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Date : 20220425


Dossier : T‐232‐21

Référence : 2022 CF 598

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 avril 2022

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE :

RE/MAX ALL‐STARS REALTY INC.

appelante

et

CENTRE D’ANALYSE DES OPÉRATIONS ET DÉCLARATIONS FINANCIÈRES DU CANADA

intimé

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] Un appel a été interjeté en vertu du paragraphe 73.21(1) de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, LC 2000, c 17 [la Loi]. Re/MAX All‐Stars Realty Inc. [l’appelante] demande l’annulation d’une décision datée du 8 janvier 2021 [la décision], prise par la directrice et chef de direction [la directrice] du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières [le CANAFE, ou l’intimé]. La directrice a estimé que l’appelante avait commis une violation grave de la Loi et lui a imposé une pénalité administrative pécuniaire de 31 350 $.

[2] L’appelante a interjeté le présent appel en présentant une demande de contrôle judiciaire. Cependant, l’intimé fait valoir, à raison, que l’appelante doit interjeter un appel prévu par la loi. La Cour a compétence pour examiner un appel de la décision en vertu du paragraphe 73.21(1) de la Loi, qui crée un droit d’« appel ». Toutefois, lorsque la Cour a compétence pour examiner un « appel » d’une décision, le contrôle judiciaire de cette décision est interdit par l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F‐7. Malgré l’irrégularité dans la forme de l’avis de requête introductive d’instance utilisé par l’appelante, et compte tenu de l’article 3 de la Loi sur les Cours fédérales, DORS/98‐106, je traiterai la présente instance comme si elle avait été dûment introduite comme un appel prévu par la loi.

II. Les faits

[3] L’appelante exploite une entreprise de courtage immobilier dont le siège social est situé à Markham, en Ontario. Le président de l’appelante est M. Daniel Sarafian [M. Sarafian].

[4] Selon le dossier, l’appelante a employé 301 agents et employés en 2018.

[5] Le 14 août 2018, le CANAFE a informé l’appelante qu’elle avait été choisie pour subir un examen de la conformité en vertu de la Loi et de ses règlements d’application.

[6] L’objectif de ce contrôle du CANAFE est énoncé dans sa lettre d’avis du 14 août 2018. Il s’agissait d’évaluer dans quelle mesure le régime de conformité, les déclarations, la tenue des dossiers et les pratiques d’identification des clients mis en œuvre par l’appelante satisfont aux exigences législatives et réglementaires :

[traduction]
En vertu de l’article 62 de la Loi, un agent de contrôle autorisé du CANAFE peut effectuer un examen de la conformité pour évaluer dans quelle mesure le régime de conformité, les déclarations, la tenue des dossiers et les pratiques d’identification des clients mis en œuvre par l’appelante satisfont aux exigences législatives et réglementaires. En outre, cet examen vise également à aider votre organisation à s’acquitter de ses obligations légales dans le cas où des problèmes ou des lacunes seraient décelés.

Comme nous en avons convenu lors de notre conversation téléphonique, nous mènerons un entretien de conformité par téléphone le 20 novembre 2018 à 10 h. Au cours de cet entretien, nous vous présenterons le mandat du CANAFE et nous nous assurerons que vous comprenez bien notre processus d’examen. Des appels téléphoniques subséquents pourraient être nécessaires pour mener des entretiens avec divers membres clés du personnel.

Afin de permettre un examen efficace, en conformité avec l’article 63.1 de la Loi, votre organisation doit nous fournir la documentation et les dossiers énumérés ci‐dessous, sous la forme et de la manière décrites dans l’annexe ci‐jointe, au plus tard le 17 septembre 2018.

[Non souligné dans l’original.]

A. Demande de documents présentée par le CANAFE et conformité de l’appelante

[7] Dans une lettre d’avis datée du 14 août 2018, le CANAFE exigeait que l’appelante fournisse des documents permettant au CANAFE d’examiner efficacement le régime de conformité de l’appelante en vertu de la Loi. Dix types de documents étaient demandés, chacun étant décrit dans la lettre d’avis du 14 août 2018.

[8] Le CANAFE a donné à l’appelante jusqu’au 17 septembre 2018 pour fournir ces renseignements. Le CANAFE disposerait ainsi de suffisamment de temps pour préparer son entretien avec l’appelante au titre de l’examen de la conformité. La date de l’entretien au titre de l’examen de la conformité initialement prévue était le 20 novembre 2018.

[9] En date du 17 septembre 2018, le CANAFE n’avait reçu aucun des renseignements ou documents que l’appelante était appelée à fournir.

[10] Le 9 octobre 2018, une employée de l’appelante a communiqué avec le CANAFE en vue d’obtenir certaines précisions, alors qu’elle préparait une partie des renseignements requis.

[11] Le CANAFE lui a répondu le même jour, soit le 9 octobre 2018, indiquant à l’appelante comment envoyer les documents requis en toute sécurité.

[12] Le 8 novembre 2018, le CANAFE a écrit à l’appelante pour l’informer qu’aucun des documents qui devaient lui être envoyés près de trois mois auparavant n’avait été reçu.

[13] Le 13 novembre 2018, la même employée a envoyé au CANAFE quatre des dix ensembles de documents requis, soit les éléments décrits aux points 6, 7, 8 et 10.

[14] Toutefois, les éléments exigés par le CANAFE et décrits aux points 1, 2, 3, 4, 5 et 9 n’ont pas été fournis.

[15] Dans le même courriel, l’employée a indiqué au CANAFE que les documents manquants lui seraient fournis par Daniel Sarafian, président et agent de la conformité de l’appelante. Ce courriel décrivait également les documents fournis par l’appelante :

[traduction]
Parmi la liste de documents exigés, j’ai fourni ceux qui suivent :

6. États financiers en format PDF par courriel

7. Re/Max All‐Stars Realty Inc. emploie actuellement 301 personnes (agents et employés)

8. Registre des dépôts en fiducie en format PDF par courriel

10. Liste de toutes les opérations réalisées pour la période du 1er janvier 2018 au 30 juin 2018

Les autres documents (décrits aux points 1, 2, 3, 4, 5, 9) seront fournis par Daniel Sarafian.

[Non souligné dans l’original.]

[16] Bien qu’un des documents de conformité manquants (point 2) ait été fourni le 9 janvier 2019, les cinq autres ensembles de documents n’ont été fournis que le 8 octobre 2020, soit plus de deux ans après que le CANAFE en a fait la demande dans sa lettre d’avis du 14 août 2018.

[17] Je suis d’accord avec le CANAFE, qui affirme que les six ensembles de documents manquants comprenaient des documents [traduction] « clés » en ce qui concerne les mesures de conformité mises en œuvre par l’appelante. Il ressort clairement de la description de ces documents qu’ils portent sur le respect de la Loi par l’appelante. Les documents suivants étaient manquants :

[traduction]
1. Copie de la version la plus récente de vos politiques et procédures de conformité, y compris celles qui concernent les mesures spéciales relatives à la vérification de l’identité des clients, à la tenue de documents et au contrôle des opérations financières exécutées en lien avec des activités présentant un risque élevé, comme l’exige la Loi.

2. Copie de votre évaluation documentée des risques au regard des infractions de blanchiment d’argent et de financement des activités terroristes, comme l’exige la Loi.

3. Copie des derniers contrôles internes et/ou externes documentés de vos politiques et procédures en matière de conformité et d’évaluation des risques, et de votre programme de formation continue axée sur la conformité qui ont été réalisés à ce jour, comme l’exige la Loi. Veuillez également inclure tout rapport d’évaluation à l’intention des cadres supérieurs ayant été publié à l’issue de ces contrôles.

4. Copie du programme de formation continue qui a été offert à vos employés et/ou vos agents concernant vos obligations prévues par la Loi;

5. Un organigramme de Re/Max All‐Stars Realty Inc.

9. Tout registre d’opérations inhabituelles signalées, car douteuses, mais non déposées pour la période du 1er janvier 2018 au 30 juin 2018 inclus.

B. L’examen de la conformité

[18] Après l’avoir reporté, le CANAFE a effectué son entretien au titre de l’examen de la conformité avec l’appelante le 8 janvier 2019. Au cours de cet entretien, M. Sarafian a avisé le CANAFE que, pour des raisons d’ordre personnel et de disponibilité, M. Michael Scriven [M. Scriven] avait été nommé agent de la conformité de l’appelante et, qu’à ce titre, il était responsable de traiter les documents relatifs à la conformité. M. Sarafian a quitté l’entretien, laissant à M. Scriven le soin de traiter l’examen de la conformité.

[19] Au terme de l’entretien, ni M. Sarafian ni M. Scriven n’avaient fourni les documents décrits aux points 1, 2, 3, 4, 5 ou 9 qui étaient exigés dans la lettre d’avis datée du 14 août 2018.

[20] Cependant, le lendemain, soit le 9 janvier 2019, l’appelante a fourni un formulaire d’évaluation des risques indiquant que ses activités de courtage immobilier pourraient enfreindre les normes de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement d’activités terroristes. Ce document figurait au point 2 de la liste des documents requis dans la lettre d’avis datée du 14 août 2018.

[21] Le 7 juin 2019, le représentant du CANAFE, M. Shaun McWeeney [M. McWeeney], a informé M. Scriven par téléphone que le CANAFE avait conclu à la non‐conformité de l’appelante en raison du fait que celle‐ci n’avait pas fourni les documents requis énoncés dans l’avis du CANAFE du 14 août 2018.

[22] L’appelante affirme que M. Scriven ne [traduction] « se souvient pas » de cet appel téléphonique. Toutefois, l’appelante n’a soulevé ce point qu’après le dépôt de son mémoire des faits et du droit du 17 août 2021, dans le cadre de la présente instance. Plus précisément, cet appel téléphonique a été mentionné à deux reprises dans les communications du CANAFE avec l’appelante, d’abord dans sa lettre du 22 août 2019 se rapportant aux résultats de l’examen, et plus tard dans son procès‐verbal du 14 juillet 2020, sans que celle‐ci n’émette aucune objection ni aucun désaccord. J’en conclus que, selon la prépondérance des probabilités, cet appel téléphonique a bien eu lieu le 7 juin 2019, comme l’affirme le CANAFE.

[23] Il est à noter que l’appelante n’avait toujours pas fourni les cinq ensembles de documents manquants en date du 7 juin 2019, soit lors de l’appel téléphonique entre le CANAFE et l’appelante.

[24] En effet, l’appelante n’avait toujours pas fourni les cinq ensembles de documents manquants au moment où le CANAFE lui a envoyé sa lettre de résultats d’examen du 22 août 2019.

[25] La lettre de résultats d’examen du 22 août 2019 informait l’appelante qu’une pénalité administrative pécuniaire [la PAP] pourrait lui être imposée au motif qu’elle n’avait pas fourni la documentation requise :

[traduction]
À la suite de ces lacunes, le CANAFE envisage l’imposition d’une pénalité administrative pécuniaire (PAP). Si vous avez des renseignements supplémentaires concernant les lacunes mentionnées à l’annexe l qui n’ont pas été fournis au CANAFE au moment de l’examen, veuillez me les faire parvenir par écrit dans les cinq (5) jours suivant la réception de la présente lettre. Nous examinerons tous les renseignements supplémentaires qui nous seront soumis dans le délai indiqué et nous vous fournirons une réponse par écrit. Si aucun renseignement supplémentaire n’est fourni, nous fonderons notre décision quant à l’imposition d’une PAP sur les renseignements obtenus au cours de l’examen.

[26] Tel qu’indiqué, la lettre de résultats d’examen du 22 août 2019 envoyée par le CANAFE informait également l’appelante qu’elle avait cinq jours ouvrables à compter de la réception de cette même lettre pour fournir tout renseignement supplémentaire qui n’avait pas été fourni au CANAFE au moment de l’examen de la conformité, lequel avait eu lieu le 8 janvier 2019, soit plus de 8 mois plus tôt.

[27] Le 28 août 2019, M. Scriven a envoyé un courriel au CANAFE en demandant que la date d’échéance pour fournir les documents manquants soit repoussée jusqu’au 30 septembre 2019. L’appelante a reconnu lors de l’audience que cette communication était ambiguë et j’en conviens. D’une part, elle laisse entendre que M. Scriven pensait qu’il recevrait une liste détaillée des documents manquants que le CANAFE attendait toujours. D’autre part et plus important encore, à mon avis, cette communication révèle que M. Scriven s’est aperçu à ce moment‐là que la liste des documents à livrer figurait en fait dans la première lettre d’avis du CANAFE datée du 14 août 2018.

[28] M. Scriven a également indiqué qu’il avait récemment été aux prises avec d’importants problèmes de santé et qu’il aurait besoin d’un report de la date limite pour pouvoir se conformer à la demande du CANAFE.

[29] M. Scriven n’a pas indiqué à quel moment ses problèmes de santé ont commencé ni combien de temps ils ont duré.

[30] Le 30 août 2019, le CANAFE a avisé M. Scriven qu’il ne lui accorderait pas de délai supplémentaire et que le dossier serait transmis à l’équipe des pénalités administratives, laquelle assurerait le suivi concernant les pénalités.

[31] L’appelante n’avait pas déposé les cinq ensembles de documents manquants au moment de la communication du CANAFE du 30 août 2019.

[32] Le 14 juillet 2020, soit près d’un an plus tard et alors que l’appelante n’avait toujours fourni aucun renseignement supplémentaire, le CANAFE a fait parvenir un procès‐verbal à l’appelante en vertu de l’article 73.13 de la Loi. Le procès‐verbal indiquait que le défaut par l’appelante de fournir les documents requis constituait une violation dont le CANAFE avait des motifs raisonnables de croire qu’elle avait été commise par l’appelante, et informait cette dernière que le CANAFE proposait de lui imposer une PAP de 31 350 $.

[33] Le procès‐verbal avait pour objectif d’informer l’appelante et de lui fournir une occasion de formuler des observations sur la question de la violation alléguée, de même que sur la pénalité administrative pécuniaire proposée.

[34] Le procès‐verbal indiquait que l’appelante avait commis une violation en omettant de fournir les renseignements exigés par la lettre d’avis du 14 août 2018 :

[Traduction]
En vertu de l’article 73.13 de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, le CANAFE a déterminé que RE/MAX All‐Stars Realty Inc. est un courtier immobilier et a commis la violation suivante :

i. Défaut de fournir, conformément à un avis daté du 14 août 2018, les documents ou autres renseignements raisonnablement exigés par une personne autorisée, ce qui est contraire au paragraphe 63.1(2) de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.

[35] Le 8 octobre 2020 et le 22 octobre 2020, M. Sarafian a présenté des observations à la directrice pour contester la violation. Il semble que l’appelante ait fourni les cinq ensembles de documents manquants, comme elle l’a indiqué dans sa lettre du 1er octobre 2020 (transmise le 8 octobre et envoyée à nouveau en date du 22 octobre 2020) :

[Traduction]
J’ai demandé à M. Scriven de fournir les documents manquants dès que possible. Il s’agit notamment des politiques et des procédures de conformité, du programme de formation continue et de l’évaluation des risques de l’entreprise. Des copies de ces documents sont jointes à la présente réponse/déclaration par écrit.

[36] M. Sarafian a également admis que l’appelante n’avait pas fourni les renseignements requis conformément à la lettre d’avis du CANAFE datée du 14 août 2018.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[37] Le 8 janvier 2021, la directrice a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelante avait enfreint le paragraphe 63.1(2) de la Loi. La directrice a alors imposé une pénalité administrative pécuniaire de 31 350 $ à l’appelante.

[38] Conformément au paragraphe 73.15(2) de la Loi, la directrice a indiqué que deux questions avaient été examinées : 1) si l’appelante avait commis la violation, et 2) le cas échéant, quelle pénalité devrait être imposée : la pénalité proposée de 31 350 $, une pénalité réduite, ou aucune pénalité.

[39] En ce qui concerne la question de savoir si l’appelante a commis la violation, la directrice a noté que, le 14 août 2018, le CANAFE a envoyé à l’appelante la lettre d’avis concernant l’examen de la conformité. Cette lettre constituait un avis signifié au sens du paragraphe 63.1(1) de la Loi exigeant de l’appelante qu’elle fournisse au CANAFE, au plus tard le 17 septembre 2018, des documents précis concernant ses opérations et son régime de conformité. Par conséquent, n’ayant fourni aucun des documents requis en date du 17 septembre 2018, l’appelante a manqué à son obligation de fournir les documents conformément à l’avis signifié en vertu du paragraphe 63.1(1) de la Loi.

[40] La directrice a noté que, même si l’appelante a par la suite fourni certains des documents requis, certains des documents « clés » n’avaient pas été fournis au moment de la fin de l’examen de la conformité du CANAFE en juin 2019.

[41] L’appelante ne conteste pas qu’elle a commis la violation. Cela dit, à la suite d’un examen du procès‐verbal et des observations présentées par l’appelante, la directrice a déterminé que, selon la prépondérance des probabilités, l’appelante avait bien commis la violation.

[42] En ce qui concerne la détermination de la pénalité qui devrait être imposée, la directrice a noté que la violation énoncée dans le procès‐verbal était une violation grave, sanctionnée par des pénalités variant de 1 $ à 100 000 $ par violation en vertu de l’alinéa 5b) du Règlement sur les pénalités administratives – recyclage des produits de la criminalité et financement des activités terroristes, DORS/2007‐292 [le Règlement sur les PAP]. Le procès‐verbal proposait une pénalité de 31 350 $ pour cette violation, une somme que le CANAFE a déterminée conformément aux critères énoncés à l’article 73.11 de la Loi et à l’article 6 du Règlement sur les PAP.

[43] La directrice a tenu compte de la maladie de M. Scriven et a convenu que cela avait pu empêcher l’appelante de répondre à la lettre de résultats d’examen du 22 août 2019. Toutefois, la directrice n’a pas jugé cela pertinent parce que l’appelante avait reçu la lettre d’avis signifié en vertu du paragraphe 63.1(1) de la Loi il y avait alors plus d’un an [la lettre était datée du 14 août 2018], mais également parce que, tout au long du processus d’examen, le CANAFE avait offert à l’appelante de multiples occasions de fournir les documents requis. M. Scriven n’a pas été nommé agent de la conformité de l’appelante avant le jour de l’examen de la conformité, le 8 janvier 2019, soit près de quatre mois après la date limite indiquée dans l’avis. En outre, l’appelante n’a pas mentionné ce problème avant que M. Scriven n’envoie un courriel au CANAFE le 28 août 2019. La directrice a conclu qu’aucune explication ou justification n’avait été donnée quant à la raison pour laquelle l’appelante n’avait pas fourni les documents requis au cours de la période de plus d’un an qui s’est écoulée entre la réception de la lettre d’avis et la réception de la lettre des résultats d’examen. Le fait que l’appelante n’ait pas fourni les documents requis dans le délai prescrit a démontré qu’elle n’était pas disposée à se conformer à la Loi, ce qui a nui à la capacité du CANAFE de remplir le mandat que lui confère la loi. Par conséquent, la directrice a conclu que la maladie de M. Scriven n’était pas motif à réduire le montant de la pénalité nécessaire pour encourager l’appelante à observer la Loi et ses règlements, et n’atténuait pas non plus le tort causé par la violation.

[44] La directrice a examiné l’argument de l’appelante selon lequel elle avait fini par fournir les documents requis manquants avec ses observations. Toutefois, le tort avait déjà été causé dès lors que le CANAFE a clos le processus d’examen sans avoir eu accès à ces documents. La directrice a tenu compte du fait que l’appelante a fourni certains des documents requis après la date limite fixée dans l’avis, mais avant la fin du processus d’examen, et a appliqué une réduction de 5 % à la pénalité de base pour prendre en considération l’atténuation limitée du tort causé.

[45] La directrice a tenu compte des antécédents de conformité de l’appelante, notant qu’il s’agissait de sa première violation, et a réduit la pénalité de base de 33 %.

[46] La directrice a tenu compte de la capacité de payer de l’appelante, dont l’argument de celle‐ci selon lequel elle constitue une [traduction] « entreprise relativement petite » et qu’« une amende de cette ampleur, surtout dans le contexte de la pandémie de COVID‐19, qui a affecté les revenus de [son] entreprise, serait très problématique pour l’entreprise et pour [M. Scriven] personnellement ». Toutefois, les observations n’incluaient aucune preuve démontrant que le revenu de l’appelante a diminué à un point tel que le paiement de la pénalité proposée aurait sur elle un effet néfaste. Par conséquent, la directrice n’a pas réduit davantage la pénalité et a imposé la pénalité administrative de 31 350 $.

IV. Les questions en litige

[47] À mon avis, les questions en litige sont :

  • 1) Quelle est la norme de contrôle applicable au présent appel?

  • 2) Le CANAFE a‐t‐il violé le droit de l’appelante à l’équité procédurale?

  • 3) La directrice a‐t‐elle commis une erreur en concluant que l’appelante avait violé le paragraphe 63.1(2) de la Loi?

  • 4) La directrice a‐t‐elle commis une erreur en imposant une pénalité administrative pécuniaire de 31 350 $?

V. La norme de contrôle

A. L’erreur manifeste et dominante est le critère approprié en appel pour déterminer si des erreurs alléguées de fait ou de fait et de droit ont été commises.

[48] L’appelante soutient que la norme de contrôle qui s’applique au présent appel est celle de la décision raisonnable. Elle adopte cette position parce que des appels interjetés contre les décisions du CANAFE ont été traités par la Cour fédérale comme des demandes de contrôle judiciaire : voir Homelife/Experience Realty Inc. c Canada (Finances), 2014 CF 657 [par la juge Strickland], au para 31 [Homelife]; Max Realty Solutions Ltd. c Canada (Procureur général), 2014 CF 656 [par la juge Strickland], au para 31 [Max Realty 1]; Max Realty Solutions c Canada (Centre d’analyse des opérations et déclarations financières), 2016 CF 620 [par le juge Barnes], au para 4 [Max Realty 2]; Kabul Farms Inc. c Canada, 2015 CF 628 [par le juge Fothergill], au para 28 [Kaboul Farms CF], confirmé dans Canada c Kabul Farms Inc., 2016 CAF 143 [par le juge Stratas], au para 7 [Kabul Farms CAF].

[49] Toutefois, le CANAFE soutient, et je suis d’accord, que la Cour suprême du Canada a plus récemment déterminé que, lorsque le législateur accorde un droit d’appel prévu par la loi, comme c’est le cas en l’espèce, la cour saisie de l’appel doit recourir aux normes applicables en appel : voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], au paragraphe 37 :

[37] Il convient donc de reconnaître que, lorsque le législateur prévoit un appel à l’encontre d’une décision administrative devant une cour de justice, la cour saisie de l’appel doit recourir aux normes applicables en appel pour réviser la décision. Ainsi, la norme de contrôle applicable doit être déterminée eu égard à la nature de la question et à la jurisprudence de notre Cour en la matière. Par exemple, lorsqu’une cour de justice entend l’appel d’une décision administrative, elle se prononcera sur des questions de droit, touchant notamment à l’interprétation législative et à la portée de la compétence du décideur, selon la norme de la décision correcte conformément à l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 8. Si l’appel prévu par la loi porte notamment sur des questions de fait, la norme de contrôle sera celle de l’erreur manifeste et déterminante (applicable également à l’égard des questions mixtes de fait et de droit en l’absence d’un principe juridique facilement isolable) : voir Housen, par. 10, 19 et 26‐37. Évidemment, si le législateur entend prévoir l’application en appel d’une autre norme de contrôle, il lui est toujours loisible d’exprimer son intention en énonçant dans la loi la norme de contrôle applicable.

[50] En tout respect, je suis d’accord avec le CANAFE parce que l’arrêt Vavilov a été rendu postérieurement aux décisions impliquant le CANAFE citées précédemment. Selon l’arrêt Vavilov, lorsque le législateur prévoit un droit d’appel conféré par la loi, la cour saisie de l’appel doit recourir aux normes de contrôle applicables en appel, à moins que le législateur n’ait prévu une norme de contrôle différente. Le législateur n’a pas prévu de norme de contrôle différente.

[51] Étant donné que la décision de la directrice quant à savoir si l’appelante a enfreint le paragraphe 63.1(2) de la Loi est une question mixte de fait et de droit, tout comme les questions de savoir si une pénalité doit être imposée et quel est le montant approprié de cette pénalité, et étant donné que l’appelante n’a pas soulevé une question de droit isolable, à mon avis, la norme de contrôle applicable au présent appel consiste à déterminer si la directrice a commis une erreur manifeste et dominante. Ce critère est établi dans Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 et confirmé dans Vavilov au paragraphe 37 que, pour des raisons de commodité, je cite :

[37] Il convient donc de reconnaître que, lorsque le législateur prévoit un appel à l’encontre d’une décision administrative devant une cour de justice, la cour saisie de l’appel doit recourir aux normes applicables en appel pour réviser la décision. Ainsi, la norme de contrôle applicable doit être déterminée eu égard à la nature de la question et à la jurisprudence de notre Cour en la matière. Par exemple, lorsqu’une cour de justice entend l’appel d’une décision administrative, elle se prononcera sur des questions de droit, touchant notamment à l’interprétation législative et à la portée de la compétence du décideur, selon la norme de la décision correcte conformément à l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 8. Si l’appel prévu par la loi porte notamment sur des questions de fait, la norme de contrôle sera celle de l’erreur manifeste et déterminante (applicable également à l’égard des questions mixtes de fait et de droit en l’absence d’un principe juridique facilement isolable) : voir Housen, par. 10, 19 et 26‐37. Évidemment, si le législateur entend prévoir l’application en appel d’une autre norme de contrôle, il lui est toujours loisible d’exprimer son intention en énonçant dans la loi la norme de contrôle applicable.

[Non souligné dans l’original.]

B. Qu’entend‐on par norme de l’erreur manifeste et dominante applicable aux questions de fait et aux questions de fait et de droit?

[52] Dans l’arrêt Canada c South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165 [South Yukon], le juge Stratas explique ce qu’une partie appelante doit établir pour prouver une erreur manifeste et dominante en appel :

[46] L’erreur manifeste et dominante constitue une norme de contrôle appelant un degré élevé de retenue : H.L. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 25, [2005] 1 R.C.S. 401; Peart c. Peel Regional Police Services (2006), 217 O.A.C. 269 (C.A.), aux paragraphes 158 et 159; arrêt Waxman, précité. Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente, et par erreur « dominante », une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier.

[Non souligné dans l’original.]

[53] La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont toutes deux adopté cette description de l’erreur manifeste et dominante en ce qui concerne les erreurs alléguées de fait et de fait et de droit. Voir les arrêts plus récents : Ladouceur c Banque de Montréal, 2022 CF 440 [par le juge Pentney], au para 15; Fasken Martineau Dumoulin LLP c Gentec, 2022 CF 327 [par la juge St‐Louis], au para 37; Toronto Regional Real Estate Board c IMS Incorporated, 2021 CF 1239 [par la juge Pallotta], au para 13.

C. Équité procédurale

[54] Je suis d’accord avec les parties pour dire que la question de l’équité procédurale doit être examinée selon la norme de la décision correcte : voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au para 43 [par le juge Binnie] et Contrevenant no 10 c Canada (Procureur général), 2018 CAF 150, au para 21 [Contrevenant no 10] [par le juge de Montigny]. Cela dit, je tiens à souligner que, selon la décision du juge Stratas dans Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160, au paragraphe 69, la Cour d’appel fédérale affirme qu’il convient de « procéder selon la norme de la décision correcte “en se montrant respectueux [des] choix [du décideur]” et en faisant preuve d’un “degré de retenue” : (Ré:Sonne c Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, 455 NR 87, au para 42) ». Voir aussi l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [le juge Rennie]. À cet égard, je souligne la décision de la Cour d’appel fédérale selon laquelle le contrôle judiciaire des questions d’équité procédurale s’effectue selon la norme de la décision correcte : voir l’arrêt Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196, motivé par le juge de Montigny [les juges Near et LeBlanc y ont souscrit] :

[35] Ni l’arrêt Vavilov ni, à ce sujet, l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‐Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, n’ont abordé la question de la norme applicable pour déterminer si le décideur a respecté l’obligation d’équité procédurale. Dans ces circonstances, je préfère m’en remettre à l’abondante jurisprudence, de la Cour suprême et de notre Cour, selon laquelle la norme de contrôle concernant l’équité procédurale demeure celle de la décision correcte [...].

[55] Je crois comprendre également, selon l’arrêt Vavilov, au paragraphe 23, que la norme applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte :

[23] Lorsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond (c.‐à‐d. le contrôle judiciaire d’une mesure administrative qui ne comporte pas d’examen d’un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale), la norme de contrôle qu’elle applique doit refléter l’intention du législateur sur le rôle de la cour de révision, sauf dans les cas où la primauté du droit empêche de donner effet à cette intention. L’analyse a donc comme point de départ une présomption selon laquelle le législateur a voulu que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable.

[Non souligné dans l’original.]

[56] Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‐Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 50, la Cour suprême du Canada explique ce qui est attendu d’une cour qui procède à une révision selon la norme de la décision correcte :

[50] La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

VI. Les dispositions législatives pertinentes

[57] L’article 63.1 de la Loi prévoit que les entités déclarantes, comme l’appelante, doivent fournir au CANAFE tout document ou toute information nécessaire pour permettre au CANAFE d’effectuer un examen de l’entité déclarante, de manière à s’assurer de sa conformité aux parties 1 ou 1.1 de la Loi [c.‐à‐d. un examen de la conformité]. Le paragraphe 63.1 de la Loi est ainsi libellé :

[58] Le paragraphe 73.15(2) de la Loi confère à la directrice le pouvoir de prendre la décision qui fait l’objet de l’appel dans la présente instance :

[59] Le paragraphe 73.21(1) de la Loi confère à l’appelante le droit d’interjeter appel devant la Cour. Le paragraphe 73.21(5) donne compétence à la Cour fédérale pour examiner un appel d’une décision de la directrice. Les paragraphes 73.21(1) et 73.21(5) sont ainsi libellés :

VII. L’analyse

A. Le CANAFE a‐t‐il violé le droit de l’appelante à l’équité procédurale?

[60] Les deux parties conviennent que le degré d’équité procédurale requis en l’espèce se situe au niveau « moyen », comme il est indiqué dans l’arrêt Contrevenant no 10, précité, au paragraphe 39.

[61] Dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker], la Cour suprême du Canada énumère, aux paragraphes 23 à 28, une liste non exhaustive de facteurs ayant une incidence sur la nature de l’obligation d’équité. Les facteurs suivants sont en cause en l’espèce : 1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; 2) l’importance de la décision pour les personnes visées; 3) les attentes légitimes de l’appelante.

(1) La nature de la décision et le processus suivi

[62] L’appelante soutient que la directrice a violé les principes de l’équité procédurale en prenant une décision en se fondant sur les conclusions de M. McWeeney, l’agent de contrôle régional qui a effectué l’examen de la conformité le 8 janvier 2019. L’appelante affirme, contrairement à ce qu’indique le procès‐verbal, que le CANAFE a informé M. Scriven lors de l’examen de la conformité du 8 janvier 2019 qu’il lui enverrait une liste précise des documents requis. M. Scriven ajoute qu’il ne [traduction] « se souvient pas » d’une conversation s’étant tenue le 7 juin 2019 et au cours de laquelle les résultats de l’examen lui ont été communiqués.

[63] Cependant, je note que l’appelante n’a fourni aucune preuve à l’appui de ces allégations.

[64] J’ai déjà conclu que le CANAFE et l’appelante avaient eu une conversation téléphonique le 19 juin 2019, et ce, au paragraphe 22 ci‐dessus : « L’appelante affirme que M. Scriven ne [traduction] “se souvient pas” de cet appel téléphonique. Toutefois, l’appelante n’a soulevé ce point qu’après le dépôt de son mémoire des faits et du droit du 17 août 2021, dans le cadre de la présente instance. Plus précisément, cet appel téléphonique a été mentionné à deux reprises dans les communications du CANAFE avec l’appelante, d’abord dans sa lettre du 22 août 2019 se rapportant aux résultats de l’examen, et plus tard dans son procès‐verbal du 14 juillet 2020, sans que celle‐ci n’émette aucune objection ni aucun désaccord. J’en conclus que, selon la prépondérance des probabilités, cet appel téléphonique a bien eu lieu le 7 juin 2019, comme l’affirme le CANAFE ».

[65] En tout respect, je ne suis pas non plus convaincu que le CANAFE a informé M. Scriven, lors de l’examen de la conformité, le 8 janvier 2019, qu’il lui enverrait une liste précise des documents requis. Aucune note à cet effet n’a été fournie par l’appelante. Par ailleurs, il est difficile d’expliquer pourquoi le CANAFE aurait fourni une telle liste, étant donné que sa lettre d’avis du 14 août 2018 contenait une description des documents requis. Je ne suis pas non plus convaincu que l’appelante ait pu avoir de la difficulté à fournir les cinq ensembles de documents manquants, puisqu’ils ont été produits le 8 octobre 2020 en réponse au procès‐verbal daté du 14 juillet 2020. Il n’existe aucune transcription de l’examen de la conformité.

[66] Pour ce qui est de la nature de la décision et du processus suivi, je ne peux pas conclure à un manquement à l’équité procédurale. La décision du CANAFE visait à déterminer si l’appelante avait omis de fournir les renseignements et les documents requis pour procéder à l’examen de la conformité. Pour permettre au CANAFE de mener à bien l’examen de la conformité, l’appelante devait fournir les renseignements et les documents requis au plus tard à la date de l’examen. Si elle n’avait pas fourni les renseignements et les documents requis à la date de l’examen, qui en l’espèce était le 8 janvier 2019, l’appelante pouvait se trouver en situation de violation du paragraphe 63.1(2) de la Loi.

[67] Si l’appelante avait fourni au CANAFE les documents requis de façon à ce que l’examen de la conformité puisse être effectué, le CANAFE aurait pu indiquer dans sa lettre de résultats d’examen les lacunes qu’il a relevées dans le régime de conformité de l’appelante.

[68] Cependant, l’appelante n’a pas fourni les documents requis avant le 17 septembre 2018, soit la date limite initiale, et a par la suite persisté dans sa non‐conformité jusqu’au 8 octobre 2020, date à laquelle elle a finalement fourni ce qu’elle dit être les cinq ensembles de documents manquants. Ces documents sont arrivés bien trop tard pour pouvoir être évalués par le CANAFE. Il est important de noter qu’étant donné le défaut de conformité de l’appelante, le CANAFE n’a pas été en mesure de déterminer si le régime de conformité de l’appelante comportait des lacunes.

[69] Le CANAFE a considéré que le fait que l’appelante n’ait pas fourni les renseignements demandés conformément à la lettre d’avis datée du 14 août 2018 constituait en soi une lacune. La date où cette lacune a pris effet est la date de l’examen de la conformité, soit le 8 janvier 2019. Il s’agissait de la date limite à laquelle l’appelante devait produire les documents requis pour être conforme; toutefois, ces documents n’ont pas été fournis avant le 8 octobre 2020. Il est incontestable que les documents étaient requis bien avant cette date.

[70] À mon avis, l’appelante, qui porte le fardeau de la preuve à cet égard, n’a pas démontré l’existence d’une erreur manifeste et dominante en ce qui a trait à la décision de la directrice selon laquelle l’appelante avait violé son obligation de fournir la documentation requise dans les délais prescrits. Je répète que l’appelante admet ce point; dans les circonstances, elle ne pouvait pas affirmer le contraire de façon crédible.

[71] À cet égard, le CANAFE a tiré la conclusion de fait selon laquelle l’appelante n’avait pas fourni les renseignements demandés conformément à l’avis, ce qui a nui aux activités de conformité du CANAFE et à l’exécution de son mandat en vertu de l’alinéa 40e) de la Loi. Le CANAFE a donné à l’appelante l’occasion de l’informer de toute erreur factuelle dans sa décision selon laquelle l’appelante ne s’était pas conformée à l’avis. Selon moi, le CANAFE s’est ainsi acquitté de son obligation d’équité envers l’appelante à cette étape du processus décisionnel.

[72] L’appelante soutient également que M. Scriven avait des problèmes de santé et qu’en refusant de lui accorder du temps supplémentaire pour fournir les renseignements requis, le CANAFE a violé le droit de l’appelante à l’équité procédurale. Cependant, je note que les problèmes de santé de M. Scriven ne l’ont pas empêché de participer à l’examen de la conformité le 8 janvier 2019 et ne l’ont pas empêché, ni lui ni personne d’autre au nom de l’appelante, de fournir les documents demandés conformément à l’avis du 14 août 2018, c’est‐à‐dire avant ou bien avant, ou même après l’examen. Les documents figurant au point 2, par exemple, ont été fournis le 9 janvier 2019. Rien d’autre n’a été fourni avant octobre 2020.

(2) L’importance de la décision pour les personnes visées

[73] L’appelante fait valoir que la décision d’imposer une pénalité pécuniaire est importante parce que [traduction] « cela donne l’impression qu’elle n’était pas disposée à collaborer avec le CANAFE pour s’assurer de sa conformité à la Loi, lui donnant aux yeux du public une image négative, ce qui pourrait nuire à son nom et à ses relations d’affaires, particulièrement avec les institutions financières et le Conseil ontarien de l’immobilier, qui régit ses activités ».

[74] Je note que l’appelante n’a pas soulevé ce problème auprès du CANAFE après avoir reçu le procès‐verbal. Elle l’a soulevé pour la première fois dans son mémoire, déposé à l’occasion du présent appel. Il n’est donc pas surprenant que le CANAFE n’ait pas discuté de ce point.

[75] Cela dit, je note dans l’arrêt Baker que la Cour suprême conclut ce qui suit en ce qui concerne « l’importance de la décision pour les personnes visées » :

[25] Le troisième facteur permettant de définir la nature et l’étendue de l’obligation d’équité est l’importance de la décision pour les personnes visées. Plus la décision est importante pour la vie des personnes visées et plus ses répercussions sont grandes pour ces personnes, plus les protections procédurales requises seront rigoureuses. C’est ce que dit par exemple le juge Dickson (plus tard Juge en chef) dans l’arrêt Kane c. Conseil d’administration de l’Université de la Colombie‐Britannique, [1980] 1 R.C.S. 1105, à la p. 1113 :

Une justice de haute qualité est exigée lorsque le droit d’une personne d’exercer sa profession ou de garder son emploi est en jeu. [...] Une suspension de nature disciplinaire peut avoir des conséquences graves et permanentes sur une carrière.

Comme le juge Sedley (maintenant Lord juge Sedley) le dit dans R. c. Higher Education Funding Council, ex parte Institute of Dental Surgery, [1994] 1 All E.R. 651 (Q.B.), à la p. 667 :

[traduction] Dans le monde moderne, les décisions rendues par des organismes administratifs peuvent avoir un effet plus immédiat et plus important sur la vie des gens que les décisions des tribunaux et le droit public a depuis l’arrêt Ridge c. Baldwin [1963] 2 All E.R. 66, [1964] A.C. 40, reconnu ce fait. Bien que le caractère judiciaire d’une fonction puisse élever les exigences pratiques en matière d’équité au‐delà de ce qu’elles seraient autrement, par exemple en exigeant que soit présenté et vérifié oralement un élément de preuve contesté, ce qui le rend « judiciaire » dans ce sens est principalement la nature de la question à trancher, et non le statut formel de l’organisme décisionnel.

L’importance d’une décision pour les personnes visées a donc une incidence significative sur la nature de l’obligation d’équité procédurale.

[76] J’estime sans fondement cet argument de l’appelante relatif au manquement à l’équité procédurale. Je rappelle qu’en dehors de ce simple argument, l’appelante n’a pas formulé d’observations ni fourni d’éléments de preuve indiquant en quoi sa non‐conformité pourrait lui donner une image négative aux yeux du public, ce qui pourrait nuire à son nom et à ses relations d’affaires. Cette question invite la Cour à tirer des hypothèses au sujet d’un éventuel préjudice, ce qu’elle n’est pas prête à faire.

[77] Je note également que cet argument aurait pu être invoqué, mais n’a pas été présenté par l’appelante dans les observations qu’elle a soumises après la réception du procès‐verbal.

[78] De plus, je note que l’appelante a déclaré qu’elle comptait quelque 301 agents et employés en 2018. En l’absence d’éléments de preuve à cet égard, je ne suis pas en mesure de déterminer si une erreur manifeste et dominante a été commise en lien avec l’incidence financière que l’amende de 31 350 $ aurait eue sur l’appelante. Ce qui est frappant, à mon avis, c’est que l’appelante n’a pas non plus présenté de telles observations au CANAFE.

(3) Les attentes légitimes de l’appelante

[79] L’appelante soutient également qu’elle pouvait légitimement s’attendre à ce que le CANAFE communique davantage avec elle et tienne compte de la maladie de M. Scriven en lui accordant plus de temps pour s’acquitter de ses obligations. Par conséquent, elle soutient que la procédure suivie par le CANAFE était injuste.

[80] Le CANAFE répond que le 8 janvier 2019, lors de l’examen de la conformité, il a informé l’appelante que le défaut de fournir les documents requis constituait une non‐conformité qui serait mentionnée dans sa lettre de résultats d’examen, et ce, même si les documents manquants étaient fournis au CANAFE après la fin de l’examen. Cette affirmation figure dans la lettre de résultats d’examen du CANAFE du 22 août 2019. Je note que l’appelante n’a contesté l’exactitude de cette déclaration dans aucune de ses réponses à la lettre de résultats d’examen. Compte tenu du dossier, je crois plus probable qu’improbable que le CANAFE ait mis en garde l’appelante à cet égard.

[81] L’objectif de la lettre de résultats d’examen était d’informer l’appelante des conclusions auxquelles le CANAFE était parvenu et de lui donner l’occasion de répondre à ces conclusions. M. McWeeney a confirmé cela dans son échange de courriels avec M. Scriven en date du 30 août 2019.

[82] À mon avis, les cinq jours prévus dans la lettre de résultats d’examen du 22 août 2019 ne constituaient pas une occasion pour l’appelante de corriger la lacune parce qu’à ce moment‐là, le temps qui lui avait été donné pour se conformer aux exigences était déjà écoulé. La lettre de résultats d’examen avait plutôt pour objet de donner à l’appelante l’occasion de démontrer que les conclusions de la lettre étaient, dans les faits, inexactes.

[83] À mon avis, il n’est pas plausible que l’appelante ait pu légitimement s’attendre à ce que plus de temps lui soit accordé pour fournir les documents requis. Il se peut qu’elle s’y soit attendue, mais, à mon avis, elle ne pouvait pas légitimement s’y attendre dans ces circonstances. La lettre d’avis du 14 août 2018 indiquait tout ce qu’elle devait fournir. Il lui suffisait de s’y conformer beaucoup plus rapidement.

[84] Compte tenu des facteurs de l’arrêt Baker, je conclus que le CANAFE n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale envers l’appelante.

B. La directrice a‐t‐elle commis une erreur manifeste et dominante en concluant que l’appelante avait enfreint le paragraphe 63.1(2) de la Loi?

[85] L’appelante soutient que la directrice a fait erreur en concluant qu’elle avait commis une violation, étant donné que les communications avec le CANAFE étaient peu claires en ce qui a trait aux échéanciers. De plus, selon l’appelante, le CANAFE n’a pas répondu aux besoins de M. Scriven malgré les graves problèmes médicaux auxquels il faisait face. Par conséquent, l’appelante affirme que la directrice a fait une erreur en concluant que l’appelante avait commis une violation.

[86] Étant donné que le présent appel est prévu par la loi, l’appelante doit démontrer que le CANAFE a commis une erreur manifeste et dominante, comme cela a été mentionné plus haut. Je ne peux conclure à une erreur manifeste ou dominante dans la conclusion de la directrice selon laquelle l’appelante a enfreint le paragraphe 63.1(2) de la Loi.

[87] La directrice a expressément tenu compte de la maladie de M. Scriven et a convenu qu’elle avait pu empêcher l’appelante de répondre à la lettre de résultats d’examen du 22 août 2019. Toutefois, à mon avis, l’argument relatif à cette maladie n’est pas pertinent parce que l’appelante avait alors reçu la lettre d’avis du 14 août 2018, signifiée en vertu du paragraphe 63.1(1) de la Loi, depuis plus d’un an. En effet, M. Scriven n’a pas été nommé agent de la conformité avant le jour de l’examen de la conformité, le 8 janvier 2019, soit près de quatre mois après la date limite indiquée dans la lettre d’avis. L’appelante s’est vu offrir de multiples occasions de fournir les documents requis au cours du processus d’examen et la directrice a pleinement pris en considération la maladie de M. Scriven, comme en témoignent les motifs de sa décision. Cette décision ne comporte aucune erreur manifeste et dominante.

[88] Le CANAFE affirme, et j’en conviens, que le fait que l’appelante ait omis de fournir les documents demandés constitue une violation du paragraphe 63.1(2) de la Loi :

[89] Le 14 août 2018, l’appelante a reçu une lettre d’avis dans laquelle le CANAFE énumérait dix (10) éléments d’information et/ou documents dont il avait besoin pour évaluer correctement la conformité de l’appelante aux parties 1 et 1.1 de la Loi. Cet avis exigeait que l’appelante fournisse les éléments demandés au plus tard le 17 septembre 2018.

[90] Cependant, malgré le report de la date de l’examen de la conformité, l’appelante n’a pas fourni les éléments des points 1, 2, 3, 4, 5 et 9 avant la fin de l’examen de la conformité, le 8 janvier 2019. Les éléments que l’appelante n’a pas produits aux fins de l’examen le 8 janvier 2019 comprenaient tous les documents relatifs au régime de conformité de l’appelante. Je conclus qu’il s’agissait de document « clés » aux fins de l’examen de la conformité. Ils n’ont été fournis que le 8 octobre 2020, date à laquelle ils étaient incontestablement en retard et non conformes.

[91] Par conséquent, puisque l’appelante n’a pas fourni les documents requis à la date limite prescrite, la directrice n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante lorsqu’elle a conclu que l’appelante avait enfreint le paragraphe 63.1(2) de la Loi.

C. La directrice a‐t‐elle commis une erreur en imposant une pénalité administrative pécuniaire de 31 350 $?

[92] L’appelante soutient que, parce que la décision d’imposer une pénalité était déraisonnable et incorrecte, la directrice a commis une erreur en décidant de la lui imposer. L’appelante n’a pas formulé d’autres observations sur cette question dans le cadre de ses observations écrites ou orales.

[93] Je signale d’entrée de jeu que le critère de la décision raisonnable proposé n’est pas la norme appropriée à appliquer au présent appel. Le critère applicable à la détermination de la pénalité pécuniaire est également celui de l’erreur manifeste et dominante, puisqu’il peut s’agir d’erreurs alléguées de fait ou de fait et de droit.

[94] Le CANAFE soutient que l’évaluation de la pénalité pécuniaire par la directrice ne comportait pas d’erreur manifeste et dominante. Je souscris à cette affirmation. La directrice a tenu compte de tous les facteurs à examiner en vertu de l’article 73.11 de la Loi, à savoir le tort causé par la violation, les antécédents de conformité de l’appelante et le fait que les pénalités sont destinées à encourager le respect de la Loi, et non à être punitives :

[95] En ce qui concerne le tort causé par la violation, la directrice a conclu :

[traduction]
19. Le fait que Re/MAX All‐Stars Realty Inc. n’ait pas fourni les documents requis dans le délai prescrit ni par la suite démontre sa réticence à se conformer à la Loi. Ce manquement a causé un tort important en empêchant le CANAFE d’évaluer, pendant l’examen, la conformité de Re/MAX All‐Stars Realty Inc. à ses obligations en vertu des parties 1 et 1.1 de la Loi, puisque le CANAFE n’a pas pu accéder aux éléments clés du régime de conformité de Re/MAX All‐Stars Realty Inc. Cette violation a donc empêché le CANAFE de remplir le mandat que lui confère la loi.

[96] Le « Guide sur l’évaluation du tort causé pour les violations relatives à d’autres mesures de conformité » du CANAFE, disponible sur le site Web du CANAFE, explique la nature du tort causé par une violation du paragraphe 63.1(2) et précise que ce type de violation justifie une pénalité de base maximale de 100 000 $, moins les réductions découlant de facteurs atténuants. La directrice a tenu compte des facteurs atténuants, c’est‐à‐dire de la présentation des documents manquants. Par conséquent, les conclusions de la directrice sur le tort causé par l’appelante étaient conformes à ce guide, qui est accessible au public.

[97] En ce qui concerne les antécédents de conformité de l’appelante, la directrice a conclu, à juste titre, qu’il s’agissait de la première violation du paragraphe 63.1(2) par l’appelante et a donc réduit la pénalité de base à 33 % du montant initial proposé :

[traduction]
23. Re/MAX All‐Stars Realty Inc. soutient que l’entité a toujours été conforme à la Loi pendant la longue période de propriété de M. Sarafian et que c’est la première fois qu’elle commet une violation.

24. La pénalité proposée, qui correspond à 33 % du montant de la pénalité de base, tient compte des antécédents de conformité de Re/MAX All‐Stars Realty Inc., car il s’agissait de la première violation de ce type par Re/MAX All‐Stars Realty Inc. Les observations formulées par Re/MAX All‐Stars Realty Inc. ne fournissent aucune raison pour laquelle je devrais adopter une approche différente. J’estime que la pénalité proposée tient précisément compte des antécédents de conformité de Re/MAX All‐Stars Realty Inc. à la Loi et à ses règlements.

[98] En ce qui concerne le fait que les pénalités sont destinées à encourager le respect de la Loi, et non à être punitives, la directrice a jugé que le montant de la pénalité proposée dans le procès‐verbal (31 350 $) était nécessaire pour encourager le respect de la Loi à l’avenir :

[traduction]
25. [...] La gravité de la violation, qui a empêché le CANAFE de remplir son mandat, rend nécessaire l’imposition d’une pénalité du montant proposé dans le procès‐verbal pour encourager le respect de la Loi.

[99] La directrice a examiné les dispositions législatives pertinentes et les a appliquées au dossier. Selon les circonstances décrites ci‐dessus, ni individuellement ni collectivement je ne constate d’erreur manifeste et dominante dans la décision de la directrice d’imposer une pénalité administrative à l’appelante et de l’évaluer au montant de 31 350 $.

VIII. Conclusion

[100] L’appelante n’a pas démontré que son droit à l’équité procédurale avait été violé. Elle n’a pas non plus démontré que la directrice avait commis une erreur manifeste et dominante en concluant que l’appelante avait violé la Loi, ou en imposant une pénalité pécuniaire appropriée, ou en évaluant le montant de cette pénalité. Par conséquent, l’appel doit être rejeté.

IX. Dépens

[101] Les parties ont convenu que des dépens d’un montant forfaitaire de 10 000 $ devraient être adjugés à la partie ayant gain de cause dans le présent appel. Je prends en considération cette proposition conjointe et je conviens que les dépens doivent être adjugés au plaideur ayant gain de cause dans le présent appel. Cependant, je dois aussi tenir compte du caractère raisonnable du montant proposé. Étant donné la brièveté relative du dossier et de la jurisprudence, et à ma discrétion, une somme forfaitaire de 7 500 $ est raisonnable en l’espèce; j’adjuge ces dépens à l’intimé.


JUGEMENT dans le dossier no T‐232‐21

LA COUR STATUE que :

  1. L’appel est rejeté.

  2. L’appelante doit payer les dépens à l’intimé, soit une somme globale de 7 500 $.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


DOSSIER :

T‐232‐21

 

INTITULÉ :

RE/MAX ALL STARS REALTY INC. c CENTRE D’ANALYSE DES OPÉRATIONS ET DÉCLARATIONS FINANCIÈRES DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 AVRIL 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 25 AVRIL 2022

COMPARUTIONS :

Fabian Otto

POUR L’APPELANTE

James Gorham

POUR L’INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sherman Law Professional Corp.

Avocats

Richmond Hill (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR L’INTIMÉ

 

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