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Date : 20220419


Dossier : T‑220‑20

Référence : 2022 CF 553

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), 19 avril 2022

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

M. Lindsay Lambert

demandeur

et

LE MINISTRE DU PATRIMOINE CANADIEN

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] En 2018, M. Lindsay Lambert a demandé l’accès à des documents en possession du ministre du Patrimoine canadien en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A‑1 [la LAI]. Le contexte de la demande était le projet « Zibi », pour le développement de l’île de la Chaudière et de l’île Albert, de petites îles dans la rivière des Outaouais, situées juste à l’ouest de la Colline du Parlement. La demande de M. Lambert, telle que modifiée, visait à obtenir des copies de lois du Parlement ou d’ensemble de lois dans trois catégories, chacune se rapportant au statut juridique des îles ou à l’autorité permettant d’autoriser leur développement. La formulation de la demande indiquait clairement l’opinion de M. Lambert, selon laquelle les îles étaient des « terres publiques » et qu’il était illégal que le gouvernement autorise leur développement.

[2] M. Lambert a été insatisfait de la réponse de Patrimoine canadien à sa demande. Il a déposé une plainte auprès du Commissariat à l’information du Canada, qui a conclu après enquête que la plainte n’était pas fondée. M. Lambert sollicite maintenant une révision de l’affaire en vertu de l’article 41 de la LAI.

[3] Pour les motifs qui suivent, la présente demande sera rejetée. Contrairement aux arguments du ministre, je conclus que la Cour a compétence pour entendre la demande de M. Lambert. Cependant, sur le fond, je conclus qu’il n’y a pas lieu de rendre les ordonnances demandées par M. Lambert. Je parviens à cette conclusion pour trois raisons, dont chacune suffirait à rejeter la demande.

[4] Premièrement, si la LAI permet au demandeur de demander l’accès à des documents qui sont en possession d’une institution gouvernementale, elle ne lui permet pas d’exiger du gouvernement qu’il désigne l’autorité législative responsable de ses actions, une demande qui équivaut en fait à une demande d’avis ou de position juridique. Deuxièmement, le dossier établit que Patrimoine canadien a conclu qu’il ne possédait aucun document répondant à la demande. Bien que cela aurait pu être indiqué plus clairement dans la réponse écrite à la demande d’accès, le dossier ne fournit aucune base permettant de remettre en question cette conclusion, et la Cour ne peut pas ordonner au ministre de produire quelque chose qu’il ne possède pas. Troisièmement, les documents demandés étaient, dans tous les cas, des actes du Parlement ou des lois. Ces lois sont des « documents publiés » et la partie 1 de la LAI ne s’applique donc pas à elles, conformément à l’alinéa 68a).

II. Questions en litige et norme de contrôle

[5] La demande de révision judiciaire de M. Lambert et la réponse du ministre à celle‑ci soulèvent les questions suivantes :

  1. La Cour a‑t‑elle compétence pour instruire la présente demande?

  2. Dans l’affirmative, y a‑t‑il lieu de rendre les ordonnances demandées par M. Lambert selon les circonstances de l’affaire?

[6] En ce qui concerne la première question, la compétence de la Cour est une question qui doit être tranchée par la Cour, et aucune norme de contrôle n’est applicable.

[7] En ce qui concerne la deuxième question, l’article 44.1 de la LAI confirme qu’une demande de révision présentée en vertu de l’article 41 doit être menée de novo, c’est‑à‑dire qu’elle doit être « entend[ue] et jug[ée] comme une nouvelle affaire ». Compte tenu de cette indication claire du Parlement, la présomption générale selon laquelle la révision sera effectuée selon la norme de contrôle de la décision raisonnable ne s’applique pas : Moshinsky‑Helm c Canada (National Revenue), 2022 CF 120 aux para 14‑15; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 32‑35. Il ne s’agit pas, en l’espèce, d’un cas où le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu de la LAI et aurait donc eu droit à la déférence dans le cadre d’une révision selon la norme de la décision raisonnable : Canada (Commissariat à l’information) c Canada (Premier ministre), 2019 CAF 95, au para 31. Je vais donc examiner la question sans faire preuve de retenue envers les décisions ou les actions du ministre.

[8] Comme les réponses aux questions ci‑dessus dépendent de la nature de la demande d’accès à l’information de M. Lambert et des réponses qu’il a reçues, je les exposerai avant de passer aux questions elles‑mêmes.

III. Contexte factuel et procédural

(1) Le décret approuvant les transactions foncières

[9] Le 15 décembre 2017, le gouverneur en conseil a pris le décret CP 2017‑1684. Par ce décret, sur recommandation du ministre du Patrimoine canadien, le gouverneur général en conseil a approuvé une série de transactions foncières relatives au projet Zibi. Il s’agissait notamment d’approuver : l’acquisition de terrains par la Commission de la capitale nationale [la CCN] en vertu de l’alinéa 15(1)a) de la Loi sur la capitale nationale, LRC 1985, c N‑4; l’aliénation de terrains par la CCN en vertu du paragraphe 15(2) de la Loi sur la capitale nationale et du paragraphe 99(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC 1985, c F‑11; l’octroi d’une servitude par la CCN en vertu de l’alinéa 15(1)b) de la Loi sur la capitale nationale.

[10] M. Lambert, qui s’est représenté lui‑même dans le cadre de la présente instance, n’est pas avocat mais se décrit comme un chercheur compétent. Après avoir effectué des recherches approfondies sur les îles Chaudière et Albert, il semble avoir conclu que les transactions foncières approuvées dans le décret CP 2017‑1684 n’étaient pas légales.

[11] Il est important de souligner d’emblée que la légalité du décret n’est pas en cause dans la présente instance, laquelle ne porte que sur la demande d’accès à l’information de M. Lambert. Toutefois, le décret et les opinions de M. Lambert au sujet de celui‑ci font partie du contexte de l’affaire et sont liés à ses demandes d’accès, ainsi qu’à ses demandes de réparation. En outre, la LAI n’exige pas qu’une demande d’accès à l’information soit motivée par un but ou une justification particulière. Simplement, elle exige que la demande soit faite par écrit et qu’elle soit « rédigée en des termes suffisamment précis pour permettre à un fonctionnaire expérimenté de l’institution de trouver le document sans problèmes sérieux » : LAI, art 6.

(2) Les demandes d’accès à l’information de M. Lambert

[12] Le 30 octobre 2018, M. Lambert a déposé une demande d’accès à l’information auprès du cabinet du ministre du Patrimoine canadien et du Multiculturalisme (titre alors utilisé pour le ministre; par souci de commodité, j’y référerai simplement comme le « ministre du Patrimoine canadien », ou le « ministre », dans les présents motifs). La demande visait à obtenir [traduction] « des réponses à trois questions concernant l’application de la loi canadienne actuelle aux îles Chaudière et Albert dans la rivière des Outaouais, site proposé pour le projet de développement Zibi ». Après avoir donné un aperçu des résultats de ses recherches, M. Lambert a posé les trois questions suivantes :

[TRADUCTION]

1. Le Parlement a le pouvoir de réexaminer les anciennes lois, de les annuler et d’en adopter de nouvelles pour les remplacer. Dites‑moi, s’il vous plaît, à quel moment le Parlement a annulé le statut des îles Chaudière et Albert en tant que terres publiques et a approuvé leur cession pour un projet de développement privé sans restriction? Je n’ai trouvé aucune indication à ce sujet.

2. Le 8 octobre 2014, le conseil municipal d’Ottawa a modifié le zonage des lieux identifiés comme les numéros 3 et 4 de la rue Booth, sur l’île Chaudière, les faisant passer de la catégorie « Zone de parc et d’espace vert » à la catégorie « Zone d’utilisations polyvalentes de centre‑ville », afin de permettre un développement commercial privé. Le 13 juin de cette année, le conseil a approuvé une demande de subvention de 60 000 000,00 $ présentée par le promoteur pour l’assainissement des sites industriels désaffectés situés dans ces mêmes zones. Le Parlement a‑t‑il ordonné au conseil de prendre ces décisions, ou a‑t‑il transféré son pouvoir exclusif sur les îles de la Chaudière à la Ville d’Ottawa? Le conseil municipal n’a par ailleurs pas compétence.

3. Le 6 avril 2017, le conseil d’administration de la Commission de la capitale nationale (la CCN) a voté en faveur d’un développement privé sur les îles Chaudière et Albert. Le Parlement a‑t‑il ordonné au conseil de voter pour l’approbation du développement, ou a‑t‑il transféré son pouvoir exclusif sur les îles à la CCN? Le conseil d’administration n’a par ailleurs pas compétence.

[13] Après avoir énoncé ces questions, M. Lambert a donné son point de vue en disant [traduction] : « Si vous ne pouvez pas répondre à ces questions, vous devez arrêter le projet Zibi. En soutenant un développement privé sur les îles, le gouvernement enfreint ses propres lois et mine la confiance du public. »

[14] Le 8 novembre 2018, un directeur du Secrétariat à l’accès à l’information et à la protection des renseignements personnels de Patrimoine canadien a écrit à M. Lambert pour demander des précisions sur sa demande. Le directeur y notait que Patrimoine canadien ne pouvait pas répondre à la demande de M. Lambert telle qu’elle était formulée, puisqu’elle contenait des questions plutôt qu’une demande d’accès à des documents détenus par une institution gouvernementale. Le directeur a suggéré à M. Lambert de reformuler ses questions de manière à faire une demande d’accès à des documents, et a fourni un exemple [traduction] : « [t]ous les documents ou courriels échangés entre la CCN et Patrimoine canadien concernant le projet Zibi, ou tous les documents concernant le transfert des îles Chaudière et Albert à la CCN ». Le directeur a également suggéré à M. Lambert de faire une demande d’accès directement à la CCN, car celle‑ci pouvait détenir certains documents.

[15] M. Lambert a répondu le 15 novembre 2018, en fournissant des questions révisées, qui sont les questions en cause dans la présente instance :

[TRADUCTION]

1. Le Parlement a le pouvoir de réexaminer les anciennes lois, de les annuler et d’en adopter de nouvelles pour les remplacer. Veuillez fournir des copies des lois ou de l’ensemble de lois par lesquels le Parlement a annulé le statut juridique des îles Chaudière et Albert en tant que terres publiques et a approuvé leur cession pour un projet de développement privé sans restriction. Je n’ai trouvé aucune preuve que cela a été fait.

2. Le 8 octobre 2014, le conseil municipal d’Ottawa a modifié le zonage des lieux identifiés comme les numéros 3 et 4 de la rue Booth, sur l’île Chaudière, les faisant passer de la catégorie « Zone de parc et d’espace vert » à la catégorie « Zone d’utilisations polyvalentes de centre‑ville », afin de permettre un développement commercial privé. Le 13 juin de cette année, le conseil a approuvé une demande de subvention de 60 000 000,00 $ présentée par le promoteur pour l’assainissement des sites industriels désaffectés situés dans ces mêmes zones. Veuillez fournir des copies des lois ou de l’ensemble de lois par lesquels le Parlement a ordonné au conseil de prendre ces décisions, ou a transféré son pouvoir exclusif sur les îles de la Chaudière à la ville d’Ottawa. Le conseil municipal n’a par ailleurs pas compétence.

3. Le 6 avril 2017, le conseil d’administration de la Commission de la capitale nationale (la CCN) a voté en faveur du développement privé sur les îles Chaudière et Albert. Veuillez fournir une copie de la loi ou de l’ensemble de lois par lequel le Parlement a ordonné au conseil de le faire, ou a transféré son pouvoir exclusif sur les îles à la CCN. Le conseil d’administration n’a par ailleurs pas compétence.

[Non souligné dans l’original.]

[16] Patrimoine canadien a considéré à juste titre que les parties soulignées des demandes ci‑dessus constituaient le dispositif de la demande d’accès à l’information de M. Lambert. Le 26 novembre 2018, le directeur à Patrimoine canadien a écrit en réponse à la demande. La partie la plus importante de la réponse était constituée des deux paragraphes suivants :

[Traduction]

Le responsable de notre programme nous a indiqué que vous devriez peut‑être communiquer avec la Commission de la capitale nationale et le ministère des Services publics et Approvisionnement Canada [SPAC], car ils pourraient détenir des documents relatifs à votre demande.

Le lien suivant mène à la page des décrets [lien vers le décret CP 2017‑1684] et devrait vous intéresser, car il est lié à ce que vous recherchez. Nous joignons à cette lettre deux documents qui ont été divulgués d’une précédente demande.

[17] Les deux documents mentionnés à la dernière phrase de l’extrait reproduit ci‑dessus sont tous deux datés du 26 janvier 2018 et contiennent des conseils et des recommandations à l’intention du ministre du Patrimoine canadien. Ils concernent, respectivement, une contestation judiciaire de l’approbation par le gouvernement des transferts de terrains pour le projet Zibi, et un accord pour le réaménagement des plaines LeBreton. L’hyperlien vers le décret CP 2017‑1684 a également été envoyé à M. Lambert par courriel, afin qu’il puisse y accéder par voie électronique. La lettre de réponse informait M. Lambert de son droit de déposer une plainte auprès du Commissaire à l’information.

[18] M. Lambert a également déposé une demande distincte d’accès à l’information auprès du Bureau du Conseil privé [le BCP] en février 2019. Bien que cette demande ne fasse pas l’objet de la présente demande, M. Lambert la soulève dans le but de comparer la réponse qu’il a reçue du BCP avec celle que lui a fait parvenir Patrimoine canadien. La demande adressée au BCP présentait à nouveau le contexte des recherches de M. Lambert sur le statut des îles Chaudière et Albert, et demandait [traduction] « des copies des lois du Parlement ou de l’ensemble de lois par lesquels le Parlement a annulé le statut juridique des îles Chaudière et Albert en tant que terres publiques et a autorisé leur transfert en faveur d’un projet de développement privé ». Dans la demande, il était soutenu que le décret CP 2017‑1684 était « par ailleurs inconstitutionnel ». Le BCP a répondu à la demande le 29 mars 2019, affirmant que [traduction] « aucun document pertinent quant à [la] demande et appartenant à notre institution n’a[vait] été trouvé », mais fournissant à M. Lambert un lien vers la Loi sur la capitale nationale.

(3) La plainte de M. Lambert auprès du Commissaire à l’information

[19] Le 24 décembre 2018, M. Lambert a déposé une plainte auprès du Commissaire à l’information au sujet de la réponse de Patrimoine canadien à sa demande d’accès. Il a identifié le type de sa plainte comme étant [traduction] « Recherche incomplète/réponse négative » et a soutenu que la lettre du 26 novembre 2018 de Patrimoine canadien ne répondait pas à sa demande d’accès. Il a réitéré ses préoccupations concernant le développement de terres qu’il considère comme publiques, et son allégation selon laquelle le gouvernement a agi illégalement, à moins que le Parlement n’ait modifié sa législation.

[20] Le 4 novembre 2019, une enquêtrice du Commissariat à l’information a avisé M. Lambert par courriel qu’elle avait terminé son enquête. Elle a indiqué dans son message son intention de recommander que la plainte soit enregistrée comme non fondée et a invité le plaignant à présenter ses observations. Un échange de courriels a suivi, au cours duquel l’enquêtrice a noté que le ministère du Patrimoine canadien avait répondu ne pas avoir de documents pertinents en sa possession, et a fait remarquer que les lois font habituellement partie du domaine public, c’est‑à‑dire qu’elles sont exclues de la LAI par application de l’article 68. L’enquêtrice a également relevé que, même si Patrimoine canadien n’a pas de lois du Parlement ou d’ensembles de lois dans ses dossiers, cela ne signifie pas que ces lois n’existent pas. M. Lambert a écrit en faisant référence à sa demande d’accès faite auprès du BCP et à la réponse reçue, en indiquant qu’il s’attendait du moins à recevoir la loi habilitante pour le décret.

[21] Le Commissaire à l’information a publié un rapport final d’enquête le 31 décembre 2019. Ce rapport faisait état des constatations suivantes :

  • Patrimoine canadien a chargé le bureau responsable de répondre à la demande et aucun document n’a été trouvé; par contre, les documents divulgués dans le cadre d’une autre demande d’accès portant sur un sujet similaire ont été communiqués de bonne foi;

  • Patrimoine canadien a effectué une recherche raisonnable et aucun autre document pertinent quant à la demande n’a pu être trouvé;

  • conséquemment, le Commissaire à l’information a estimé que la plainte n’était pas fondée.

[22] Conformément à l’alinéa 37(3)b), le compte rendu du Commissaire à l’information comprend une déclaration selon laquelle l’article 41 de la LAI donne aux demandeurs le droit de demander une révision auprès de notre Cour du refus d’une institution de fournir des documents, ou des parties de documents, demandés en vertu de la Loi. Il convient de noter que cette demande n’est pas une demande de contrôle judiciaire de la décision du Commissaire à l’information, bien que cette décision déclenche la capacité d’une partie à demander un contrôle : LAI, art 41; Lukács c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 1142 au para 44.

IV. Analyse

A. La Cour a compétence pour instruire la présente demande

[23] Le ministre fait valoir que la Cour n’a pas compétence pour examiner la présente demande. Citant les décisions de la Cour dans les affaires Olumide, Friesen, Tomar et Constantinescu, le ministre soutient que la Cour a compétence en vertu de l’article 41 de la LAI uniquement lorsqu’il y a eu refus de communiquer des documents : Olumide c Canada (Procureur général), 2016 CF 934 aux para 18 et 19; Friesen c Canada (Santé), 2017 CF 1152 au para 10; Tomar c Canada (Parcs), 2018 CF 224 au para 45; Constantinescu c Canada (Service correctionnel), 2021 CF 229 aux para 47‑50, 53‑55. Le ministre soutient que la réponse de Patrimoine canadien à la demande d’accès de M. Lambert n’était pas un refus de communiquer des documents, et que la Cour n’a donc pas compétence en vertu de l’article 41.

[24] Pour les motifs suivants, je conclus que notre Cour est compétente pour instruire la présente demande.

(1) Article 41 de la LAI

[25] L’article 41 de la LAI a été modifié en 2019. Avant les modifications de 2019, l’article 41 prévoyait que « [l]a personne qui s’est vu refuser communication totale ou partielle d’un document demandé en vertu de la présente loi et qui a déposé ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le Commissaire à l’information peut […] exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour » : Friesen, au para 8. La disposition était donc libellée de cette façon au moment où les affaires Olumide et Friesen ont été tranchées. Dans sa version d’alors, la disposition énonçait clairement qu’une demande de révision auprès de la Cour ne pouvait être présentée que par une personne qui s’était vu refuser l’accès.

[26] À la suite des modifications de 2019, le paragraphe 41(1) de la LAI est maintenant libellé comme suit :

Révision par la Cour fédérale : plaignant

Review by Federal Court – complainant

41 (1) Le plaignant dont la plainte est visée à l’un des alinéas 30(1)a) à e) et qui reçoit le compte rendu en application du paragraphe 37(2) peut, dans les trente jours ouvrables suivant la réception par le responsable de l’institution fédérale du compte rendu, exercer devant la Cour un recours en révision des questions qui font l’objet de sa plainte.

41 (1) A person who makes a complaint described in any of paragraphs 30(1)(a) to (e) and who receives a report under subsection 37(2) in respect of the complaint may, within 30 business days after the day on which the head of the government institution receives the report, apply to the Court for a review of the matter that is the subject of the complaint.

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

[27] Comme on peut le constater, les dispositions prévues au paragraphe 41(1) ne se limitent plus à une personne qui s’est vu refuser l’accès. Toutefois, cela ne permet pas à toute personne ayant déposé une plainte auprès du Commissaire à l’information et ayant reçu un compte rendu de demander une révision en vertu de l’article 41. La personne doit plutôt avoir déposé une plainte telle que celles décrites aux alinéas 30(1)a) à e). Ces alinéas décrivent les différents motifs selon lesquels une plainte peut être présentée au Commissaire :

Réception des plaintes et enquêtes

Receipt and investigation of complaints

30 (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le Commissaire à l’information reçoit les plaintes et fait enquête sur les plaintes :

30 (1) Subject to this Part, the Information Commissioner shall receive and investigate complaints

a) déposées par des personnes qui se sont vu refuser la communication totale ou partielle d’un document qu’elles ont demandé en vertu de la présente partie;

(a) from persons who have been refused access to a record requested under this Part or a part thereof;

b) déposées par des personnes qui considèrent comme excessif le montant réclamé en vertu de l’article 11;

(b) from persons who have been required to pay an amount under section 11 that they consider unreasonable;

c) déposées par des personnes qui ont demandé des documents dont les délais de communication ont été prorogés en vertu de l’article 9 et qui considèrent la prorogation comme abusive;

(c) from persons who have requested access to records in respect of which time limits have been extended pursuant to section 9 where they consider the extension unreasonable;

d) déposées par des personnes qui se sont vu refuser la traduction visée au paragraphe 12(2) ou qui considèrent comme contre‑indiqué le délai de communication relatif à la traduction;

(d) from persons who have not been given access to a record or a part thereof in the official language requested by the person under subsection 12(2), or have not been given access in that language within a period of time that they consider appropriate;

d.1) déposées par des personnes qui se sont vu refuser la communication des documents ou des parties en cause sur un support de substitution au titre du paragraphe 12(3) ou qui considèrent comme contre‑indiqué le délai de communication relatif au transfert;

(d.1) from persons who have not been given access to a record or a part thereof in an alternative format pursuant to a request made under subsection 12(3), or have not been given such access within a period of time that they consider appropriate;

e) portant sur le répertoire ou le bulletin visés à l’article 5;

(e) in respect of any publication or bulletin referred to in section 5; or

f) portant sur toute autre question relative à la demande ou à l’obtention de documents en vertu de la présente partie.

(f) in respect of any other matter relating to requesting or obtaining access to records under this Part.

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

[28] En faisant référence au « plaignant dont la plainte est visée à l’un des alinéas 30(1)a) à e) », le paragraphe 41(1) n’inclut pas l’alinéa 30(1)f) dans la liste des plaintes qui peuvent mener à un recours en révision judiciaire auprès de la Cour fédérale. L’absence de l’alinéa 30(1)f) de cette liste doit être considérée comme un choix législatif délibéré. Le Parlement a décidé que les personnes qui ont déposé une plainte auprès du Commissaire à l’information concernant des refus, des frais ou des prolongations déraisonnables, les langues officielles, l’accessibilité, ou des publications ou des bulletins, peuvent ensuite demander une révision judiciaire, mais pas celles qui ont déposé une plainte portant sur « toute autre question relative à la demande ou à l’obtention de documents ».

[29] Je fais une pause pour noter incidemment qu’il semble y avoir un risque de confusion lorsqu’un plaignant dépose une plainte en vertu de l’alinéa 30(1)f) de la LAI. Conformément à l’alinéa 37(3)b), le rapport final du Commissaire à l’information doit inclure une mention « du droit de tout destinataire du compte rendu d’exercer un recours en révision au titre de l’article 41 ». Pourtant, le paragraphe 41(1) semble exclure ces plaignants de la catégorie des personnes pouvant demander une révision à la Cour.

[30] Ainsi, bien que la Cour ne soit plus compétente en vertu de l’article 41 uniquement lorsqu’il y a eu refus de divulguer des informations, comme c’était le cas lorsque les affaires Olumide et Friesen ont été tranchées, un refus de communication fait partie des motifs importants de plainte permettant le dépôt d’une demande devant la Cour. En outre, la plainte du demandeur auprès du Commissaire à l’information doit toujours correspondre au cadre des alinéas 30(1)a) à e) pour que la Cour ait compétence.

[31] Dans l’affaire Constantinescu, qui a été tranchée en 2021, le juge Pamel a conclu que les modifications apportées à la LAI en 2019 n’avaient pas d’incidence sur les droits du demandeur de demander une révision : Constantinescu, aux para 40‑41. Bien que cela ne soit pas déclaré explicitement, on peut en déduire que c’est parce qu’aucun des alinéas 30(1)b) à e) ne s’appliquait à la plainte en cause dans cette affaire, de sorte qu’il aurait dû y avoir un refus pour que la Cour ait compétence : Constantinescu, aux para 47‑50.

[32] En l’espèce également, la plainte déposée par M. Lambert auprès du Commissaire à l’information ne soulevait aucune question de frais ou de délais déraisonnables, de langues officielles, d’accessibilité ou de publication ou de bulletin émis en vertu de l’article 5 de la LAI. Les alinéas 30(1)b) à e) ne sont donc pas applicables. Par conséquent, si M. Lambert est en droit de déposer une demande de révision en vertu de l’article 41, sa plainte auprès du Commissaire à l’information doit avoir porté sur un refus en vertu de l’alinéa 30(1)a). Je suis donc d’accord avec le ministre pour dire que la Cour n’aurait compétence dans la présente affaire que s’il y avait eu refus, même si la portée de l’article 41 a été élargie depuis les arrêts Olumide et Friesen.

[33] La question est donc de savoir s’il y a eu un refus d’accès, en l’espèce. Je conclus que oui.

(2) L’inexistence de documents est un motif de refus.

[34] Le paragraphe 10(1) de la LAI traite du refus d’accorder l’accès, en énonçant deux motifs qui peuvent être invoqués pour un tel refus :

Refus de communication

Where access is refused

10 (1) En cas de refus de communication totale ou partielle d’un document demandé en vertu de la présente partie, l’avis prévu à l’alinéa 7a) doit mentionner, d’une part, le droit de la personne qui a fait la demande de déposer une plainte auprès du Commissaire à l’information et, d’autre part :

10 (1) Where the head of a government institution refuses to give access to a record requested under this Part or a part thereof, the head of the institution shall state in the notice given under paragraph 7(a)

a) soit le fait que le document n’existe pas;

(a) that the record does not exist, or

b) soit la disposition précise de la présente partie sur laquelle se fonde le refus ou, s’il n’est pas fait état de l’existence du document, la disposition sur laquelle il pourrait vraisemblablement se fonder si le document existait.

(b) the specific provision of this Part on which the refusal was based or, where the head of the institution does not indicate whether a record exists, the provision on which a refusal could reasonably be expected to be based if the record existed,

 

and shall state in the notice that the person who made the request has a right to make a complaint to the Information Commissioner about the refusal.

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

[35] Comme on peut le constater, le paragraphe 10(1) exige que l’avis donné au demandeur mentionne « le droit de la personne qui a fait la demande de déposer une plainte auprès du Commissaire à l’information » [non souligné dans l’original], que le motif du refus soit l’inexistence du document, en vertu de l’alinéa 10(1)a), ou une autre disposition de la LAI, en vertu de l’alinéa 10(1)b). À cet égard, je crois que l’expression « n’existe pas » à l’alinéa 10(1)a) de la LAI doit être comprise comme signifiant [traduction] « n’existe pas dans les dossiers de l’institution fédérale » plutôt que nécessairement [traduction] « n’existe nulle part ». En effet, si une institution fédérale dit [traduction] « nous n’avons pas ce document », elle dit que le document n’existe pas dans ses dossiers et elle refuse de donner accès au document sur cette base, conformément à l’alinéa 10(1)a) : voir Yeager c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 330 [Yeager (2017)] au para 42.

[36] Dans une décision de 2000 que j’appellerai BCI c ME, la Cour d’appel fédérale a confirmé qu’un refus fondé sur la non‑existence pouvait faire l’objet d’une révision judiciaire par la Cour fédérale : Canada (Commissaire à l’information) c Canada (Ministre de l’Environnement), [2000] ACF no 480, 2000 CanLII 15247 (CAF); demande d’autorisation d’appel refusée, [2000] SCCA no 275 (QL) [BCI c ME] au para 13. Dans cette affaire, la Cour s’est penchée sur des questions de privilège dans un cas découlant d’un refus fondé sur la non‑existence. Le juge Létourneau, s’exprimant au nom de la Cour, a déclaré :

En vertu de l’alinéa 42(1)a ) de la Loi, le Commissaire à l’information a qualité pour exercer le recours en révision pour « refus de communication » d’un document demandé en vertu de la Loi. La Cour a donc compétence pour examiner un refus de communication fondé sur l’allégation d’inexistence de documents. Toutefois, lorsque le responsable d’une institution fédérale prétend que des documents n’existent pas, la Cour saisie du recours en révision ne peut évidemment pas employer sa méthode habituelle de contrôle d’une décision de refus. Contrairement à la situation où c’est une exception à la communication qui est revendiquée, la Cour ne peut examiner les documents retenus afin de décider s’ils appartiennent effectivement à la catégorie visée par l’exception. En pareil cas, nous croyons qu’il y a lieu pour la personne qui demande la communication ou pour le Commissaire de verser des documents accessoires qui sont pertinents à l’égard de l’existence des documents demandés et qui peuvent aider la Cour à exercer sa fonction de contrôle indépendant du refus de communication du pouvoir exécutif. À notre avis, le Parlement ne peut avoir voulu que la Cour ne dispose des éléments de preuve pertinents pour exercer sa fonction de contrôle que dans les cas de refus fondés sur des exceptions visées par la Loi, mais non dans les cas de refus fondés sur l’inexistence de documents.

[Non souligné dans l’original; BCI c ME au para 13 (QL).]

[37] Dans sa décision dans l’affaire Constantinescu, le juge Pamel cite BCI c ME pour justifier que l’un des motifs selon lesquels une institution gouvernementale peut refuser l’accès à un document est que ce document n’existe pas : Constantinescu, aux para 1, 43 et 45. Je suis d’accord. Comme il est indiqué par la Cour d’appel dans le passage précédemment cité, la révision judiciaire d’un refus fondé sur l’inexistence de documents doit nécessairement se dérouler différemment que la révision d’un refus fondé, par exemple, sur une exemption. En particulier, l’enquête en révision porte sur des questions telles que l’existence réelle ou prévisible du document dans les dossiers de l’institution fédérale, ou la conformité du document à la définition de document qui n’existe pas mais qui peut être produit à partir d’un document informatisé : BCI c ME, au para 13; Yeager (2017), aux para 26‑27, 37‑43; Yeager c Canada (Service correctionnel), 2003 CAF 30, aux para 37‑46; LAI, art 4(3) et art 10(1)a). Toutefois, cela ne signifie pas que la Cour n’a pas compétence pour examiner l’affaire.

[38] Comme le souligne le ministre, la Cour est parvenue à la conclusion opposée dans l’affaire Olumide, estimant que « lorsqu’un ministère, en réponse à une demande d’information […], répond que le document n’existe pas, cette réponse ne constitue pas un refus d’accès » [non souligné dans l’original] : Olumide, au para 18, citant Clancy c Canada (Ministre de la Santé), 2002 ACF 1331; Wheaton c Société canadienne des postes, 2000 CanLII 15912 (CF); Doyle c Canada (Ressources humaines et Développement des compétences), 2011 CF 471; Blank c Canada (Ministre de l’Environnement), 2000 CanLII 16437 (CF); voir également Tomar, au para 45, et Friesen, au para 10, tous deux suivant Olumide.

[39] Je conclus que je ne peux pas accepter cette déclaration générale d’Olumide, pour trois raisons. D’abord et avant tout, je suis lié par la décision de la Cour d’appel dans BCI c ME. Cette décision me semble conforme aux dispositions du paragraphe 10(1) de la LAI, mais je serais lié par elle même si j’avais une opinion différente. Comme le juge Pamel, je conclus que la décision BCI c ME indique clairement que l’inexistence est un motif de refus, de même qu’un motif qui peut être contesté lors d’une révision en vertu de l’article 41. Je note qu’aucune des affaires invoquées dans l’affaire Olumide ne fait référence à BCI c ME, et que cette dernière affaire ne semble pas avoir été portée à l’attention de la Cour dans Olumide, ni dans les affaires Tomar et Friesen, qui lui sont postérieures.

[40] Deuxièmement, les affaires Wheaton, Blank et Doyle qui ont été citées à l’appui de la proposition dans Olumide se fondent toutes sur la décision du juge Strayer dans X c Canada (Ministre de la Défense nationale), [1991] 1 CF 670, 41 FTR 73 (1re inst) [X c MDN] concernant les présomptions de refus en vertu du paragraphe 10(3) de la LAI et la portée de la compétence de la Cour en vertu de l’article 41 de la LAI : X c MDN, p. 676‑680; Wheaton, aux para 8‑10; Doyle, adoptant Blank, aux para 9‑11. Toutefois, la Cour d’appel fédérale a conclu en 2015 que la décision X c MDN ne devait pas être suivie : Canada (Commissaire à l’information) c Canada (Défense nationale), 2015 CAF 56, aux para 57 et 66 [BCI c MDN]. Il semble que la décision BCI c DND n’ait pas non plus été portée à l’attention de la Cour dans les affaires Olumide, Tomar, Friesen ou Constantinescu.

[41] Troisièmement, dans l’affaire Olumide, la Cour a déclaré qu’elle n’avait pas compétence en vertu de l’article 41 de la LAI « à moins qu’il n’existe des éléments de preuve, au‑delà d’un simple soupçon, que les documents existent et qu’ils ont été retenus » : Olumide au para 18. À mon avis, il est préférable de considérer que la détermination de l’existence des documents relève du bien‑fondé de la demande, et non de la compétence de la Cour à entendre la demande. Il convient de noter que la LAI prévoit que, dans les procédures découlant des recours prévus aux paragraphes 41(1), la charge d’établir le bien‑fondé du refus de communication d’un document demandé incombe à l’institution fédérale concernée plutôt qu’au demandeur, et ce, peu importe les raisons du refus : LAI, art 48(1). Quoi qu’il en soit, si la Cour n’est pas convaincue, dans le cadre d’une demande faite en vertu de l’article 41, que le refus était abusif, il n’y aura pas lieu d’accorder un recours. Cependant, pour trancher cette question, la Cour doit nécessairement être compétente pour instruire la demande et apprécier les éléments de preuve présentés.

[42] Je conclus donc, comme l’a fait le juge Pamel dans l’affaire Constantinescu, que la réponse selon laquelle un document n’existe pas dans les dossiers de l’institution fédérale constitue un refus de communication en vertu de l’alinéa 10(1)a), et permet au demandeur de recourir à une révision judiciaire en vertu de l’article 41 de la LAI.

(3) En l’espèce, il y a eu refus fondé sur la non‑existence.

[43] La réponse de Patrimoine canadien à M. Lambert n’indique pas expressément que le ministère ne possède aucun document répondant à la demande de M. Lambert. Comme nous l’avons mentionné précédemment, elle indiquait seulement que M. Lambert pouvait souhaiter communiquer avec la CCN ou SPAC, que le décret pouvait l’intéresser, et que Patrimoine canadien incluait deux documents divulgués lors d’une demande antérieure. Ce fait est visé par certains des arguments de M. Lambert, analysés ci‑dessous.

[44] Malgré cela, je conclus que la réponse de Patrimoine canadien informait implicitement M. Lambert que le ministère n’avait pas en sa possession de documents répondant à ses demandes. Aucun des documents fournis n’était une loi du Parlement ou un ensemble de lois, comme demandé par M. Lambert, de sorte qu’il n’a reçu aucun document répondant directement à sa demande. Patrimoine canadien n’a pas laissé entendre qu’une autre réponse était à venir, ni qu’il poursuivrait les recherches dans ses dossiers. Au contraire, le ministère a indiqué que M. Lambert avait le droit de déposer une plainte auprès du Commissaire à l’information concernant sa demande.

[45] Quoi qu’il en soit, dans la mesure où une incertitude persistait quant à la nature de la réponse de Patrimoine canadien, celle‑ci a été dissipée au cours de l’enquête du Commissaire à l’information. Cette enquête a confirmé que [traduction] « aucun document supplémentaire n’a été trouvé en rapport avec [la] demande » et que Patrimoine canadien [traduction] « a répondu qu’il n’avait pas en sa possession ce que [le demandeur cherchait] ». En outre, dans le cadre de cette demande, un directeur du Secrétariat à l’accès à l’information et à la protection des renseignements personnels de Patrimoine canadien a produit un affidavit confirmant que la recherche de documents effectuée en novembre 2018 a mené à la conclusion que le bureau responsable au sein de Patrimoine canadien [traduction] « n’a pas en sa possession de tels documents ».

[46] Par conséquent, je conclus que Patrimoine canadien a effectivement refusé de fournir des documents au motif qu’ils n’existaient pas, c’est‑à‑dire qu’ils n’étaient pas en sa possession. La plainte déposée par M. Lambert auprès du Commissaire à l’information contestait cette [traduction] « Recherche incomplète/réponse négative » et constituait une plainte en vertu de l’alinéa 30(1)a) de la LAI. M. Lambert a reçu un compte rendu au sujet de sa plainte en application du paragraphe 37(2). Il est donc une personne décrite au paragraphe 41(1), et la Cour a compétence pour entendre cette demande.

B. Il n’y a pas lieu de rendre les ordonnances demandées

[47] Bien que je conclue que la Cour a compétence pour instruire cette demande, j’estime que M. Lambert n’a établi aucun motif pour lequel l’une ou l’autre des deux ordonnances qu’il demande devrait être rendue, à savoir (1) une ordonnance enjoignant au ministre de Patrimoine canadien de fournir des copies des lois du Parlement ou de l’ensemble de lois qu’il a demandés et, (2) dans le cas où les lois du Parlement ou l’ensemble de lois n’existeraient pas, une ordonnance enjoignant au ministre de fournir une [traduction] « lettre simple et directe reconnaissant ce fait ».

[48] Comme nous l’avons indiqué précédemment, dans une procédure engagée en vertu du paragraphe 41(1), il incombe à l’institution fédérale d’établir qu’elle est autorisée à refuser la communication d’un document demandé : LAI, art 48(1). En l’espèce, la question est donc de savoir si Patrimoine canadien a établi qu’il était autorisé à refuser la communication des documents à M. Lambert. Je conclus qu’elle l’a fait, pour les trois motifs suivants.

(1) La LAI n’exige pas du gouvernement qu’il donne un avis juridique ou une position juridique

[49] La LAI donne un droit « à l’accès aux documents relevant d’une institution fédérale » : LAI, art 4(1). La LAI ne donne pas un droit général d’obtenir des réponses aux questions. Elle donne encore moins le droit d’exiger du gouvernement qu’il fournisse au demandeur un avis juridique sur un sujet d’intérêt, qu’il prenne position ou qu’il justifie juridiquement ses propres actions. À mon avis, les demandes d’accès aux documents de M. Lambert ne font pas plus que cela.

[50] Comme il est indiqué dans le paragraphe [12] ci‑dessus, les premières questions de M. Lambert visaient à savoir quand le Parlement avait annulé le statut des îles Chaudière et Albert, approuvé leur cession pour un projet de développement privé sans restriction ou transféré son autorité exclusive sur les îles à la Ville d’Ottawa ou à la CCN. Le directeur de Patrimoine canadien a informé M. Lambert que la LAI prévoyait un droit d’accès aux documents que possède une institution gouvernementale, alors que sa demande visait simplement à poser des questions. Le directeur a demandé que les questions de M. Lambert soient reformulées de manière à demander l’accès aux documents.

[51] Les questions révisées de M. Lambert, reproduites au paragraphe [15] , demandent clairement l’accès à des documents, qu’il nomme « lois du Parlement ou ensemble de lois ». Cependant, la seule façon dont on aurait pu répondre à ces questions, ou fournir les lois demandées, aurait été d’entreprendre une analyse juridique pour déterminer si elles répondaient aux critères des questions de M. Lambert. On ne peut pas déterminer si une loi en est une par laquelle [traduction] « le Parlement a annulé le statut juridique des îles Chaudière et Albert en tant que terres publiques et a approuvé leur cession pour un projet de développement privé sans restriction » sans examiner juridiquement a) l’affirmation de M. Lambert selon laquelle les îles avaient le statut juridique qu’il prétend, b) la question de savoir si une loi particulière a annulé ce statut, et c) la question de savoir si une loi particulière a permis d’approuver la cession des îles à des fins de développement privé sans restriction. À mon avis, la LAI n’exige pas d’une institution gouvernementale qu’elle entreprenne une telle analyse juridique pour fournir à un demandeur l’information juridique qu’il recherche.

[52] L’article 6 de la LAI exige d’une demande d’accès qu’elle soit « rédigée en des termes suffisamment précis pour permettre à un fonctionnaire expérimenté de l’institution de trouver le document sans problèmes sérieux ». Bien qu’un certain degré d’examen soit nécessaire pour déterminer si un document particulier répond à une demande, je ne peux pas conclure qu’une analyse juridique, qui serait nécessaire pour déterminer les conséquences juridiques d’une loi, relève des dispositions prévues à l’article 6.

[53] Il est important de souligner que la présente demande ne constitue pas une contestation de la légalité des actions du gouvernement en ce qui concerne le projet Zibi, la disposition des terres ou le développement des îles Chaudière et Albert. Il existe des recours pour traiter une telle contestation. Ni une demande d’accès à l’information ni une demande déposée en vertu de l’article 41 de la LAI ne constituent l’un de ces recours. Elles ne peuvent pas non plus en devenir un à la suite d’une demande pour l’obtention des avis ou positions juridiques sous forme d’accès à des copies des lois.

[54] Je conclus donc qu’il n’existe aucun motif dans la LAI permettant à la Cour d’ordonner au ministre du Patrimoine canadien de fournir des copies des lois demandées par M. Lambert.

[55] Je m’empresse de souligner que rien n’empêche une institution gouvernementale de fournir des réponses utiles aux questions, ou même d’indiquer les lois pertinentes en réponse à une demande d’accès à l’information. Ce qui est en cause en l’espèce, c’est de savoir si la LAI impose une obligation à une institution gouvernementale de le faire ou, plus particulièrement, si elle permet à la Cour d’ordonner à une institution gouvernementale d’entreprendre les recherches et l’analyse juridiques nécessaires pour répondre à une demande de la nature de celle de M. Lambert.

(2) Patrimoine canadien ne possède pas de documents pertinents

[56] Comme il est indiqué précédemment, le ministre a déposé dans le cadre de la présente demande l’affidavit d’un directeur de Patrimoine canadien. Cette preuve expose les étapes que Patrimoine canadien a suivies pour traiter la demande de M. Lambert, et indique que leurs recherches ont permis de conclure que le bureau responsable [traduction] « n’a pas en sa possession de tels documents ». M. Lambert ne conteste pas cette affirmation. En fait, sa position semble être qu’il n’y a pas de documents répondant à ses demandes, c’est‑à‑dire qu’il n’y a aucune législation ayant servi à annuler le statut des îles Chaudière et Albert ou ayant permis leur développement. Le refus de fournir un accès à l’information basé sur la non‑existence des documents dans les dossiers du Patrimoine canadien est donc justifié.

[57] M. Lambert fait valoir que la lettre de Patrimoine canadien n’indiquait pas que le ministère ne possédait pas les documents. Il la compare à la lettre qu’il a reçue de la part du BCP, qui indiquait ce qui : [traduction] « aucun document pertinent quant à votre demande et appartenant à notre institution n’a été trouvé ». Il soutient qu’il avait droit à une déclaration tout aussi claire à cet effet de la part de Patrimoine canadien, affirmation qui sous‑tend sa demande de réparation subsidiaire, laquelle prend la forme d’une ordonnance exigeant que le ministre fournisse une « lettre simple et directe » confirmant l’inexistence d’une telle législation.

[58] La réponse de Patrimoine canadien aurait sans doute été plus explicite si elle avait indiqué clairement qu’aucun document pertinent n’avait été trouvé. Toutefois, pour les raisons exposées au paragraphe [44] ci‑dessus, je conclus que la réponse ne peut raisonnablement être lue dans son contexte comme étant autre chose qu’un refus fondé sur la non‑existence. Les préoccupations exprimées par M. Lambert sur l’absence d’une déclaration équivalente à celle contenue dans la lettre du BCP sonnent faux. Rien n’indique que M. Lambert ait mal compris la lettre, ni qu’il se soit renseigné auprès de Patrimoine canadien pour savoir si d’autres documents allaient lui être envoyés. Il a plutôt déposé une plainte auprès du Commissaire à l’information pour « Recherche incomplète/réponse négative ». Quoi qu’il en soit, toute incertitude a été dissipée au cours de l’enquête du Commissaire à l’information. L’enquêtrice a informé M. Lambert que Patrimoine canadien avait confirmé « qu’il n’avait pas en sa possession ce qu[’il cherchait] ». Bien que M. Lambert soutienne que cette déclaration provient du Commissaire à l’information et non de Patrimoine canadien, il n’a présenté aucune justification pouvant mettre en doute cette information. M. Lambert ne fournit pas non plus de justification pour remettre en question la preuve fournie par affidavit directement par Patrimoine canadien au cours de la présente instance.

[59] M. Lambert a déposé auprès de la Cour, sans objection de la part du ministre, un addenda à son dossier, lequel contenait les documents reçus en réponse à une demande d’accès différente qui avait été adressée au ministre du Patrimoine canadien. La demande en question portait sur tous les documents ayant conduit à la recommandation d’approbation du décret CP 2017‑1684. L’un des documents reçus par M. Lambert comprenait quelques points informatifs à propos du contexte, dont l’un indiquant que [traduction] « [b]ien que la CCN ait conclu un accord de principe avec Domtar concernant les îles Chaudière et Albert en 2006, après que l’entreprise papetière a cessé ses opérations, l’autorisation et le financement du gouvernement nécessaires à leur acquisition n’ont pas été demandés, après que la CCN a reçu du gouvernement la directive de ne pas poursuivre la transaction ». Je ne peux pas accepter l’argument de M. Lambert selon lequel la référence à la [traduction] « directive du gouvernement » signale l’existence d’une législation particulière répondant à ses demandes, et encore moins l’existence de documents détenus par Patrimoine canadien.

[60] Étant donné que la preuve montre que les documents demandés n’existaient pas, c’est‑à‑dire qu’ils n’étaient pas détenus par Patrimoine canadien, la Cour n’a aucune raison d’ordonner la production des documents. Il n’y a aucune raison non plus d’ordonner à Patrimoine canadien de faire d’autres déclarations concernant l’existence de ces documents. Bien que la Cour dispose d’un vaste pouvoir pour « rend[re] une autre ordonnance si elle l’estime indiqué », elle ne peut le faire qu’« aux conditions qu’elle juge indiquées » si elle considère que l’institution fédérale n’est pas autorisée à refuser la communication des documents : LAI, art 49.

[61] Avant de conclure sur cette question, étant donné la nature de la demande et des arguments de M. Lambert, j’estime qu’il est nécessaire de clarifier l’effet des conclusions de la Cour selon lesquelles Patrimoine canadien était autorisé à refuser l’accès aux documents sur la base de leur inexistence. Cela ne signifie pas que les arguments de M. Lambert concernant le statut juridique des îles Chaudière et Albert sont corrects ou justifiés. Cela ne signifie pas que le décret CP 2017‑1684, ou tout ce qui concerne le projet Zibi ou les transactions foncières, n’était pas autorisé. La Cour n’est pas saisie de ces questions, et aucune déduction ou hypothèse ne peut être faite sur le bien‑fondé de ces questions à partir des demandes d’accès de M. Lambert ou de la présente demande.

(3) Les documents demandés relèvent de l’exclusion prévue à l’article 68 de la LAI.

[62] L’alinéa 68a) de la LAI confirme qu’une demande d’accès à l’information ne peut être utilisée pour obtenir des copies de documents publiés ou mis en vente dans le public :

Non‑application de la présente partie

Part 1 does not apply to certain materials

68 La présente partie ne s’applique pas aux documents suivants :

68 This Part does not apply to

a) les documents publiés, exception faite de ceux dont le contenu est publié au titre de la partie 2, ou les documents mis en vente dans le public;

(a) published material, other than material published under Part 2, or material available for purchase by the public;

[…]

[…]

[63] La législation fédérale canadienne est publiée en ligne par le ministère de la Justice. Cela inclut les lois codifiées du Parlement. Les anciennes lois qui ne sont pas disponibles en ligne sont néanmoins publiées par l’imprimeur de la Reine : P.S. Knight Co. Ltd c Association canadienne de normalisation, 2018 CAF 222, au para 25. Notre Cour a confirmé que les lois canadiennes sont exemptées de communication par application de l’alinéa 68a) de la LAI : Tolmie c Canada (Procureur général), [1997] 3 CF 893 au para 10.

[64] M. Lambert souligne à juste titre que Patrimoine canadien n’a pas invoqué ou fait référence à cette exclusion dans sa réponse à sa demande. Cependant, l’enquêtrice du Commissaire à l’information a clairement avisé M. Lambert que la législation est [traduction] « généralement du domaine public et que les informations publiques sont exclues de la LAI, conformément à l’article 68 »

[65] Puisque la demande de M. Lambert vise exclusivement des documents qui, qu’ils existent ou non, seraient des documents publiés et exclus de l’application de la LAI, il n’y a donc pas lieu pour la Cour d’ordonner à Patrimoine canadien de produire des documents en réponse à la demande. Encore une fois, cela ne signifie pas qu’il soit interdit à une institution gouvernementale de fournir des copies des lois ou des hyperliens vers les lois publiées en réponse à une demande d’accès. Toutefois, une institution gouvernementale ne peut être tenue, en vertu de la LAI, de fournir des documents que le Parlement a expressément exclus de la LAI, et la Cour n’a aucune raison d’ordonner à une institution gouvernementale de fournir de tels documents.

V. Conclusion

[66] La demande de révision judiciaire est par conséquent rejetée. Lors de l’audience de l’affaire, le ministre a indiqué qu’il ne demandait aucuns dépens dans le cadre de la demande. Aucuns dépens ne sont adjugés.

[67] Enfin, au cours de l’audience de la présente affaire, la Cour a fait référence à l’article 303 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, suggérant que le défendeur approprié pourrait être le procureur général du Canada. Après un examen plus approfondi de l’article 41 de la LAI, et en particulier du paragraphe 41(5), la Cour conclut que M. Lambert a correctement désigné comme défendeur le ministre du Patrimoine canadien en tant que responsable de l’institution gouvernementale concernée.


JUGEMENT dans le dossier T‑220‑20

LA COUR STATUE :

  1. La demande est rejetée, sans dépens.

« Nicholas McHaffie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑220‑20

 

INTITULÉ :

M. LINDSAY LAMBERT c MINISTRE DU PATRIMOINE CANADIEN

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 avril 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 19 avril 2022

 

COMPARUTIONS :

M. Lindsay Lambert

 

EN SON PROPRE NOM

 

Emma Gozdzik

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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