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Date : 20220422

Dossier : T-129-21

Référence : 2022 CF 588

[TRADUCTION FRANÇAISE]

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador), le 22 avril 2022

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

MOWI CANADA WEST INC., CERMAQ CANADA LTD., GRIEG SEAFOOD B.C. LTD., ET 622335 BRITISH COLUMBIA LTD.

demanderesses

et

MINISTRE DES PÊCHES, DES OCÉANS ET DE LA GARDE CÔTIÈRE CANADIENNE

défendeur

ALEXANDRA MORTON, FONDATION DAVID SUZUKI,

GEORGIA STRAIT ALLIANCE, LIVING OCEANS SOCIETY

ET WATERSHED WATCH SALMON SOCIETY,

FIRST NATIONS FISHERIES COUNCIL OF BRITISH COLUMBIA,

ASSEMBLÉE DES PREMIÈRES NATIONS DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE,

UNION OF BRITISH COLUMBIA INDIAN CHIEFS

ET FIRST NATIONS SUMMIT

intervenants

MOTIFS ET JUGEMENT

I. INTRODUCTION

[1] Dans un communiqué de presse (le communiqué) publié le 17 décembre 2020, le ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne (le ministre) a annoncé son « intention » :

- d’éliminer progressivement les exploitations de salmoniculture existantes dans les îles Discovery, en tenant compte que la période de 18 mois à venir est la dernière fois que des permis seront délivrés pour cette zone.

- de stipuler qu’aucun nouveau poisson, quelle que soit sa taille, ne puisse être introduit dans les exploitations des îles Discovery pendant cette période.

- d’exiger que toutes les exploitations soient exemptes de poissons d’ici le 30 juin 2022; mais de préciser que les poissons existants sur les sites peuvent achever leur cycle de croissance et être capturés.

[2] En réponse, quatre participants de l’industrie de la salmoniculture dans les îles Discovery, en Colombie-Britannique, ont déposé des demandes de contrôle judiciaire dans les 30 jours suivant la date du communiqué. Dans ces demandes, ils ont demandé la production du dossier certifié du tribunal (le DCT), conformément à l’alinéa 318(1)a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles).

[3] Dans le DCT, ils ont trouvé un mémoire écrit de M. Timothy Sargent, le sous-ministre, à l’intention du ministre, lequel est daté du 8 décembre 2020 et contient une recommandation au ministre. La dernière page du mémoire a indiqué au ministre qu’il avait le choix d’approuver la recommandation ou de ne pas l’approuver.

[4] Le ministre a coché la case indiquant qu’il ne souscrivait pas à la recommandation et a ajouté les commentaires suivants :

[traduction]

Je choisis plutôt de confirmer la directive discutée lors de la rencontre bilatérale du 11 décembre 2020 avec le sous‑ministre :

Je tranche en faveur du renouvellement temporaire (18 mois) des permis d’aquaculture des installations en exploitation dans les îles Discovery. Toutes les fermes d’élevage de cette région devront avoir cessé de garder des poissons dans des parcs au plus tard le 30 juin 2022.

- Entre la date du renouvellement des permis et le 30 juin 2022, aucun saumoneau provenant d’une écloserie ne pourra être introduit.

- L’intention est de laisser aux poissons qui se trouvent déjà dans les parcs le temps d’atteindre leur pleine croissance et d’être capturés, et ce, pour éviter que le respect des échéanciers doive passer par leur élimination.

[5] Les demanderesses n’ont découvert le mémoire et la décision du ministre que lorsqu’elles ont reçu le DCT.

[6] Les deux documents, c’est-à-dire le communiqué et les notes du ministre, tels qu’ils figurent dans le DCT, ont été publiés à des dates différentes.

[7] Aux fins de la présente demande de contrôle judiciaire, les deux documents sont considérés comme étant la décision (la décision) faisant l’objet du contrôle.

[8] Cela est conforme à l’avis du juge Pamel dans le cadre d’une requête en injonction dans la décision Mowi Canada West Inc., Cermaq Canada Ltd., Grieg Seafood B.C. Ltd., and 622335 British Columbia Ltd. v The Minister of Fisheries, Oceans and the Canadian Coast Guard, 2021 FC 293 (« Mowi no 1 ») aux paragraphes 25 et 26.

II. CONTEXTE

A. Historique procédural

[9] Par avis de demande émis le 18 janvier 2021, Mowi Canada West Inc. (Mowi), dans le dossier T-129-21, demande le contrôle judiciaire de la décision. Mowi renvoie à la décision comme suit :

[traduction]

a) délivrer des permis de pisciculture à Mowi Canada West Inc. pour les sites d’aquaculture situés dans les îles Discovery, en Colombie-Britannique;

b) interdire la délivrance de licences d’aquaculture nouvelles ou de remplacement pour les sites d’aquaculture situés dans les îles Discovery;

c) interdire le transfert d’autres poissons dans les sites d’aquaculture situés dans les îles Discovery.

[10] Mowi demande les réparations suivantes :

[traduction]

1. Une ordonnance infirmant ou annulant, en tout ou en partie (comme il est précisé ci-dessous), les décisions et renvoyant l’affaire au ministre pour nouvelle décision, conformément aux motifs de la Cour.

2. À titre subsidiaire, une déclaration selon laquelle les décisions étaient déraisonnables.

3. Également à titre subsidiaire, une déclaration selon laquelle les décisions ont été rendues de manière inéquitable sur le plan de la procédure.

4. Une ordonnance d’injonction provisoire et interlocutoire suspendant l’exécution des décisions, en tout ou en partie (comme il est précisé ci-dessous), de la politique, ou des deux en attendant l’audition de la présente demande.

5. Une ordonnance adjugeant des dépens à la demanderesse.

6. Toute autre réparation que l’avocat peut proposer et que la Cour peut autoriser.

[11] Par avis de demande émis le 18 janvier 2021, Cermaq Canada Ltd. (Cermaq), dans le dossier T-128-21, demande le contrôle judiciaire de la décision du ministre, datée du 17 décembre 2020, qui prévoit ce qui suit :

[traduction]

1. Les permis d’aquaculture des îles Discovery seraient renouvelés le lendemain pour une durée de 18 mois, et ce renouvellement serait le « dernier » à être accordé dans ces îles.

2. Malgré le renouvellement de ces permis, aucun autre poisson, quelle que soit sa taille, ne pourra être introduit dans les installations des îles Discovery.

3. Les élevages ne devront plus compter de poissons au 30 juin 2022 (la décision contraignante).

[12] Dans son avis de demande, Cermaq demande les réparations suivantes :

[traduction]

1. Un jugement déclarant que la décision contraignante est déraisonnable, ou illégale et déraisonnable à la fois.

2. À titre subsidiaire, si la décision sur les permis et la décision contraignante devaient être considérées comme une seule décision, un jugement déclarant que le volet de la décision contraignante relative au renouvellement unique des permis est déraisonnable, ou illégal et déraisonnable à la fois.

3. Un jugement déclarant que la décision contraignante a été prise d’une manière qui enfreint les principes de justice naturelle et d’équité procédurale.

4. À titre subsidiaire, si la décision sur les permis et la décision contraignante devaient être considérées comme une seule décision, un jugement déclarant que la décision a été prise d’une manière qui enfreint les principes de justice naturelle et d’équité procédurale.

5. Une ordonnance infirmant ou annulant la décision contraignante.

6. Une injonction provisoire ou interlocutoire interdisant que la décision contraignante soit appliquée jusqu’à ce qu’il soit statué sur la présente demande de contrôle judiciaire.

7. Les dépens.

8. Toute autre réparation que l’avocat peut proposer et que la Cour peut juger juste.

[13] Par avis de demande émis le 18 janvier 2021, Grieg Seafood B.C. Ltd. (Grieg) demande le contrôle judiciaire de la décision suivante :

[traduction]

1. La décision du ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne (le ministre) annoncée le 17 décembre 2020 qui a donné lieu à la délivrance, conformément à l’article 7 de la Loi sur les pêches, LRC 1985, c F-14 (Loi sur les pêches), du permis de pisciculture no AQFF 122912 pour un site d’aquaculture situé dans les îles Discovery, en Colombie-Britannique (le permis) à Grieg Seafood B.C. Ltd. (Grieg Seafood), sous réserve des conditions suivantes :

a) que les exploitations de salmoniculture existantes dans les îles Discovery soient progressivement éliminées, en tenant compte que la période de 18 mois à venir est la dernière fois que des permis seront délivrés pour cette zone;

b) qu’aucun nouveau poisson, quelle que soit sa taille, ne puisse être introduit dans les exploitations des îles Discovery pendant cette période;

c) que toutes les exploitations soient exemptes de poissons d’ici le 30 juin 2022, mais que les poissons existants sur les sites puissent achever leur cycle de croissance et être capturés (collectivement, les conditions).

[14] Dans son avis de demande, Grieg demande les réparations suivantes :

[traduction]

1. Une déclaration selon laquelle la décision de délivrer le permis sous réserve des conditions est invalide et illégale.

2. Une déclaration selon laquelle la décision de délivrer le permis sous réserve des conditions est déraisonnable.

3. À titre subsidiaire, une déclaration selon laquelle la décision de délivrer le permis sous réserve des conditions a été prise d’une manière qui enfreint les principes de justice naturelle et d’équité procédurale.

4. Une ordonnance infirmant ou annulant, en tout ou en partie, la décision de délivrer le permis sous réserve des conditions;

5. Une ordonnance radiant les conditions du permis;

6. Une injonction provisoire et interlocutoire interdisant l’exécution de la décision de délivrer le permis sous réserve des conditions jusqu’à ce qu’il soit statué sur la présente demande de contrôle judiciaire.

7. Les dépens de la présente demande.

8. Toute autre réparation que l’avocat peut proposer et que la Cour peut juger juste.

[15] Par avis de demande émis le 18 janvier 2021, 622335 British Columbia Ltd. (BC Ltd.), dans le dossier T-127-21, demande le contrôle judiciaire de la décision du ministre, datée du 17 décembre 2020 :

[traduction]

1. d’éliminer progressivement les exploitations de salmoniculture existantes dans les îles Discovery, en tenant compte que la période de 18 mois à venir est la dernière fois que des permis seront délivrés pour cette zone;

2. de stipuler qu’aucun nouveau poisson, quelle que soit sa taille, ne puisse être introduit dans les exploitations des îles Discovery pendant cette période;

3. d’exiger que toutes les exploitations soient exemptes de poissons d’ici le 30 juin 2022, mais de préciser que les poissons existants sur les sites peuvent achever leur cycle de croissance et être capturés.

[16] Dans son avis de demande, BC Ltd. demande les réparations suivantes :

[traduction]

1. Une ordonnance infirmant ou annulant la décision.

2. Une ordonnance d’injonction provisoire et interlocutoire interdisant la mise en œuvre de la décision en attendant qu’il soit statué sur la présente demande.

3. Les dépens de la demande.

4. Toute autre réparation que l’avocat peut proposer et que la Cour peut juger appropriée et juste.

[17] Par ordonnance datée du 2 février 2021, les demandes susmentionnées ont été fusionnées avec la procédure de Mowi, qui a été désignée comme étant l’affaire « principale ».

[18] Par ordonnance datée du 18 mars 2021, Alexandra Morton, la Fondation David Suzuki, la Georgia Strait Alliance, la Living Oceans Society et la Watershed Watch Salmon Society (collectivement, la coalition pour la conservation) ont obtenu l’autorisation d’intervenir dans les demandes conjointes de contrôle judiciaire.

[19] Par ordonnance datée du 18 août 2021, le First Nations Fisheries Council of British Columbia, l’Assemblée des Premières Nations de la Colombie-Britannique, l’Union of British Columbia Indian Chiefs et le First Nations Summit (collectivement, la coalition des Premières Nations) ont obtenu l’autorisation d’intervenir dans les demandes conjointes de contrôle judiciaire.

B. Les parties

[20] Mowi, Cermaq, Grieg et BC Ltd. exploitent des fermes de salmoniculture dans les îles Discovery, qui sont un groupe d’îles situées entre la côte est de l’île de Vancouver et la partie continentale de la Colombie-Britannique.

[21] Mowi, Cermaq et Grieg élèvent du saumon de l’Atlantique. BC Ltd. élève du saumon chinook.

[22] Le ministre est responsable de la gestion et du contrôle des pêches au Canada, y compris de la conservation et de la protection du poisson et de son habitat.

[23] Mowi possède dix sites d’aquaculture autorisés, aux termes d’un permis, dans les îles Discovery. Elle exploite également un site à Hardwicke.

[24] Cermaq possède trois sites d’aquaculture dans les îles Discovery.

[25] Grieg possède un site d’aquaculture dans les îles Discovery.

[26] BC Ltd. possède une exploitation de salmoniculture et une écloserie situées dans les îles Discovery, à la baie Doctor et à la ferme de la baie Doctor, respectivement.

C. Le processus de pisciculture

[27] Les éléments de preuve montrent que la province de la Colombie-Britannique accorde un permis pour la zone des exploitations de pisciculture, conformément à la Land Act, RSBC 1996, c 245. Le ministre accorde le permis d’exploitation piscicole en vertu de l’article 3 du Règlement du Pacifique sur l’aquaculture, DORS/2010-270, adopté en vertu de la Loi sur les pêches, LRC 1985, c F-14 (la Loi).

[28] Les paragraphes ci-dessous décrivent de manière générale le processus de pisciculture suivi par les demandeurs.

[29] Le processus de pisciculture commence par la collecte des œufs des géniteurs, c’est‑à‑dire les saumons sélectionnés pour engendrer les prochaines générations de poissons. Les œufs sont ensuite transférés vers les écloseries, où ils sont incubés jusqu’à leur éclosion.

[30] Les œufs récemment éclos sont appelés « alevins ». Les alevins sont transférés dans des réservoirs d’eau douce où ils poursuivent leur croissance jusqu’à ce qu’ils atteignent la taille de petits poissons. Les petits poissons sont appelés « tacons ».

[31] Les tacons demeurent dans les écloseries de douze à quatorze mois, jusqu’à ce que la smoltification se déclenche. La « smoltification » est le processus par lequel les tacons subissent les changements physiques et physiologiques requis pour leur permettre de migrer vers les eaux salées. Une fois la migration terminée, les poissons sont appelés « saumoneaux ».

[32] Les saumoneaux sont transférés des écloseries en eau douce à des parcs en eau salée ou des alevinières. Cela doit se produire dans la semaine qui suit la smoltification.

[33] Le transfert des saumoneaux des parcs en eau salée vers des alevinières aide à contrôler la propagation des parasites. Ces saumoneaux restent dans l’alevinière de six à huit mois avant d’être transférés dans le parc d’eau salée régulier.

[34] Les saumoneaux transférés dans une alevinière y restent de six à huit mois avant d’être transférés dans le parc en eau salée régulier pour les mois restants, la durée totale pouvant atteindre de dix-huit à vingt-quatre mois.

[35] Les saumoneaux transférés directement dans le parc en eau salée y demeurent de dix-huit à vingt-quatre mois.

[36] Après cette période de dix-huit à vingt-quatre mois, les saumoneaux auront atteint la taille optimale pour le marché et seront alors prêts à être récoltés et transportés hors des piscicultures.

[37] Après la récolte des poissons, il y a une période de « jachère » de quatre à cinq mois avant que la prochaine récolte de poissons soit transférée dans le site pour recommencer le processus. Si un site d’aquaculture est en « jachère », on n’y trouve aucun poisson. La mise en jachère est considérée comme une pratique exemplaire en matière d’environnement.

D. La Commission Cohen

[38] En vertu d’un décret émis par le gouverneur en conseil le 5 novembre 2009, le mandat d’une commission d’enquête, officiellement appelée « Commission d’enquête sur le déclin des populations de saumon rouge du fleuve Fraser » a été publié. L’honorable Bruce Cohen a été nommé commissaire. Après des consultations publiques, l’examen des observations et rapports écrits, la commission a présenté son rapport en octobre 2012.

[39] Le rapport comprenait trois volumes. Le volume 1 fournit le contexte de la pêche au saumon rouge du fleuve Fraser, y compris un aperçu de la structure organisationnelle de Pêches et Océans Canada (MPO). Le volume 2 concernait les causes du déclin de la pêche au saumon rouge dans le fleuve Fraser. Le volume 3 contenait 75 recommandations. Dans leurs observations, les demanderesses ont renvoyé à plusieurs de ces recommandations.

[40] Les recommandations 14 à 19 concernaient particulièrement la région des îles Discovery, une région définie comme zone de surveillance de la santé des poissons (ZSSP) 3.2.

[41] En réponse aux recommandations de la Commission Cohen, le Secrétariat canadien des avis scientifiques a produit neuf rapports scientifiques. Un rapport a été publié en 2017, cinq rapports ont été publiés en 2019 et trois rapports ont été publiés en 2020.

[42] L’industrie de l’aquaculture a participé à la préparation de ces rapports. Selon l’affidavit de Mme Parker, les rapports reposaient, dans une certaine mesure, sur des données provenant des exploitations de pisciculture.

[43] Mme Morrison, la directrice générale de Mowi, a participé à la préparation de l’un des rapports.

[44] La Commission Cohen a été examinée par toutes les parties à la présente instance. Les poissons élevés dans les exploitations des demanderesses migrent dans les mêmes eaux que le saumon sauvage. Certaines des Premières Nations craignent que la présence de saumon d’élevage dans les eaux du fleuve Fraser ne présente un risque pour la population de saumon sauvage, en particulier un risque de maladie. Des observations ont été présentées concernant le pou de mer et l’orthoréovirus pisciaire.

[45] En septembre 2020, la conclusion commune des neuf rapports était que l’aquaculture dans les îles Discovery ne pose qu’un risque de préjudice minime pour le saumon rouge du fleuve Fraser. Les rapports ont été mis à la disposition du ministre et du MPO. Le MPO ne conteste pas cette conclusion.

[46] Selon les éléments de preuve présentés par les demanderesses, y compris l’affidavit de Mme Parker, le ministre a été chargé d’élaborer d’ici 2025 un plan visant à passer de fermes en parcs en filets sur la côte ouest à des systèmes de confinement marin fermés. Ce plan a été examiné par le secrétaire parlementaire Beech en novembre 2020. Le plan prévu devrait inclure l’ensemble du secteur de l’aquaculture en Colombie-Britannique, y compris les îles Discovery.

III. DOSSIER CERTIFIÉ DU TRIBUNAL

[47] La décision du ministre était fondée sur son examen des documents contenus dans le DCT, qui a été produit conformément à l’article 318 des Règles.

[48] Le DCT a été préparé par Mme Judy Proctor, la chef de cabinet du sous-ministre du MPO. Le DCT comprend le certificat suivant, qui a été signé le 16 février 2021 :

[traduction]

Je soussignée, Jody Proctor, chef de cabinet du sous-ministre de Pêches et Océans Canada, ministère des Pêches et des Océans du Canada, d’Ottawa, dans la province d’Ontario, certifie par les présentes que les documents joints au présent certificat sont des copies conformes des documents dont était saisie l’honorable Bernadette Jordan, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne, lorsqu’elle a rendu sa décision concernant les permis et les activités d’aquaculture dans la région des îles Discovery, en Colombie-Britannique, le 16 décembre 2020.

[49] Le DCT, qui est constitué de 58 pages, comprend les documents suivants :

  • - mémoire à l’intention du ministre en vue d’une décision sur la question de la délivrance des permis de pisciculture marine dans les îles Discovery, daté du 16 décembre 2020;

  • o Le mémoire est un document de huit pages qui a été rédigé dans le but de demander au ministre de rendre une décision sur la délivrance de permis pour des sites d’aquaculture dans les îles Discovery. Pour éclairer la recommandation, le MPO a examiné neuf évaluations des risques examinées par des pairs, des données recueillies par le Programme de réglementation de l’aquaculture en Colombie-Britannique du MPO de 2011 à 2020, et des consultations auprès des Premières Nations et de l’industrie.

  • o Le mémoire décrit en détail les options disponibles pour la décision, y compris : (1) le non-renouvellement des permis; (2) le renouvellement des permis pour une période de six ans; (3) le renouvellement des permis pour une période d’un an; et (4) le renouvellement des permis jusqu’en juin 2022.

  • o Le mémoire recommandait que le ministre délivre les permis pour les sites d’aquaculture avec une date d’expiration du 30 juin 2022.

  • - une liste des sites d’aquaculture dans les îles Discovery;

  • - sommaires des évaluations des risques pour la région des îles Discovery;

  • o Chaque évaluation portait sur un agent pathogène connu pour causer des maladies dans les exploitations d’aquaculture dans les îles Discovery.

  • - rapport de conformité et de rendement dans les îles Discovery, 2011 à 2019-2020;

    • o Ce document est décrit comme suit : « Le présent rapport donne un aperçu du rendement des fermes piscicoles en matière d’environnement et de santé des poissons, dans la région géographique des îles Discovery, à la lumière des rapports sur les conditions de licence présentés par l’industrie ».

  • - compte rendu des consultations concernant les permis des sites d’aquaculture dans les îles de la découverte expirant le 18 décembre 2020, datée du 7 décembre 2020.

    • o Ce compte rendu comprend des résumés des consultations entre le MPO et les Premières Nations dans les îles Discovery, les Premières Nations à l’extérieur des îles Discovery et les demanderesses.

IV. LA DÉCISION

[50] Comme il a été mentionné ci-dessus, la décision a été rendue par le ministre le 16 décembre 2020. Les avis de demande déposés par les demanderesses renvoient aux 16 et 17 décembre 2020 comme date de la décision du ministre.

[51] Il ne s’agit pas d’une erreur.

[52] Les demanderesses n’ont découvert la décision du 16 décembre 2020 qu’au moment de la production du DCT, après l’invocation du processus de contrôle judiciaire. Elles ont découvert la décision après la publication d’un communiqué du MPO le 17 décembre 2020. Le communiqué a été publié sous le titre suivant :

Le gouvernement du Canada décide d’éliminer progressivement les permis d’élevage de saumon dans les îles Discovery à la suite de consultations avec les Premières Nations

[53] Dans ses observations, Mowi renvoie au 16 décembre 2020 comme date de la décision.

[54] De même, dans ses observations, Grieg renvoie au 16 décembre 2020 comme date de la décision. Toutefois, elle indique également que le communiqué du 17 décembre 2020 reflète ce qui a été mis en œuvre par le ministre et que le communiqué doit être pris en compte.

[55] Cermaq et BC Ltd. renvoient au 17 décembre 2020 comme date de la décision.

[56] Le ministre renvoie aux 16 et 17 décembre 2020 comme date de la décision. Dans ses observations orales, il a soutenu que le communiqué du 17 décembre 2020 était une [traduction] « précision » de la décision rendue le 16 décembre 2020, bien que la décision du 16 décembre 2020 n’eut pas encore été publiée ou distribuée.

V. LA PREUVE

[57] Les faits et les détails ci-dessous sont tirés du DCT et des affidavits déposés par les parties.

A. Les affidavits

[58] Chaque partie a déposé des affidavits dans leur dossier de demande respectif.

[59] Mowi a déposé les 13 affidavits suivants :

- Mme Diane Morrison, établi sous serment le 31 mai 2021;

- Mme Mia Parker, souscrit le 31 mai 2021;

- Mme Mia Parker, souscrit le 2 juin 2021;

- M. Richard Opala, souscrit le 28 mai 2021;

- Mme Allison Webb, souscrit le 9 juillet 2021;

- Mme Tracey Sandgathe, souscrit le 12 juillet 2021;

- M. Harold Sewid, établi sous serment le 5 mars 2021;

- Mme Heather Clarke, établi sous serment le 5 mars 2021;

- M. James Walkus, établi sous serment le 1er mars 2021;

- M. Ryan Brush, souscrit le 5 mars 2021;

- M. Ryan Early, établi sous serment le 4 mars 2021;

- M. John Brown, souscrit le 3 mars 2021;

- M. Andrew Adams, souscrit le 5 mars 2021.

[60] Cermaq a déposé les deux affidavits suivants :

- M. David Kiemele, établi sous serment le 31 mai 2021;

- M. Tom Foulds, établi sous serment le 31 mai 2021.

[61] Grieg a déposé les deux affidavits suivants :

- M. Marvin Boschman, établi sous serment le 31 mai 2021;

- Mme Kristin Storry, établi sous serment le 31 mai 2021.

[62] BC Ltd. a déposé les deux affidavits suivants :

- M. Robert Srepas, souscrit le 15 mars 2021;

- M. Robert Srepas, souscrit le 28 mai 2021.

[63] Le ministre a déposé les deux affidavits suivants :

- Mme Allison Webb, souscrit le 9 juillet 2021;

- Mme Tracey Sandgathe, souscrit le 12 juillet 2021.

[64] Dans son dossier, le ministre a également inclus les affidavits suivants, qui ont été produits dans les dossiers de Mowi et de Cermaq :

- M. Tom Foulds, établi sous serment le 31 mai 2021;

- M. David Kiemele, établi sous serment le 31 mai 2021;

- Mme Mia Parker, souscrit le 31 mai 2021;

- Mme Diane Morrison, établi sous serment le 31 mai 2021;

- M. Richard Opala, souscrit le 28 mai 2021.

[65] La coalition pour la conservation n’a produit aucun affidavit, mais s’est appuyée sur les affidavits suivants déposés par d’autres parties dans le cadre de la présente instance conjointe :

- Mme Allison Webb, souscrit le 9 juillet 2021;

- Mme Diane Morrison, établi sous serment le 31 mai 2021;

- M. Robert Srepas, souscrit le 15 mars 2021;

- Mme Mia Parker, souscrit le 31 mai 2021;

- Mme Tracey Sandgathe, souscrit le 12 juillet 2021.

[66] La coalition des Premières Nations n’a produit aucun affidavit, mais s’est appuyée sur les affidavits suivants déposés par d’autres parties dans le cadre de la présente instance conjointe :

- Mme Allison Webb, souscrit le 9 juillet 2021;

- Mme Mia Parker, souscrit le 31 mai 2021.

B. Les déposants

[67] Mme Morrison est la directrice générale de Mowi. Elle a donné un aperçu des activités commerciales de Mowi et a décrit les processus de planification de la production et de l’élevage de Mowi. Elle a abordé la question des répercussions négatives de la décision sur l’exploitation de Mowi.

[68] De plus, Mme Morrison a fourni un calendrier d’événements, comprenant des réunions, des appels téléphoniques, des courriels et une annonce, auxquels Mowi a participé dans le cadre de ses efforts pour communiquer avec le ministre au sujet des modifications proposées au processus de délivrance de permis pour les îles Discovery. Elle a déclaré que Mowi continuait à promouvoir des négociations axées sur les intérêts.

[69] Mme Parker est la directrice du rendement environnemental et de la certification chez Mowi. Dans le cadre de ce poste, elle s’assure que Mowi a obtenu tous les permis et autorisations nécessaires, qu’elle maintient les certifications appropriées et que les exploitations d’aquaculture respectent ou dépassent les exigences environnementales pertinentes.

[70] Mme Parker a également formulé des commentaires sur des exemples de consultations antérieures de l’industrie auprès du MPO afin d’illustrer en quoi le processus qui a mené à la décision du ministre de 2020 diffère des processus précédents.

[71] Mme Parker a également décrit des exemples de ses tentatives de parler avec le ministre et son personnel afin de discuter des décisions possibles concernant les exploitations dans les îles Discovery. Elle a déclaré que la seule réunion entre Mowi et le ministre concernant les exploitations dans les îles Discovery était une réunion de 30 minutes tenue le 10 décembre 2020. Elle était d’avis que la décision du ministre a été un choc pour l’industrie et le MPO, et que la décision semble avoir été prise soudainement.

[72] Mme Parker fait remarquer que le DCT ne contient pas l’ordre du jour ou le procès-verbal de la réunion du 11 décembre 2020 entre le ministre et le sous-ministre, à laquelle le ministre a renvoyé dans sa décision. Elle a également fait remarquer que le compte rendu des consultations auprès de l’industrie dans le DCT est daté du 7 décembre 2020, une date antérieure à la réunion du 10 décembre 2020 susmentionnée.

[73] M. Opala est le gestionnaire des affaires réglementaires de Mowi. Il est responsable du processus de réglementation des sites de Mowi en Colombie-Britannique. Il explique le processus d’obtention des permis annuels et la façon dont le processus de 2020 différait de celui des années précédentes.

[74] M. Opala a également fourni des renseignements généraux sur les sites de Mowi dans les îles Discovery. Il a formulé des commentaires sur sa participation à plusieurs réunions précédant la décision du ministre, lors desquelles il a exprimé des préoccupations concernant les conséquences qui surviendraient si les modifications prévues étaient apportées à l’aquaculture dans les îles Discovery.

[75] M. Opala a renvoyé au site de Hardwicke qui est exploité par Mowi dans une zone située à l’extérieur des îles Discovery, et a déclaré que celui-ci était touché par la décision.

[76] M. Opala a discuté du refus de quatre demandes de permis de transfert qui ont été présentées après que la décision a été rendue. Il a fait remarquer que le ministre a mentionné [traduction] « [l’]acceptabilité sociale » comme facteur du rejet des demandes et a déclaré que ces mots n’avaient jamais été utilisés auparavant comme critère de rejet d’une demande de permis de transfert; voir le paragraphe 68 de son affidavit.

[77] Mme Webb est la directrice régionale des services environnementaux et de la gestion des sites contaminés du ministère fédéral des Services publics et Approvisionnement Canada, région du Pacifique. Mowi a inclus son affidavit dans son dossier de demande.

[78] Mme Webb fournit des renseignements généraux sur la pisciculture marine en Colombie‑Britannique. Elle renvoie au rapport de la Commission Cohen et à la façon dont ses recommandations ont influé sur l’aquaculture dans les îles Discovery.

[79] Mme Webb a renvoyé à la lettre de mandat donné au ministre le 13 décembre 2019. Elle a déclaré que la lettre de mandat [traduction] « mettait l’accent sur l’importance de la relation du Canada avec les peuples autochtones ». Elle décrit en détail les consultations qui ont eu lieu entre le ministre, le MPO et les Premières Nations des îles Discovery avant que la décision ne soit rendue. Elle a également renvoyé à des consultations auprès de l’industrie, y compris auprès des demanderesses dans la présente instance conjointe. Elle avait assisté à la plupart de ces réunions.

[80] Mme Webb a également abordé la question du contenu du mémoire de la décision qui a été présenté au ministre pour éclairer la décision. Elle a indiqué que le ministre avait délivré des permis pour des fermes de saumon dans les îles Discovery le 18 décembre 2020, dont la date d’entrée en vigueur était le 19 décembre 2020.

[81] Mme Sandgathe, lorsqu’elle a établi son affidavit sous serment le 12 juillet 2021, était directrice de la gestion de l’aquaculture au sein du MPO. Bien que son affidavit ait été déposé au nom du ministre, Mowi l’a inclus dans son dossier de demande. Elle s’est jointe au MPO en 2009 et, selon son affidavit, a occupé un [traduction] « certain nombre de postes » de 2009 à 2021.

[82] Mme Sandgathe est responsable de la réglementation du secteur de l’aquaculture en Colombie-Britannique. Dans son affidavit, elle décrit les consultations continues auprès de participants de l’industrie de l’aquaculture. Mowi, Cermaq et Grieg ont assisté à plusieurs réunions avec le MPO.

[83] Mme Sandgathe fournit des renseignements généraux sur les permis de transfert de poisson et sur les demandes de permis de transfert présentées par Mowi, Cermaq et BC Ltd. après que la décision a été rendue.

[84] Mme Sandgathe ajoute que depuis la décision du 17 décembre 2020, c’est-à-dire le communiqué, le MPO a mis en œuvre deux modifications au processus par lequel les décisions de délivrer des permis de transfert sont prises.

[85] L’une de ces modifications est de permettre aux Premières Nations, dont le territoire chevauche la zone de transfert demandée, de présenter des observations sur les permis de transfert proposés.

[86] La deuxième modification concerne l’identité du décideur des demandes de transfert. Avant le 17 décembre 2020, les demandes de permis de transfert étaient tranchées par le directeur régional de la gestion des pêches du MPO. Après le 17 décembre 2020, les décisions finales concernant les demandes de permis de transfert sont rendues par le ministre, et non par l’un de ses délégués.

[87] Mowi a inclus dans son dossier des affidavits de personnes avec lesquelles elle a conclu des contrats concernant ses fermes de salmoniculture.

[88] M. Sewid est le chef de clan de Wiumasgum Qwe’Qwa’Sot’Enox, et le propriétaire de Qwe’Qwa’Sot’em Faith Aquaculture Ltd., avec laquelle Mowi fait affaire.

[89] M. Sewid a décrit les effets négatifs que la décision aura sur son entreprise puisque l’entreprise est liée à l’industrie d’aquaculture de Mowi. Il a affirmé qu’il n’avait pas eu la possibilité de participer aux consultations et que la décision était un choc pour lui et sa collectivité.

[90] Mme Clark est cofondatrice et dirigeante principale des finances de Poseidon Ocean System, une entreprise qui fournit des technologies durables à Mowi, à Cermaq et à Grieg afin de réduire l’empreinte carbone de la salmoniculture.

[91] Mme Clark décrit comment la décision a influé négativement sur son entreprise, et indique qu’on lui a enlevé la possibilité de concevoir localement des solutions pour l’industrie de l’aquaculture.

[92] Mme Clark a déclaré qu’on ne lui a pas demandé de participer à des consultations avec le ministre ou le MPO.

[93] M. Walkus est propriétaire de James Walkus Fishing Company, un entrepreneur de Mowi. Il est un pêcheur commercial des Premières Nations qui emploie principalement des Autochtones. Son entreprise transporte du poisson des fermes vers des usines de transformation; ce transport représente environ 30 % des activités de son entreprise.

[94] Dans son affidavit, M. Walkus a décrit les répercussions de la décision sur son entreprise, sa famille et la collectivité. Il a affirmé que sa Première Nation et les autres collectivités touchées n’ont pas été incluses dans les consultations du ministre.

[95] M. Brush est le directeur général d’Aquatrans Distributors Ltd., un entrepreneur de Mowi. L’entreprise fournit des services de transport de marchandises réfrigérées et de gestion de l’approvisionnement à Mowi, à Cermaq et à Grieg.

[96] M. Brush a déclaré qu’il a suivi les rapports publiés par le MPO au cours des années précédant la décision. Il a affirmé qu’il n’avait participé à aucune consultation, qu’il avait été [traduction] « surpris » par la décision et que son entreprise souffre maintenant sur le plan financier.

[97] M. Early est le copropriétaire de Way West Taxi Ltd. Il a décrit comment la décision de mettre fin à la pisciculture dans les îles Discovery a contribué au déclin de son entreprise et au licenciement de certains employés.

[98] M. Brown est le président d’Allpen Diving Limited, un entrepreneur de Mowi et de Grieg. Son entreprise construit des systèmes sous-marins dans les îles Discovery et contribue aux programmes sous-marins écologiques utilisés par Mowi.

[99] M. Brown a déclaré qu’on ne lui a pas demandé de participer à des consultations et que la décision aura de graves répercussions sur son entreprise.

[100] M. Adams est maire de Campbell River. Il a déclaré que sa ville dépend largement des activités de Mowi et qu’elle souffrira de la perte d’emplois et de contributions à l’économie.

[101] M. Adams a déclaré que le ministre n’avait entrepris aucune consultation auprès des gouvernements de North Island et que personne n’avait prévenu que la fin de l’industrie de la pisciculture était envisagée.

[102] M. Boschman est le directeur général de Grieg. Il travaille dans l’industrie de l’aquaculture depuis environ 30 ans.

[103] Dans son affidavit, M. Boschman a décrit le rôle de Grieg dans les collectivités environnantes, ses relations avec les Premières Nations, le site touché par la décision, les processus de planification et de salmoniculture, et les événements qui ont mené à la décision du ministre.

[104] De plus, M. Boschman a mentionné certaines des discussions qui ont eu lieu avant l’annonce de la décision, et a renvoyé aux expériences passées de Grieg en matière de consultations avec le MPO. Il a présenté ces exemples pour illustrer une différence dans les processus décisionnels et de consultation par rapport à la décision, comparativement aux autres décisions prises par le MPO.

[105] Mme Storry est la gestionnaire de la certification et de la réglementation de Grieg. Dans son affidavit, elle décrit les réunions et les communications entre Grieg et le MPO qui ont précédé l’octroi d’un nouveau permis d’aquaculture pour les activités de Grieg sur le site de la baie Barnes, le 18 décembre 2020.

[106] M. Smeal est le président, le secrétaire et le seul directeur de BC Ltd. Dans son premier affidavit, il raconte l’histoire de l’établissement de la ferme de salmoniculture à la baie Doctor, située dans les îles Discovery. Il a également examiné l’historique des relations de son entreprise avec les collectivités des Premières Nations environnantes.

[107] M. Smeal a donné une description détaillée de l’exploitation piscicole de l’entreprise, qui ne comprend que la production de saumon chinook. Il a fourni des détails sur son exploitation et la différence entre le saumon chinook et le saumon de l’Atlantique. Il a déclaré que l’écloserie était exempte de maladie, y compris le pou de mer, depuis sa création.

[108] M. Smeal a également décrit son expérience du processus de consultation et a exprimé son opinion selon laquelle le processus était insuffisant. Il a abordé la question de l’incidence de la décision sur son entreprise, ainsi que sur le poisson qui est actuellement en cycle de production.

[109] Dans son deuxième affidavit, M. Smeal a répondu au contenu de l’affidavit du chef Darren Blaney. L’affidavit du chef Blaney a été déposé par la Première Nation Homalco à l’appui de sa requête en vue d’être constituée défenderesse ou, subsidiairement, intervenante. M. Smeal conteste les affirmations du chef Blaney selon lesquelles la ferme de la baie Doctor est une [traduction] « source d’agents pathogènes, de poux de mer ou d’autres contaminants ».

[110] M. Kiemele est le directeur général de Cermaq. À ce titre, il est responsable de la surveillance des activités commerciales de l’entreprise. Dans son affidavit, il a décrit l’histoire et les cycles de production de l’entreprise, ainsi que son entente avec les Premières Nations voisines.

[111] M. Kiemele a discuté de la participation de Cermaq dans les conversations qui ont mené à la décision et a formulé des commentaires sur la différence entre ce processus et le processus suivi à l’égard de l’archipel Broughton.

[112] De plus, M. Kiemele a décrit l’incidence de la décision sur les activités de Cermaq dans les îles Discovery, y compris les pertes d’emplois, les répercussions financières, l’abattage de poisson et les relations avec les collectivités partenaires.

[113] M. Foulds est le gestionnaire du développement durable et de l’environnement de Cermaq. Il a donné un aperçu du processus de délivrance de permis d’aquaculture en Colombie‑Britannique, ainsi qu’un historique des processus de délivrance de permis individuels auxquels Cermaq avait participé. Il a également formulé des commentaires sur sa participation, au nom de Cermaq, aux processus de consultation antérieurs et sur la façon dont le processus de 2020 différait des processus antérieurs.

[114] Les déposants suivants ont été contre-interrogés au sujet de leurs affidavits :

- Mme Webb, au nom du ministre;

- Mme Sandgathe, au nom du ministre;

- Mme Morrison, au nom de Mowi;

- Mme Parker, au nom de Mowi;

- M. Opala, au nom de Mowi;

- M. Kiemele, au nom de Cermaq;

- M. Foulds, au nom de Cermaq;

- M. Boschman, au nom de Grieg;

- M. Smeal, au nom de BC Ltd.

[115] Les transcriptions de tous les contre-interrogatoires ont été produites et déposées en preuve par la partie qui a procédé aux contre-interrogatoires.

VI. OBSERVATIONS

A. Observations des demanderesses

[116] Les avocats des demanderesses ont traité, de façon générale et à l’aide d’arguments précis, la nature de la décision, c’est-à-dire une décision concernant la délivrance de permis qui présente des éléments d’équité procédurale, et son caractère déraisonnable, en commençant par l’absence de motifs.

[117] Les demanderesses soutiennent que, selon le DCT, le ministre lui-même définit la décision comme une décision concernant la [traduction] « délivrance de permis ». Elles font valoir qu’elles avaient donc droit aux éléments fondamentaux de l’équité procédurale, qu’elles avaient le droit de savoir ce qui était examiné, qu’elles n’ont pas été informées d’un plan visant à mettre fin aux transferts dans les exploitations de pisciculture et qu’on leur a refusé la possibilité d’être entendues. Entre autres, elles s’appuient sur les décisions Canadian Pacific Railway Company c Canada (Transportation Agency), 2021 CAF 69 (Canadian Pacific CAF), Keating c Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2002 CFPI 1174, Comeau’s Sea Foods c Canada, [1997] 1 RCS 12 ,et Taseko Mines Limited c Canada (Environnement), 2019 CAF 320 (Taseko CAF).

[118] Les demanderesses s’appuient sur la décision Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 (Baker), pour souligner les éléments d’équité procédurale auxquels elles avaient droit. Notamment, elles plaident la doctrine des attentes légitimes, en se fondant sur la décision Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), [2019] 1 RCF 121 (Canadien Pacifique CAF), ainsi que sur les arrêts Baker, précité, et Agraira c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), [2013] 2 RCS 559.

[119] Dans le cadre de leurs observations sur les attentes légitimes, les demanderesses soutiennent que la décision a été rendue sans tenir compte des pratiques antérieures en matière de consultation entre le MPO et l’industrie.

[120] BC Ltd. fait valoir que le ministre n’a pas tenu compte des faits qui distinguent son exploitation des grandes exploitations industrielles de Mowi, de Cermaq et de Grieg.

[121] Les demanderesses soutiennent que le ministre a entravé à tort l’exercice de son pouvoir discrétionnaire à l’égard de la délivrance de permis.

[122] De plus, les demanderesses affirment que l’absence de motifs pour justifier la décision constitue un manquement à l’équité procédurale.

[123] Toutes les demanderesses s’appuient sur l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov), à l’appui de leurs arguments selon lesquels la décision est déraisonnable.

B. Observations du ministre

[124] Le ministre soutient que la décision est une décision politique rendue dans l’exercice de ses pouvoirs législatifs de gérer les pêches, dans l’intérêt de la population du Canada, en accordant une attention particulière aux intérêts des Premières Nations.

[125] Le ministre fait valoir qu’il n’a aucune obligation d’équité procédurale lorsqu’il rend une décision politique, mais que s’il avait une telle obligation, celle-ci se situe au bas de l’échelle.

[126] Le ministre soutient que les demanderesses n’avaient pas le droit de connaître les préoccupations des Premières Nations ni d’avoir la possibilité de répondre à ces préoccupations. Il fait valoir que, dans la mesure où les demanderesses avaient des attentes légitimes à l’égard du processus, ces attentes ont été satisfaites.

[127] Le ministre affirme que les demanderesses savaient ce qui était examiné puisqu’il avait eu des discussions avec l’industrie et les Premières Nations. Il affirme que chaque demanderesse a eu la possibilité de soulever ses préoccupations, y compris concernant la force de la science sur laquelle s’est fondé le MPO, le pou de mer, les relations avec les Premières Nations et les répercussions socioéconomiques de la décision.

[128] En décrivant la décision comme une décision politique, le ministre se fonde sur l’arrêt Maple Lodge Farms Ltd c Canada, [1982] 2 RCS 2 (Maple Lodge), ainsi que sur les décisions Barry Group Inc c Canada (Pêches, Océans et Garde côtière), 2017 CF 1144, et Barry Seafoods NB Inc c Canada (Pêches, Océans et Garde côtière), 2021 CF 725 (Barry Seafoods 2021).

[129] De plus, le ministre fait valoir que les demanderesses avaient non seulement une connaissance par déduction du plan de fermeture des exploitations de salmoniculture, mais qu’elles avaient une connaissance directe du plan à venir, puisqu’elles ont participé aux réunions avec le Conseil consultatif sur l’industrie aquacole des poissons à nageoires (CCIAP), en particulier en octobre et en novembre 2020.

[130] Le ministre soutient que la décision satisfait au critère énoncé dans l’arrêt Vavilov, précité. Elle affirme que des motifs suffisants ont été fournis et que, quoi qu’il en soit, les motifs peuvent être [traduction] « saisis » à partir du DCT.

[131] Le ministre fait valoir que la décision était raisonnable en ce qui a trait à sa nature en tant que décision politique. Il s’appuie sur le vaste pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 7 de la Loi et souligne également les récentes modifications apportées à la Loi, qui renvoient particulièrement à la prise en compte des intérêts des Premières Nations, c’est-à-dire l’ajout des articles 2.3, 2.4 et 2.5.

C. Observations des intervenants

[132] Dans ses observations orales, le groupe d’intervenants connu sous le nom de coalition des Premières Nations a abordé la question de [traduction] « la façon dont les obligations constitutionnelles du Canada envers les peuples autochtones guide l’examen du caractère raisonnable de cette décision et le confirment ».

[133] La coalition des Premières Nations soutient que la décision est raisonnable, compte tenu des obligations constitutionnelles du Canada envers les peuples autochtones. Elle renvoie à l’honneur de la Couronne et à l’obligation de consulter et de tenir compte des préoccupations des Premières Nations. Elle fait valoir que les modifications apportées à la Loi en 2019 exigent que le ministre tienne compte des effets négatifs que ses décisions peuvent avoir sur les droits conférés par l’article 35 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, qui constitue l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11.

[134] Dans ses observations orales, le groupe d’intervenants connu sous le nom de coalition pour la conservation a abordé la façon dont, [traduction] « du point de vue de l’interprétation de la loi, la priorité de conservation et le principe de précaution devraient guider l’examen de la Cour de la question de savoir si cette décision était raisonnable et équitable ».

[135] La coalition pour la conservation s’est concentrée sur le principe de précaution. Ce principe prévoit qu’un manque de certitude scientifique ne devrait pas servir de prétexte pour reporter des mesures visant à protéger l’environnement.

[136] La coalition pour la conservation fait remarquer que les modifications apportées à la Loi en 2019 incluaient l’ajout du principe de précaution à l’article 2.5. Elle s’appuie sur l’arrêt 114957 Canada Ltée (Spraytech, Société d’arrosage) c Hudson (Ville), [2001] 2 RCS 241, et sur la décision Morton c Canada (Pêches et Océans), 2015 CF 575, pour faire valoir qu’en appliquant le principe de précaution, le ministre doit être en mesure d’examiner plus que les renseignements scientifiques générés par le MPO.

[137] La coalition pour la conservation soutient qu’il n’est pas nécessaire d’apprécier de nouveau l’évaluation des risques du ministre tant que ce dernier disposait d’élément de preuve concernant l’incertitude et le risque continus, et ces éléments de preuve existent en l’espèce.

VII. ANALYSE ET DÉCISION

[138] Souvent, la première question à examiner dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire est la norme de contrôle. La norme de contrôle est déterminée par la nature de la décision. Toutefois, en l’espèce, les circonstances exigent d’abord une discussion sur ce qu’est la décision.

A. Nature de la décision

[139] Au moyen d’un communiqué publié par le MPO le 17 décembre 2020, les demanderesses et d’autres personnes ont été informées que le ministre avait l’intention : de mettre fin à la salmoniculture dans les îles Discovery à la fin de la période de 18 mois à venir pour laquelle des permis seraient délivrés; d’interdire l’introduction de nouveaux poissons, « quelle que soit [leur] taille », dans ces exploitations pendant cette période; et « d’exiger » que toutes les exploitations de pisciculture soient « exemptes » de poisson d’ici le 30 juin 2022 et que les poissons existants sur ces sites puissent achever leur cycle de croissance et être capturés.

[140] Le communiqué était une annonce publique et a mené à l’introduction des demandes de contrôle judiciaire mentionnées dans les présentes.

[141] Les avis de demande comprenaient une demande de production du dossier du tribunal. Lorsque le DCT a été fourni, les demanderesses ont été informées de la réponse du ministre aux recommandations de son personnel au sujet des exploitations de salmoniculture dans les îles Discovery.

[142] Les demanderesses font remarquer des différences importantes entre le communiqué du 17 décembre 2020 et les notes du ministre, tel qu’elles figurent dans le DCT. Bien que ces différences soient examinées ci-dessous, la question immédiate consiste à déterminer la « décision » et son caractère.

[143] Dans les motifs de la décision Mowi no 1 susmentionnée, dans le cadre de la requête en injonction présentée par Mowi et BC Ltd., le juge Pamel a déclaré ce qui suit aux paragraphes 25 et 26 :

[traduction]

Lorsque plusieurs aspects d’une décision concernent les mêmes parties, découlent des mêmes faits et proviennent du même décideur, la Cour les considérera habituellement comme une seule décision (Barry Group Inc c Canada (Pêches, Océans et Garde côtière), 2017 CF 1144 au para 28), et les examinera ensemble dans la même demande de contrôle judiciaire, nonobstant l’article 302 des Règles des Cours fédérales (Lessard-Gauvin c Canada (Procureur général), 2016 CF 227 au para 6).

Le ministre déclare que la note, qui a consigné sa décision exprimée le 16 décembre 2020, est le document qu’elle et son sous-ministre utilisent pour communiquer la décision interne, tandis que le communiqué du 17 décembre 2020 est la décision opérationnelle. Les parties ont convenu que les deux devraient être examinés ensemble aux fins des présentes requêtes et des procédures sous-jacentes [collectivement, la décision ou la décision du ministre].

[144] Je ne vois aucune raison de m’écarter de l’avis du juge Pamel selon laquelle la « décision » comprend à la fois un communiqué et une note dans le DCT.

[145] La décision concerne à la fois la poursuite des exploitations de pisciculture après le 30 juin 2022 et le transfert de poissons dans les exploitations.

[146] La nature de la décision déterminera si les demanderesses ont droit à l’équité procédurale, et, le cas échéant, l’étendue et le contenu de l’équité procédurale.

[147] La position des principales parties est claire : les demanderesses font valoir que la décision est une décision administrative concernant la délivrance de permis qui comporte la protection « habituelle » de l’équité procédurale, c’est-à-dire un avis de la décision envisagée et la possibilité d’être entendu. Elles soutiennent que la pratique antérieure en matière de consultations a donné lieu à des attentes légitimes qu’elles seraient informées et qu’elles auraient la possibilité de soulever leurs préoccupations, y compris l’incidence sur leurs cycles de planification et de production, ainsi que les conséquences économiques importantes découlant d’une fermeture complète.

[148] D’un autre côté, le ministre soutient que sa décision est largement politique et qu’elle a été rendue dans le cadre de l’exercice de son pouvoir en matière de gestion des pêches. Elle fait valoir que la Loi n’impose aucune obligation d’équité procédurale à l’égard de ces décisions, et elle renvoie à la jurisprudence qui appuie son avis selon lequel les demanderesses n’ont pas droit à l’équité procédurale; voir Assoc canadienne des importateurs réglementés c Canada (Procureur général), [1994] 2 CF 247, autorisation d’appel refusée [1994] 2 RCS vi, et Martineau c Matsqui Disciplinary Bd, [1980] 1 RCS 602.

[149] Toutefois, le ministre soulève un autre argument dans l’éventualité où la Cour reconnaîtrait l’existence d’une obligation d’équité procédurale. Dans les présentes circonstances, il soutient que toute obligation d’équité procédurale relève du bas du spectre, en se fondant sur la décision Taseko Mines Limited c Canada (Environnement), 2017 CF 110, conf par Taseko CAF, autorisation d’appel à la CSC refusée 39066 (le 14 mai 2020).

[150] La décision comprend à la fois le communiqué et la note du ministre du 16 décembre 2020 dans le mémoire présenté par le sous-ministre. Le mémoire constitue les huit premières pages du DCT et se termine par quatre options pour le ministre :

[traduction]

  • - Non-renouvellement des permis

  • - Renouvellement des permis pour une période de six ans

  • - Renouvellement des permis pour une période d’un an

  • - Renouvellement des permis jusqu’en juin 2022

[151] Suivant la quatrième option, le mémoire à l’intention du ministre comprend la recommandation suivante :

[traduction]

Il est recommandé de délivrer aux installations actuellement autorisées dans les îles Discovery des permis expirant le 30 juin 2022. L’approche recommandée est fondée sur le Cadre de gestion des risques liés à l’aquaculture (CGRA) du MPO, qui intègre l’approche de précaution dans son évaluation des risques, et cette approche est compatible avec le CGRA.

Il est également recommandé que les mesures supplémentaires complémentaires décrites ci-dessous soient mises en œuvre et annoncées en même temps qu’une annonce sur le renouvellement des permis.

[152] Le sommaire du mémoire renvoie à une décision concernant la [traduction] « délivrance de permis », conformément à la première phrase suivante : [traduction] « L’objet du présent exposé est d’obtenir une décision sur la délivrance des permis concernant 19 sites de pisciculture […] ».

[153] Compte tenu de l’accent mis sur le communiqué et les propres mots du ministre, ainsi que du contenu du mémoire du sous-ministre et des intérêts des demanderesses, je suis convaincue que le ministre a rendu une décision concernant la délivrance de permis, qui a touché des personnes et non des pêches.

[154] Je suis d’accord avec les observations des demanderesses selon lesquelles une décision concernant la [traduction] « délivrance de permis » est protégée par l’équité procédurale.

B. Norme de contrôle

[155] Il est maintenant approprié d’examiner les normes de contrôle applicables.

[156] Il est établi que les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte. Je renvoie à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339, ainsi qu’aux arrêts Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196, et Canadien Pacifique CAF, précitée.

[157] Le bien-fondé de la décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, conformément aux directives formulées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov, précité.

[158] Les demanderesses renvoient également aux arrêts Portnov c Canada (Procureur général), 2021 CAF 171 (Portnov), et Alexion Pharmaceuticals Inc c Canada (Procureur général), 2021 CAF 157.

[159] Selon l’arrêt Vavilov, précité, la norme de la décision raisonnable exige que la Cour se demande si la décision faisant l’objet du contrôle « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci ».

C. Équité procédurale

[160] Dans l’arrêt Cardinal c Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 RCS 643, la Cour suprême du Canada a examiné l’obligation d’équité procédurale découlant d’un régime réglementaire particulier, soit le Règlement sur le service des pénitenciers. Toutefois, au paragraphe 14, elle a reconnu le principe général de common law selon lequel « une obligation de respecter l’équité dans la procédure incombe à tout organisme public qui rend des décisions administratives qui ne sont pas de nature législative et qui touchent les droits, privilèges ou biens d’une personne ».

[161] Dans l’arrêt Knight c Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 RCS 653, la Cour suprême du Canada a formulé des commentaires sur les circonstances dans le cadre desquelles l’obligation d’équité est déclenchée. Elle a déclaré ce qui suit au paragraphe 50 :

Tout comme les principes de justice naturelle, la notion d’équité procédurale est éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas.

Notre Cour a souligné une fois de plus très récemment dans l’arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), précité, où le juge Sopinka écrit au nom de la majorité, aux pages 895 et 896 :

Aussi bien les règles de justice naturelle que l’obligation d’agir équitablement sont des normes variables. Leur contenu dépend des circonstances de l’affaire, des dispositions législatives en cause et de la nature de la question à trancher. La distinction entre elles s’estompe donc lorsqu’on approche du bas de l’échelle dans le cas de tribunaux judiciaires ou quasi judiciaires et du haut de l’échelle dans le cas de tribunaux administratifs ou exécutifs. C’est pourquoi on ne détermine plus maintenant le contenu des règles à suivre par un tribunal en essayant de le ranger dans la catégorie de tribunal judiciaire, quasi judiciaire, administratif ou exécutif. Au contraire, on décide du contenu de ces règles en tenant compte de toutes les circonstances dans lesquelles fonctionne le tribunal en question. [Je souligne.]

[162] Je renvoie à l’arrêt Baker, précité aux paragraphes 21 à 28, où la Cour suprême a présenté une liste non exhaustive de facteurs qui influent sur le contenu de l’équité procédurale. La Cour suprême a relevé les facteurs suivants :

  1. la nature de la décision et le processus suivi pour y parvenir;

  2. nature du régime législatif et les termes de la loi en vertu de laquelle agit le décideur;

  3. l’importance de la décision pour les personnes visées;

  4. les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision;

  5. les choix de procédure que le décideur fait.

[163] Les demanderesses se concentrent sur les troisième et quatrième facteurs, bien qu’elles aient également renvoyé au cinquième facteur.

i. Importance de la décision

[164] On ne saurait trop insister sur l’importance de la décision pour les demanderesses.

[165] Sans permis de transfert, les exploitations de pisciculture ne peuvent pas fonctionner. Le refus de délivrer des permis de transfert signifie la fin des exploitations de pisciculture dans les îles Discovery.

[166] La preuve par affidavit présentée décrit les investissements faits par les demanderesses dans leurs exploitations de pisciculture. Les demanderesses élèvent du poisson dans les îles Discovery depuis bien des années. Elles ont fait des investissements importants dans la planification nécessaire. Au paragraphe 50 de son affidavit, Mme Morrison décrit la planification comme suit :

[traduction]

[…] retenir les services d’entrepreneurs externes, commander des vaccins (tous les poissons sont vaccinés avant de subir une smoltification; les œufs des géniteurs reçoivent des vaccins supplémentaires), planifier les bateaux-viviers et s’assurer que les exploitations requises sont disponibles et prêtes à recevoir du poisson au moment opportun.

[167] Les éléments de preuve du ministre ne réfutent pas les éléments de preuve sur les investissements importants et la planification détaillée de l’élevage et de la capture du poisson d’élevage.

[168] Les éléments de preuve des demanderesses abordent également les conséquences économiques de la fermeture soudaine et imprévue de leurs exploitations. Ces conséquences se répercutent dans les collectivités auxquelles les demanderesses offrent des emplois. Les affidavits de M. Adams, maire de Campbell River, et de M. Early, copropriétaire de Way West Water Taxi Ltd., entre autres, donnent des exemples de perte d’emplois liée à la décision.

[169] Les éléments de preuve des demanderesses abordent également les pertes potentielles découlant de la décision.

[170] Mowi a fourni des éléments de preuve selon lesquels, à la suite de la décision, 30 % de ses activités prendraient fin dans les 18 prochains mois. Cermaq a fourni des éléments de preuve selon lesquels ses sites dans les îles Discovery représentent 35 % et 12 % de son volume annuel de poisson capturé. Grieg a fourni des éléments de preuve selon lesquels la décision entraînera une perte d’environ 5 % de sa production annuelle, en plus d’autres pertes financières.

[171] M. Smeal, au nom de BC Ltd., a témoigné que son entreprise disparaîtra.

[172] Dans l’arrêt Morton v British Columbia (Agriculture and Lands) (2010), 2 BCLR (5th) 306 (Morton 2010), la Cour suprême de la Colombie-Britannique a statué que la réglementation de l’aquaculture dans les eaux au large de la Colombie-Britannique relevait de la compétence fédérale. Bien que les demanderesses reconnaissent la nature commune de la propriété des ressources halieutiques pour les Canadiens, y compris la pêche au saumon sauvage, elles affirment que leurs exploitations de pisciculture et le saumon qu’ils produisent sont des propriétés privées, en raison de leurs investissements et de leur main-d’œuvre.

[173] Il y a une interaction évidente entre le saumon sauvage et le saumon d’élevage. Ils nagent dans les mêmes eaux; la Commission Cohen concernait principalement les effets négatifs potentiels du saumon d’élevage sur le saumon sauvage. Les observations du ministre et des intervenants portaient sur cette question, et les intervenants ont insisté sur la nécessité de poursuivre les consultations et le respect du principe de précaution.

[174] Je suis d’accord avec les demanderesses pour dire qu’elles sont propriétaires du poisson qu’elles élèvent. Dans ces circonstances, il ne fait aucun doute que la décision revêt une grande importance pour les demanderesses. Je renvoie à la décision Morton c British Columbia (Agriculture and Lands), 2009 BCSC 136 (Morton 2009), où le juge Hinkson, alors juge de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, n’a pas rejeté l’idée que l’aquaculture était une pêche privée.

ii. Attentes légitimes

[175] Les demanderesses plaident qu’elles avaient des attentes légitimes à l’égard du processus que devait suivre le ministre pour rendre une décision concernant le renouvellement des permis d’aquaculture. Au paragraphe 26 de l’arrêt Baker, précité, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit concernant les attentes légitimes :

Quatrièmement, les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision peuvent également servir à déterminer quelles procédures l’obligation d’équité exige dans des circonstances données. Notre Cour a dit que, au Canada, l’attente légitime fait partie de la doctrine de l’équité ou de la justice naturelle, et qu’elle ne crée pas de droits matériels : Vieux St-Boniface, précité, à la p. 1204; Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525, à la p. 557. Au Canada, la reconnaissance qu’une attente légitime existe aura une incidence sur la nature de l’obligation d’équité envers les personnes visées par la décision. Si le demandeur s’attend légitimement à ce qu’une certaine procédure soit suivie, l’obligation d’équité exigera cette procédure : Qi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 33 Imm. L.R. (2d) 57 (C.F. 1re inst.); Mercier-Néron c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1995), 98 F.T.R. 36; Bendahmane c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 3 C.F. 16 (C.A.). De même, si un demandeur s’attend légitimement à un certain résultat, l’équité peut exiger des droits procéduraux plus étendus que ceux qui seraient autrement accordés : D. J. Mullan, Administrative Law (3e éd. 1996), aux pp. 214 et 215; D. Shapiro, « Legitimate Expectation and its Application to Canadian Immigration Law » (1992), 8 J.L. & Social Pol’y 282, à la p. 297; Canada (Procureur général) c. Comité du tribunal des droits de la personne (Canada) (1994), 76 F.T.R. 1. Néanmoins, la doctrine de l’attente légitime ne peut pas donner naissance à des droits matériels en dehors du domaine de la procédure. Cette doctrine, appliquée au Canada, est fondée sur le principe que les « circonstances » touchant l’équité procédurale comprennent les promesses ou pratiques habituelles des décideurs administratifs, et qu’il serait généralement injuste de leur part d’agir en contravention d’assurances données en matière de procédures, ou de revenir sur des promesses matérielles sans accorder de droits procéduraux importants.

[176] En l’espèce, les demanderesses ont fourni des éléments de preuve selon lesquels, par le passé, au moment de déterminer la délivrance ou le renouvellement de permis, des consultations étaient tenues entre elles, le ministre et le MPO. Je renvoie aux affidavits de Mme Morrison, de M. Foulds et de M. Boschman.

[177] Il y a des éléments de preuve selon lesquels aucun renouvellement de permis d’aquaculture n’avait antérieurement été refusé et que le MPO considérait les transferts comme [traduction] « habituels ». Il y a des éléments de preuve montrant qu’après la décision, aucune demande de permis de transfert n’a été accueillie. Je renvoie aux transcriptions du contre‑interrogatoire de Mme Webb et de Mme Sandgathe.

[178] Les demanderesses ont également fourni des éléments de preuve concernant l’engagement antérieur entre le gouvernement de la Colombie-Britannique, les collectivités des Premières Nations et les représentants de l’industrie, c’est-à-dire le [traduction] « processus de l’archipel Broughton ».

[179] Ce « processus » a donné lieu à une série de recommandations concernant la protection et la restauration des stocks de saumon sauvage, les exploitations de pisciculture en parcs en filet dans la région de l’archipel Broughton, et l’avenir de l’industrie en matière de la durabilité. Tous les participants au « processus » ont accepté les recommandations.

[180] Cermaq a fourni des éléments de preuve selon lesquels ce processus de mobilisation antérieur, qui avait également été réalisé dans le contexte de la salmoniculture, bien que dans la région de Broughton, a créé des attentes légitimes quant à la façon dont le processus décisionnel actuel des îles Discovery pourrait se dérouler.

[181] Dans ses observations en réponse, Mowi a renvoyé à la décision Canadian Pacific CAF, précitée, à l’appui des attentes légitimes. Dans cette décision, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit aux paragraphes 57 et 58 :

[traduction]

Les attentes légitimes ne peuvent résulter que de la pratique d’un tribunal administratif ou de ses observations :

[…] Si un organisme public a fait des déclarations au sujet des procédures qu’il suivrait pour rendre une décision en particulier, ou s’il a constamment suivi dans le passé, en prenant des décisions du même genre, certaines pratiques procédurales, la portée de l’obligation d’équité procédurale envers la personne touchée sera plus étendue qu’elle ne l’aurait été autrement. […]

Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, par. 94

La Cour a expliqué les intérêts qui sous-tendent la théorie des attentes légitimes comme suit :

Les droits sous-tendant la théorie de l’expectative légitime se rapportent à l’application non discriminatoire, au sein de l’administration publique, des normes procédurales établies par la pratique passée ou par des lignes directrices publiées, et à la protection de l’individu contre l’abus de pouvoir résultant de la violation d’un engagement. Telles sont les préoccupations traditionnelles fondamentales qui existent en droit public. […]

Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [2000] 4 C.F. 264, 2000 CanLII 17135, par. 123

[182] L’équité procédurale à laquelle ont droit les demanderesses comprenait le respect de leurs attentes légitimes. Comme il est expliqué ci-dessous, ces attentes comprenaient un avis de la décision en instance, la possibilité de présenter des observations et de connaître la [traduction] « preuve à réfuter », c’est-à-dire de connaître les préoccupations des autres parties qui peuvent influer sur la décision, et la possibilité de répondre.

[183] Après avoir examiné les observations présentées par les parties, je suis d’accord avec les observations des demanderesses. Dans les circonstances factuelles, y compris l’historique des interactions entre les demanderesses et le MPO, les demanderesses avaient des attentes légitimes, comme il est mentionné ci-dessus dans l’arrêt Baker, précité.

iii. Absence d’avis et de possibilité de répondre

[184] Les demanderesses affirment que le ministre et le MPO discutent de l’élaboration d’un plan de transition de l’aquaculture d’ici 2025. Elles affirment que, si la fermeture des exploitations de pisciculture était une option pour le ministre, elles pourraient raisonnablement s’attendre à ce que cette option soit abordée dans le contexte du plan de transition, et non dans un court processus de dix semaines, à compter de la publication du communiqué du 28 septembre 2020.

[185] Les demanderesses font valoir que la décision a été présentée comme une décision concernant la délivrance de permis dans le communiqué du 28 septembre 2020. Elles soutiennent qu’elles n’ont pas été informées de la portée de la décision et qu’elles n’ont pas été avisées que les permis de transfert seraient interdits. Sans préavis, elles ont été privées de la possibilité de présenter des observations, y compris des observations en réponse aux préoccupations des Premières Nations. Elles font remarquer que le ministre a consulté certaines Premières Nations de façon confidentielle.

[186] Les demanderesses ont fait valoir que le ministre leur avait imputé une [traduction] « connaissance par déduction » de la portée de la décision.

[187] De plus, les demanderesses soulignent que la portée de la décision était inconnue même des employés du ministre. Mme Webb, alors directrice de la gestion de l’aquaculture pour la région du Pacifique du MPO, a témoigné lors de son contre-interrogatoire qu’elle avait été [traduction] « surprise » par la décision. Mme Webb a rédigé le mémoire, y compris les recommandations que le ministre a refusé d’accepter.

[188] Les demanderesses allèguent qu’on leur a refusé la possibilité de participer de façon significative aux consultations.

[189] BC Ltd. répond au défaut du ministre de tenir compte de sa situation particulière, c’est‑à‑dire une petite entreprise familiale dans laquelle M. Smeal a investi toute sa vie et ses ressources financières. M. Smeal a déclaré dans son affidavit que l’exploitation est exempte de maladie depuis 1986. L’entreprise est exploitée à une échelle beaucoup plus petite que celles de Mowi, de Cermaq et de Grieg, et l’incidence de la décision sur celle-ci est beaucoup plus grande.

[190] BC Ltd. soutient que l’obligation de consulter, qui incombait au ministre, ne remplaçait pas l’obligation d’équité. Elle fait valoir que la consultation est inéquitable sur le plan de la procédure parce qu’elle n’a pas eu la possibilité de répondre aux préoccupations des Premières Nations, en particulier celles concernant les maladies.

[191] De son côté, le ministre a déclaré que les demanderesses avaient une connaissance directe de la possibilité de fermeture, en raison de leurs communications avec le MPO et de leur participation à l’industrie, notamment avec le CCIAP.

[192] Les observations du ministre ne sont pas convaincantes. C’est lui, et non le CCIAP, qui rend les décisions concernant les permis d’exploitation piscicole. Bien que les réunions des associations de l’industrie aient pu certainement permettre aux demanderesses de tirer des hypothèses concernant une décision éventuelle, ces réunions n’étaient pas le forum par l’entremise duquel cette décision serait prise.

[193] Je ne souscris pas à la position du ministre selon laquelle les demanderesses avaient une connaissance directe ou par déduction de sa décision concernant le renouvellement des permis d’exploitation piscicole.

[194] Je souscris aux observations des demanderesses concernant l’absence d’avis de la décision qui a éventuellement été rendue.

[195] Il n’y a eu aucun avis indiquant que les demandes de permis de transfert seraient refusées. Les exploitations de pisciculture ne pourraient pas fonctionner sans permis de transfert, et, si les permis de transfert étaient refusés, en pratique, les exploitations de pisciculture fermeraient.

[196] Je renvoie aux motifs du juge Pamel dans la décision Mowi no 1, précitée au paragraphe 106, où il a déclaré ce qui suit concernant l’aspect relatif aux permis de transfert dans la décision :

[traduction]

[…] Bref, rien ne laissait entendre que Mowi et Saltstream auraient dû être avisées que la délivrance de permis de transfert pourrait être interdite du jour au lendemain.

[197] Je suis également d’accord avec les demanderesses pour dire qu’elles n’ont pas eu la possibilité de répondre de façon significative aux préoccupations.

[198] Bien que la Commission Cohen puisse être considérée comme la « principale » toile de fond des événements de l’automne 2020, à des fins pratiques, la toile de fond « réelle » est le communiqué du 28 septembre 2020.

[199] Ce communiqué concernait le renouvellement des permis d’aquaculture et a mené à des consultations avec les Premières Nations suivantes : We Wai Kai, Wei Wai Kum, Kwiakah, Homalco, Klahoose et Tla’amin. Bien que le communiqué ait également indiqué que le MPO consulterait la Première Nation K’ómoks, le DCT indique que cette Première Nation a choisi de ne pas participer aux réunions avec les Premières Nations Homalco, Klahoose et Tla’amin. Le communiqué du 28 septembre 2020 était muet sur les permis de transfert.

[200] Le DCT contient un résumé des consultations menées auprès des Premières Nations susmentionnées.

[201] Les demanderesses n’étaient pas au courant des préoccupations soulevées par plusieurs Premières Nations, comme il est décrit dans le résumé des consultations. Elles n’ont pas été informées du risque que les permis des exploitations de pisciculture ne soient pas délivrés. Le fait qu’un cadre supérieur du MPO n’était pas au courant de cette possibilité souligne le degré d’atteinte à l’équité procédurale à l’égard des demanderesses.

[202] Le 12 novembre 2020, M. Beech, secrétaire parlementaire, a présidé une conférence de presse en Colombie-Britannique. Les demanderesses ont déclaré que la conférence de presse, qui portait sur le plan de transition d’ici 2025 pour l’ensemble de la Colombie-Britannique, a créé l’attente légitime que la fermeture des exploitations des îles Discovery soit abordée dans le plan.

[203] Par une lettre datée du 24 novembre 2020, les demanderesses ont eu la possibilité [traduction] « d’informer la décision à rendre » concernant le renouvellement des permis.

[204] La lettre du 24 novembre 2020 était muette sur les transferts.

[205] Cermaq a répondu par des lettres datées du 30 novembre 2020 et du 4 décembre 2020; BC Ltd. a répondu par une lettre datée du 1er décembre 2020; Grieg a répondu par une lettre datée du 2 décembre 2020; et Mowi a répondu par une lettre datée du 4 décembre 2020.

[206] Le 8 décembre 2020, le sous-ministre a signé le mémoire à l’intention du ministre.

[207] Le 10 décembre 2020, M. Dobrinsky, Mme Parker, M. Quaiattini et Mme Morrison, au nom de Mowi, ont rencontré le ministre.

[208] Le 11 décembre 2020, le ministre a rencontré des cadres supérieurs et la direction du MPO.

[209] Dans un courriel daté du 14 décembre 2020, Mme Webb a demandé à BC Ltd. de préciser sa réponse à la lettre du 24 novembre 2020. BC Ltd. a répondu à Mme Webb dans un courriel daté du 15 décembre 2020.

[210] Aucun compte rendu de réunion ou de communication postérieure au 8 décembre 2020 n’est inclus dans le DCT.

[211] À mon avis, cette chronologie des événements qui ont mené à la décision montre que les demanderesses n’ont pas eu une possibilité significative de présenter des observations ou de répondre aux préoccupations concernant la portée complète de la décision.

iv. Motifs

[212] Les demanderesses soutiennent également que l’obligation d’équité procédurale applicable à l’égard de la décision exigeait que le ministre fournisse des motifs et qu’il ne l’a pas fait. Leurs observations à cet égard sont indépendantes des observations sur la norme de la décision raisonnable.

[213] Les demanderesses soutiennent que la note du ministre du 16 décembre 2020, rejetant la recommandation du MPO, ne constitue pas des « motifs ». Elles font valoir que le DCT ne constitue pas des « motifs », qu’elles n’ont eu accès au DCT qu’au moment du dépôt de leur demande de contrôle judiciaire et que les motifs auraient dû être disponibles à compter de la date à laquelle le ministre a rendu sa décision.

[214] Les demanderesses plaident que la décision est arbitraire et contraire à l’objectif déclaré du ministre d’éviter l’abattage de poisson. Toutefois, la décision a entraîné l’abattage involontaire de poisson par les demanderesses. Elles font valoir que le ministre devait fournir des motifs à cet égard, compte tenu des conséquences pour elles.

[215] La réponse du ministre à ces arguments est qu’il est possible de [traduction] « saisi[r] » les motifs à partir du DCT et qu’aucun autre motif n’était nécessaire. Il fait valoir que les répercussions négatives sur l’industrie, y compris sur les demanderesses, sont décrites dans le mémoire qui lui a été présenté et que les demanderesses peuvent déduire qu’il a tenu compte de ces répercussions au moment de rendre sa décision.

[216] De plus, le ministre soutient que le mémoire comprend une section portant sur la [traduction] « Consultation avec sept Premières Nations ». Selon le ministre, ces préoccupations comprenaient non seulement les activités des exploitations, mais aussi les répercussions négatives potentielles que la poursuite de l’élevage pourrait avoir sur les stocks de saumon sauvage. Le ministre propose que cette justification constitue, en soi, un motif de sa décision.

[217] Le ministre fait remarquer que cette section du mémoire donne à penser que la poursuite des activités des exploitations est incompatible avec le principe de précaution.

[218] À mon avis, la réponse du ministre aux observations des demanderesses est inadéquate.

[219] Je suis d’accord pour dire que le DCT, en soi, n’est pas un « motif » de la décision. Il n’appartient pas aux demanderesses ou à la Cour de regrouper le fondement sur lequel repose la décision du ministre.

[220] Comme il a été mentionné ci-dessus, le DCT comprend une recommandation du MPO voulant que les permis actuellement en vigueur soient prolongés jusqu’au 30 juin 2020.

[221] Cette recommandation est suivie de commentaires sur la [traduction] « Durée du renouvellement recommandé » et les [traduction] « Mesures supplémentaires ». Le premier ensemble de commentaires renvoie aux demandes des Premières Nations qui demandaient plus de temps pour les consultations. Il renvoie également à la politique de la Colombie-Britannique en matière de tenures de 2022, et la Colombie-Britannique met l’accent sur la gestion par zone.

[222] Le deuxième ensemble de commentaires renvoie également aux préoccupations des Premières Nations et recommande que le ministre [traduction] « confirme un engagement » à l’égard de la gestion par zone. Cette recommandation décrit la gestion par secteur comme suit :

[traduction]

La [gestion par zone] implique la gestion de toutes les activités aquacoles dans une zone géographique en tenant compte de l’ensemble de leurs effets environnementaux potentiels plutôt que de notre approche actuelle en matière de gestion site par site, et appuiera la gestion conjointe de l’aquaculture.

[223] Les observations du ministre selon lesquelles les motifs de sa décision peuvent être [traduction] « saisis » à partir du DCT soulèvent un problème, à savoir que les recommandations énoncées dans le mémoire, y compris les deux ensembles de commentaires, appuient une décision contraire à celle qui a été rendue. Il n’appartient pas aux demanderesses ou à la Cour de tirer des hypothèses sur les motifs sur lesquels s’est fondé le ministre pour rendre sa décision alors qu’il n’a lui-même fourni aucune explication.

[224] Dans la mesure où le ministre soutient que le DCT fournit des « motifs » pour l’aspect de la décision relatif aux transferts, je fais remarquer que le DCT ne vise pas à mettre fin aux permis de transfert.

[225] Je prend acte des directives de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708, selon lesquelles le caractère adéquat des motifs ne constitue plus un fondement indépendant justifiant l’annulation d’une décision administrative. Toutefois, en même temps, je prend acte du principe de longue date selon lequel la Cour ne peut pas créer des motifs là où il n’en existe aucun.

[226] Je renvoie à l’arrêt Canada (Procureur général) c Quadrini, [2012] 2 RCF 3, au paragraphe 17, où la Cour a déclaré ce qui suit :

Pour assurer un encadrement rigoureux qui respecte le principe du caractère définitif et celui de l’impartialité, les cours ont formulé un certain nombre d’énoncés généraux. Par exemple, les tribunaux administratifs ne devraient pas formuler devant la juridiction de révision des observations qui ont en fait pour effet de modifier, de changer, de nuancer ou de compléter les motifs de la décision du tribunal administratif […].

[227] Je renvoie également à l’arrêt Vavilov, précité au paragraphe 81, où la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit :

[…] En conséquence, la communication des motifs à l’appui d’une décision administrative est susceptible d’avoir des répercussions sur sa légitimité, à la fois au regard de l’équité procédurale et du caractère raisonnable de ceux‑ci sur le fond.

[228] À mon avis, le défaut du ministre de fournir les motifs de sa décision du 16 décembre 2020 constitue un manquement à l’équité procédurale. Un communiqué ne fournit aucun motif. Un communiqué est un moyen pour une personne – en l’espèce, le ministre ou le MPO – d’exprimer un point de vue. Les conséquences de la décision en l’espèce sont importantes et le ministre était tenu de fournir des motifs.

D. Caractère raisonnable

[229] Enfin, il reste à évaluer la décision selon la norme de contrôle applicable.

[230] Toutes les parties conviennent que le bien-fondé de la décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, comme il a été discuté dans l’arrêt Vavilov, précité.

[231] Le caractère raisonnable doit être évalué au regard du contexte factuel et juridique; voir Vavilov, précité au paragraphe 85.

[232] Le contexte factuel des activités des demanderesses est décrit ci-dessus. Le contexte juridique découle de la Loi et des règlements pris en vertu de la Loi.

[233] Le paragraphe 7(1) de la Loi confère au ministre un pouvoir discrétionnaire absolu à l’égard de la délivrance de permis et prévoit ce qui suit :

Baux, permis et licences de pêche

Fishery leases and licences

7 (1) En l’absence d’exclusivité du droit de pêche conférée par la loi, le ministre peut, à discrétion, délivrer des baux et permis de pêche ainsi que des licences d’exploitation de pêches – ou en permettre la délivrance –, indépendamment du lieu de l’exploitation ou de l’activité de pêche.

7 (1) Subject to subsection (2), the Minister may, in his absolute discretion, wherever the exclusive right of fishing does not already exist by law, issue or authorize to be issued leases and licences for fisheries or fishing, wherever situated or carried on.

[234] Le paragraphe 3(1) du Règlement du Pacifique sur l’aquaculture, précité, permet la délivrance d’un permis d’aquaculture et prévoit ce qui suit :

Permis d’aquaculture

Aquaculture Licences

3 (1) Le ministre peut délivrer un permis d’aquaculture autorisant une personne à pratiquer l’aquaculture ou des activités réglementaires sur paiement des droits fixes et annuels pour la première année de validité du permis.

3 (1) The Minister may issue an aquaculture licence authorizing a person to engage in aquaculture and prescribed activities on payment of the flat fee and the annual fee for the licence for the first year of the period during which it is valid.

[235] Les articles 55 et 56 du Règlement de pêche (dispositions générales), précité, concernent la délivrance de permis de transfert et prévoient ce qui suit :

Libération ou transfert de poissons

Release or Transfer of Fish

55 (1) Sous réserve du paragraphe (2), il est interdit à quiconque, à moins d’y être autorisé en vertu d’un permis :

55 (1) Subject to subsection (2), no person shall, unless authorized to do so under a licence,

a) de libérer des poissons vivants dans tout habitat du poisson;

(a) release live fish into any fish habitat; or

b) de transférer des poissons vivants dans des installations d’élevage.

(b) transfer any live fish to any fish rearing facility.

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas au poisson qui est immédiatement remis dans l’eau où il vient d’être pris.

(2) Subsection (1) does not apply in respect of fish that is immediately returned to the waters in which it was caught.

Permis pour libérer ou transférer des poissons

Licence to Release or Transfer Fish

56 Le ministre peut délivrer un permis dans le cas où :

56 The Minister may issue a licence if

a) la libération ou le transfert des poissons est en accord avec la gestion et la surveillance judicieuses des pêches;

(a) the release or transfer of the fish would be in keeping with the proper management and control of fisheries;

b) les poissons sont exempts de maladies et d’agents pathogènes qui pourraient nuire à la protection et à la conservation des espèces;

(b) the fish do not have any disease or disease agent that may be harmful to the protection and conservation of fish; and

c) la libération ou le transfert ne risque pas d’avoir un effet néfaste sur la taille du stock de poisson ou sur les caractéristiques génétiques du poisson ou des stocks de poisson.

(c) the release or transfer of the fish will not have an adverse effect on the stock size of fish or the genetic characteristics of fish or fish stocks.

[236] La Cour suprême du Canada s’est penchée sur le large pouvoir discrétionnaire du ministre à l’égard de la délivrance de permis dans l’arrêt Comeau’s Sea Food Ltd c Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1997] 1 RCS 12.

i. « Ancien » et « nouveau » critères

[237] Le ministre a insisté pour qualifier la décision de décision discrétionnaire qui commande une grande retenue. Les demanderesses ont répondu qu’il s’agit du libellé de l’arrêt Maple Lodge, précité, et que la décision ne fait plus jurisprudence depuis l’arrêt Vavilov, précité.

[238] Selon l’arrêt Maple Lodge, précité, pour conclure qu’une décision discrétionnaire est déraisonnable, l’un des facteurs suivants doit être présent :

  1. mauvaise foi;

  2. non-respect du principe de justice naturelle prescrit par la loi;

  3. prise en compte de facteurs non pertinents ou étrangers à l’objet de la loi.

[239] Le ministre se fonde également sur la décision Barry Seafoods 2021, précitée.

[240] Je souscris aux observations des demanderesses, selon lesquelles les facteurs énoncés dans l’arrêt Maple Lodge, précité, ne sont plus le critère applicable au contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Je renvoie à l’arrêt Portnov, précité, où la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit au paragraphe 25 :

Aujourd’hui, le cadre utilisé pour faire le contrôle du fond d’un processus décisionnel administratif est celui défini dans l’arrêt Vavilov. Ce cadre se veut vaste et exhaustif; une « révision globale du cadre d’analyse qui sert à déterminer la norme de contrôle applicable » (par. 143). Nous devons nous fonder sur l’arrêt Vavilov, et non sur des décisions comme l’arrêt Katz : nous devons « d’abord [nous] en remettre aux […] motifs [de l’arrêt Vavilov] pour savoir comment s’applique [l]e cadre général [énoncé dans l’arrêt Vavilov] dans [une] affaire » (ibid.).

[241] Il s’ensuit que le ministre a tort de s’appuyer sur la décision Barry Seafoods 2021, précitée.

[242] Conformément au libellé de l’arrêt Vavilov, précité, en l’espèce, la Cour doit chercher « la justification, la transparence et l’intelligibilité » de la décision.

ii. Motifs

[243] En l’espèce, le problème que pose l’application du critère actuel de la décision raisonnable est, tout d’abord, l’absence de motifs.

[244] Je rejette les observations du ministre selon lesquels ses « motifs » se trouvent dans le DCT. Le DCT est le dossier des documents dont il était saisi au moment de rendre la décision. En l’espèce, le DCT ne peut pas en même temps constituer les motifs de cette décision.

[245] Le DCT est le dossier dont la Cour est saisie. La Cour ne peut pas aller au-delà du DCT; voir la décision Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency, 202 CAF 22, au paragraphe 19. Les demanderesses se plaignent que le ministre, dans la preuve par affidavit qu’elle a déposée, a tenté de compléter le « dossier » dont était saisie la Cour.

[246] C’est inapproprié. Je renvoie à l’arrêt Edw Leahy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CAF 227, où la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit au paragraphe 145 :

À cet égard, l’avocat doit être conscient des limites des affidavits produits à l’appui dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Ils ne peuvent servir à étoffer les motifs du décideur ou les motiver davantage après le fait. Ils peuvent faire la lumière sur des éléments factuels et contextuels qui n’apparaissent pas ailleurs dans le dossier, mais qui étaient manifestement connus du décideur. Ils peuvent aussi fournir au tribunal de révision des indices généraux, par exemple sur la manière dont la demande de renseignements a été traitée, dont les documents ont été recueillis ou dont l’évaluation a été effectuée. […]

[247] Le DCT ne mentionne aucune modification au processus de délivrance des permis de transfert. Il n’est pas muet sur la possibilité de fermer les exploitations, mais cette opinion n’a pas été recommandée au ministre. Aucune des demanderesses n’a argumenté qu’elles avaient droit à un permis, et ce, de plein droit. L’argument est qu’elles avaient droit aux motifs de la décision qui a finalement été rendue par le ministre.

[248] Les demanderesses soutiennent que lorsqu’un décideur s’écarte d’une mesure recommandée, des motifs sont exigés. Je suis de cet avis.

[249] Je renvoie à la décision Wilkinson c Canada, 2014 CF 741, aux paragraphes 20, 44 et 45, où la Cour a déclaré ce qui suit au sujet du fait qu’un décideur s’écarte de la conclusion d’un comité de règlement des griefs de classification :

Les Comités de règlement des griefs de classification ont une grande expertise et leurs décisions doivent faire l’objet d’un haut niveau de déférence (décisions Beauchemin et McEvoy, précitées). Dans l’affaire qui nous occupe, l’administrateur général a choisi de rejeter la conclusion du Comité. Il en a certainement le droit même si cela se produit très peu souvent comme l’a reconnu le défendeur. Il se peut donc que la décision de l’administrateur général fasse partie des issues possibles acceptables parce qu’elle peut se justifier au regard des faits et du droit. Toutefois, on s’attendrait à ce que ce rejet soit justifié de manière à satisfaire à la norme de raisonnabilité. La décision faisant l’objet du contrôle ne satisfait pas à cette norme.

[…]

Dans une affaire comme celle-ci, les motifs pour lesquels une recommandation bien articulée n’est pas retenue doivent être intelligibles, en ce sens qu’ils [traduction] « peuvent être compris » (The Canadian Oxford Dictionary, 2001, au mot « intelligible »). Avec égard, la décision n’est pas vraiment intelligible. Il semble que certaines déclarations relatives aux degrés 7 et 6 soient considérées comme portant sur les degrés 6 et 5. Si tel n’était pas réellement le sens de la décision, le défendeur n’a pas non plus réussi à éclairer la Cour en fournissant une autre explication. Le défendeur semble également se fonder sur « l’objectif de la création du poste » pour éloigner son analyse de la description de travail qui est au cœur de l’arbitrage des griefs. Enfin, il critique le Comité pour n’avoir pas tenu compte du contexte organisationnel alors qu’il semblerait que le Comité l’ait fait. Si l’administrateur général n’était pas d’accord avec les conclusions pour cette raison, il n’a pas expliqué la source de son désaccord. Au final, il a été impossible pour la cour de révision de comprendre « le fondement de la décision du tribunal » (arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, précité, paragraphe 16).

La conclusion de la Cour concernant le caractère raisonnable de la décision suffit pour trancher l’affaire. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, avec dépens.

[250] Je renvoie également à la décision Ross c Canada (Ministre de la Justice), 2014 CF 338, où la Cour a déclaré ce qui suit au paragraphe 56 :

M. Pringle a été mandaté par le ministre pour mener l’enquête au titre du paragraphe 696.2(3) du Code. Il était loisible au ministre de ne pas accepter l’avis et les opinions de M. Pringle au moment de rendre la décision finale. Cependant, comme il ne s’est pas rangé à son avis, il était soumis à une obligation plus stricte d’expliquer les raisons de son désaccord afin de satisfaire à la norme de la raisonnabilité […]. [Renvoi omis.]

[251] De plus, je renvoie à la décision Séguin c Canada (Procureur général), 2021 CF 45, au paragraphe 40, où la Cour a déclaré ce qui suit :

Enfin, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable s’intéresse au contexte : ce qui constitue une décision raisonnable « dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov au para 90). Dans de tels cas, lorsqu’un administrateur général choisit de s’écarter des recommandations du CRGC, cette dérogation doit être justifiée à la lumière de l’expertise du CRGC (Wilkinson 1 aux para 20, 40; voir aussi Wilkinson c Canada (Procureur général), 2020 CAF 223 aux para 19-21).

[252] Dans l’arrêt Vavilov, précité, la Cour suprême du Canada a ordonné aux décideurs administratifs de « s’attaquer » aux questions en jeu; voir le paragraphe 128 :

[…] Toutefois, le fait qu’un décideur n’ait pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties permet de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise. En plus d’assurer aux parties que leurs préoccupations ont été prises en considération, le simple fait de rédiger des motifs avec soin et attention permet au décideur d’éviter que son raisonnement soit entaché de lacunes et d’autres failles involontaires : Baker, par. 39.

[253] Je suis d’accord avec les demanderesses pour dire que le ministre ne l’a pas fait.

[254] En l’absence de motifs, la décision ne peut pas être justifiée. En l’absence de motifs, elle n’est pas transparente. En l’absence de motifs, elle n’est pas intelligible.

iii. Autres arguments

[255] Le ministre a présenté des observations sur [traduction] « [l’]acceptabilité sociale ». Lors de son contre-interrogatoire, Mme Webb, un cadre supérieur du MPO, n’a pas été en mesure d’expliquer ce que signifiaient ces mots.

[256] Dans sa note, le ministre a déclaré que l’intention de sa décision était de laisser le temps aux poissons dans les exploitations de [traduction] « grandir » et que les poissons déjà dans les exploitations soient capturés afin [traduction] « [d’]éviter leur abattage ».

[257] Les conséquences de la décision étaient tout le contraire.

[258] Les éléments de preuve montrent que des poissons ont en effet été abattus.

[259] Je remarque le changement dans les mots du ministre entre la note du 16 décembre 2020 et le communiqué du 17 décembre 2020.

[260] Dans la note du mémoire contenu dans le DCT, le ministre a déclaré qu’entre [traduction] « la date du renouvellement des permis et le 30 juin 2022, aucun saumoneau provenant d’une écloserie ne pourra être introduit ».

[261] Le communiqué du 17 décembre 2020 a annoncé que le ministre a l’intention de stipuler qu’aucun nouveau poisson, quelle que soit sa taille, ne puisse être introduit dans les exploitations des îles Discovery pendant cette période.

[262] Ces deux positions ne sont pas compatibles.

[263] Je renvoie aux observations formulées de vive voix par le ministre, à savoir que le communiqué visait à fournir des [traduction] « précisions » concernant sa décision.

[264] Cet argument est sans fondement.

[265] À mon avis, il est impossible de « préciser » une décision qui n’a pas encore été communiquée.

[266] Mowi a répondu à l’inclusion erronée de son installation de Hardwicke dans la zone visée par la décision. Elle fait valoir que le site de Hardwicke ne se trouve pas dans la zone des îles Discovery précisée, c’est-à-dire la ZSSP 3.2. Mowi soutient que le site de Hardwicke se trouve dans la ZSSP 3.3.

[267] La réponse du ministre, qui a été fournie lors du contre-interrogatoire de Mme Webb, est que le site de Hardwicke a été inclus en raison d’une [traduction] « erreur administrative ».

[268] Dans ses observations écrites, le ministre a fait valoir que, même si l’inclusion du site de Hardwicke avait été [traduction] « initialement » une erreur, Mowi avait [traduction] « amplement le temps de soulever la question auprès du MPO, mais ne l’a pas fait ». Le ministre a soutenu que le site de Hardwicke se trouve à la frontière entre la ZSSP 3.2 et la ZSSP 3.3, et que son inclusion était pour [traduction] « bonne raison ».

[269] À mon avis, cette réponse du ministre n’est pas satisfaisante. Elle ne montre pas une appréciation des faits relatifs à l’exploitation de Mowi.

[270] BC Ltd. a présenté un argument similaire au sujet du manque d’appréciation des faits par le ministre. Elle a soutenu que le ministre n’avait pas distingué son statut en tant que plus petite entreprise, comparativement à Mowi, à Cermaq et à Grieg.

[271] Ces observations montrent que le ministre n’a pas démontré une pleine appréciation des faits relatifs aux activités de ces demanderesses.

[272] À mon avis, aucun des arguments susmentionnés n’aide à corriger les lacunes de la décision du ministre et son manque de caractère raisonnable.

VIII. CONCLUSION

[273] Je suis convaincue que les demanderesses ont démontré que la décision du ministre était une décision administrative, assujettie aux exigences d’équité procédurale et à d’autres exigences, et susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[274] Tous les éléments de preuve et toutes les observations de toutes les parties ont été pris en compte. Il n’est pas nécessaire d’examiner les arguments des demanderesses concernant l’entrave au pouvoir discrétionnaire par le ministre pour trancher la présente instance.

[275] Les observations des intervenants, qui mettent l’accent sur les modifications à la Loi, la protection constitutionnelle des droits des Premières Nations et le respect du principe de précaution, ne permettent pas de trancher les questions soulevées dans la présente instance.

[276] Les demanderesses ont démontré que la décision a été rendue d’une manière qui viole leur droit à l’équité procédurale, et ce, pour les motifs susmentionnés.

[277] Comme il a été mentionné dans l’arrêt Vavilov, précité au paragraphe 100, les demanderesses ont le lourd fardeau de démontrer que la décision du ministre est déraisonnable. Je suis convaincue que les demanderesses se sont acquittées de ce fardeau.

[278] Je comprends que l’injonction accordée le 5 avril 2021 n’a pas été respectée par le ministre.

[279] Par conséquent, les demandes de contrôle judiciaire seront accueillies, la décision du ministre sera annulée et l’injonction accordée le 5 avril 2021 demeurera en vigueur.

[280] Dans l’éventualité où elles auraient gain de cause à l’égard de ces demandes, les demanderesses ont demandé la possibilité de présenter des observations sur les dépens. Cette possibilité sera accordée et une directive sera rendue à cet égard.


JUGEMENT dans le dossier T-129-21

LA COUR STATUE que les demandes de contrôle judiciaire sont accueillies avec dépens, que la décision du ministre est annulée, et que l’injonction accordée le 5 avril 2021 est maintenue et demeure en vigueur. Les demanderesses auront la possibilité de présenter des observations sur les dépens; une directive suivra à cet égard.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-129-21

 

INTITULÉ :

MOWI CANADA WEST INC., CERMAQ CANADA LTD., GRIEG SEAFOOD B.C. LTD., ET 622335 BRITISH COLUMBIA LTD. c MINISTRE DES PÊCHES, DES OCÉANS ET DE LA GARDE CÔTIÈRE CANADIENNE c ALEXANDRA MORTON, FONDATION DAVID SUZUKI, GEORGIA STRAIT ALLIANCE, LIVING OCEANS SOCIETY ET WATERSHED WATCH SALMON SOCIETY, FIRST NATIONS FISHERIES COUNCIL OF BRITISH COLUMBIA, ASSEMBLÉE DES PREMIÈRES NATIONS DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE, UNION OF BRITISH COLUMBIA INDIAN CHIEFS ET FIRST NATIONS SUMMIT

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 19, 20, 21, 22 ET 25 OCTOBRE 2021

MOTIFS ET JUGEMENT :

LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :

Le 22 avril 2022

COMPARUTIONS :

Roy Millen

Rochelle Collette

Brady Gordon

 

POUR LA DEMANDERESSE

(MOWI CANADA WEST INC.)

Kevin O’Callaghan

Dani Bryant

David MacLean

Sarah Noble

 

POUR LA DEMANDERESSE

(CERMAQ CANADA LTD.)

Keith B. Bergner

Michelle Casey

POUR LA DEMANDERESSE

(GRIEG SEAFOOD B.C. LTD.)

Ryan D. W. Daizeil, c.r.

Aubin P. Calvert

 

POUR LA DEMANDERESSE

(622335 BRITISH COLUMBIA LTD.)

Jennifer Chow, c.r.

James Rendell

Michele Charles

Alicia Blimkie

Paul Saunders

 

POUR LE DÉFENDEUR

Margot Venton

Andhra Azevedo

 

POUR LES INTERVENANTS

(COALITION POUR LA CONSERVATION)

Brenda Gaetner

Peter Millerd

 

POUR LES INTERVENANTS

(COALITION DES PREMIÈRES NATIONS)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Blake, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

(MOWI CANADA WEST INC.)

Fasken Martineau Dumoulin LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

(CERMAQ CANADA LTD.)

Lawson Lundell LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

(GRIEG SEAFOOD B.C. LTD.)

Hunter Litigation Chambers Law Corp.

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

(622335 BRITISH COLUMBIA LTD.)

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

Eco Justice

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES INTERVENANTS

(COALITION POUR LA CONSERVATION)

Mandell Pinder LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES INTERVENANTS

(COALITION DES PREMIÈRES NATIONS)

 

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