Date : 20220412
Dossier : IMM-1550-21
Référence : 2022 CF 522
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 12 avril 2022
En présence de madame la juge Fuhrer
ENTRE :
|
ALI MAHBOBI NIK
|
SHAHRZAD SHEIGHALI
ET SHAYLIN MAHBOBI NIK
|
demandeurs
|
et
|
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
défendeur
|
JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1] Les demandeurs sont une famille et des citoyens de l’Iran. Ils sollicitent l’asile au Canada parce qu’ils craignent d’être persécutés par le gouvernement iranien.
[2] Le demandeur principal, Ali Mahbobi Nik, affirme qu’en 2009, il a commencé à s’identifier au mouvement vert en Iran et qu’il a participé à des manifestations pacifiques contre le gouvernement. Il a été arrêté et détenu afin d’être interrogé, puis a été libéré sous caution. Il a par contre continué à manifester et, durant cette période, un de ses amis a été tué par les autorités iraniennes, ce qu’il a appris plus tard.
[3] M. Nik affirme également que les autorités iraniennes l’ont emprisonné, battu et interrogé à la suite du décès de son ami. Il affirme avoir reçu 70 coups de fouet et avoir été remis en liberté sous conditions. Il prétend également que les autorités ont continué à le poursuivre jusqu’à sa résidence, l’ont emprisonné pour l’interroger à plusieurs reprises et l’ont obligé à se présenter chaque semaine aux autorités et à promettre de ne pas quitter Téhéran. Il devait également demander la permission pour voyager et quitter le pays pour des séjours de plus d’une semaine. M. Nik mentionne qu’il a continué à manifester entre 2009 et 2018 parce qu’il était déprimé et qu’il s’inquiétait pour sa famille, ce qui l’a mené à chercher une façon de quitter l’Iran. Il ajoute qu’avec l’aide d’un ami de la famille, les demandeurs ont obtenu des visas canadiens et ont fui le pays. Après leur arrivée au Canada, la mère de M. Nik l’a informé que les autorités iraniennes s’étaient informées de ses allées et venues.
[4] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugiés du Canada a rejeté la demande des demandeurs pour manque de crédibilité et a conclu qu’ils n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni de personnes à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. La Section d’appel des réfugiés [la SAR] a rejeté l’appel des demandeurs le 2 février 2021 [la décision] et a conclu que la crédibilité était une question déterminante dans leur demande. Elle a également conclu ce qui suit :
(a) La preuve documentaire objective n’étayait pas l’affirmation des demandeurs selon laquelle ils n’avaient pas besoin de permission pour quitter l’Iran et venir au Canada puisqu’ils ne prévoyaient pas retourner en Iran; les personnes d’intérêt pour les autorités gouvernementales auraient de la difficulté à quitter le pays;
(b) Bien que l’assignation à comparaître de 2019 fournie par les demandeurs soit un élément de preuve crucial, elle n’était pas crédible ni digne de foi en raison de son contenu;
(c) Le témoignage du demandeur concernant ses activités politiques ne cessait d’évoluer. À l’audience de la SPR, lorsqu’il a été interrogé sur son exposé circonstancié révisé et l’affirmation selon laquelle il « a continué de manifester chaque fois qu’il y avait une manifestation de 2009 à 2018 », il a avoué qu’il n’avait manifesté qu’une seule fois en 2018;
(d) Les demandeurs n’ont pas exprimé de craintes fondées sur le sexe en cas de retour en Iran, notant ce qui suit : (i) les demanderesses associées (l’épouse et la fille du demandeur principal) n’ont pas présenté d’exposés circonstanciés distincts, mais se sont plutôt appuyées sur l’exposé du demandeur principal; (ii) les inquiétudes du demandeur concernant sa famille, y compris le fait que sa fille est une enfant vivant en Iran, ne constituent pas une allégation de risque fondé sur le sexe; (iii) il a été demandé à l’épouse du demandeur si elle voulait témoigner à l’audience devant la SPR, mais elle a refusé.
[5] Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de cette décision. Je suis d’avis que l’affaire soulève les questions principales suivantes que la Cour doit trancher : (1) le caractère raisonnable de la décision, y compris le traitement de la preuve corroborante par la SAR; (2) le manquement à l’équité procédurale; (3) l’incompétence des avocats.
[6] Je ne suis pas convaincue que la décision était déraisonnable ou inéquitable sur le plan procédural. Je ne suis pas convaincue non plus que la conduite des anciens avocats a entraîné une erreur judiciaire. Pour les motifs exposés ci-après, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. En plus des questions principales, l’analyse traite de deux questions préliminaires dès le début; la première concerne l’affidavit du demandeur principal et la seconde, concerne la décision de la SPR.
[7] Voir l’annexe A où figurent les dispositions législatives pertinentes.
II.
La norme de contrôle
[8] La norme de contrôle présumée est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], au para 10. Pour éviter l’intervention de la cour, la décision doit posséder les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov, au para 99). Une décision peut être déraisonnable si le décideur s’est mépris sur la preuve qui lui a été soumise (Vavilov, aux para 125-126). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov, au para 100).
[9] Les manquements à l’équité procédurale sont assujettis à un « exercice de révision [...] “particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte”, même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée »
: Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54. La cour de révision doit se demander si le processus était équitable, tout en gardant à l’esprit que l’obligation d’équité procédurale est variable, souple et tributaire du contexte : Vavilov, au para 77; Chaudhry c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 520 au para 24.
III.
Analyse
(i)
Première question préliminaire – acceptation de l’affidavit
[10] En ce qui concerne l’affidavit que le demandeur principal a signifié et déposé à l’appui de la demande de contrôle judiciaire, je constate que la signature du commissaire ne figure pas dans la formule d’assermentation et que le document n’est pas conforme au paragraphe 80(2.1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles]. Cela amène donc la Cour à se demander si l’affidavit a été assermenté correctement. Après l’examen de cette question au début de l’audience, le défendeur a informé la Cour qu’étant donné qu’il n’avait pas contesté l’affidavit avant l’audience, il ne le ferait pas maintenant non plus. Dans les circonstances, je suis prête à accepter l’affidavit malgré mes réserves initiales et sous réserve de l’analyse qui suit concernant la question de l’incompétence alléguée des avocats : Huang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (27 janvier 1999), no de dossier de la Cour : IMM-4352-98 (CF 1re inst).
(ii)
Deuxième question préliminaire – la décision de la SPR
[11] Contrairement à ce qu’ont prétendu les demandeurs dans leurs observations écrites et orales, la décision de la SPR n’est pas en cause en l’espèce. Leur demande d’autorisation et de contrôle judiciaire ne fait mention, à juste titre, que de la décision de la SAR : art 302 des Règles. À mon avis, cela est conforme à la section 8 de la LIPR qui prévoit qu’une demande de contrôle judiciaire ne peut être présentée tant que les voies d’appel n’ont pas été épuisées : art 72(2)a) de la LIPR. Comme la SAR n’a pas renvoyé l’affaire à la SPR pour qu’elle rende une nouvelle décision et vu les circonstances limitées prévues par la LIPR, il n’est pas possible de contester la décision de la SPR à cette étape-ci : art 111(1) et art 111(2) de la LIPR.
(1)
Le caractère raisonnable de la décision
[12] Je ne suis pas convaincue que la décision était déraisonnable. À mon avis, dans leurs observations, les demandeurs invitent la Cour à apprécier à nouveau la preuve, ce qui n’est pas son rôle dans le cadre d’un contrôle judiciaire : Vavilov, précité, au para 125.
[13] Selon la Cour suprême, la norme de la décision raisonnable ne consiste pas, pour la cour de révision, à se demander quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur, à tenter de prendre en compte l’« éventail »
des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, à se livrer à une analyse de novo ou à déterminer la solution « correcte »
au problème. Toujours selon la Cour suprême, « la cour de révision [est] plutôt appelée [à] décider du caractère raisonnable de la décision rendue par le décideur administratif — ce qui inclut à la fois le raisonnement suivi et le résultat obtenu »
: Vavilov, au para 83. Comme l’a mentionné mon collègue le juge Little, un contrôle judiciaire ne constitue ni un appel ni un nouveau procès : Agbeja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 781, au para 22. Tout en gardant à l’esprit qu’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas non plus une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur »
, la cour de révision doit simplement être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient »
: Vavilov, aux para 102 et 104.
[14] Je conclus que les motifs de la SAR permettent à la Cour de comprendre pourquoi elle a jugé, en se fondant sur l’examen de l’ensemble de la preuve, que M. Nik aurait eu de la difficulté à quitter l’Iran et que son témoignage à cet égard n’était pas compatible avec la preuve documentaire. Il est loisible à la SAR de rejeter une preuve si elle est incompatible avec les probabilités touchant l’ensemble de l’affaire ou si elle est marquée par des incohérences : Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 [Lawani] au para 26; Shahamati c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 415 (CAF) (QL) au para 2. Comme le fait valoir le défendeur, la SAR a le droit de tirer des conclusions concernant la crédibilité d’un demandeur en se fondant sur des invraisemblances, le bon sens et la rationalité.
[15] Le fait que la SAR ait préféré certains éléments de preuve (c.-à-d. la partie de la preuve selon laquelle les personnes d’intérêt pour les autorités gouvernementales auraient de la difficulté à quitter l’Iran) par rapport à d’autres éléments ne veut pas dire, à mon avis, que la SAR n’a pas tenu compte de la preuve. Se fonder sur une soi‑disant mauvaise appréciation de la preuve par la SPR pour prétendre, comme l’ont fait les demandeurs, que la SAR aurait commis des erreurs revient à demander à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve que la SAR est présumée avoir déjà considérée : Hashem c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 41 au para 28.
[16] En outre, contrairement à ce qu’affirment les demandeurs dans leurs observations, la présomption de véracité des allégations faites sous serment par un demandeur est réfutable : Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CAF) au para 5. Le manque de crédibilité d’un demandeur peut suffire à la réfuter, par exemple lorsque la preuve ne concorde pas avec le témoignage sous serment d’un demandeur d’asile ou lorsque le décideur n’est pas satisfait de l’explication fournie par le demandeur pour ces incohérences : Lawani, précité, au para 21.
[17] La SAR a relevé d’autres incohérences et contradictions dans l’exposé circonstancié de M. Nik qui, pour la plupart, ne sont pas contestées en l’espèce. Par exemple, les éléments de preuve fournis par M. Nik concernant l’ampleur de sa participation au mouvement vert, notamment le nombre de manifestations auxquelles il a participé entre 2009 et 2018, n’étaient pas cohérents et la SAR l’a souligné dans sa décision. En fin de compte, je suis convaincue que la SAR a raisonnablement analysé la preuve dont elle disposait et qu’elle a fourni des motifs minutieux, exhaustif et bien réfléchis afin d’expliquer pourquoi M. Nik n’a pas été jugé crédible en ce qui concerne la poursuite de ses activités politiques.
(2)
Le manquement allégué à l’équité procédurale
[18] Je ne suis pas non plus convaincue que la SAR a traité la citation à comparaître de manière inéquitable ou déraisonnable.
[19] Bien que la SAR ait conclu que la SPR a commis une erreur en jugeant que le document était un faux en raison de facteurs externes, elle a également conclu que la citation à comparaître n’était ni crédible ni fiable après avoir mené sa propre évaluation indépendante et consulté la documentation sur la situation dans le pays. Les motifs de la SAR sont cohérents et reposent sur une analyse logique qui permet à la Cour de comprendre pourquoi elle a tiré cette conclusion en ce qui concerne la citation à comparaître.
[20] Je souscris à l’argument du défendeur selon lequel la SAR n’était pas obligée de tenir une audience sur l’authenticité de la citation à comparaître, car la crédibilité de ce document était déjà contestée dans la décision de la SPR. On ne peut donc pas dire que la SAR a soulevé une nouvelle question en procédant à son propre examen : Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1064 aux para 15-17; Han c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 858 aux para 22-24; Bakare c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 267 aux para 18-19; Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1175 aux para 18-22. Par conséquent, je conclus que, dans les circonstances, le fait que les demandeurs n’auraient pas pu savoir que la SAR aborderait la citation à comparaître de la façon dont elle l’a fait n’est pas un facteur pertinent à prendre en compte.
(3)
Les allégations d’incompétence des avocats
[21] Enfin, je ne suis pas convaincue que les demandeurs ont établi qu’il y avait eu un manquement à l’équité procédurale attribuable à l’incompétence alléguée des avocats (y compris du conseiller en immigration), qui n’ont pas avancé de crainte de persécution fondée sur le sexe.
[22] La Cour reconnaît depuis longtemps que, dans des circonstances exceptionnelles, le comportement d’un avocat peut se traduire par une allégation de bris de justice naturelle et justifier la tenue d’une nouvelle audition devant un décideur administratif, mais uniquement si la faute reprochée « relève de l’incompétence [ou de la négligence] professionnelle et que l’issue de la cause aurait été différente, n’eût été le comportement fautif de l’avocat »
(renvois omis) : Rezko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 6 au para 5. Voir aussi Shirwa c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 2 CF 51, 1993 CanLII 3026 (CAF) aux pp 60-61; Osagie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CF 1368 aux para 24-27; Rodrigues c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 77, [2008] 4 ACF no 474 aux para 39-40; Memari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1196 aux para 36, 64; El Kaissi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1234 aux para 15-19, 33; Pathinathar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1225 au para 38; Mcintyre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1351 aux para 33-34.
[23] Le critère à appliquer à l’examen de la conduite des avocats comporte trois volets et il incombe au demandeur d’établir ce qui suit :
(i) les omissions ou les actes de l’ancien avocat constituaient de l’incompétence ou de la négligence;
(ii) n’eût été la conduite alléguée, il existe une probabilité raisonnable que le résultat ait été différent (autrement dit, la conduite a entraîné un déni de justice);
(iii) le représentant a bénéficié d’une possibilité raisonnable de répondre aux allégations d’incompétence ou de négligence : Rendon Segovia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 99 au para 22; Gombos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 850 [Gombos] au para 17.
[24] Le point de départ de l’analyse est la présomption que la conduite de l’avocat se situe à l’intérieur du large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable et, en l’espèce, il incombe aux demandeurs de démontrer que les actes ou omissions reprochés aux avocats ne découlaient pas de l’exercice d’un jugement professionnel raisonnable. La sagesse rétrospective n’a pas sa place dans cette appréciation : R c GDB, 2000 CSC 22, [2000] 1 RCS 520 [GDB] au para 27; Gombos, précité au para 17. De plus, il n’est pas nécessaire de déposer une plainte officielle auprès de l’organisme de réglementation de l’ancien avocat. Il suffit de donner un avis de l’allégation et d’accorder une occasion d’y répondre : Guadron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1092 au para 16; Basharat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 559 aux para 14-15.
[25] Le demandeur a respecté en partie les étapes préalables décrites dans le protocole procédural de la Cour publié le 7 mars 2014 et intitulé « Protocole concernant les allégations formulées contre les avocats ou contre d’autres représentants autorisés au cours des instances de la Cour fédérale en matière de citoyenneté, d’immigration et de personnes à protéger ». Les pièces rattachées à l’affidavit de M. Nik, que la Cour a acceptées, incluent les messages des anciens avocats en réponse à un avis quelconque que les demandeurs leur ont envoyé.
[26] Par contre, les demandeurs n’ont pas fourni à la Cour de copie de l’avis envoyé aux anciens avocats (y compris le conseiller en immigration). Rien ne prouve non plus que les demandeurs ont signifié aux avocats une copie de l’ordonnance de la Cour datée du 28 septembre 2021 leur accordant l’autorisation d’intenter le présent contrôle judiciaire et qu’ils ont ainsi avisé les anciens avocats de la possibilité de demander l’autorisation d’intervenir dans la présente affaire. Bien que ces faits soient suffisants, à mon avis, pour que la Cour décide de ne pas trancher la question de l’incompétence alléguée des avocats, j’ai quand même examiné la question parce que la correspondance échangée avec ceux-ci a été présentée en preuve : Shirvan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1509 [Shirvan] au para 32.
[27] Je ne suis pas d’accord avec le défendeur, selon lequel les demandeurs auraient dû présenter une demande à la SAR et lui demander de rouvrir leur appel en raison des doutes qu’ils avaient concernant la compétence de leurs avocats. Bien qu’il eût été loisible aux demandeurs de choisir cette option, rien ne les obligeait, à mon avis, à le faire avant de présenter leur demande d’autorisation et de contrôle judiciaire : Sabitu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 165 aux para 54-55.
[28] Cependant, je suis d’avis qu’en l’espèce, les demandeurs n’ont tout simplement pas démontré que la conduite des anciens avocats a donné lieu à un préjudice important et a influé sur l’issue du procès. Ils ne se sont donc pas acquittés de leur fardeau conformément au critère applicable. Même si l’incompétence de l’avocat qui représente un demandeur d’asile peut se traduire, dans des circonstances exceptionnelles, par un manquement aux principes de justice naturelle ou à l’équité procédurale, je ne saurais conclure que de telles circonstances existent en l’espèce : Brown c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1305 aux para 30, 55–56, 59; Galyas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 250 aux para 83–84.
[29] Par exemple, j’estime que le fait que le demandeur décrit son exposé circonstancié comme démontrant une intention de formuler une crainte de persécution fondée sur le sexe (eu égard à ses inquiétudes quant à la sécurité de sa famille, et particulièrement de sa fille, en Iran) n’est pas convaincante et revient à demander à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve dont disposait la SAR. Je suis également d’accord avec le défendeur qu’une telle description contredit la plainte des demandeurs selon laquelle leurs anciens avocats n’ont pas sollicité de détails afin de présenter une demande fondée sur le sexe. En fait, le mémoire des faits et du droit des demandeurs que les anciens avocats ont déposé à la SAR mentionne simplement que la SPR a commis une erreur en concluant que les demanderesses associées n’ont pas exprimé d’inquiétudes fondées sur le sexe à propos de leur retour en Iran parce que l’exposé circonstancié du demandeur principal décrit ses propres craintes quant à la sécurité de sa femme et de leur fille en Iran. Il s’agit du même argument que l’avocat des demandeurs tente d’avancer devant la Cour en l’espèce. Comme la Cour suprême l’a déclaré, l’incompétence est appréciée au moyen de la norme du caractère raisonnable : GDB, précité, au para 27.
[30] De plus, à mon avis, on peut répondre à la plainte selon laquelle les anciens avocats n’ont pas interrogé la demanderesse associée (l’épouse) à propos des craintes fondées sur le sexe à l’audience de la SPR par le fait que la SPR lui a demandé si elle voulait témoigner, mais elle a refusé. J’estime que le fait d’annexer la déclaration de Mme Sheighali à l’affidavit de M. Nik – affidavit que j’ai accepté – constitue une tentative inappropriée de présenter à la Cour un élément de preuve qui n’a pas été présenté à la SPR ni à la SAR et de protéger Mme Sheighali contre un contre-interrogatoire. Par conséquent, je conclus que la déclaration est inadmissible et je n’en tiendrai pas compte. La Cour est quand même en mesure de comprendre les observations des demandeurs sur la question sans avoir recours à cette déclaration.
[31] Par ailleurs, je souscris à l’argument du défendeur selon lequel les demanderesses associées ont choisi de se fonder sur l’exposé circonstancié du demandeur principal, lequel ne mentionnait pas de crainte de persécution fondée sur le sexe, peu importe comment les demandeurs tentent de le reformuler. Les réponses fournies par l’ancien avocat et l’ancien conseiller en immigration montrent que les demanderesses associées ont été interrogées et ont eu l’occasion d’ajouter des détails pertinents quant à leur demande, mais qu’elles ont refusé de le faire. En outre, comme je l’ai mentionné, la SPR a demandé à la demanderesse associée (l’épouse) si elle voulait témoigner, mais elle a refusé.
[32] De toute façon, la décision porte sur la crédibilité des demandeurs. Il s’agissait de la question déterminante pour la SAR, même si elle visait la crainte de persécution alléguée découlant des activités politiques de M. Nik en Iran. Les demandeurs n’ont pas démontré à la satisfaction de la Cour qu’un acte ou une omission des anciens avocats aurait changé cette conclusion fondamentale : Shirvan, précitée, au para 29. La conclusion de la SAR concernant la crédibilité des demandeurs reposait sur les incohérences et les contradictions relevées dans la preuve.
[33] Autrement dit, je ne suis pas convaincue qu’il y a eu erreur judiciaire dans les circonstances.
[34] À mon avis, les plaintes des demandeurs concernant la conduite de l’ancien avocat et de l’ancien conseiller en immigration ne démontrent pas l’incompétence de ceux‑ci à présenter des renseignements pertinents. Il s’agit plutôt de plaintes fondées sur une analyse rétrospective. Je conclus que les circonstances de l’espèce montrent que, selon la prépondérance des probabilités, ce sont les demandeurs eux‑mêmes qui n’ont pas fourni suffisamment de renseignements à leurs avocats pour leur permettre de « se montrer sous [leur] meilleur jour » : Olori c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1308 au para 24, citant Abdullahi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 260 au para 14.
IV.
Conclusion
[35] Pour les motifs qui précèdent, je ne suis pas convaincue que la décision est déraisonnable ou inéquitable ni que la conduite des anciens avocats constituait de l’incompétence. Je rejette donc la demande de contrôle judiciaire des demandeurs.
V.
La question proposée aux fins de certification
[36] Pour les motifs qui suivent, je refuse de certifier la question proposée par les demandeurs en l’espèce.
[37] Sans avoir d’abord avisé le défendeur et la Cour, les demandeurs ont proposé la question suivante à certifier à la fin de l’audience et ont par la suite confirmé leur demande par écrit :
Pour être considéré comme un avocat compétent dans le cadre d’une instance en matière de protection des réfugiés, l’avocat doit-il expliquer les éléments fondamentaux du droit relatif aux réfugiés, comme la signification d’une opinion politique et l’appartenance à un groupe social particulier, et, lorsqu’il conseille ses clients sur la façon de rédiger leur exposé circonstancié et de répondre aux questions dans leur formulaire Fondement de la demande d’asile, doit-il interroger ses clients à la lumière de ces éléments fondamentaux?
[38] J’ai mentionné aux parties que j’examinerais la question, mais je leur rappelle les « Lignes directrices sur la pratique dans les instances intéressant la citoyenneté, l’immigration et les réfugiés » de la Cour, datées du 28 novembre 2018. Ces Lignes directrices prévoient (à la page 4) que « [s]i une partie entend proposer une question à certifier, la partie opposée doit en être informée au moins cinq (5) jours avant l’audience, dans le but de s’entendre sur le libellé de la question proposée »
[non souligné dans l’original]. Les Lignes directrices n’ont pas été suivies en l’espèce. Les parties qui ne les respectent pas courent le risque que, dans les circonstances de l’affaire, la Cour refuse d’examiner la question ou qu’elle énonce les conditions selon lesquelles la question sera néanmoins examinée.
[39] Je suis d’accord avec le défendeur que, selon le paragraphe 18(1) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, pour que la Cour certifie une question, celle-ci doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. En corollaire, la question doit avoir été soulevée devant la cour d’instance inférieure, qui doit l’avoir examinée dans sa décision : Mudrak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178 au para 16; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Zazai, 2004 CAF 89 aux para 11-12; Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22 au para 46.
[40] En ce qui concerne la question proposée par les demandeurs, comme je l’ai mentionné précédemment, il existe une présomption selon laquelle la conduite de l’avocat se situe à l’intérieur du large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable. La jurisprudence de la Cour est bien établie sur la question de la compétence des avocats.
[41] En outre, je suis d’accord avec le défendeur que les demandeurs n’ont pas démontré pourquoi le critère actuel relatif à la compétence des avocats, tel qu’il est énoncé précédemment, n’est pas suffisant en l’espèce. Le premier volet du critère, par exemple, est suffisamment vaste à mon avis pour englober la conduite envisagée par la question proposée. De plus, lorsqu’elle s’est penchée sur l’approche générale applicable à la question de la compétence des avocats, la Cour suprême a souligné qu’il existait un large éventail d’assistance professionnelle raisonnable, prenant soin de ne pas donner d’exemples qui pourraient par la suite être interprétés comme restreignant d’une certaine façon la portée de son orientation à cet égard : GDB, précité, au para 27.
[42] Je conclus qu’en l’absence d’une erreur judiciaire, la compétence des avocats est une question qu’il vaut mieux laisser les barreaux provinciaux ou territoriaux (ou à l’organisme de réglementation de la profession compétent) examiner dans le contexte des normes d’éthique professionnelle applicables : GDB, précité, au para 29.
JUGEMENT dans le dossier IMM-1550-21
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs est rejetée, et elle refuse de certifier la question proposée.
« Janet M. Fuhrer »
Juge
Traduction certifiée conforme
Mélanie Vézina
Annexe « A »
: Dispositions applicables
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27
Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256
Refugee Protection Division Rules, SOR/2012-25
|
|
|
|
|
|
Règles des Cours fédérales, DORS/98-106
Federal Courts Rules, SOR/98-106
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22
Federal Courts Citizenship, Immigration and Refugee Protection Rules, SOR/93-22
|
|
|
|
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-1550-21
|
INTITULÉ :
|
ALI MAHBOBI NIK, SHAHRZAD SHEIGHALI ET SHAYLIN MAHBOBI NIK c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 21 FÉVRIER 2022
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LA JUGE FUHRER
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 12 AVRIL 2022
|
COMPARUTIONS :
Mehran Youssefi
|
Pour les demandeurs
|
Idorenyin Udoh-Orok
|
Pour le défendeur
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Mehran Youssefi
Avocat
Thornhill (Ontario)
|
Pour les demandeurs
|
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
|
Pour le défendeur
|