Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220413


Dossier : T‑1254‑21

Référence : 2022 CF 527

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 avril 2022

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

KATHERINE DE LEON

 

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le procureur général demande à la Cour de contrôler et d’annuler la décision datée du 13 juillet 2021 [la décision relative à la demande de permission] par laquelle un membre de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a rejeté la demande de permission d’en appeler d’une décision de la division générale [la décision de la division générale] du fait qu’il n’existait aucun motif raisonnable d’accueillir l’appel.

[2] La décision de la division générale était liée à un appel interjeté par la défenderesse, Katherine De Leon, à l’encontre d’une décision de la Commission de l’assurance‑emploi du Canada [la Commission] portant que la défenderesse ne pouvait modifier son choix en vue d’obtenir des prestations parentales prolongées. La division générale a conclu que son choix était invalide et qu’elle avait par conséquent le droit de choisir les prestations parentales standards.

Contexte

[3] Les alinéas 12(3)a) et b) de la Loi sur l’assurance‑emploi, LC 1996, c 23 [la LAE] prévoient le versement de prestations de maternité et de prestations parentales, respectivement. Les prestations de maternité sont versées pendant 15 semaines, après quoi ce sont les prestations parentales qui sont versées. Une personne qui présente une demande de prestations parentales doit choisir entre deux options : les prestations standards ou les prestations prolongées. Les prestations standards sont versées pendant un maximum de 35 semaines au même taux que les prestations de maternité, tandis que les prestations prolongées sont versées pendant un maximum de 61 semaines, mais à un taux inférieur. Suivant le paragraphe 23(1.2), le choix entre les prestations standards et les prestations prolongées est irrévocable dès lors que des prestations sont versées.

[4] La défenderesse a présenté une demande de prestations de maternité et de prestations parentales deux jours après avoir accouché. Dans son formulaire de demande, elle a choisi l’option des prestations parentales prolongées et elle a demandé un maximum de 48 semaines de prestations parentales. Toutefois, elle a également indiqué dans son formulaire de demande qu’elle recommencerait à travailler 48 semaines après avoir cessé de travailler. Déduction faite des 15 semaines de prestations de maternité, elle ne devait recevoir des prestations parentales que durant 33 semaines.

[5] Lorsque la défenderesse a reçu son premier versement de prestations parentales, elle a constaté avec surprise que son taux avait diminué. Elle a demandé que la Commission lui verse plutôt des prestations parentales standards, ce que la Commission a refusé. La défenderesse a interjeté appel de la décision de la Commission auprès du Tribunal de la sécurité sociale [le Tribunal].

[6] Le 10 mai 2021, la division générale du Tribunal a donné raison à la défenderesse. Elle a considéré que « choisir » consiste à faire un choix délibéré parmi des options. Elle a conclu qu’un prestataire induit en erreur ou mal informé à propos de ses options n’est pas en mesure de faire un choix délibéré et que son choix est invalide.

[7] Dans le formulaire de demande de prestations, la question était ainsi formulée : [traduction] « Combien de semaines de prestations souhaitez‑vous demander? » La défenderesse a expliqué à la division générale avoir compris que l’on demandait le nombre total de semaines de prestations de maternité et de prestations parentales. La division générale a souligné que l’anglais n’était pas la langue maternelle de la défenderesse et que cette dernière avait rempli son formulaire de demande deux jours après avoir accouché, soit dans une période « où elle était fatiguée physiquement et émotivement, et où elle prenait des antidouleurs ». La division générale a également souligné que les réponses à propos de la durée des prestations dans le formulaire de la défenderesse étaient incompatibles. La date de retour au travail ne coïncidait pas avec la fin des 48 semaines de prestations parentales.

[8] La division générale, se fondant sur les considérations ci‑dessus, a conclu que le choix de la défenderesse était invalide, ce qui donnait à cette dernière le droit de choisir les prestations parentales standards La Commission a demandé la permission d’en appeler de la décision de la division générale auprès de la division d’appel.

[9] Le 13 juillet 2021, la division d’appel a rejeté la demande de permission d’en appeler de la décision. Elle a jugé que l’appel de la Commission n’avait aucune chance raisonnable de succès.

[10] À l’appui de sa demande de permission d’en appeler de la décision, la Commission a soulevé trois arguments : la division générale (1) n’avait pas analysé adéquatement la preuve, (2) n’avait pas imposé les obligations légales pertinentes à la défenderesse, et (3) n’avait pas appliqué le paragraphe 23(1.2) de la LAE.

Le défaut d’analyser la preuve

[11] La Commission a soutenu que la division générale, n’ayant pas examiné l’intégralité du formulaire de demande, n’avait pas analysé adéquatement la preuve. La Commission a mentionné que la question en litige, à savoir [traduction] « Combien de semaines de prestations souhaitez‑vous demander? », figurait dans la section intitulée [traduction] « Renseignements sur les parents ». De plus, dans la section [traduction] « Renseignements sur la mère » du formulaire, on demande à la personne qui demande les prestations si elle [traduction] « recevoir les prestations parentales immédiatement après avoir reçu des prestations de maternité ». Du point de vue de la Commission, ces sections du formulaire mettent en lumière la différence entre les prestations de maternité et les prestations parentales, et témoignent clairement du fait qu’on demandait uniquement à la défenderesse d’indiquer la durée des prestations parentales.

[12] La division d’appel a jugé que cette argumentation n’avait aucune chance raisonnable de succès. La division d’appel a conclu, étant donné qu’il était présumé que la division générale avait examiné l’intégralité de la preuve, que cette dernière avait examiné le contenu du formulaire de demande. La division d’appel a jugé que les sections du formulaire sur lesquelles s’était appuyée la Commission étaient « [n’étaient] pas éclairantes ou importantes au point où la division générale aurait dû les mentionner » et elle a souligné que la Commission elle‑même ne s’était pas appuyée sur ces sections en particulier dans son argumentation devant la division générale. La division d’appel a également jugé que l’on « ne signale pas dans ces parties qu’en répondant à la question “Combien de semaines de prestations souhaitez‑vous demander?”, une personne doit déduire de sa réponse les 15 semaines de prestations de maternité ».

[13] La division d’appel a également examiné la preuve au dossier et n’a relevé aucun élément que la division générale pourrait avoir négligé ou mal interprété.

Le défaut d’imposer des obligations légales à la prestataire

[14] La Commission, citant la décision de la Cour dans l’affaire Karval c Canada (Procureur général), 2021 CF 395 [Karval], a soutenu que les demandeurs doivent s’informer au sujet des prestations qu’ils demandent et poser des questions à la Commission s’ils n’en comprennent pas des éléments. La division d’appel a conclu que l’affaire Karval se distinguait de la présente affaire. Elle a souligné que, dans l’affaire Karval, la prestataire avait fourni dans son formulaire des réponses qui correspondaient toutes à l’option des prestations prolongées et qu’elle avait attendu six mois avant de demander le changement; ce délai qui donnait à penser que la demande découlait d’un changement dans sa situation, ce que la LAE interdit clairement. La division d’appel a jugé que, dans la présente affaire, les réponses dans le formulaire de la défenderesse étaient incompatibles entre elles, et, contrairement à la Cour dans la décision Karval, la division générale a conclu que la défenderesse avait été induite en erreur par les renseignements dans le formulaire, ce qui avait empêché cette dernière de faire un choix valide.

Le défaut d’appliquer le paragraphe 23(1.2) de la LAE

[15] La Commission a soutenu que la division générale n’avait pas appliqué le paragraphe 23(1.2) de la LAE. La division d’appel a souligné que la division générale avait pris acte du paragraphe 23(1.2), mais qu’elle avait suivi trois décisions antérieures du Tribunal de la sécurité sociale dans lesquelles il avait été conclu que, dans certaines affaires, le choix d’un prestataire est invalide : ML c Commission de l’assurance‑emploi du Canada, 2020 SST 255; Commission de l’assurance‑emploi du Canada c TB, 2019 SST 823; MH c Commission de l’assurance‑emploi du Canada, 2019 SST 1385. La division d’appel a également souligné que la division générale était tenue d’examiner la preuve et de déterminer l’option choisie, car les renseignements figurant dans le formulaire de demande étaient incompatibles entre eux.

[16] La défenderesse ne participe pas à la présente instance de contrôle judiciaire, et le demandeur a accepté de ne pas solliciter les dépens à l’encontre de la défenderesse.

Les questions en litige

[17] Le demandeur soutient que la décision relative à la demande de permission est déraisonnable et qu’elle soulève les questions suivantes :

  1. Le fait que la division d’appel n’a pas appliqué le paragraphe 23(1.2) de la LAE rend‑il la décision relative à la demande de permission déraisonnable?

  2. Le fait que la division d’appel a écarté les arguments du demandeur à propos du formulaire de demande rend‑il la décision relative à la demande de permission déraisonnable?

  3. Le fait que la décision d’appel a mal interprété la décision Karval rend‑il la décision relative à la demande de permission déraisonnable?

Analyse

[18] Pour obtenir la permission d’en appeler d’une décision de la division générale, un appelant doit seulement établir une « cause défendable » (voir Ingram c Canada (Procureur général), 2017 CF 259 au para 16). Ce critère est peu exigeant. La question dont la Cour est saisie est celle de savoir s’il était déraisonnable de conclure que le demandeur n’avait pas établi une cause défendable.

[19] Le paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34 [la Loi sur le MEDS] prévoit que les seuls moyens d’appel sont les suivants :

a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;

(a) the General Division failed to observe a principle of natural justice or otherwise acted beyond or refused to exercise its jurisdiction;

 

 

b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;

 

(b) the General Division erred in law in making its decision, whether or not the error appears on the face of the record; or

 

 

c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

(c) the General Division based its decision on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it.

[20] Je comprends assez la position du demandeur à l’égard des deux premières questions en litige; toutefois, je suis d’avis qu’elles sont toutes deux largement englobées par l’argument selon lequel la division d’appel a mal interprété la décision Karval et ne l’a pas appliquée aux faits qui lui ont été présentés. Je suis convaincu que ce motif de contrôle doit réussir pour les motifs qui suivent.

La décision Karval

[21] Lorsque Mme Karval a présenté sa demande, elle a choisi de recevoir des prestations parentales prolongées, mais, plus tard, elle a demandé de recevoir des prestations standards pendant 35 semaines. La Commission a refusé de modifier la demande, parce que le paragraphe 23(1.2) de la LAE prévoit que le choix est irrévocable dès lors que des prestations sont versées. Mme Karval a interjeté appel de la décision de la Commission devant la division générale, qui a rejeté son appel. La division d’appel a rejeté sa demande de permission d’en appeler de cette décision défavorable.

[22] La décision Karval a été rendue le 5 mai 2021, soit seulement cinq jours avant que la division générale ne rende la décision en l’espèce. Dans la décision Karval, le juge Barnes a clairement expliqué qu’un prestataire pourrait avoir des recours juridiques s’il a été induit en erreur, mais qu’être induit en erreur signifie que l’on s’est fié à « des renseignements officiels et erronés » (Karval au para 14). Aucun recours juridique ne s’offre au prestataire qui « ne possède tout simplement pas les connaissances nécessaires pour répondre correctement à des questions qui ne sont pas ambiguës ».

[23] La division d’appel a conclu que la décision Karval ne s’appliquait pas en l’espèce, parce que les faits différaient. Aux paragraphes 30 à 36 de la décision relative à la demande de permission, la division d’appel a expliqué pourquoi, à son avis, la décision Karval ne s’appliquait pas :

[30] Plus précisément, la Commission fait valoir que la division générale a ignoré la preuve de la prestataire selon laquelle elle était confuse lorsqu’elle a rempli son formulaire de demande et qu’elle ne comprenait pas vraiment la différence entre les options des prestations standards et prolongées. Selon la décision Karval, les personnes qui présentent une demande doivent s’informer au sujet des prestations qu’elles demandent et poser des questions à la Commission si elles ne comprennent pas certains éléments.

[31] Cependant, la décision Karval ne s’applique clairement pas dans l’affaire qui nous occupe.

[32] Mme Karval était peut‑être confuse pendant le processus de demande, mais toutes les réponses sur son formulaire de demande renvoyaient à l’option des prestations prolongées. De plus, même après que le montant de ses prestations d’assurance‑emploi avait diminué, elle a attendu six mois avant de communiquer avec la Commission pour demander de changer d’option. Il est donc vraisemblable qu’un changement de situation a motivé Mme Karval à demander de changer d’option. Cependant, la loi l’interdit clairement.

[33] Dans la décision Karval, la Cour a pris soin de faire une distinction entre les personnes qui manquent de connaissances pour répondre à des questions claires et celles qui sont induites en erreur en se fiant à l’information trompeuse que la Commission leur fournit.

[34] Dans l’affaire qui nous occupe, la division générale a établi que le formulaire de demande a induit la prestataire en erreur : le manque d’information claire et complète a empêché la prestataire de faire un choix valide.

[35] De plus, dans cette affaire, le formulaire de demande de la prestataire ne révélait pas un choix clair entre les deux options. Cela a permis à la division générale d’examiner la preuve et de déterminer quelle option la prestataire avait choisie dans les faits.

[36] Ces différences factuelles importantes signifient que la décision Karval ne s’applique pas dans la présente affaire.

[Renvois omis.] [Non souligné dans l’original.]

[24] La partie pertinente du formulaire de demande que la défenderesse a rempli en ligne est la suivante :

[traduction]
Renseignement sur la maternité

Les réponses aux questions et aux champs accompagnés d’un astérisque (*) sont obligatoires.

* La date prévue d’accouchement est ou était le : (JJ/MM/AAAA)

17/10/2020

* Avez‑vous accouché?

Oui

Non

* Date réelle de l’accouchement : (JJ/MM/AAAA)

17/10/2020

* Voulez‑vous recevoir des prestations parentales immédiatement après avoir reçu les prestations de maternité?

Oui, je veux recevoir des prestations parentales immédiatement après avoir reçu les prestations de maternité.

Non, je veux seulement recevoir un maximum de 15 semaines de prestations de maternité.

Si votre nouveau‑né est hospitalisé durant la période au cours de laquelle vous êtes admissibles aux prestations de maternité ou aux prestations parentales, communiquez avec nous au 1‑800‑206‑7218 pour vous assurer de recevoir toutes les prestations auxquelles vous avez droit.

Renseignements sur les parents

Les réponses aux questions et aux champs accompagnés d’un astérisque (*) sont obligatoires.

Les prestations parentales ne sont payables qu’aux parents biologiques, adoptifs ou légalement reconnus qui s’occupent de leur nouveau‑né ou de leur enfant nouvellement adopté.

Pour qu’une personne soit considérée comme un parent légal aux fins du versement des prestations parentales d’assurance‑emploi, si elle n’est pas le parent biologique ou adoptif, elle doit être reconnue comme tel par sa province ou son territoire sur le certificat de naissance et doit avoir pris un congé pour prendre soin de l’enfant ou des enfants.

Option standard :

  • Le taux de prestations est de 55 % de votre rémunération hebdomadaire assurable jusqu’à concurrence d’un montant maximal.

  • Jusqu’à 35 semaines de prestations sont payables à l’un des parents.

  • Si les prestations parentales sont partagées, jusqu’à un total combiné de 40 semaines sont payables si l’enfant est né ou a été placé en vue d’une adoption.

Option prolongée :

  • Le taux de prestations est de 33 % de votre rémunération hebdomadaire assurable jusqu’à concurrence d’un montant maximal.

  • Jusqu’à 61 semaines de prestations sont payables à l’un des parents.

  • Si les prestations parentales sont partagées, jusqu’à un total combiné de 69 semaines sont payables si l’enfant est né ou a été placé en vue d’une adoption.

Si les prestations parentales sont partagées, l’option choisie par le parent qui présente sa demande de prestations en premier s’applique à l’autre parent.

Il est important que les deux parents choisissent la même option afin d’éviter les retards ou le versement de prestations inexactes.

Une fois que des prestations parentales ont été versées pour le même enfant, il n’est plus possible de modifier le choix entre les prestations parentales standards et les prestations parentales prolongées.

* Sélectionnez le type de prestations parentales que vous souhaitez demander :

Option standard

Option prolongée

Renseignements sur les parents

Les questions et les champs marqués d’un astérisque (*) sont obligatoires.

* Combien de semaines de prestations demandez‑vous?

48

[25] La division générale, en concluant que les renseignements dans le formulaire de demande avaient induit en erreur Mme De Leon, a déclaré ce qui suit : « L’absence d’information claire dans la demande a empêché la prestataire de faire une sélection de prestations parentales valide. […] La prestataire a rempli la demande en fonction des instructions qui sont fournies. »

[26] Je conviens que les faits dans l’affaire Karval diffèrent de ceux de la présente affaire. Pour cette raison, on peut soutenir que l’affaire Karval se distingue de la présente affaire. Toutefois, il est aussi tout à fait possible de soutenir que la décision Karval s’applique malgré les différences factuelles. Comme le signale le demandeur, les affaires ont beaucoup de points en commun, notamment le fait que les formulaires de demande sont essentiellement identiques.

[27] La décision Karval établit clairement qu’un prestataire dispose de recours juridiques s’il a été induit en erreur, et, en l’espèce, la division générale, se fondant sur « l’absence d’information claire dans la demande », a conclu que la défenderesse avait été induite en erreur. Toutefois, la conclusion selon laquelle la défenderesse a été induite en erreur déroge à la décision Karval, dans laquelle il est précisé qu’un prestataire est induit en erreur uniquement « parce qu’il s’est fié à des renseignements officiels et erronés » (Karval au para 14).

[28] De plus, le juge Barnes, au paragraphe 11 de la décision Karval, a jugé qu’en soi, le formulaire de demande n’était pas trompeur :

L’affirmation de Mme Karval au sujet d’informations manquantes et de la confusion engendrée par le formulaire de demande de prestations, facteurs qui auraient mené à son erreur, pose plusieurs problèmes. Par exemple, les questions que Mme Karval trouve maintenant nébuleuses ne le sont pas, objectivement, et les explications données aux prestataires ne manquent pas vraiment de détails. Ce programme en soi n’est pas démesurément difficile à comprendre. Les prestations de maternité sont versées pendant 15 semaines, suivies de prestations parentales dont peuvent se prévaloir un des deux parents ou les deux. Les prestations parentales peuvent être calculées de deux façons. Il y a les prestations standards, qui correspondent à 55 % de la rémunération hebdomadaire assurable et sont versées pendant 35 semaines. Il y a aussi les prestations prolongées qui sont versées à un taux réduit (33 %) sur une période pouvant aller jusqu’à 61 semaines. Une fois que des prestations sont versées, le choix ne peut être modifié.

[29] Après examen du formulaire de demande, je souscris à l’avis du juge Barnes selon lequel les renseignements qu’il contient ne prêtent pas à confusion et ne sont pas incomplets.

[30] Dans les instructions qui accompagnent ce formulaire, on peut lire ce qui suit à l’étape 1 :

Choisissez des prestations

Prestations de maternité

Vous pouvez commencer à recevoir des prestations de maternité dès les 12 semaines précédant votre date prévue d’accouchement ou la date de votre accouchement. Vous ne pouvez pas recevoir ces prestations plus de 17 semaines après votre date prévue d’accouchement ou la date de votre accouchement, selon la plus tardive de ces 2 dates. Un maximum de 15 semaines de prestations est disponible.

Lorsque vous présentez une demande de prestations de maternité, vous pouvez aussi demander des prestations parentales. Cela vous fera gagner du temps plus tard.

Prestations parentales

Vous pouvez commencer à recevoir des prestations parentales la semaine où votre enfant naît ou vous est confié en vue de son adoption.

Lorsque vous présentez une demande de prestations parentales, vous devez choisir entre 2 options :

1. parentale standard (jusqu’à 35 semaines, jusqu’à 573 $ par semaine)

2. parentale prolongée (jusqu’à 61 semaines, jusqu’à 344 $ par semaine)

Si vous avez présenté une demande pour des prestations parentales au même moment que des prestations de maternité, vous n’avez pas à présenter une nouvelle demande.

Une fois que vous commencez à recevoir des prestations parentales, vous ne pouvez pas changer d’option.

[Caractères gras dans l’original.]

[31] En dépit des différences factuelles mineures entre la présente affaire et l’affaire Karval, l’observation que le juge Barnes a formulée au paragraphe 14 s’applique vraisemblablement tout autant à la défenderesse :

Si un prestataire est réellement induit en erreur parce qu’il s’est fié à des renseignements officiels et erronés, la doctrine des attentes raisonnables lui offre certains recours juridiques. Cependant, lorsqu’une prestataire comme Mme Karval n’est pas induite en erreur, mais qu’elle ne possède tout simplement pas les connaissances nécessaires pour répondre correctement à des questions qui ne sont pas ambiguës, il n’y a aucun recours possible en droit. Il incombe fondamentalement au prestataire d’analyser soigneusement les options possibles et de tenter de les comprendre puis, si des doutes subsistent, de poser des questions. Mme Karval a délibérément opté pour des prestations prolongées et, si elle avait lu le formulaire, elle aurait compris que le montant des prestations était alors moindre. Elle aurait été également au fait que son choix était irrévocable une fois que des prestations lui étaient versées. Ces éléments d’information étaient clairement énoncés dans le formulaire et résidaient au cœur de la décision de la division générale de rejeter son appel et de la décision du Tribunal de lui refuser la permission d’en appeler.

[Non souligné dans l’original.]

Conclusion

[32] Pour les motifs qui précèdent, je juge déraisonnable la conclusion de la division d’appel selon laquelle il n’y avait pas de cause défendable voulant que le défaut de tenir compte de la décision Karval constitue une erreur et son affirmation selon laquelle la Commission n’avait pas établi une cause défendable ou n’avait pas de chance raisonnable de succès en appel.

[33] La présente demande sera accueillie, la décision relative à la demande de permission sera annulée, et l’affaire sera renvoyée à la division d’appel, le tout sans dépens.


JUGEMENT dans le dossier T‑1254‑21

LA COUR STATUE que la présente demande est accueillie, que la décision de la division d’appel est annulée, que la demande de permission d’en appeler de la décision est renvoyée à un autre membre de la division d’appel pour qu’une nouvelle décision soit rendue conformément à ces motifs, et qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

[M. Deslippes]


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T1254‑21

 

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c KATHERINE DE LEON

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 janvier 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 13 avril 2022

 

COMPARUTIONS :

Tiffany Glover

POUR LE DEMANDEUR

Aucun

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Services juridiques d’EDSC

Gatineau (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

Aucun

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.