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Date : 20220421


Dossier : T-2189-14

Référence : 2022 CF 580

Ottawa (Ontario), le 21 avril 2022

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

CHRISTOPHER LILL

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Depuis 2007, M. Christopher Lill purge une peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans, par suite d’une condamnation pour meurtre au premier degré. Le 21 octobre 2011, pendant son incarcération à l’établissement de La Macaza, un établissement fédéral à sécurité moyenne, un incident violent impliquant un autre détenu s’est produit. Trois jours après cet incident, M. Lill a été placé en isolement préventif; il y restera du 24 octobre jusqu’au 30 novembre 2011. Le 7 novembre 2011, la cote de sécurité de M. Lill a été rehaussée, pour être établie à la cote dite à sécurité maximale. Le 30 novembre 2011, il a été transféré vers l’établissement de Port-Cartier, un établissement à sécurité maximale. M. Lill a été placé dans des établissements à sécurité maximale jusqu’au 2 mai 2014, date à laquelle il a été transféré à un établissement à sécurité moyenne par suite de la rétrogradation de sa cote de sécurité, qui est passée de maximale à moyenne en janvier 2014.

[2] Le Service correctionnel du Canada [SCC] admet qu’une faute a été commise dans le processus d’enquête menée par le département de la sécurité préventive suivant l’empoignade du 21 octobre 2011. En effet, les informations disponibles ne permettaient pas de démontrer qu’une analyse exhaustive avait été menée avant d’ordonner le placement de M. Lill en isolement. En fait, il n’y avait pas d’information officiellement consignée permettant d’identifier M. Lill comme étant l’instigateur de l’altercation. De plus, il est admis par le SCC que les vices affectant la validité de la décision de maintenir M. Lill en isolement préventif ont entaché la suite du processus de réévaluation de la cote de sécurité du demandeur. La cote de sécurité a été réévaluée avant même que l’enquête menée par les agents de renseignements sécuritaires ait fait la lumière sur la prétendue bagarre. La réévaluation de la cote de sécurité de M. Lill n’a pas suivi un processus décisionnel juste, raisonnable et transparent fondé sur toutes les informations pertinentes.

[3] M. Lill réclame des dommages-intérêts de 456 000 $ de la défenderesse pour son placement en isolement préventif pour la période de 30 jours du 31 octobre au 30 novembre 2011 inclusivement, et pour le changement porté à sa cote de sécurité qui l’a contraint à être placé à tort, au cours des 884 jours suivants, soit du 1er décembre 2011 au 2 mai 2014 inclusivement, dans des établissements à sécurité maximale. Le SCC ayant admis qu’une faute a effectivement été commise en ce qui concerne le placement en isolement préventif et le changement de la cote de sécurité de M. Lill, les questions en litige en l’espèce portent sur les autres éléments essentiels de la responsabilité, soit le lien de causalité et le préjudice. Le SCC fait valoir qu’indépendamment de la faute commise envers M. Lill, aucun lien de causalité entre cette faute et les préjudices allégués n’a été établi et que, si un tel lien avait été établi, il y a eu une rupture complète de ce lien, à au moins deux reprises, en raison des actes commis par M. Lill.

[4] Je ne suis pas d’accord avec le SCC. Ce lien n’a été rompu à aucun moment au cours des mois qui ont suivi le transfèrement de M. Lill à Port-Cartier. Suivant mon impression du caractère de M. Lill et la preuve de nombreux témoins, M. Lill est certes combatif, ne tient pas compte des conseils d’autrui et fait parfois preuve d’irrévérence et d’arrogance. Cependant, rien ne confirme que l’incarcération de M. Lill aux établissements à sécurité maximale aurait été raccourcie s’il avait adopté un comportement plus docile. Le lien de causalité entre la faute admise et le préjudice causé lors de la totalité de la période visée par la présente action est donc intact.

[5] Par contre, la somme réclamée est exagérée, car il ne faut pas oublier que M. Lill sera indemnisé à l’issue des recours collectifs de Gallone c Procureur général du Canada, 2020 QCCS 5107; Brazeau v Attorney General (Canada), 2019 ONSC 1888; Reddock v Canada (Attorney General), 2019 ONSC 5053; Brazeau v Canada (Attorney General), 2020 ONCA 184; Gallone c Procureur général du Canada, 2020 QCCS 3992; Brazeau v Canada (Attorney General), 2020 ONSC 7229 [collectivement recours Reddock]. En effet, le 19 avril 2021, la présente Cour a rendu une ordonnance sur consentement selon laquelle les périodes d’isolement préventif de M. Lill ne feraient pas l’objet du procès. Cette ordonnance a été rendue afin d’éviter une double indemnisation de M. Lill. Malgré cette ordonnance à laquelle il a consenti, M. Lill a maintenu le montant de sa réclamation. La somme réclamée ne tient pas compte non plus de la nature et de la teneur des préjudices subis par M. Lill selon la jurisprudence à cet effet. La preuve démontre qu’il existe peu de différences entre les conditions de détention d’un établissement à sécurité moyenne et d’un établissement à sécurité maximale. De plus, M. Lill n’a pas démontré qu’il avait subi des préjudices psychologiques. Il n’a pas déposé de rapport d’expert démontrant un lien entre la faute et les préjudices allégués. Finalement, M. Lill n’a pas droit à des dommages-intérêts exemplaires ou punitifs parce qu’il n’a pas démontré que le SCC avait agi de mauvaise foi. La faute a été commise de bonne foi, et les actes accomplis par la suite l’étaient également et visaient à aider M. Lill à cheminer dans son parcours correctionnel.

II. Faits

[6] La présente affaire tire son origine d’une empoignade qui se serait produite entre deux détenus il y a environ onze ans. En conséquence, M. Lill a été placé en isolement préventif, et sa cote de sécurité a été rehaussée.

[7] De 2008 à 2010, M. Lill purgeait sa peine à l’établissement de Donnacona, un établissement à sécurité maximale. Bien que cette période ne soit pas directement visée par la présente action, mentionnons que M. Lill y a passé la majorité de sa détention en isolement, à l’écart de la population générale. Il n’aurait pas été un détenu exemplaire, de sorte que lorsqu’il devra plus tard y être transféré à nouveau, l’établissement de Donnacona l’a refusé. Nous y reviendrons. Par suite de la révision de sa cote de sécurité, M. Lill a été transféré à l’établissement Archambault, un établissement à sécurité moyenne, avant d’être transféré, en septembre 2010, à l’établissement de La Macaza, un autre établissement à sécurité moyenne où il restera jusqu’au 30 novembre 2011.

[8] Lors de sa détention à l’établissement de La Macaza, il aurait été impliqué dans de multiples incidents plus ou moins graves. Il aurait brûlé un drapeau mohawk (prétendument en conformité avec ses traditions), poussé un aîné et conduit un kart de golf en direction d’un membre du personnel. De plus, il était soupçonné de trafic. M. Lill nie partiellement ou totalement sa responsabilité dans ces incidents. Toutefois, comme l’aîné en question n’a pas été appelé à témoigner pour mettre les choses au clair et comme plusieurs témoins crédibles ont confirmé la responsabilité de M. Lill à l’égard de ces incidents, on peut difficilement conclure qu’il n’est pas responsable. Il ne fait aucun doute que M. Lill est souvent son pire ennemi. Le témoignage d’Alexandre Leblanc-Jolicoeur, l’agent de libération conditionnelle de M. Lill à La Macaza, sur le caractère de M. Lill reflète très bien ma propre impression du demandeur durant son témoignage. M. Leblanc-Jolicoeur a déclaré que même si M. Lill n’était ni meilleur ni pire que la plupart des détenus, son caractère devenait plus combatif lorsque le personnel du pénitencier tentait de lui faire suivre son plan correctionnel. M. Lill devenait difficile à gérer, avec une attitude arrogante, parfois belliqueuse, démontrant une incapacité à reconnaître ses torts, croyant savoir toujours mieux que quiconque comment se comporter et voulant faire les choses à sa façon. Quoi qu’il en soit, la responsabilité de M. Lill quant à ces incidents n’est pas l’objet du présent procès. Il n’est donc pas nécessaire de s’y attarder davantage, si ce n’est pour dire que M. Lill ne semble pas avoir été un détenu modèle lors de son incarcération à l’établissement de La Macaza. C’est ce qui ressort également d’une bonne partie de son parcours carcéral visé par la présente action.

[9] Le 24 octobre 2011, des agents correctionnels de l’établissement de La Macaza ont été informés d’une agression physique qu’aurait commise M. Lill envers un de ses codétenus, Douglas Foreman, le 21 octobre 2011. Ève Melançon, qui était à l’époque agente de renseignements de sécurité [ARS] à l’établissement, a été chargée de l’enquête visant à déterminer l’auteur de l’agression. Elle a rencontré M. Foreman, qui lui a dit que M. Lill était l’agresseur et qu’il désirait déposer une plainte au criminel contre M. Lill. Mme Melançon a également rencontré M. Lill et un autre détenu. M. Lill a dès lors été placé en isolement préventif en vertu de l’ancien alinéa 31(3)a) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [Loi], afin d’assurer la sécurité des détenus, dont celle de M. Foreman, pendant l’enquête sur les faits produits le 21 octobre 2011. L’alinéa 31(3)a) de la Loi était alors ainsi libellé :

Objet

Purpose

31(1) L’isolement préventif a pour but d’empêcher un détenu d’entretenir des rapports avec l’ensemble des autres détenus.

31(1) The purpose of administrative segregation is to keep an inmate from associating with the general inmate population.

Retour parmi les autres détenus

Duration

(2) Le détenu en isolement préventif doit être replacé le plus tôt possible parmi les autres détenus du pénitencier où il est incarcéré ou d’un autre pénitencier.

(2) Where an inmate is in administrative segregation in a penitentiary, the Service shall endeavour to return the inmate to the general inmate population, either of that penitentiary or of another penitentiary, at the earliest appropriate time.

Motifs d’isolement préventif

Grounds for confining inmate in administrative segregation

(3) Le directeur du pénitencier peut, s’il est convaincu qu’il n’existe aucune autre solution valable, ordonner l’isolement préventif d’un détenu lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire, selon le cas :

(3) The institutional head may order that an inmate be confined in administrative segregation if the institutional head believes on reasonable grounds

a) que celui-ci a agi, tenté d’agir ou a l’intention d’agir d’une manière compromettant la sécurité d’une personne ou du pénitencier et que son maintien parmi les autres détenus mettrait en danger cette sécurité;

(a) that

(i) the inmate has acted, has attempted to act or intends to act in a manner that jeopardizes the security of the penitentiary or the safety of any person, and

(ii) the continued presence of the inmate in the general inmate population would jeopardize the security of the penitentiary or the safety of any person,

...

...

[10] M. Lill nie encore à ce jour avoir agressé M. Foreman et soutient n’avoir appris ce qu’on lui reprochait que le 27 octobre 2011, soit quelques jours après sa mise en isolement suivant l’incident. Gary Brandon, un autre des codétenus de M. Lill, a témoigné que ce dernier n’était pas impliqué dans l’incident. Or, il est difficile d’accorder une grande valeur probante au témoignage de M. Brandon dans lequel il affirme avoir dénoncé M. Foreman aux autorités du pénitencier à deux reprises ainsi qu’au comité de détenus. Selon M. Brandon, M. Foreman aurait inventé l’empoignade avec M. Lill afin d’être renvoyé en Colombie-Britannique. Comme M. Lill n’était pas l’ami de M. Brandon et que, d’après son propre aveu, ce dernier risquait sa sécurité en dénonçant son codétenu, M. Foreman, il est difficile de comprendre la motivation derrière cette dénonciation persistante. Cette incohérence importante affecte la crédibilité générale du témoin. Quoi qu’il en soit, l’implication réelle ou avérée de M. Lill dans cet incident a une pertinence limitée dans la présente action, d’autant plus que la défenderesse a déjà admis qu’une faute avait été commise dans la réévaluation de la cote de sécurité de M. Lill suivant l’incident.

[11] Le 31 octobre 2011, lors de la rencontre du comité d’isolement au 5e jour d’isolement, les membres du comité avaient déjà décidé de recommander au directeur de l’établissement la hausse de la cote de sécurité de M. Lill. En outre, selon eux, M. Lill ne pouvait pas être détenu dans le même établissement que M. Foreman, car celui-ci souhaitait porter plainte pour voies de fait contre lui. Informé de cette conclusion, M. Lill a clamé avec véhémence son innocence et a déclaré qu’il était prêt à passer un test polygraphique pour confirmer qu’il disait la vérité. Cependant, sa réintégration dans la population générale a été jugée inopportune, et avec la hausse de sa cote de sécurité, son transfèrement de l’établissement de La Macaza vers un établissement à sécurité maximale semblait inévitable. Après avoir été informé que sa cote de sécurité serait portée au maximum, ce qui nécessitait son transfèrement dans un autre pénitencier, M. Lill a imploré les membres du comité d’organiser son transfèrement vers l’établissement de Donnacona plutôt que vers celui de Port-Cartier. Cette demande a toutefois été refusée par l’établissement de Donnacona en raison du comportement de M. Lill lorsqu’il y avait été incarcéré – comme indiqué précédemment, il a été incarcéré deux ans à Donnacona, la plupart du temps en isolement.

[12] L’évaluation de la cote de sécurité de M. Lill s’est terminée le 31 octobre 2011. Il aurait été possible de modifier la recommandation si de nouveaux renseignements pertinents avaient fait surface. C’est le directeur de l’établissement de La Macaza, M. Stéphane Lalande, qui a le dernier mot, et il aurait pu être en désaccord avec la décision prise par le comité, mais ce n’était pas le cas en l’espèce. M. Lalande a témoigné qu’il a souscrit à l’évaluation de Mme Melançon portant que M. Lill était le responsable de l’agression et a approuvé, le 7 novembre 2011, la recommandation soumise par son équipe de gestion d’augmenter sa cote de sécurité. Dans ces circonstances, un transfèrement vers un établissement à sécurité maximale s’imposait.

[13] Toutefois, il y a seulement deux établissements à sécurité maximale au Québec, à savoir Port-Cartier et Donnacona. Ce dernier établissement ayant refusé le transfèrement de M. Lill, seul l’établissement de Port-Cartier pouvait accueillir le détenu au Québec. De plus, M. Lill n’avait pas fait de demande de transfèrement interrégional, le Centre régional de réception [CRR] était débordé à l’époque et le directeur voulait mettre un terme le plus rapidement possible à l’isolement de M. Lill. Dans ces circonstances et malgré les fougueuses protestations de M. Lill, un transfèrement à l’établissement de Port-Cartier a été approuvé. Comme pour tout transfèrement interétablissements, une évaluation préalable des risques relatifs au transfèrement a été réalisée. À l’issue de l’évaluation, il a été conclu que M. Lill correspondait au profil de la population incarcérée à Port-Cartier et pourrait bien s’y accommoder.

[14] Or, ce n’était pas le cas.

[15] Le 30 novembre 2011, M. Lill a été libéré de son isolement préventif et transféré à Port-Cartier, où il est arrivé le 12 décembre 2011 après avoir été dirigé préalablement vers le CRR. Dès son arrivée à l’établissement de Port-Cartier (et déjà à bord de l’autobus qui l’y emmenait), M. Lill s’est mis à protester contre son transfèrement, a refusé d’intégrer l’établissement, affirmant qu’il avait été injustement transféré et que sa cote de sécurité n’aurait jamais dû être réévaluée à la hausse. Il aurait notamment menacé de s’en prendre à des codétenus ou à des membres du personnel afin de demeurer en isolement et ainsi ne pas intégrer la population générale de l’établissement. M. Lill voulait éviter qu’on lui accole la désignation de détenu en protection qui découle d’une incarcération à Port-Cartier et soutenait qu’il craignait pour sa sécurité s’il devait intégrer la population générale – la preuve suggère que M. Lill était préoccupé par les liens de sa famille avec les Hells Angels et qu'il craignait pour sa vie à Port-Cartier, car d’autres détenus avaient été impliqués dans des groupes rivaux. Cependant, et en plus de l’enquête préalable au transfèrement de l’établissement de La Macaza, le directeur de l’établissement de Port-Cartier, M. Gilles Rose a témoigné qu’il s’était renseigné pour s’assurer que la sécurité de M. Lill ne serait pas compromise s’il devait intégrer la population générale. Toutes ces enquêtes et même la consultation avec le comité de détenus ont révélé que M. Lill aurait pu intégrer la population générale sans problème et que ses craintes étaient sans doute infondées. Des démarches ont aussi été entreprises pour rassurer M. Lill, mais en vain. Pendant toute cette période, M. Lill n’a participé à aucun programme carcéral, puisqu’il n’avait pas purgé suffisamment de sa peine.

[16] À l’établissement de Port-Cartier, situé sur la Côte-Nord, loin de sa famille située à Gatineau, M. Lill n’a reçu aucune visite familiale. L’état de santé de sa grand-mère et le travail de sa mère, notamment, ne leur permettaient pas de faire le voyage, malgré la compensation financière et la possibilité de visites prolongées offertes par le SCC aux détenus incarcérés à cet établissement. Les rapports concernant M. Lill donnent l’image d’un homme qui se dit souvent anxieux et nerveux lorsqu’il se trouve dans la population générale. Cela peut expliquer sa tendance à chercher à être placé en isolement. Mme Chantal Girouard, l’agente de libération conditionnelle de M. Lill à Port-Cartier, a témoigné que l’objectif avec M. Lill était plutôt de l’intégrer à la population générale de l’établissement de Port-Cartier, ce qu’il continuait de refuser de faire; entre le 12 décembre 2011 et le 27 septembre 2012, M. Lill n’a été placé au sein de la population générale que 27 jours soient du 12 décembre 2011 au 7 janvier 2012 inclusivement. En fait, M. Lill a été placé en isolement volontaire à partir du 7 janvier 2012 parce qu’il se disait angoissé et stressé apparemment lié à son appel de sa condamnation qui a été entendu en janvier 2012 dont il attendait la décision, et qu’il avait besoin d’être tenu à l’écart du reste de la population pour éviter de « sauter ». Le 19 janvier 2012, M. Lill s’est barricadé en cellule et s’est automutilé en s’infligeant des coupures – le rapport suggère que M. Lill a fait cela pour attirer l’attention, car il n’avait pas reçu de nouvelles concernant une demande qu’il avait faite auprès du personnel de Port-Cartier.

[17] L’état psychologique de M. Lill était préoccupant, et les rapports sur M. Lill montrent que différentes approches ont été adoptées par le personnel de Port-Cartier pour tenter de l’aider à mieux gérer son anxiété, son stress et son agressivité afin qu’il s’intègre à la population générale, notamment en exigeant qu’il complète une séance d’acquisition de la maîtrise de la colère, mais M. Lill a refusé de coopérer, préférant l’isolement à l’intégration. Les rapports indiquent que M. Lill se plaignait régulièrement de divers problèmes, en particulier de ses conditions de détention et des comportements des agents, et qu’il était furieux contre le personnel de La Macaza en raison de l’augmentation de sa cote de sécurité et de son transfèrement à Port-Cartier. De plus, lorsque le personnel à Port-Cartier essayait d’intervenir auprès de M. Lill, il ne semblait pas écouter et continuait simplement à soulever les mêmes problèmes et répétait les mêmes doléances. Les rapports montrent que M. Lill a eu du mal à faire avancer son plan de réadaptation, car il restait retranché dans ses positions et était incapable de se remettre en question.

[18] Mme Girouard a témoigné de la différence entre les établissements de détention à sécurité moyenne et ceux à sécurité maximale, la principale différence étant que le mouvement des détenus à l’intérieur de l’établissement est plus restreint et contrôlé dans un établissement à sécurité maximale. Les détenus ont le même accès au travail, à l’école, au gymnase et aux activités pour les détenus autochtones; toutefois les détenus incarcérés dans les établissements à sécurité maximale n’ont pas un accès libre aux postes de travail et sont plus limités dans leurs déplacements d’un poste à l'autre.

[19] En mai 2012, étant déjà en isolement depuis le 7 janvier 2012, M. Lill a suggéré qu’il soit transféré à Donnacona afin de sortir de l’isolement, promettant de s’intégrer à la population générale de cet établissement. Selon Mme Girouard, Donnacona a refusé la demande de transfèrement parce que, lorsque M. Lill y purgeait sa peine, il essayait constamment de gérer sa propre sentence en isolement – M. Lill voulait que les choses soient faites à sa façon! De plus, Mme Girouard affirme qu’elle n’était pas convaincue que M. Lill pouvait être transféré directement de l’isolement à Port-Cartier vers un établissement à sécurité moyenne; M. Lill lui avait dit, dès son arrivée à Port-Cartier, qu’il agirait violemment envers ses codétenus et il ne lui a pas montré que son comportement justifiait que sa cote de sécurité soit réduite à une cote de sécurité moyenne. Elle ajoute qu’à l’époque, les établissements fédéraux étaient légalement tenus de réexaminer la cote de sécurité des détenus tous les deux ans. Par conséquent, la cote de sécurité de M. Lill aurait été réexaminée en 2013.

[20] L’impression qui se dégage de la preuve est que M. Lill est devenu frustré envers le personnel de Port-Cartier parce que personne n’était prêt à l’aider à trouver un moyen rapide pour retourner dans un établissement à sécurité moyenne. Donnacona ne voulant pas l’accueillir, il a donc demandé un transfèrement vers le Centre régional de santé mentale [CRSM], un hôpital psychiatrique se trouvant à l’établissement Archambault, afin d’y suivre un programme de mentalisation. Bien que Port-Cartier restait son établissement d’attache, M. Lill pouvait au moins essayer à nouveau de trouver un moyen de réduire sa cote de sécurité à moyenne. Compte tenu du comportement de M. Lill, je ne serai pas surpris que le personnel de Port-Cartier n’ai pas été mécontent de le voir partir vers le CRSM.

[21] Le 27 septembre 2012, par suite d’une demande de sa part, M. Lill a été transféré au CRSM. Il relevait toujours de son établissement d’attache, soit Port-Cartier, puisque sa présence au CRSM était temporaire. Son intégration au CRSM a été décrite par sa psychoéducatrice comme étant optimale, mais cette attitude s’est rapidement détériorée. Le CRSM accueille des détenus de tous les niveaux sécuritaires pour une période plus ou moins longue, le temps que ceux-ci guérissent. Le placement y est temporaire en raison des places limitées qu’offre l’établissement et qui doivent être libérées pour que d’autres détenus puissent y suivre des traitements. À son arrivée, M. Lill a été placé pour une durée de deux mois dans une rangée servant à l’évaluation pour s’assurer qu’il pouvait bel et bien intégrer le programme de mentalisation et la population générale de l’établissement. Mme Sophie Gosselin, psychoéducatrice au CRSM, a témoigné que tout le monde au CRSM se souvient de l’arrivée de M. Lill. Il est arrivé « avec des trompettes »; il était heureux d’être là et connaissait déjà un tas de gens. Mais cela a vite changé lorsqu’il s’est rendu compte que ni son agent de libération conditionnelle ni le personnel médical du CRSM ne pouvait l’aider à « réparer » sa cote de sécurité, car le CRSM n’était qu’un hôpital, et que Port-Cartier restait son établissement d’attache. M. Lill a commencé à se désintéresser des programmes et à se plaindre du programme dans lequel il se trouvait, et a également commencé à saper l’autorité de Mme Gosselin en la ridiculisant en public. M. Lill n’a pas assisté aux séances comme il avait accepté de le faire, et a commencé à se désengager du programme et du travail qu’on lui donnait à faire.

[22] M. Lill aurait été impliqué dans un complot d’évasion et dans du trafic de médicaments. Il aurait aussi eu une influence négative sur les codétenus dans sa rangée et une attitude intimidante envers sa psychoéducatrice. Ces faits sont en général niés par M. Lill. Le 11 décembre 2012, l’équipe interdisciplinaire du CRSM a décidé de refuser l’admission de M. Lill au programme de mentalisation et de lui donner son congé du CRSM, ce qui signifiait qu’il devrait retourner à son établissement d’attache de Port-Cartier. Son comportement et son manque d’engagement étaient les causes principales de cette décision.

[23] M. Lill ne pouvait pas imaginer revenir à la case départ en étant transféré de nouveau à l’établissement de Port-Cartier. Le 24 janvier 2013, M. Lill a été placé en isolement préventif à la suite de son implication dans un complot d’évasion. Cet isolement a pris fin le 18 février 2013, cependant en raison de son état instable, il a été transféré de la rangée 2B vers l’unité de soins intensifs de la rangée 1C. M. Lill avait démontré une attitude conforme aux normes attendues, mais en raison d’une tentative de suicide, il est replacé en isolement du 28 mars 2013 jusqu’à son départ vers Port-Cartier, le 27 mai 2013. Le 25 mars 2013, M. Lill a fait une tentative de suicide. Il ressentait du désespoir notamment parce qu’il devait être renvoyé à Port-Cartier, qu’il n’avait pas été retenu pour le programme de mentalisation et que la Cour suprême du Canada avait refusé d’entendre l’appel de sa déclaration de culpabilité. Le 3 avril 2013, la décision a été prise de retarder le transfèrement de M. Lill à Port-Cartier tant que son niveau de risque suicidaire ne serait pas stabilisé. Des efforts étaient en cours pour voir au transfèrement de M. Lill à l’établissement de l’Atlantique, au Nouveau-Brunswick, un autre établissement à sécurité maximale où, au moins, il accepterait d’aller.

[24] M. Karim Fakhour, gestionnaire correctionnel à l’établissement Archambault auquel le CRSM est rattaché, a témoigné qu’il n’y a pas vraiment de distinction au CRSM dans le traitement des détenus possédant des cotes de sécurité différentes; les détenus qui possèdent une cote de sécurité minimal, moyenne et maximal ont tous accès aux mêmes services et loisirs, à l’exception de la rangée 1C, qui accueille les détenues pendant leur évaluation à leur arrivée au CRSM, et où les mouvements sont plus restreints.

[25] Le 27 mai 2013, probablement en réponse à la détresse qu’il démontrait à l’idée d’être retourné à l’établissement de Port-Cartier, M. Lill a finalement été transféré à l’établissement de l’Atlantique. Il a pu travailler durant les six ou sept premiers mois suivants son arrivée. Étant à l’extérieur du Québec, il ne pouvait pas suivre le programme scolaire québécois, bien qu’il aurait pu en principe suivre celui du Nouveau-Brunswick.

[26] De plus, un programme carcéral auquel le CRSM l’avait référé n’était pas offert dans cet établissement en raison d’un manque de personnel, cependant l’impossibilité pour lui de suivre ce programme n’a pas été retenue contre M. Lill. Par ailleurs, son désir continu de participer à des programmes l’a même probablement aidé dans son cheminement carcéral. Enfin, M. Lill n’a pas reçu de visites de sa famille au cours de son incarcération à l’établissement de l’Atlantique, probablement en raison de la distance. Cependant, il a reçu quelques visites de sa conjointe qui l’auraient aidé émotionnellement.

[27] Bien qu’il soit resté à l’écart de la population générale de l’établissement de l’Atlantique de sa propre volonté, M. Lill aurait adopté un comportement et une attitude exemplaires pendant son incarcération. Sa cote de sécurité a donc été ramenée à la catégorie dite à sécurité moyenne peu après la période de deux ans prescrite pour une réévaluation, soit en janvier 2014. La cote devait en principe être réévaluée en novembre 2013, mais en raison de la charge de travail de l’agente de libération conditionnelle assignée à M. Lill à l’époque, Mme Nathalie Waterbury, cette réévaluation ne s’est fait qu’au retour des vacances des Fêtes. M. Lill était au courant de la situation et s’est montré compréhensif. La superviseure de l’agente y avait aussi consenti.

[28] Le transfèrement de M. Lill vers un établissement à sécurité moyenne a pris quelques mois, puisqu’il n’y avait pas de place à l’établissement d’accueil à la date prévue pour le premier transfèrement. Le transfèrement suivant était prévu pour le 2 mai 2014. M. Lill n’avait pas demandé un placement intérimaire à un autre établissement à sécurité moyenne entretemps. Il a donc dû rester à l’établissement de l’Atlantique jusqu’à cette date. Ce type d’attente est fréquent et il arrive souvent que des délinquants dont la cote de sécurité a été réévaluée demeurent plusieurs mois à l’établissement de l’Atlantique en attendant leur transfèrement interrégional.

III. Historique procédural

[29] Le 24 octobre 2014, M. Lill a intenté la présente action en responsabilité civile contre la défenderesse. Outre les allégations quant à la réévaluation de sa cote de sécurité, M. Lill affirme entre autres que le SCC aurait commis une faute en le plaçant et en le maintenant en isolement préventif à l’établissement de La Macaza et qu’il aurait été soumis à des conditions de détention extrêmes à l’établissement de Port-Cartier et au CRSM. M. Lill vivrait avec des séquelles de ses séjours passés en isolement à ces trois établissements.

[30] Quelques embûches procédurales ont retardé l’audience sur le fond. D’abord, les parties ont convenu de faire suspendre le dossier en attendant l’issue de deux demandes de contrôle judiciaire (T-204-15 et T-2563-14). Le 19 octobre 2016, le juge Martineau a rendu sa décision sur ces demandes, et M. Lill a été contraint de modifier sa demande en conséquence le 4 novembre 2016. Suivant de nombreuses conférences préparatoires, une première date de procès a été fixée au 21 octobre 2019. Par suite d’une demande présentée par la procureure de M. Lill pour obtenir un report pour des raisons médicales, le dossier a été ajourné et mis au rôle pour avril 2020. En raison de la pandémie, le dossier a été ajourné à nouveau et porté au rôle pour mai 2021.

[31] Le 19 avril 2021, par suite d’une requête de la défenderesse qui était initialement contestée par M. Lill, j’ai rendu une ordonnance, par consentement des procureurs, pour soustraire les périodes d’isolement à la portée du procès, vu la possibilité bien réelle d’une double indemnisation résultant des recours Reddock et du présent jugement. Ces recours collectifs, bien qu’ils aient chacun leurs particularités, indemniseront en général les détenus qui ont passé 15 jours ou plus en isolement préventif. Il appert (et c’est la raison qui sous-tend l’ordonnance du 19 avril 2021) que M. Lill ne s’est pas désisté d’au moins un de ces recours collectifs et qu’il n’a pas l’intention de le faire, puisque, selon lui, il s’agit de deux réclamations distinctes. Quoi qu’il en soit, le délai pour se désister de ces recours est expiré de sorte qu’il est très vraisemblable que M. Lill soit indemnisé par ces recours, si ce n’est pas déjà fait.

[32] L’ordonnance du 19 avril 2021 a été respectée, en ce sens que la durée du procès a été réduite du tiers (en raison des nombreux témoins qui n’étaient plus contraints de témoigner sur les périodes d’isolement applicables à M. Lill) et que les procureurs n’ont abordé qu’accessoirement la question de l’isolement lors du procès. Toutefois, le montant des dommages-intérêts réclamés par M. Lill est resté inchangé. Le procès de neuf jours s’est déroulé devant moi du 12 mai 2021 au 27 mai 2021; au total, 20 témoins ont témoigné devant moi.

IV. Question en litige

[33] En droit civil québécois, pour obtenir des dommages-intérêts, une personne doit démontrer une faute, un préjudice et un lien de causalité entre cette faute et le préjudice (article 1457 du Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991 [CcQ]. Le SCC ayant admis qu’il a effectivement commis une faute, le présent jugement ne porte que sur les autres éléments essentiels de la responsabilité, soit le lien de causalité et le préjudice.

[34] Les questions en litige formulées par les parties sont donc les suivantes :

  1. Y a-t-il un lien de causalité entre la faute et le préjudice allégué?

  2. M. Lill a-t-il subi un préjudice suivant l’augmentation de sa cote de sécurité, ses transfèrements vers des établissements à sécurité maximale et ses placements au sein de la population générale dans ces établissements, ou des inexactitudes dans les renseignements consignés dans son dossier carcéral relativement à ces deux éléments?

  3. M. Lill est-il en droit de recevoir des dommages-intérêts punitifs?

  4. M. Lill a-t-il contribué, par ses actes et omissions, au préjudice qu’il allègue avoir subi?

[35] Les deux dernières questions sont abordées au sein de la deuxième question en litige, soit celle portant sur le préjudice.

V. Analyse

A. Y a-t-il un lien de causalité entre la faute et le préjudice allégué?

[36] Avant d’aborder le fond de l’affaire, il convient de faire un bref retour sur les principes applicables en matière de lien de causalité. Seul le préjudice qui est une suite logique, directe et immédiate de la faute est susceptible d’indemnisation (article 1607 CcQ; Infineon Technologies AG c Option consommateurs, 2013 CSC 59 au para 140). Plusieurs théories ont été élaborées en droit civil québécois pour évaluer la causalité, mais deux sont prééminentes : la théorie de la prévision raisonnable des conséquences et, tout particulièrement, la théorie de la causalité adéquate (Imperial Tobacco Canada ltée c Conseil québécois sur le tabac et la santé, 2019 QCCA 358 au para 666 [Imperial Tobacco]; Hogue c Procureur général du Québec, 2020 QCCA 1081 au para 43 [Hogue]).

[37] La théorie de la causalité adéquate consiste à faire un examen des différentes conditions sine qua non du préjudice pour déterminer celle ou celles qui en sont les causes véritables (Hogue au para 49). Elle peut être appliquée de concert avec la prévision raisonnable des conséquences, qui retient l’existence d’une relation causale entre la faute et le préjudice lorsqu’il était prévisible que l’acte fautif ait cette conséquence dommageable (Imperial Tobacco aux para 665-666). La nécessité que le préjudice soit une suite directe et immédiate de la faute exclut l’indemnisation du dommage par ricochet, aussi appelé le préjudice en cascade. Ainsi, le dommage qui est causé par un préjudice précédent et qui n’est pas une conséquence immédiate de la faute ne peut être indemnisé (Hogue au para 45).

[38] Le lien de causalité peut également être totalement ou partiellement interrompu par des faits intermédiaires entre la faute et le préjudice. Lorsque (1) le lien de causalité entre la faute initiale et le préjudice est complètement rompu et que (2) un lien de causalité existe entre l’événement intermédiaire et le préjudice, le débiteur est libéré de sa responsabilité, suivant le principe du novus actus interveniens (Salomon c Matte‐Thompson, 2019 CSC 14 au para 91 [Salomon]).

[39] Lorsque le lien de causalité n’est pas complètement rompu, on parle plutôt d’une faute contributoire entraînant un partage de la responsabilité (article 1478 alinéas 1 et 2 CcQ; Salomon au para 91). Le débiteur ne répond pas non plus de l’aggravation du préjudice que la victime aurait pu éviter (article 1479 CcQ).

[40] Le SCC soutient que, lors de l’incarcération de M. Lill à Port-Cartier, ou à tout le moins au CRSM, le comportement de M. Lill a causé une rupture du lien de causalité. Subsidiairement, la défenderesse affirme que, par son comportement, M. Lill a contribué au préjudice, ce qui justifie un partage de responsabilité.

(1) Rupture du lien de causalité en raison du comportement de M. Lill à l’établissement de Port-Cartier

[41] Le SCC soutient qu’il y a eu une rupture complète du lien de causalité lorsque M. Lill, pendant sa détention à l’établissement de Port-Cartier, a sans raison valable refusé d’intégrer la population générale et choisi de passer le reste de son incarcération en isolement préventif. La défenderesse souligne que M. Lill n’avait aucune raison de ne pas intégrer la population générale au sein de cet établissement, car sa vie et sa sécurité n’y étaient pas menacées. Selon le SCC, à partir du moment où M. Lill a décidé de ne pas intégrer la population générale de l’établissement de Port-Cartier coûte que coûte – allant jusqu’à menacer des membres du personnel pour ce faire – M. Lill est devenu l’architecte de son propre malheur. Il a lui-même retardé son parcours correctionnel, ralenti sa scolarité et prolongé la période durant laquelle il était visé par une cote de sécurité maximale.

[42] Je suis d’accord avec le SCC pour dire que certains préjudices peuvent être tempérés en raison du fait que M. Lill a lui-même contribué à sa situation. Toutefois, je ne peux pas aller aussi loin que la défenderesse et conclure qu’il y a une rupture complète du lien de causalité en raison du comportement de M. Lill à l’établissement de Port-Cartier. La preuve veut que la cote de sécurité soit réévaluée tous les deux ans ou dès que les circonstances le justifient. Suivant cette règle des deux ans, la réévaluation de la cote de sécurité de M. Lill était prévue pour la fin de l’automne 2013. C’est effectivement vers cette période que la cote de sécurité de M. Lill a été réévaluée à la baisse pour s’établir à une cote de sécurité moyenne. Il aurait été très difficile, voire impossible, pour M. Lill d’obtenir une réévaluation de sa cote avant ce temps Il me semble plutôt que ce sont les gestes et l’entêtement de M. Lill qui lui ont permis d’être transféré au CRSM, puis, au lieu de retourner à Port-Cartier, d’être transféré à l’Atlantique où son comportement a justifié une évaluation à la baisse de sa cote de sécurité, tout cela dans le délai approximatif qu’il lui aurait fallu pour faire réviser sa cote de sécurité s’il avait eu une bonne conduite à Port-Cartier. Tout au long de son séjour à Port-Cartier, M. Lill a insisté sur le fait que la justice lui a été refusée; il n’a cessé de se plaindre que sa cote de sécurité a été indûment portée au maximum, qu’il n’aurait jamais dû être transféré à Port-Cartier, que les conditions d’isolement à Port-Cartier étaient abominables et que sa situation était intolérable. Ses plaintes incessantes ont été répétées chaque fois que le personnel pénitentiaire rencontrait M. Lill, qui ne voulait toujours pas écouter les suggestions qui lui étaient offertes pour intégrer la population générale de Port-Cartier. Encore une fois, cela correspond au caractère de l’homme dont j’ai été témoin lors de son témoignage – têtu, rigide dans son refus de s’adapter, et sans excuses pour son comportement. C’est ce comportement qui l’a empêché de s’intégrer à la population générale de Port-Cartier et l’a maintenu en isolement, cependant que ce comportement soit orchestré ou non, M. Lill a réussi à forcer la main du personnel de Port-Cartier et du CRSM pour obtenir un transfèrement, de sorte qu’il est arrivé quelque part – l’établissement de Atlantique – où il a pu rencontrer quelqu'un – Mme Waterbury – qui l’a aidé à élaborer un plan qui lui convenait et qui a permis de ramener sa cote de sécurité à un niveau moyen corrigeant enfin, aux yeux de M. Lill, le tort qui lui a été infligé à La Macaza lorsque sa cote de sécurité a été portée à un niveau maximal.

[43] En contre-interrogatoire, Mme Girouard, l’agente de libération conditionnelle de M. Lill à l’établissement de Port-Cartier, a témoigné que, si elle avait eu à réévaluer la cote de M. Lill, elle lui aurait attribué une cote dite à sécurité maximale, puisqu’elle devait prendre en compte les incidents qui s’étaient produits dans l’année précédant la réévaluation de la cote, aux établissements de La Macaza et de Port-Cartier. Rien ne mettait en doute l’évaluation effectuée à l’établissement de La Macaza ou l’exactitude des incidents relatés dans le dossier de M. Lill. Elle a tenu pour acquis que l’information contenue au dossier de M. Lill était véridique. De plus, comme M. Lill n’avait pas un comportement exemplaire à l’établissement de Port-Cartier, car il avait menacé de s’en prendre à d’autres détenus ou membres du personnel pour rester en isolement, rien ne permettait à Mme Girouard de croire qu’elle devait réévaluer la cote de sécurité de M. Lill.

[44] Le SCC voit dans le témoignage de Mme Girouard une preuve que le détenu a, par son comportement, contribué à la durée de son placement dans un établissement à sécurité maximale. Or, comme je le mentionne plus haut, cet argument ne prend pas en compte le fait que la cote de sécurité de M. Lill ne serait réévaluée qu’en 2013. En effet, selon Mme Gosselin elle-même, elle n’aurait pu réévaluer la cote de M. Lill et lui attribuer une cote dite à sécurité moyenne avant l’expiration du délai de deux ans que s’il avait adopté un comportement « irréprochable ».

[45] Dans ces circonstances, la détention de M. Lill d’un peu plus de deux ans en établissement à sécurité maximale était très certainement un préjudice envisageable suivant la réévaluation de la cote de sécurité de M. Lill en 2011. Il n’était pas imprévisible que M. Lill n’allait pas adopter un comportement irréprochable. La véritable cause de la période de détention d’un peu plus de deux ans dans un établissement à sécurité maximale est la faute du SCC. Elle n’est pas attribuable au comportement de M. Lill. M. Lill a adopté un comportement qui lui a permis de se voir attribuer la cote dite de sécurité moyenne en 2014, soit au moment où sa réévaluation était prévue. Le lien de causalité est donc intact et il n’y a aucun partage de responsabilité quant aux préjudices résultant du transfèrement de M. Lill à l’établissement de Port-Cartier suivant la réévaluation de sa cote de sécurité.

(2) Rupture du lien de causalité en raison du comportement de M. Lill au CRSM

[46] La défenderesse soutient essentiellement les mêmes arguments pour le transfèrement de M. Lill au CRSM, soit que son comportement à cet établissement a rompu le lien de causalité entre la faute et les préjudices allégués.

[47] La même logique s’applique ici. Sans revenir sur tous les incidents dans lesquels M. Lill aurait été impliqué au CRSM, il convient de souligner que M. Lill a été décrit par M. Fakhour, agent correctionnel au CRSM, comme un détenu moyen, qui avait ses hauts et ses bas. Le fait que M. Lill n’ait pas eu un comportement qui aurait justifié une baisse de sa cote de sécurité au CRSM ne veut pas dire qu’il y a une rupture du lien de causalité ou que les préjudices ne sont pas une suite « logique, directe et immédiate » de la faute.

(3) La contribution de M. Lill aux préjudices

[48] Outre la rupture de causalité, la défenderesse soutient que M. Lill a également contribué aux préjudices qu’il a subis par ses actes et son attitude :

  1. Refus d’intégrer la population générale de l’établissement de Donnacona pendant deux ans et demi;

  2. Multiples comportements inacceptables à l’établissement de La Macaza;

  3. Refus injustifié d’intégrer l’établissement de Port-Cartier et comportement inacceptable;

  4. Comportement inacceptable et intimidant envers ses codétenus et des membres du personnel au CRSM;

  5. Implication dans des actes illégaux soit un complot d’évasion et du trafic de cantine et de médicaments au CRSM;

  6. Refus d’intégrer la population générale à l’établissement de l’Atlantique.

[49] Les éléments de preuve confirment que le système correctionnel au Canada est très réglementé et sujet à un processus administratif. Il a été démontré qu’il est très difficile de corriger de manière significative la trajectoire sur laquelle M. Lill a été placé sans d’abord passer par un système de révision très bureaucratique. La difficulté est qu’une fois que M. Lill s’est trouvé pris dans une erreur administrative concernant la manière dont son niveau de sécurité est passé de cote moyenne à maximal, il devait vivre avec les conséquences jusqu’à ce que son processus de révision soit terminé. À ce sujet, le juge Martineau a finalement donné raison à M. Lill et la défenderesse a fini par admettre son erreur. Cependant, à ce moment-là, M. Lill était déjà soumis à un niveau de sécurité qui n’était peut-être pas justifié et transféré dans un pénitencier auquel il n’appartenait peut-être pas. Il ne fait aucun doute que l’attitude de M. Lill ne l’a pas aidé. L’impression que j’ai eue de lui après son témoignage, et qui a été confirmée par divers témoins, est que M. Lill était combatif et acharné à gérer sa propre peine; dans son esprit, il n’avait jamais tort – la faute incombait toujours à quelqu’un d’autre. D’une certaine manière, ce sont le caractère non conformiste et l’entêtement de M. Lill qui lui ont permis d’être évalué et transféré à l’établissement de l’Atlantique où il a rencontré Mme Waterbury avec qui il semblait avoir des affinités et qui l’a finalement aidé à obtenir une cote de sécurité moyenne permettant son transfèrement vers un établissement à sécurité moyenne où, selon M. Lill, il aurait toujours dû rester si ce n’était de la faute admise de la défenderesse. Comme l’a affirmé M. Rose, « il y a très peu de portes de sortie à Port-Cartier », mais M. Lill avait un seul but : utiliser tous les moyens possibles pour sortir de cet établissement. Pendant qu’il s’y trouvait, M. Lill a persisté et clamé son innocence à toute personne dans l’établissement qui pouvait l’aider à trouver la justice, mais à cause de la bureaucratie, il n’a pas été possible de corriger immédiatement la situation. Sans la faute de la défenderesse, M. Lill n’aurait pas eu à se battre pendant deux ans pour retrouver une cote de sécurité moyenne.

[50] Ayant conclu que le lien de causalité était intact, je ne vois guère comment le comportement de M. Lill a pu contribuer aux préjudices allégués de façon générale. Ce sujet est donc abordé plus loin dans l’analyse de la contribution de M. Lill, s’il en est, à certains préjudices précis.

B. M. Lill a-t-il subi des préjudices suivant l’augmentation de sa cote de sécurité, ses transfèrements vers des établissements à sécurité maximale et sa détention au sein de la population générale dans ces établissements ou des inexactitudes dans les renseignements consignés dans son dossier carcéral relativement à ces deux éléments?

[51] Pour réparer le préjudice qu’il a subi en raison de l’augmentation de sa cote de sécurité ainsi que de ses transfèrements et de sa détention dans des établissements à sécurité maximale, M. Lill souhaite obtenir 456 000 $ en dommages-intérêts, soit 500 $ par jour qu’il a passé en isolement ou dans un établissement à sécurité maximale entre le 30 novembre 2011 et le 2 mai 2014.

[52] M. Lill soutient que la désignation de détenu en protection qu’il a obtenue en raison de son transfèrement à l’établissement de Port-Cartier à des effets encore à ce jour sur ses possibilités d’intégration dans d’autres établissements carcéraux. M. Lill affirme aussi qu’il a subi des préjudices puisque sa vie et sa sécurité étaient menacées à l’établissement de Port-Cartier et puisqu’il ne pouvait pas y recevoir de visites familiales lors de sa détention en raison de l’éloignement. M. Lill ajoute que les différences dans les conditions de détention entre les établissements à sécurité moyenne et maximale lui ont causé des préjudices. Enfin, M. Lill aurait subi des préjudices en raison de sa privation de liberté à l’établissement de l’Atlantique.

[53] M. Lill soutient aussi qu’il a subi des préjudices psychologiques en raison de l’augmentation de sa cote de sécurité et que la faute de la défenderesse ouvre droit à des dommages-intérêts exemplaires et punitifs.

[54] Avant d’entrer dans les détails de chacun des préjudices allégués, il convient de souligner qu’ils sont exagérés puisqu’ils ne prennent pas en compte :

  • L’ordonnance du 19 avril 2021, portant que les volets de l’action concernant l’isolement préventif ne soit pas abordé pour éviter une double indemnisation;

  • L’état de la jurisprudence sur la question;

  • Les faits relatifs à la privation de la liberté de M. Lill à l’établissement de Port-Cartier, au CRSM et à l’établissement de l’Atlantique;

  • La preuve lacunaire quant aux préjudices psychologiques allégués;

  • L’absence de preuve quant au droit à des dommages-intérêts exemplaires et punitifs.

[55] J’aborde également ci-après la question de la consignation des informations au dossier, ainsi que celle des intérêts.

(1) L’ordonnance du 19 avril 2021, portant que les volets de l’action concernant l’isolement préventif ne soit pas abordé pour éviter une double indemnisation

[56] M. Lill a indiqué dans sa déclaration d’ouverture et dans son témoignage qu’il maintenait le montant initial de sa réclamation, soit 456 000 $, et ce même si plusieurs périodes de sa réclamation sont visées par les recours Reddock. Or, tel qu’il appert de l’ordonnance rendue sur consentement le 19 avril 2021, l’objectif de cette ordonnance était « d’éviter une double indemnisation du demandeur à l’égard des périodes qu’il a passé en isolement administratif dans un pénitencier ». Il est pour le moins étonnant, voire abusif, que M. Lill maintienne le quantum des dommages-intérêts sollicités dans sa réclamation alors qu’il a consenti à une telle ordonnance. Cette attitude affecte sa crédibilité sur le quantum.

[57] Les explications de M. Lill à cet égard ‐ à savoir qu’il souhaite être indemnisé par la présente action pour toute la période de détention dans un établissement à sécurité maximale, y compris forcément les périodes d’isolement dans ces établissements ‐ ne tiennent pas la route. L’indemnisation qui découle des recours Reddock vise tous les préjudices résultant d’un placement en isolement de 15 jours et plus, peu importe la cause. Ainsi, il importe peu de savoir si c’est la hausse de la cote de sécurité ou non qui a emporté le placement en isolement de M. Lill. Le fait est qu’il sera indemnisé dans tous les cas pour ces périodes par les recours Reddock. Certes, M. Lill ne saurait être indemnisé une deuxième fois par le présent recours des préjudices résultant des placements en isolement de 15 jours et plus. Cette double indemnisation ferait affront aux objectifs mêmes des recours collectifs, au principe de finalité des jugements au fond et à la doctrine de la chose jugée. Si M. Lill avait voulu être indemnisé par la présente action plutôt que par les recours collectifs, il aurait dû se désister de ces derniers. Ainsi, pour être conséquente avec l’ordonnance du 19 avril 2021 et pour éviter la double indemnisation de M. Lill, la Cour ne doit tenir compte dans l’évaluation des préjudices subis par M. Lill que des périodes suivantes pendant lesquelles M. Lill n’était pas en isolement :

  • Centre régional de réception : 30 novembre au 11 décembre 2011 (11 jours);

  • Port-Cartier : 11 décembre 2011 au 7 janvier 2012 (27 jours);

  • CRSM : 27 septembre 2012 au 24 janvier 2013 et 18 février au 28 mars 2013 (157 jours);

  • Établissement de l’Atlantique : 27 mai 2013 au 2 mai 2014 (340 jours).

[58] Ainsi, M. Lill pourra être indemnisé pour la période où il a été détenu en établissement à sécurité maximale par suite de la hausse de sa cote de sécurité (y compris les périodes d’isolement de moins de 15 jours) par la présente action et pour sa détention en isolement préventif pendant une période de 15 jours et plus par les recours Reddock.

(2) L’état de la jurisprudence sur la question

[59] M. Lill fonde le quantum des dommages qu’il réclame sur des jugements qui portent sur la privation de liberté d’individus qui ne sont pas détenus dans des pénitenciers fédéraux et qui sont dans des circonstances bien différentes des siennes. Par exemple, M. Lill invoque la décision Dion c Légaré, 2019 QCCQ 8185, issue de la division des petites créances de la Cour du Québec. Dans cette affaire, la Cour a condamné le défendeur, un policier pour la Ville de Lévis qui avait procédé à l’arrestation et à la détention « pour fins d’enquête » de M. Dion pendant quelques heures, à 10 966,64 $ de dommages-intérêts et à 1 000 $ de dommages-intérêts punitifs. M. Dion alléguait plusieurs préjudices découlant de son arrestation injustifiée et de sa détention conséquente. Ces préjudices sont propres à la situation de M. Dion, et ils ne se transposent pas à la situation d’un détenu incarcéré en pénitencier fédéral. Par exemple, M. Dion alléguait avoir été détenu plusieurs heures dans le véhicule de police à la vue des passants et qu’il évitait Lévis par crainte d’avoir à interagir avec le service de police qui l’avait détenu. M. Lill invoque aussi au même effet les affaires Couillard c Québec (Procureur général), 2015 QCCQ 481 et Freyre Arzate c Chartrand, 2016 QCCQ 9725.

[60] La jurisprudence précitée mène M. Lill à conclure que, si une compensation de plusieurs milliers de dollars a été accordée à des personnes qui avaient été privées de liberté pendant quelques heures ou quelques jours, alors une compensation de 500 $ par jour pour un détenu illégalement transféré d’un établissement à sécurité moyenne à un autre à sécurité maximale est raisonnable. Or, bien que les détails de ces affaires varient, celles-ci ont toutes un point en commun qui les différencie de la situation de M. Lill : il s’agissait dans tous les cas de personnes libres, et non pas de détenus incarcérés en pénitencier fédéral, qui ont été l’objet d’une arrestation illégale ou à tout le moins irrégulière. Cette différence est majeure et retire toute pertinence à la jurisprudence qu’invoque M. Lill. Comme l’a bien dit le protonotaire Morneau dans un contexte dans lequel un détenu demandait une compensation pour une période d’isolement : « [i]l ne faut pas perdre de vue que s’il n’avait pas été détenu en ségrégation administrative, le demandeur n’aurait pas été en liberté comme tout citoyen respectueux des lois, mais aurait été quand même détenu dans un pénitencier » (Grenier c Canada (Procureur Général), 2004 CF 132 au para 86 [Grenier]).

[61] Il n’existe pas de décision répertoriée sur les dommages-intérêts qui devraient être accordés à une personne dont la cote de sécurité a été augmentée et qui a été transférée à un établissement à sécurité supérieure. Il existe toutefois des décisions relatives à la compensation d’un détenu pour la privation de liberté résiduelle occasionnée par une détention en isolement préventif. Ces décisions peuvent servir de point de repère, à condition de ne pas oublier que la privation de liberté dans ces affaires était beaucoup plus importante. En effet, l’isolement préventif est un régime draconien beaucoup plus contraignant. Le consensus au sein du milieu scientifique veut qu’il occasionne, au-delà de 15 jours consécutifs, et plus le placement perdure, un préjudice à la santé du détenu. Il n’existe aucun consensus de la sorte concernant les conditions de détention en pénitencier à sécurité maximale.

[62] Ainsi, la Cour doit, dans l’évaluation des préjudices, garder à l’esprit que M. Lill n’est pas dans la situation d’une personne qui était en liberté et qui a été arrêtée illégalement. Ainsi, M. Lill était, au moment de la faute, détenu dans un établissement à sécurité moyenne et purgeait une peine d’emprisonnement à perpétuité. Les dommages-intérêts doivent le compenser pour la différence dans les conditions de sa détention entre un établissement à sécurité moyenne et un établissement à sécurité maximale (Port-Cartier et Atlantique) et à multiniveaux (CRSM). La décision Barker v Barker, 2021 ONSC 158 [Barker], fait état de trois jugements de la Cour fédérale (Abbott v Canada, 1993 CarswellNat 455 aux para 168-178; Saint-Jacques c Canada (Département du Solliciteur-Général), 1991 CarswellNat 353 aux para 12-22; Grenier aux para 86 et 87) ayant conclu que les dommages-intérêts pour un placement illégal en isolement préventif s’élèvent généralement à une valeur fluctuant entre 16 $ et 26 $ par jour (ajusté pour l’inflation en 2020) (Barker aux para 47-48).

[63] Un autre point de repère est l’indemnisation accordée dans le processus 2 des réclamations individuelles dans les recours Reddock, portant sur l’isolement préventif en cellule 22 h par jour durant plus de 15 jours. La Cour a accordé jusqu’à un maximum de 20 000 $ de dommages-intérêts pour une période d’isolement préventif d’une durée cumulative de plus de 100 jours, et jusqu’à un maximum de 20 000 $, sur le fondement de certains diagnostics posés par un expert médical, et ayant causé, selon le rapport de cet expert, un préjudice faible (jusqu’à 10 000 $), moyen (jusqu’à 15 000 $) ou grave (jusqu’à 20 000 $). Ainsi, dans le processus 2 des indemnisations, un membre des recours collectifs Reddock pourra se voir accorder une somme maximale globale de 40 000 $.

(3) Les faits relatifs à la privation de liberté de M. Lill à l’établissement de Port-Cartier, au CRSM et à l’établissement de l’Atlantique

a) La désignation de détenu en protection

[64] M. Lill allègue qu’il a, en raison de son transfèrement à l’établissement de Port-Cartier, subi des préjudices parce qu’il est maintenant identifié comme un étant un détenu « en protection ». Il a été longuement débattu lors du procès des effets de cette désignation et des circonstances menant à son attribution. Or, peu de choses ont été dites sur les conséquences réelles dans le cas de M. Lill.

[65] Il ne serait pas difficile de croire que M. Lill était déjà visé par la désignation de détenu en protection lors de son arrivée à l’établissement de Port-Cartier. En effet, il a été tenu à l’écart de la population générale tant à l’établissement de Donnacona qu’à l’établissement Archambault quand il y était détenu de 2008 à 2010. De plus, M. Lill a été incarcéré à l’établissement de La Macaza, un établissement où des délinquants sexuels et des délateurs circulent librement en milieu ouvert.

[66] Les témoignages de Mme Giouard et du directeur de l’établissement de Port-Cartier, M. Rose, ont révélé qu’il n’était pas impossible pour les détenus d’intégrer une population générale après leur incarcération à l’établissement de Port-Cartier, bien que cela puisse être plus difficile. De plus, il ressort de la preuve que les détenus en protection ont accès aux mêmes programmes, services et ressources que ceux qui appartiennent à la population générale. Ainsi, je suis d’avis que la désignation de M. Lill comme un détenu en protection, même si j’acceptais qu’elle découle du transfèrement à l’établissement de Port-Cartier, ne constitue pas un préjudice ni une raison pour octroyer des dommages-intérêts.

b) La menace à la vie et à la sécurité à l’établissement de Port-Cartier

[67] M. Lill a notamment prétendu qu’il n’avait pas intégré la population générale à l’établissement de Port-Cartier parce qu’il craignait pour sa vie en raison de ses liens passés avec les Hells Angels. Or, cette allégation n’est pas corroborée par la preuve et, au contraire, contredit celle-ci. En effet, comme l’admet M. Lill et comme le démontre la preuve documentaire, ce dernier n’est plus affilié à ce groupe, et ce, depuis de nombreuses années. De plus, ses liens passés avec ce groupe ont été pris en compte lorsque la décision a été prise de le transférer à cet établissement. Les ARS des établissements de Port-Cartier et de La Macaza ont tout de même conclu qu’il n’y avait pas de contre-indication à son transfèrement vers l’établissement de Port-Cartier.

[68] De plus, à l’établissement de Port-Cartier, M. Lill a, après avoir été placé en isolement, accepté d’intégrer la population générale où il est demeuré sans avoir de problème pendant 24 jours. Il a par la suite demandé d’être de nouveau placé en isolement parce qu’il était stressé et avait peur de « sauter ». Il a déclaré « n’avoir aucun problème en population avec les codétenus » et qu’il s’agissait uniquement de son anxiété relative à l’audition de l’appel de sa déclaration de culpabilité. Finalement, pendant la détention de M. Lill à l’établissement de Port-Cartier, de nouvelles vérifications ont été faites auprès de la sécurité préventive, du comité de détenus et de différentes sources pour déterminer si sa vie et sa sécurité étaient effectivement menacées. Ces vérifications ont démontré que ce n’était pas le cas.

[69] Ainsi, rien ne justifie d’indemniser M. Lill à l’égard de ce chef de réclamation.

c) Situation géographique de l’établissement de Port-Cartier

[70] M. Lill réclame des dommages parce qu’il a n’a pas eu de visites pendant qu’il se trouvait à l’établissement de Port-Cartier, situé sur la Côte-Nord, car c’était trop loin pour sa famille, qui se trouve à Gatineau. Notamment, M. Lill aurait été privé des dernières années de vie de sa grand-mère de qui il était proche, car celle-ci est décédée lors de cette période et son état de santé ne lui permettait pas de visiter M. Lill à Port-Cartier. M. Lill n’a pas reçu de visites de sa mère non plus, puisqu’elle était trop occupée comme directrice de garderie.

[71] Bien que la Cour soit sensible à la situation de M. Lill, il est important de rappeler que le SCC doit s’assurer « dans la mesure du possible » que le pénitencier dans lequel est incarcéré le détenu « constitue un milieu où seules existent les restrictions les moins privatives de liberté pour celui-ci », compte tenu entre autres du degré de garde et de surveillance nécessaire et de la facilité d’accès à sa famille (article 28 de la Loi). La preuve indique également que des programmes spéciaux sont en place à l’établissement de Port-Cartier pour faciliter les visites, étant donné que la grande majorité des détenus qui s’y trouvent ne proviennent pas de la Côte-Nord.

[72] En outre, l’article 11 de la Loi prévoit que la personne condamnée ou transférée au pénitencier peut être écrouée dans n’importe quel pénitencier. La facilité d’accès à la famille n’est donc pas un droit absolu, mais bien un critère à prendre en compte lors du choix du pénitencier. Rien n’indique que le SCC n’a pas pris ce critère en compte, bien au contraire. Plus d’une demande de transfèrement vers l’établissement de Donnacona a été faite, mais elles ont toutes été refusées par l’établissement en raison du comportement de M. Lill lorsqu’il y avait été détenu. Outre les demandes qui ont été refusées, aucune demande de transfèrement vers un établissement à sécurité maximale plus près de sa famille n’a été faite par M. Lill.

[73] Il est évident que, dans ces circonstances, le SCC n’avait aucune obligation de placer M. Lill dans un établissement à sécurité maximale qui était plus proche de sa famille. Je suis donc d’avis que le préjudice subi par M. Lill en raison de la distance avec sa famille n’est pas indemnisable dans les circonstances.

d) Différence dans les conditions de détention entre les établissements à sécurité moyenne et à sécurité maximale

[74] M. Lill soutient que les différences dans les conditions de détention entre un établissement à sécurité moyenne et un établissement à sécurité maximale lui auraient causé un préjudice. M. Lill, bien qu’il n’ait pas été la victime directe de violence ni même de menace à son égard lorsqu’il se trouvait au sein de la population générale, affirme que plus de violence et de désordre règnent dans les établissements à sécurité maximale et que l’atmosphère y est généralement plus tendue que dans un établissement à sécurité moyenne.

[75] Mme Girouard, qui a travaillé à l’établissement de Port-Cartier et à l’établissement de La Macaza, a témoigné que les délinquants qui étaient dans ces deux établissements avaient accès à l’école, aux mêmes ressources, au gymnase et à des programmes similaires. Ainsi, selon elle, la différence principale entre les deux établissements concerne les déplacements des détenus qui sont plus surveillés et règlementés dans un établissement à sécurité maximale que dans un établissement à sécurité moyenne. Elle a de plus soutenu qu’il n’y a pas plus d’incidents de violence dans un établissement comme celui de Port-Cartier puisque les agents correctionnels sont à même d’intervenir plus rapidement en raison de leur équipement et de la configuration du pénitencier.

[76] Ce témoignage concorde avec le reste de la preuve. Il ne semble pas y avoir une très grande différence entre un établissement à sécurité moyenne et un établissement à sécurité maximale. La perte de liberté résiduelle de M. Lill lorsqu’il a été transféré à un établissement à sécurité maximale est minime. Elle est certainement beaucoup moins grande que la perte de liberté subie par les détenus qui sont placés en isolement préventif. Les dommages-intérêts accordés doivent tenir compte de cette réalité. Ainsi, l’écart dans la perte de liberté résiduelle entre un détenu dans un établissement à sécurité maximale, par rapport à un détenu dans un établissement à sécurité moyenne, ne justifie nullement une indemnisation de 500 $ par jour. Plutôt, il serait raisonnable d’octroyer au demandeur une indemnisation variant entre 6 $ et 18 $ par jour, compte tenu de la jurisprudence précitée. Ainsi, une indemnisation de 18 $ équivaudrait à des dommages-intérêts maximaux de 684 $ pour son placement de 38 jours au CRR et à l’établissement de Port-Cartier.

[77] La même logique s’applique à la détention de M. Lill à l’établissement de l’Atlantique, un établissement à sécurité maximale. Bien que l’enquêteur correctionnel ait décrit les conditions de détention dans les secteurs réguliers de l’établissement de Port-Cartier comme étant sous « plusieurs points supérieurs à celles que l’on retrouve dans d’autres pénitenciers à sécurité maximum au Canada », aucune autre preuve n’indique que les conditions de détention soient sensiblement différentes entre les établissements de l’Atlantique et de Port-Cartier.

[78] Lors de son incarcération à l’établissement de l’Atlantique, M. Lill purgeait sa peine au sein d’une population qui n’avait pas accès à la cafétéria et prenait ses repas dans les cellules. Ces détenus pouvaient par contre aller à l’école et suivre des programmes. M. Lill a refusé les offres de son équipe de gestion qui voulait l’intégrer à la population générale. Les délinquants de cette population peuvent plus librement circuler au sein de l’établissement et ont accès à la cafétéria. Le SCC ne saurait être tenu responsable de cette privation de liberté qui était voulue par M. Lill.

[79] Par conséquent, pour son incarcération à l’établissement de l’Atlantique, il serait raisonnable de fixer le quantum des dommages-intérêts selon le même barème qu’à l’établissement de Port-Cartier, à 18 $ par jour pour un maximum de 6 120 $ (340 jours x 18 $).

e) Privation de liberté au CRSM

[80] Le CRSM est un hôpital qui fonctionne comme un établissement à niveaux de sécurité multiples. On y trouve donc des détenus ayant des cotes de sécurité minimale, moyenne et maximale. À titre de centre régional de traitement, le CRSM a pour mandat d’offrir aux détenus des soins intensifs en santé mentale. Les détenus qui y sont transférés le sont pour des motifs d’ordre clinique, jamais d’ordre sécuritaire. M. Lill soutient qu’en raison de sa cote dite à sécurité maximale, il n’avait pas accès aux mêmes services que les autres patients au CRSM. Entre autres, M. Lill, comme tous les autres détenus à sécurité maximale, devait être escorté s’il voulait accéder au gymnase, à la cour et à la bibliothèque de l’établissement Archambault, qui est l’établissement d’attache du CRSM.

[81] Il appert du témoignage de Mme Nancy Massicotte, qui était directrice clinique au CRSM au moment des faits, qu’il n’y a presque aucune différence de traitement entre les détenus à sécurité maximale, moyenne ou minimale au sein du CRSM. Les détenus ont accès au gymnase, à une salle commune et à des livres, peu importe leur cote de sécurité. La différence principale est que les détenus à sécurité minimale et moyenne peuvent aller sans escorte à l’établissement Archambault pour accéder aux services de cet établissement. Les détenus à sécurité maximale doivent être escortés.

[82] Il y a aussi une distinction à faire entre le placement de M. Lill dans la rangée 2B, soit la rangée d’évaluation où s’appliquent les conditions mentionnées plus haut, et son placement dans la rangée 1C, à mouvements restreints, notamment en raison des risques suicidaires. M. Lill a été placé dans cette rangée en isolement initialement en raison d’un complot d’évasion et y est resté même après être sorti d’isolement, jusqu’à ce qu’il quitte le CRSM pour l’établissement de l’Atlantique. Dans cette rangée, les détenus ont accès à une plus petite cour et, selon le cas, peuvent participer aux mêmes activités que tous les autres détenus. Il n’est pas évident de savoir à quels services avait accès M. Lill lors de sa détention dans cette rangée.

[83] Il faut aussi noter que, pendant son placement au CRSM, M. Lill était constamment entouré de personnel soignant, infirmier et même de psychiatres. Il avait des rencontres hebdomadaires avec une psychologue et des rencontres de groupe animées par une psychoéducatrice. Au CRSM, il a également reçu des visites et entretenu des contacts réguliers avec des membres de sa famille et sa copine.

[84] À la lumière de l’ensemble des conditions de détention au CRSM, je suis d’avis que le demandeur n’y a subi aucune privation de liberté supérieure aux conditions de détention qui prévalent dans les établissements à sécurité moyenne tels que celui de La Macaza. Tout bien considéré, les conditions de détention de M. Lill au CRSM étaient au moins aussi bonnes que celles à l’établissement de La Macaza. Aucuns dommages-intérêts ne devraient être accordés pour sa détention au CRSM.

(4) La preuve lacunaire quant aux préjudices psychologiques allégués

[85] M. Lill soutient qu’il a subi des préjudices psychologiques importants en raison de la hausse de sa cote de sécurité et du transfèrement vers un établissement à sécurité maximale qui s’est ensuivi. Cette détresse psychologique aurait culminé en une tentative de suicide pendant sa période d’isolement au CRSM. Les dossiers de M. Lill regorgent d'entrées concernant son état mental instable, ses nombreuses tentatives de suicide, ses efforts incessants pour se disculper et obtenir le retour de sa cote de sécurité à un niveau moyen, et son retour continu à l'isolement.

[86] Or, M. Lill n’a pas déposé de rapport psychologique et n’a pas fait témoigner d’experts démontrant qu’il avait subi des préjudices psychologiques en raison de cette situation. Sans me prononcer sur la question de savoir si la preuve des préjudices psychologiques doit se faire dans tous les cas par voie d’un expert, je dois dire que la preuve dans le présent dossier n’est pas suffisante pour permettre de déterminer si M. Lill a effectivement subi des préjudices psychologiques en lien avec la faute commise par le SCC. Cette preuve n’est pas non plus suffisante pour permettre de déterminer la gravité de cette faute.

[87] Certes, M. Lill a fait une tentative de suicide le 25 mars 2013. Toutefois, de janvier à mars 2013, M. Lill a subi une accumulation de stress : l’attente de la décision de la Cour suprême du Canada sur sa demande d’appel de sa déclaration de culpabilité, la réponse négative à cette demande, diverses procédures en Cour fédérale, des préoccupations d’ordre familial (père et grands-parents), le fardeau de cacher son état à ses proches afin de ne pas inquiéter ceux-ci et la perspective d’un retour éventuel à l’établissement de Port-Cartier.

[88] À propos de ce dernier point, je crois, sans pouvoir l’affirmer en l’absence d’une preuve d’expert, que la perspective d’un retour en isolement préventif à l’établissement de Port-Cartier, plutôt que les conditions de détention dans la population générale de cet établissement, ont affecté négativement l’état mental du demandeur. À ce moment, il avait déjà la désignation de détenu en protection. Il s’agissait donc d’une raison de plus de ne pas vouloir retourner à cet établissement.

[89] Les différents rapports qui ont été soumis en preuve et qui mentionnent les problèmes d’anxiété de M. Lill ne sont pas suffisants en soi pour établir ce lien de causalité et pour justifier l’octroi de dommages-intérêts pour préjudices psychologiques. Il est donc impossible dans le présent dossier, en l’absence de preuve d’expert, de condamner la défenderesse à la compensation de préjudices psychologiques qui auraient été subis par M. Lill.

(5) L’absence de preuve quant au droit à des dommages exemplaires et punitifs

[90] Les dommages exemplaires et punitifs n’ont pas formé l’objet principal de l’argumentaire de M. Lill. Il est difficile de bien saisir le fondement et la portée de cet argument. Il appert toutefois de la réplique modifiée à nouveau que M. Lill voit de la mauvaise foi dans le fait qu’aucune démarche n’a été entreprise pour une médiation par suite de l’incident de 2011, qu’aucun correctif n’a été apporté dans son dossier carcéral et que le transfèrement à l’établissement de Port-Cartier lui a donné la désignation de détenu en protection, « le plaçant à risque pour le reste de sa peine ».

[91] En droit québécois, des dommages-intérêts punitifs ne peuvent être accordés que lorsqu’un texte de loi le prévoit expressément (article 1621 CcQ; de Montigny c Brossard (Succession), 2010 CSC 51 au para 48). C’est notamment le cas dans la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c C-12 [Charte québécoise], qui permet au tribunal de condamner l’auteur d’une atteinte illicite et intentionnelle à un droit protégé à des dommages-intérêts punitifs (Charte québécoise, article 49 al. 2).

[92] Rien ne démontre que les personnes qui ont procédé à la réévaluation de la cote de sécurité de M. Lill ont agi avec l’intention de causer les préjudices que M. Lill allègue avoir subis. La preuve révèle plutôt que ces personnes avaient l’intention d’assurer la sécurité des détenus de l’établissement de La Macaza, dont celle de M. Foreman et M. Lill, en plaçant ce dernier en isolement. En effet, la faute admise semble avoir été commise de bonne foi par l’ARS qui a omis de consigner tous les renseignements relatifs à son enquête. Lors du témoignage de cette ARS, la Cour n’a constaté aucune preuve d’intention de nuire à M. Lill.

[93] De plus, la réévaluation de la cote de sécurité qui a suivi le placement en isolement ne révèle aucune intention de causer des préjudices à M. Lill, mais témoigne plutôt de celle d’attribuer à M. Lill la cote de sécurité qui correspond à son comportement, soit une cote dite à sécurité maximale plutôt que moyenne. Ainsi, l’objectif derrière cette réévaluation était la sécurité du pénitencier et non pas l’intention de causer des préjudices à M. Lill. C’est ce qui ressort des témoignages de l’agent de libération conditionnelle de M. Lill, M. Leblanc-Jolicoeur, et de sa supérieure immédiate, Geneviève Ricard, qui ont formulé leur recommandation quant à l’augmentation de la cote de sécurité du demandeur de bonne foi, sur la base d’informations à première vue crédibles consignées dans plusieurs rapports d’observations remplies par plusieurs employés différents, ainsi que sur le résultat objectif de l’Échelle de réévaluation de la cote de sécurité.

[94] Il faut aussi rappeler qu’une policière de la Sûreté du Québec a affirmé sous serment, devant un juge de paix, avoir des motifs raisonnables de croire que le demandeur s’était livré à des voies de fait contre M. Foreman, un acte criminel prévu à l’alinéa 266a) du Code criminel, LRC 1985, c C-46. Cette accusation criminelle n’a été retirée par la Couronne provinciale qu’en mai 2013.

[95] L’enquêteur correctionnel, un autre tiers indépendant, a mentionné que, vu les accusations criminelles portées contre M. Lill concernant l’incident avec M. Foreman, la révision de la cote sécuritaire « peut difficilement être considérée comme déraisonnable dans ces circonstances ».

[96] Comme je le mentionne plus haut, le transfèrement de M. Lill à l’établissement de Port-Cartier a été fait non pas dans l’objectif de lui nuire, mais parce qu’il s’agissait du seul établissement raisonnablement accessible dans les circonstances.

[97] Enfin, il faut rappeler que la bonne foi se présume (article 2805 CcQ). M. Lill ne s’est pas déchargé de son fardeau de prouver que les employés du SCC étaient de mauvaise foi et qu’ils avaient l’intention de lui causer du tort. Il a encore moins démontré que le SCC lui-même, en tant qu’institution, a souhaité du tort à M. Lill. La défenderesse a commis une faute, certes, mais sans plus.

(6) La consignation au dossier

[98] M. Lill prétend que la consignation d’incidents qui ne se seraient pas produits dans son dossier carcéral lui causerait un préjudice. Cette question n’a pas fait l’objet d’une argumentation détaillée lors du procès. Il est difficile d’en connaître la teneur, comme si par exemple M. Lill souhaite obtenir une réparation de nature injonctive.

[99] Quoi qu’il en soit, cette plainte constitue une attaque indirecte inadmissible à l’égard de deux jugements finaux de notre Cour ayant déterminé que le SCC a effectivement appliqué les mesures correctrices indiquées par suite de la faute commise à l’origine du présent dossier (Lill c Canada (Procureur général), 2016 CF 1151 aux para 17 à 20; Lill c Canada (Procureur général), 2020 CF 551 aux para 11, 75 à 77, 79 à 82 et 85 à 88).

(7) Les intérêts

[100] Le taux d’intérêt applicable est celui en vigueur dans la province d’où émane le litige, soit le Québec en l’espèce (Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, LRC 1985, c C-50, para 31(1)). Il est de 5 % à compter de la mise en demeure (Loi sur l’intérêt, LRC 1985, c I-15, article 4; article 1618 CcQ).

[101] Même si le procès a été reporté à deux reprises, soit pour la première fois d’octobre 2019 à avril 2020 pour des raisons médicales attribuables à M. Lill et a ensuite été reporté d’une autre année, en raison de la pandémie actuelle, j’estime qu’aucune raison ne justifie d’interrompre l’application de la période d’intérêt dans la présente affaire.

VI. Conclusion

[102] En résumé, je conclus que le comportement de M. Lill à Port-Cartier n’a pas causé de rupture du lien de causalité entre la faute admise par le SCC et le préjudice qu’il a subi en raison de l’augmentation de sa cote de sécurité ainsi que de ses transfèrements et de sa détention dans des établissements à sécurité maximale. M. Lill a donc droit à une indemnisation pour les jours durant lesquels il a été détenu dans un établissement à sécurité maximale par suite de la hausse de sa cote de sécurité, incluant les périodes d’isolement de moins de 15 jours, mais excluant les périodes de plus de 15 jours durant lesquelles il était en isolement préventif (qui sont déjà indemnisées par les recours Reddock). Compte tenu de la jurisprudence et du peu de différences dans les conditions de détentions entre les établissements à sécurité maximale et les établissements à sécurité moyenne, j’établis le montant de l’indemnisation à 18 $ par jour pour son incarcération de 38 jours au CRR et à l’établissement de Port-Cartier, ainsi que pour son incarcération de 340 jours à l’établissement de l’Atlantique. Ainsi, l’action est accueillie et une indemnisation de 6 804 $ est accordée au demandeur, plus les intérêts au taux d’intérêt de 5 % par année, composé de façon semi-annuelle, à compter de la mise en demeure jusqu’au paiement final.

 


JUGEMENT au dossier T-2189-14

LA COUR STATUE que l’action est accueillie et une indemnisation de 6 804 $ est accordée au demandeur, plus les intérêts au taux d’intérêt de 5 % par année, composé de façon semi-annuelle, à compter de la mise en demeure jusqu’au paiement final. Pour les dépens, les parties doivent essayer de parvenir à un accord sur les frais. Si les parties ne parviennent pas à se mettre d’accord sur les frais, elles peuvent présenter des observations écrites, ne dépassant pas cinq (5) pages, dans un délai de quatorze (14) jours à compter de la date de la présente décision. Des observations en réponse, ne dépassant pas deux (2) pages, peuvent être présentées dans les sept (7) jours suivants.

« Peter G. Pamel »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2189-14

 

INTITULÉ :

CHRISTOPHER LILL c SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

les 17, 18, 19, 20, 21, 25, 26 et 27 mai 2021

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 avril 2022

 

COMPARUTIONS :

Me Cynthia Chénier

 

Pour le demandeur

Me Anne-Rennée Touchette

Me Laurent Brisebois

M. Mathieu Laliberté

 

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Cynthia Chénier, LL.B.

Terrebonne (Québec)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la défenderesse

 

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