les objectifs et les objets de la LPV et le pouvoir conféré aux inspecteurs dans le cadre de l’exécution de l’Enquête nationale sur la GV de 2021. Voir les affaires Mandziak, au paragraphe 109, et Motz, aux paragraphes 15‑ 17.

[75] De plus, selon Bertram, les choses recherchées — par nature des pommes de terre, de la terre ou l’agent causal de la gale verruqueuse sous toutes ses formes, y compris les spores — se trouvent pour la plupart à l’extérieur et exposées à la vue de tous. Il s’agit de matériel végétal, de terre ou d’organismes nuisibles « relativement auxquels on ne peut légitimement pas réclamer le droit à la vie privée », voir le paragraphe 114 dans Bertram. Il ne peut y avoir de fouille dans les maisons d’habitation, bien que, comme il est noté dans Motz et comme le prévoient les alinéas 25(1)a) et c) de la LPV, les dépendances puissent être inspectées et des échantillons de sol puissent y être prélevés. Notamment, en raison du fait que la propagation de l’agent causal de la gale verruqueuse qui est présent dans le sol peut se faire par le transport de récoltes de pommes de terre ou d’équipements comme ceux que l’on trouve dans les dépendances.

[76] Je signale aussi que les demandeurs ont décidé de se livrer à une activité réglementée, soit la culture de pommes de terre de semence en vue de leur vente à l’échelon national et international. Pour cultiver des pommes de terre de semence dans leurs exploitations agricoles, ils ont convenu de se conformer aux régimes réglementaires qui garantissent la protection et la production sécuritaire des pommes de terre de semence. Le respect de la LPV et du RPV fait partie de ces régimes réglementaires applicables. Les attentes en matière de protection de la vie privée, en ce qui concerne leur exploitation commerciale, sont, pour cette raison‑là aussi, relativement faibles. Voir l’arrêt Motz, au para 18, et l’arrêt R v Diep, 2005 ABCA 54, au para 13.

[77] En toute déférence, je signale également que le mandat de l’ACIA et l’objet de la LPV revêtent un intérêt public. La détection précoce et la prévention de la gale verruqueuse de la pomme de terre, de même que la prévention concomitante de coûteuses perturbations d’activités commerciales à l’échelon international et intraprovincial sont, à mon avis, raisonnablement considérées comme revêtant un intérêt public. Il est aussi raisonnablement dans l’intérêt des producteurs de pommes de terre et de pommes de terre de semence eux‑mêmes de veiller à ce qu’ils produisent des récoltes saines et commercialisables, ce qui préserve leurs moyens de subsistance. Ces intérêts, conjugués aux autres facteurs, ont préséance sur tout droit à la protection de la vie privée que garantit l’article 8 de la Charte dans ce contexte : voir l’arrêt Bertram, au para 115.

[78] Je conclus donc dans le contexte réglementaire où s’inscrivent la LPV et le RPV que l’Enquête nationale sur la GV de 2021 ne porte pas atteinte aux droits que garantit l’article 8 de la Charte.

VII. Conclusion

[79] Les demandeurs n’ont pas établi que la décision de l’ACIA était déraisonnable, ni qu’elle portait atteinte aux droits ou aux libertés que garantit l’article 8 de la Charte. À mon avis, cette décision est transparente, intelligible et justifiée au regard des faits et des contraintes juridiques, comme l’exige l’arrêt Vavilov. Il convient donc de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

VIII. Les dépens

[80] Les parties conviennent, tout comme moi, que la somme de 7 500 $ est une adjudication globale et raisonnable de dépens à payer à la partie qui a gain de cause, et telle est l’ordonnance que je rendrai en faveur de la défenderesse.


JUGEMENT dans le dossier T‑1597‑21

LA COUR STATUE :

  • 1La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  • 2Les demandeurs paieront à la défenderesse ses dépens, d’une somme globale de 7 500 $.

« Henry S. Brown »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1597‑21

 

INTITULÉ :

POMMES DE TERRE NOUVEAU‑BRUNSWICK ET RICHARD ALLAN c L’AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 AVRIL 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 29 AVRIL 2022

COMPARUTIONS :

Rodney J. Gillis

POUR LES DEMANDEURS

Kaitlin P. Stephens

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gilbert McGloan Gillis

Avocats

Saint‑Jean (Nouveau‑Brunswick)

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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