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Date : 20220413


Dossier : IMM-2592-21

Référence : 2022 CF 533

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 avril 2022

En présence de madame la juge en chef adjointe Gagné

ENTRE :

DAVID OKURUNGBE NMOYE

OBEHI MARGARET MNOYE

DAVID IFEANYICHUKWU OSEDOME OTA-NMOYE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] Monsieur David Okurungbe Nmoye est arrivé au Canada en septembre 2013 muni d’un permis d’études. Son épouse, Obehi Margaret Nmoye, et son fils de 18 mois l’ont rejoint en mars 2017. Le couple a une fille qui est née au Canada en décembre 2017. En janvier 2019, leur dernier permis de travail a expiré. En août 2020, ils ont présenté depuis le Canada une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire [la demande CH]. Au moment de l’examen de leur demande CH, leur fils avait cinq ans et leur fille, trois.

[2] Ils demandent maintenant le contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’agent d’immigration a rejeté leur demande CH. L’agent a, selon eux, mal apprécié l’intérêt supérieur de leurs enfants mineurs; il n’a pas donné suffisamment de poids à leur établissement au Canada et aux difficultés qu’occasionnerait leur renvoi, et il a accordé trop de poids au temps qu’ils ont mis avant de régulariser leur statut au Canada.

II. Décision contrôlée

[3] Dans les motifs de sa décision, l’agent a tenu compte des facteurs suivants : l’établissement au Canada, l’intérêt supérieur des enfants, l’incidence d’une réinstallation au Nigeria et les antécédents défavorables des demandeurs en matière d’immigration.

[4] L’agent a conclu que le degré d’établissement des demandeurs n’était ni appréciable ni extraordinaire, et il a souligné que les étrangers devaient être bien établis au Canada, être financièrement indépendants et n’avoir aucun casier judiciaire, comme c’était le cas pour les demandeurs adultes. Il a donc attribué un poids modéré à l’établissement des demandeurs adultes au Canada.

[5] L’agent s’est ensuite intéressé à l’intérêt supérieur des enfants. Il a examiné l’argument des demandeurs selon lequel le bien‑être des enfants sur les plans physique, émotionnel et éducatif pourrait être gravement compromis s’ils devaient quitter le Canada et déménager au Nigeria, compte tenu de l’insuffisance des infrastructures et des services qui y sont offerts. Toutefois, il a conclu que ces questions concernaient l’ensemble de la population du Nigeria, et il a souligné qu’il n’était pas dans l’intention du législateur que l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] permette de combler l’écart entre le niveau de vie au Canada et celui dans les autres pays.

[6] L’agent a souligné que les enfants ne souffraient d’aucun problème de santé particulier et qu’ils avaient des parents attentionnés.

[7] L’agent a jugé qu’il était dans l’intérêt supérieur des enfants que leurs parents continuent de s’occuper d’eux. Bien qu’il ait reconnu que la vie des enfants serait moins perturbée s’ils demeuraient au Canada, il a conclu qu’étant donné leur jeune âge, ils s’adapteraient facilement à la vie au Nigeria et qu’ils bénéficieraient du soutien de leur famille élargie, notamment leurs grands-mères, leurs tantes et leur oncle.

[8] Après avoir examiné tous les faits concernant l’intérêt supérieur des enfants, l’agent a donné à ce facteur [TRADUCTION] « un poids relatif jouant en faveur des demandeurs ».

[9] L’agent s’est ensuite penché sur les prétendues difficultés qu’éprouveraient les demandeurs s’ils devaient se réinstaller au Nigeria. Il a fait remarquer que les demandeurs adultes avaient longtemps résidé et travaillé au Nigeria, et qu’ils seraient en mesure de s’y réinstaller. L’agent a tenu compte des conditions défavorables au Nigeria, y compris les conditions sociales, économiques et politiques difficiles, le manque de bonnes perspectives d’emploi, le prix élevé des aliments et le problème d’itinérance. Là encore, il a conclu que ces conditions touchaient tous les Nigérians. Il a fait remarquer que les niveaux de vie différaient entre les pays et que le législateur n’entendait pas combler ces écarts. L’objet de l’article 25 de la LIPR est de donner au ministre une certaine souplesse pour régler les situations extraordinaires. Même si l’agent a admis qu’un déménagement au Nigeria ne serait pas sans difficulté, il a conclu que ces difficultés seraient minimes du fait que les demandeurs adultes avaient passé la majorité de leur vie dans ce pays, qu’ils possédaient un niveau de scolarité élevé et qu’ils avaient au Nigeria des relations et des membres de leur famille élargie.

[10] Par conséquent, l’agent n’a accordé que peu de poids aux difficultés associées à la réinstallation.

[11] Enfin, l’agent a attribué [TRADUCTION] « un poids défavorable important » aux antécédents des demandeurs en matière d’immigration. Il a fait remarquer que les demandeurs étaient sans statut au Canada depuis janvier 2019 et qu’ils avaient reçu une lettre qui indiquait clairement qu’ils devaient quitter le Canada. Malgré tout, ils sont restés et ont continué de travailler au Canada sans autorisation. L’agent a conclu que le défaut des demandeurs adultes de se conformer aux lois canadiennes sur l’immigration constituait un facteur défavorable qui compromettait sérieusement la demande.

[12] Après avoir examiné tous les facteurs pertinents, l’agent a conclu que les considérations d’ordre humanitaire ne justifiaient pas de prendre la mesure exceptionnelle prévue au paragraphe 25(1) de la LIPR, et il a rejeté la demande.

III. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[13] La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. L’agent a‑t‑il commis une erreur dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants?

  2. L’appréciation des éléments de preuve par l’agent était‑elle raisonnable?

[14] Les demandeurs soutiennent que l’agent a manqué à l’équité procédurale dans l’appréciation qu’il a faite de l’intérêt supérieur des enfants, manquement qui est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Je ne suis pas d’accord.

[15] Dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, la Cour suprême a unanimement conclu que la norme de contrôle applicable à l’appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant faite par un agent d’immigration est celle de la décision raisonnable (l’opinion dissidente portait plutôt sur le critère applicable et sur la question de savoir si la décision de l’agent était en fait raisonnable).

[16] Le plus récent arrêt, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 23, n’a rien changé à cet égard.

IV. Analyse

A. L’agent a‑t‑il commis une erreur dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants?

[17] Les demandeurs soutiennent que l’agent i) n’a mené qu’une [TRADUCTION] « analyse des besoins fondamentaux des enfants », ii) n’a pas explicitement défini les intérêts des enfants et ne les a pas examinés avec beaucoup d’attention eu égard à l’ensemble de la preuve, et iii) n’a pas accordé un poids considérable à l’intérêt supérieur des enfants.

[18] Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême a conclu qu’il n’était plus nécessaire pour un demandeur de démontrer qu’il éprouverait des difficultés « inhabituelles et injustifiées ou démesurées » pour que sa demande soit accueillie. Dans cet arrêt, la juge Abella, qui s’exprimait au nom des juges majoritaires, a conclu que l’agente n’avait pas tenu compte de la situation globale du demandeur. L’agente avait plutôt appliqué de manière erronée le critère des difficultés à chacun des facteurs propres au demandeur : son jeune âge (le demandeur était âgé de 17 ans), sa santé mentale et les éléments de preuve suivant lesquels il serait victime de discrimination en raison de son origine ethnique à son retour dans son pays. Ce faisant, l’agente avait omis de tenir compte de la situation globale du demandeur.

[19] Toutefois, la Cour suprême, dans l’arrêt Kanthasamy, ne s’est pas écartée des conclusions qu’elle avait rendues dans l’arrêt Baker c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1999] 2 RCS 817, dans lequel elle a conclu ce qui suit au paragraphe 75 :

[…] pour que l’exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. Cela ne veut pas dire que l’intérêt supérieur des enfants l’emportera toujours sur d’autres considérations ni qu’il n’y aura pas d’autres raisons de rejeter une demande d’ordre humanitaire même en tenant compte de l’intérêt des enfants. Toutefois, quand l’intérêt des enfants est minimisé, d’une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable.

[20] Elle n’a pas non plus dérogé à la notion selon laquelle les considérations d’ordre humanitaire s’entendent « des faits établis par la preuve, de nature à inciter tout[e] [personne] raisonnable […] d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne — dans la mesure où ses malheurs “justifient l’octroi d’un redressement spécial” aux fins des dispositions de la [LIPR] » (au para 13, citant la première présidente de la Commission d’appel de l’immigration, Janet Scott).

[21] Les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur en ne s’intéressant qu’aux « besoins fondamentaux » des enfants. Pourtant, rien dans la preuve ne laisse voir que ces derniers pourraient avoir des besoins particuliers. L’agent a fait remarquer que les enfants n’avaient pas de problèmes de santé physique ou mentale. Les demandeurs mineurs sont des enfants normaux de cinq et de trois ans dont la vie gravite autour de leurs parents qui, de façon générale, répondent à leurs besoins.

[22] Les demandeurs affirment en outre que l’agent n’a pas défini l’intérêt supérieur des enfants et n’a pas attribué un poids suffisant à ce facteur. Je ne suis pas d’accord. L’agent a bien dit qu’il serait dans l’intérêt supérieur des enfants que leurs parents continuent de s’occuper d’eux, que ce soit au Canada ou au Nigeria, tout en admettant que le résultat le moins bouleversant pour eux serait que leur demande CH soit accueillie. Toutefois, ce facteur ne saurait à lui seul justifier la mesure demandée. Autrement, toutes les demandes CH seraient accueillies. À mon avis, il était raisonnable de la part de l’agent de conclure que ce facteur ne l’emportait pas sur les autres considérations. Il était également raisonnable pour l’agent de prendre en considération le jeune âge des enfants et de conclure que leur jeune âge faciliterait inévitablement leur intégration au Nigeria.

B. L’appréciation des éléments de preuve par l’agent était‑elle raisonnable?

[23] Pour résumer, les demandeurs contestent l’approche par laquelle l’agent a apprécié les éléments justifiant d’accorder ou de rejeter leur demande.

[24] Les demandeurs attirent l’attention de la Cour sur la preuve documentaire objective qui indique que le [TRADUCTION] « Nigeria possède l’un des pires systèmes de santé au monde », qu’il [TRADUCTION] « est le pays africain qui présente le taux de vaccination le plus bas » et que son système d’éducation est dans un état de [TRADUCTION] « délabrement presque complet », avec le [TRADUCTION] « pourcentage le plus élevé d’enfants non scolarisés au monde ».

[25] Pourtant, les demandeurs n’ont pas expliqué de quelle façon ces facteurs s’appliquaient à eux. À mon avis, les éléments de preuve démontrent plutôt que les enfants n’ont pas de besoins particuliers, que les demandeurs adultes sont scolarisés (21 ans pour le demandeur et 19 ans pour la demanderesse) et qu’ils possèdent de l’expérience de travail au Nigeria et au Canada. Si leur difficulté se limite à la réintégration dans leur pays d’origine, il s’agit d’une difficulté qui serait la même pour tous les Nigérians.

[26] En fait, le seul facteur qui s’applique aux demandeurs est que les demandeurs adultes ont eu la possibilité de terminer leurs études au Canada. À mon humble avis, l’article 25 de la LIPR n’a pas pour but de donner aux étudiants étrangers dont le permis de travail n’est pas renouvelé un autre moyen d’obtenir le statut de résident permanent au Canada.

[27] Dans l’ensemble, je suis d’avis que la décision est raisonnable et je ne vois rien qui justifie l’intervention de la Cour.

V. Conclusion

[28] Pour les motifs qui précèdent, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire. L’argument des demandeurs revient à contester le poids que l’agent a attribué aux différents facteurs en cause dans la demande CH. De fait, il relève du pouvoir de l’agent d’apprécier l’intérêt supérieur des enfants concernés par la décision, puis de décider que d’autres considérations, en l’occurrence des antécédents défavorables en matière d’immigration, l’emportent sur ce facteur.

[29] Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale à certifier, et les faits de l’espèce n’en soulèvent aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2592-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Jocelyne Gagné »

Juge en chef adjointe

Traduction certifiée conforme

Claudia De Angelis


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2592-21

 

INTITULÉ :

DAVID OKURUNGBE NMOYE, OBEHI MARGARET MNOYE, DAVID IFEANYICHUKWU OSEDOME OTA-NMOYE c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 février 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :

Le 13 avril 2022

 

COMPARUTIONS :

Jeffrey L. Goldman

 

Pour les demandeurs

 

Nimanthika Kaneira

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jeffrey L. Goldman

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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