Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220426


Dossier : IMM-4865-20

Référence : 2022 CF 615

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 avril 2022

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

ZI XIN SU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’immigration [l’agent] datée du 29 septembre 2020 [la décision], par laquelle sa demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire au titre de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] a été rejetée. La demanderesse fait valoir qu’elle sera confrontée à des difficultés si elle est forcée de retourner en Chine parce qu’elle vit au Canada depuis plus de 17 ans, qu’elle est chrétienne et qu’elle sera victime de discrimination en Chine, et qu’elle n’a pas les documents et les relations sociales nécessaires pour obtenir un emploi et se réintégrer dans la société chinoise.

[2] Comme il sera expliqué ci-dessous, la présente demande sera accueillie parce que l’agent n’a pas tenu compte des observations de la demanderesse concernant les difficultés auxquelles elle serait confrontée en Chine en raison de la suppression de son identité religieuse.

II. Contexte

[3] La demanderesse est une ressortissante chinoise qui vit au Canada depuis 2003. Elle affirme qu’avant de venir au Canada, elle a commencé à pratiquer le christianisme en Chine dans une église non enregistrée, où, selon elle, la police a fait une descente. La demanderesse a fait l’objet d’une accusation criminelle de participation à des réunions illégales et de possession de matériel religieux illégal, et il lui a été ordonné de se présenter au poste de police. Au lieu de cela, elle a demandé l’aide d’un passeur et a fui la Chine pour se rendre au Canada en février 2003.

[4] À son arrivée au Canada, la demanderesse a présenté une demande d’asile, qui a été rejetée en 2004. Elle a obtenu un permis de travail en 2005, et elle a ensuite présenté des demandes de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire et d’examen des risques avant renvoi, mais elles ont été rejetées. En février 2019, la demanderesse a présenté une autre demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, laquelle a été rejetée en septembre 2020 dans la décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

[5] Au cours des années où la demanderesse est restée au Canada, son permis de travail a été prolongé et elle a été employée dans une entreprise qui produit des pâtes de riz, où elle a gravi les échelons, passant d’ouvrière à chef d’équipe. Depuis son arrivée au Canada, la demanderesse a également participé de façon constante aux activités de son église, Living Stone Assembly.

[6] Dans sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, la demanderesse a invoqué plusieurs motifs pour lesquels elle affirme qu’elle sera confrontée à des difficultés si elle retourne en Chine. Premièrement, elle est chrétienne, et elle a présenté des éléments de preuve sur la situation en Chine qui démontrent que les chrétiens dans ce pays font l’objet d’une surveillance policière, et que des églises non officielles font l’objet de descentes et que leurs membres sont arrêtés. Deuxièmement, elle n’a pas de Hukou, une sorte de passeport interne visant à surveiller la migration entre la campagne et la ville, et elle a déposé des documents sur la situation dans le pays concernant la discrimination à laquelle sont confrontés les migrants ruraux sans Hukou, notamment les difficultés d’accès aux services sociaux, aux soins de santé et à l’emploi. Enfin, comme elle a passé près de vingt ans loin de la Chine, elle a affirmé que ses seuls contacts restants sont ses parents âgés, qui ne travaillent plus et ne pourront donc pas l’aider à trouver un emploi.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[7] Les principaux arguments de la demanderesse qui remettent en cause le caractère raisonnable de la décision ont trait à l’analyse par l’agent de ses observations concernant son christianisme, et ma décision d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire repose sur ces arguments. Par conséquent, le résumé qui suit de la décision se concentre sur cet aspect de l’analyse de l’agent.

[8] L’agent reconnaît que les conditions en Chine sont loin d’être idéales pour les chrétiens, les acteurs de l’État ciblant certains d’entre eux, mais il a conclu que la demanderesse a fourni peu d’éléments de preuve concernant son affiliation à des églises en Chine, ou permettant d’établir un lien entre cette affiliation et des acteurs de l’État qui la recherchent activement. L’agent souligne également qu’aucune preuve corroborante n’a été fournie concernant la descente dans l’église de la demanderesse en 2002 et qu’il n’y a pas eu de témoignage d’amis ou de membres de sa congrégation qui auraient été ciblés par la police. En l’absence de preuve, l’agent a donc conclu que l’on ne peut pas dire que la demanderesse serait confrontée à des difficultés en raison d’un risque en Chine. Dans sa décision, l’agent prend également acte de la décision antérieure de la Section de la protection des réfugiés qui a rejeté la demande d’asile, ainsi que du rejet de l’ERAR, et accorde du poids à ces décisions. L’agent n’accorde aucun poids à l’argument selon lequel la demanderesse est recherchée par les autorités chinoises.

[9] L’agent s’est penché sur les difficultés générales auxquelles la demanderesse serait confrontée en tant que chrétienne en Chine, en se référant aux documents sur la situation dans le pays présentés par la demanderesse et au dossier d’information du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni [le rapport du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni] concernant l’approche de la Chine envers le christianisme. L’agent cite le rapport du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni pour conclure que des millions de chrétiens qui pratiquent leur culte dans des églises non enregistrées sont en mesure de se réunir et d’exprimer leur foi comme ils le souhaitent, et que le risque de persécution, de préjudice grave ou de mauvais traitements vise généralement ceux qui pratiquent leur culte dans des églises non enregistrées et qui se comportent de manière à attirer l’attention des autorités locales sur eux, ou sur leurs opinions politiques, sociales ou culturelles.

[10] En outre, l’agent fait remarquer que des pressions sont exercées sur les maisons-églises pour qu’elles se joignent à une église sanctionnée par l’État, et que les membres des églises enregistrées et non enregistrées sont de plus en plus susceptibles d’être harcelés et arrêtés, des milliers d’entre eux ayant été détenus en 2018, bien que la plupart des détentions aient été brèves et n’aient pas donné lieu à des accusations criminelles. L’agent souligne que l’église de la demanderesse ne fait pas partie des groupes que l’État chinois a conseillé à ses citoyens d’éviter. Après un examen des documents sur la situation dans le pays, l’agent a conclu ce qui suit :

[traduction]

…de nombreux chrétiens en Chine sont victimes de discrimination, de harcèlement et d’arrestations de la part d’acteurs étatiques. Toutefois, je souligne que ces incidents se soldent essentiellement par des détentions de courte durée, et que les arrestations ont lieu principalement lorsque ces personnes ont attiré l’attention des autorités en raison de leurs activités politiques ou sociales. De plus, je suis d’avis que les exemples d’un tel sentiment anti-chrétien, comme il est décrit dans divers articles fournis par la demanderesse, sont des incidents isolés, et qu’ils ne concernent pas la demanderesse, et que ces exemples ne démontrent pas que le gouvernement chinois recherche activement la demanderesse. Par conséquent, j’accorde peu de poids à cette observation.

[11] Enfin, l’agent a conclu que, comme la demanderesse est membre d’une église pentecôtiste au Canada, elle pourrait, en tant que membre d’une confession protestante, se joindre à une église enregistrée et approuvée par l’État.

[12] Après avoir pris en considération les autres facteurs soulevés par la demanderesse et soupesé chacun d’entre eux, l’agent n’était pas convaincu que ces facteurs justifiaient une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire et a donc rejeté la demande.

IV. Les questions en litige et la norme de contrôle

[13] La demanderesse fait valoir que la présente demande soulève les trois questions suivantes, et les soumet à l’examen de la Cour :

  1. La manière dont l’agent a apprécié les observations de la demanderesse concernant le traitement auquel elle serait soumise en Chine est-elle inintelligible?

  2. L’agent a-t-il confondu les difficultés prévues à l’article 25 avec le risque prévu à l’article 97 de la LIPR?

  3. L’agent a-t-il utilisé le mauvais critère pour apprécier la demande?

[14] Toutes ces questions sont assujetties à la norme de la décision raisonnable.

V. Analyse

[15] Je suis convaincu par l’argument de la demanderesse selon lequel l’agent n’a pas tenu compte de l’élément essentiel de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire concernant son christianisme, à savoir que, compte tenu de l’importance pour la demanderesse de sa foi religieuse et de sa capacité à la pratiquer librement, les difficultés inhérentes à la vie dans un environnement de répression religieuse constituent une considération d’ordre humanitaire suffisamment importante pour justifier l’octroi d’une dispense.

[16] L’analyse de l’agent est fortement axée sur la pratique religieuse de la demanderesse avant son départ de Chine et sur les interactions qu’elle a eues avec les autorités chinoises, et l’agent a conclu qu’elle n’avait pas démontré que le gouvernement chinois la recherchait activement. Je ne reproche pas à l’agent d’avoir effectué ce volet de l’analyse, étant donné que le passé religieux de la demanderesse avant de quitter la Chine fait partie du contexte de ses observations sur les motifs d’ordre humanitaire. Toutefois, cette analyse n’est pas suffisante pour démontrer une prise en compte raisonnable de la demande de la demanderesse en matière de liberté de religion.

[17] De même, bien que la décision comprenne une analyse des documents sur la situation dans le pays, et des conclusions connexes sur le niveau de discrimination et de harcèlement auquel sont confrontés les chrétiens en Chine, l’agent ne traite pas de l’argument principal de la demanderesse selon lequel l’effet d’un tel environnement sur sa capacité à pratiquer sa religion librement et ouvertement justifie l’octroi d’une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Dans la déclaration solennelle qu’elle a présentée, la demanderesse a souligné l’importance de ressentir de la fierté pour sa religion, et elle a affirmé avoir l’impression qu’elle devrait cacher cette partie de son identité si elle était renvoyée en Chine. À l’instar de ce que la Cour a affirmé dans la décision Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 702 au para 33 (là, dans le cadre d’un examen des risques avant renvoi), je ne me prononcerai pas sur la question de savoir quel degré particulier de suppression de l’identité religieuse justifie d’accorder une mesure d’ordre humanitaire. Je conclus seulement que l’argument devait être pris en considération par l’agent.

[18] L’omission de l’agent de tenir compte de cet argument est particulièrement évidente dans le dernier volet de l’analyse, dans lequel l’agent a souligné que, puisque l’église de la demanderesse est une église pentecôtiste, elle pourrait se joindre à une église protestante enregistrée et approuvée par l’État en Chine. Selon les documents sur la situation dans le pays, il est clairement possible de pratiquer le christianisme dans des églises protestantes approuvées par l’État en Chine. Cependant, étant donné les limites imposées par l’État à la doctrine dans de telles églises, telles que décrites dans les documents sur la situation dans le pays cités dans la décision, le fait que l’agent suggère à la demanderesse de poursuivre sa pratique de cette manière démontre qu’il n’a pas compris l’argument qu’elle avançait concernant la suppression de son identité religieuse.

[19] Puisque je conclus que ce volet de la décision est déraisonnable, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, et il n’est pas nécessaire que j’examine les autres arguments avancés par la demanderesse.

[20] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel, et aucune question ne sera énoncée.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4865-20

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Marie-France Blais, L.L. B., traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4865-20

INTITULÉ :

ZI XIN SU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 AVRIL 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 26 AVRIL 2022

COMPARUTIONS :

Naseem Mithoowani

POUR LA DEMANDERESSE

Monmi Goswami

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mithoowani Waldman

Immigration Law Group

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto, Ontario

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.