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Date : 20220502


Dossier : IMM‑820‑20

Référence : 2022 CF 632

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 mai 2022

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

DORIS STELLA ALBORNOZ GAITAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’égard d’une décision défavorable rendue le 9 décembre 2019 [la décision], par laquelle un agent des visas [l’agent] a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée par la demanderesse.

[2] La demanderesse est née à Bogota, en Colombie, le 30 octobre 1957. Elle s’est mariée et a eu un fils, mais elle s’est ensuite séparée de son mari. Après la séparation, elle s’est engagée dans une union de fait qui a donné lieu à la naissance de sa fille, Monica Paola [Monica].

[3] En 2012, la demanderesse s’est enfuie au Canada avec Monica parce qu’elles avaient été menacées par les Forces armées révolutionnaires de Colombie [les FARC] alors qu’elles exploitaient une cafétéria à l’Université de Cundinamarca à Soacha, en Colombie.

Monica a présenté une demande d’asile avec son mari et ils se sont vu accorder le statut de réfugié. Cependant, bien que la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ait accepté les allégations de persécution formulées par la demanderesse, elle a conclu que la demanderesse pouvait se prévaloir de la protection de l’État et qu’elle disposait d’une possibilité de refuge intérieur viable à Bogota. Pour cette raison, la demande d’asile de la demanderesse a été rejetée, et sa demande d’autorisation de contrôle judiciaire à l’égard de la décision défavorable de la SPR a été rejetée le 29 mai 2018.

[4] La demanderesse a aussi présenté une demande d’examen des risques avant renvoi. Cette demande a été rejetée, et l’Agence des services frontaliers du Canada a pris une mesure de renvoi contre la demanderesse. Toutefois, le juge Boswell a sursis à l’exécution de cette mesure.

[5] Durant sept ans, la demanderesse a vécu au Canada avec sa fille, Monica, et son gendre. La petite‑fille de la demanderesse, Pauline, est née en janvier 2014, et c’est la demanderesse qui a pris soin d’elle alors que Monica souffrait de dépression post‑partum.

I. La décision

[6] L’agent a reconnu que la demanderesse avait noué des amitiés, qu’elle entretenait des liens avec les membres de sa famille au Canada, qu’elle donnait gracieusement de son temps à des organismes communautaires et qu’elle travaillait comme gardienne et femme de ménage. Cependant, il a conclu que l’établissement de la demanderesse n’était pas remarquable et qu’il n’était pas profond au point que son retour en Colombie causerait des difficultés à ses proches restés au Canada. En tirant cette conclusion, l’agent a souligné que la preuve dont il disposait ne suffisait pas à démontrer que Monica souffrait d’un problème de santé qui nécessitait que la demanderesse reste au Canada.

[7] L’agent a aussi souligné, à plusieurs reprises, qu’aucun renseignement n’avait été fourni pour expliquer pourquoi la fille de la demanderesse ne l’avait pas parrainée.

[8] Au sujet de Pauline, l’agent a déclaré qu’il n’y avait aucune raison pour que ses parents, qui sont ses principaux dispensateurs de soins, ne soient pas en mesure de lui offrir un soutien émotionnel dans l’éventualité où le départ de la demanderesse pour la Colombie la bouleverserait. Enfin, l’agent a conclu que l’intérêt supérieur de Pauline serait bien servi si elle continuait à bénéficier des soins et du soutien de ses parents.

[9] La demanderesse a présenté une évaluation psychologique préparée par la Dre Gil‑Figueroa. Après une seule entrevue, cette dernière a conclu que la demanderesse souffrait [traduction] « fort probablement » d’un trouble de stress post‑traumatique [un TSPT] causé par ses interactions avec les FARC et que ses symptômes s’aggraveraient si elle devait retourner en Colombie. Malgré ses réserves quant au rapport, et le fait qu’aucun traitement n’avait été prescrit au Canada en lien avec un TSPT, l’agent a accepté le diagnostic. Cependant, il a souligné que rien n’indiquait que le TSPT ne pourrait pas être traité en Colombie.

II. La question en litige

[10] La demanderesse a soulevé un certain nombre de questions, mais, à mon avis, la question déterminante en l’espèce concerne l’analyse faite par l’agent de l’intérêt supérieur de Pauline. L’agent a déclaré ce qui suit : [traduction] « je ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve objectifs qui démontrent que l’intérêt supérieur de la petite‑fille de la demanderesse serait compromis si cette dernière devait retourner en Colombie ». Toutefois, dans le paragraphe suivant, il a déclaré :

[traduction]
Je reconnais qu’il existe un lien solide entre les grands‑parents et leurs petits‑enfants et j’admets que la demanderesse est extrêmement heureuse d’être dans la vie de sa petite‑fille et qu’elle agit à titre de gardienne pour elle. J’admets aussi que la demanderesse adore sa petite‑fille et qu’elle souhaite être avec elle et aider ses parents à l’élever. Il est compréhensible que des liens émotionnels et des sentiments affectueux se soient créés entre la demanderesse et sa petite‑fille, et que cette dernière se soit habituée à la présence de la demanderesse à la maison. Bien que je reconnaisse que la demanderesse joue un rôle dans la vie de sa petite‑fille et qu’elle apporte son aide en agissant comme gardienne [...]

[11] En conclusion, l’agent a déclaré :

[traduction]
Je suis convaincu que l’intérêt supérieur de l’enfant serait bien servi si elle continuait à bénéficier des soins et du soutien offerts par ses parents.

[12] Cette conclusion est déraisonnable puisque l’agent ne s’est pas penché sur la question pertinente, soit celle de savoir s’il était mieux pour Pauline que sa grand‑mère reste au Canada ou qu’elle parte pour la Colombie. Compte tenu de la preuve que l’agent a admise concernant les liens émotionnels et les sentiments affectueux, décrits plus haut, qui existent entre Pauline et la demanderesse, l’agent n’avait d’autre choix que de conclure qu’il était dans l’intérêt supérieur de Pauline que sa grand‑mère reste au Canada. Si l’agent avait tiré cette conclusion, il aurait ensuite dû se demander si l’intérêt supérieur de Pauline constituait un facteur déterminant dans la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire compte tenu du fait que la demanderesse n’était pas la dispensatrice principale de soins de Pauline, que Pauline serait sous la garde de ses parents qui ont, eux, ce rôle et que Pauline pourrait demeurer en contact avec la demanderesse.

[13] Le problème réside dans le fait que, telle qu’elle est rédigée, l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant porte à confusion parce que la question de l’intérêt supérieur de Pauline au regard du renvoi de sa grand‑mère et la question de savoir si l’intérêt supérieur de Pauline constituait un facteur déterminant dans la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ont été confondues.

[14] Dans ces circonstances, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et une ordonnance sera rendue afin que la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire soit renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

III. Question à certifier

[15] Aucune question à certifier n’a été proposée en vue d’un appel.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑820‑20

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que la demande fondée sur un motif d’ordre humanitaire doit être réexaminée par un autre agent.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Geneviève Bernier


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑820‑20

 

INTITULÉ :

DORIS STELLA ALBORNOZ GAITAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Par téléconférence au moyen de Zoom

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 avril 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 2 mai 2022

 

COMPARUTIONS :

Richard Wazana

 

Pour la demanderesse

 

Jocelyn Espejo‑Clarke

 

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wazana Law

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour les défendeurs

 

 

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