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Date : 20220413


Dossier : IMM‐3402‐21

Référence : 2022 CF 540

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 13 avril 2022

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

KRISHNA JAYANTHI NATESAN

AUROSHIKA JAI GANESH

ASHWIN JAI GANESH

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Mme Krishna Jayanthi Natesan, une citoyenne de l’Inde, et ses deux enfants, Auroshika Jai Ganesh et Ashwin Jai Ganesh [ensemble, les demandeurs], ont présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire [la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire] en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Ils sollicitent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent principal a rejeté cette demande [la décision contestée].

[2] Je juge que la décision à l’examen est déraisonnable, car l’agent n’a pas examiné adéquatement l’intérêt supérieur des enfants [l’ISE], la preuve psychologique et le risque de violence fondée sur le sexe en Inde. Par conséquent, j’accueille la demande.

II. Contexte

A. Le contexte factuel

[3] La demanderesse principale, Mme Natesan, est née et a fait ses études en Inde. En 1995, elle a déménagé au Koweït avec sa mère pour trouver un emploi mieux rémunéré. En 2000, elle y a épousé Jai Ganesh M. Kadhrivel. Le couple a décidé de vivre au Koweït, car la famille de M. Jai Ganesh désapprouvait le mariage du fait qu’il appartenait à une caste supérieure et que Mme Natesan appartenait à une caste considérée comme l’une des plus basses du système de castes indien. En 2001 et 2002, respectivement, leur fille Auroshika et leur fils Ashwin sont nés au Koweït.

[4] En 2003, après que l’Iraq eut lancé des missiles contre le Koweït, les demandeurs sont déménagés en Inde, où ils ont vécu avec les parents de M. Jai Ganesh. Toutefois, l’hostilité de ces derniers à l’égard de Mme Natesan n’a pas diminué, et la famille est retournée au Koweït environ un mois plus tard.

[5] Comme la famille n’est pas parvenue à obtenir la résidence permanente au Koweït, M. Jai Ganesh a présenté une demande de résidence permanente au Canada, et celle‐ci a été acceptée en 2008. La famille croyait avoir jusqu’à l’expiration des cartes de résidents permanents, en 2013, pour venir au Canada. Mme Natesan et les enfants sont demeurés au Koweït avec M. Jai Ganesh, le temps pour lui de mettre graduellement fin aux activités de son entreprise.

[6] La sœur et le beau‐frère de Mme Natesan ont également obtenu la résidence permanente au Canada, et ils se sont installés au pays en 2011. Les deux familles avaient prévu de venir ensemble au Canada.

[7] M. Jai Ganesh a dû faire des allers‐retours en Inde pour prendre soin de ses parents qui ont connu des problèmes de santé en 2010 et 2011. Finalement, M. Jai Ganesh et les demandeurs ont perdu leur statut de résident permanent au Canada.

[8] En 2015, M. Jai Ganesh a présenté une nouvelle demande de résidence permanente, et celle‐ci a été rejetée en octobre 2016. En décembre 2016, la famille a présenté des demandes de visas canadiens.

[9] Un jour de janvier 2017, à 41 ans, M. Jai Ganesh a été subitement emporté par une crise cardiaque. Les visas de la famille pour le Canada ont été délivrés le lendemain. Les enfants sont allés vivre chez la famille de la sœur de Mme Natesan à Guelph, au Canada, et Mme Natesan, après avoir mis fin aux activités de l’entreprise de son mari, les a rejoints en septembre 2018.

[10] Les demandeurs ont présenté leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en avril 2019, en invoquant leurs liens familiaux étroits et leur établissement au Canada, l’intérêt supérieur d’Auroshika et d’Ashwin (qui étaient alors mineurs), et les difficultés auxquelles ils seraient confrontés en Inde, dont, pour les demanderesses, la violence fondée sur le sexe.

B. La décision à l’examen

[11] Dans la décision à l’examen, l’agent a accordé peu de poids aux liens avec la communauté au Canada, car, s’il a reconnu que les enfants allaient à l’école, il a jugé que peu de renseignements au sujet des activités de Mme Natesan au Canada avaient été fournis. Il a accordé du poids aux liens des demandeurs avec la sœur de Mme Natesan, car il a jugé que la relation entre les deux familles était étroite. L’agent a accordé peu de poids à la situation financière des demandeurs au Canada, car, a‐t‐il souligné, Mme Natesan avait fait des études et qu’elle était financièrement autonome grâce aux fonds provenant de l’entreprise de son mari, lesquels pouvaient lui servir à se réinstaller en Inde. Dans son analyse du rapport d’un psychologue selon lequel Mme Natesan souffrait d’un trouble dépressif majeur, l’agent a reconnu qu’elle souffrait de dépression, mais il a jugé que les renseignements contenus dans le rapport qui se rapportaient aux événements racontés n’étaient [traduction] « pas objectifs ». Il a également souligné que Mme Natesan avait précédemment eu recours à du counseling virtuel et qu’elle pourrait faire de même en Inde.

[12] L’agent a accordé peu de poids à l’ISE et à la situation en Inde, y compris en ce qui a trait à la violence fondée sur le sexe. Il a conclu que les considérations d’ordre humanitaire ne suffisaient pas à justifier une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR.

III. Les questions en litige et la norme de contrôle

[13] Les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur :

  1. en appliquant un critère inapproprié à l’ISE;

  2. dans son traitement de la preuve psychologique;

  3. en exigeant, dans son analyse des difficultés liées à la discrimination, un élément de preuve établissant un préjudice personnalisé;

  4. en appliquant un critère inapproprié à la dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[14] Les parties conviennent que la décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[15] Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov au para 85. Il incombe aux demandeurs de démontrer que la décision est déraisonnable. Lorsqu’elle infirme une décision pour ce motif, la cour de révision doit être convaincue que la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » : Vavilov au para 100.

IV. Analyse

A. L’agent a-t-il appliqué un critère inapproprié à l’intérêt supérieur des enfants?

[16] L’agent a reconnu qu’il était dans l’intérêt supérieur des enfants de demeurer au Canada, car, a‐t‐il souligné, ils avaient obtenu leur diplôme d’études secondaires au Canada, ils avaient eu de bonnes notes et ils avaient passé peu de temps en Inde. Mais il a conclu que la preuve ne suffisait pas à établir que l’intégration des enfants à la société canadienne ou que les difficultés que représentait pour eux un retour en Inde étaient telles que leur bien‐être en serait compromis, et, pour cette raison, il a accordé peu de poids à l’ISE.

[17] Les demandeurs soutiennent que, plutôt que d’évaluer ce qui était dans l’intérêt supérieur des enfants et de l’apprécier par rapport aux autres facteurs pertinents d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, l’agent a resserré à tort le critère relatif à l’ISE en exigeant qu’il soit démontré que les enfants seraient considérablement affectés.

[18] De l’avis des demandeurs, qui s’appuient sur les paragraphes 67 à 70 de la décision Williams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 166 [Williams], il était déraisonnable de la part de l’agent d’exiger qu’il soit démontré que les enfants souffriraient au point que leur bien‐être serait compromis pour accorder davantage que le poids minimal à leur intérêt supérieur.

[19] Bien que je convienne avec le défendeur que l’application du critère énoncé dans la décision Williams n’était pas requise (Zlotosz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 724 au para 23) et qu’un demandeur ne peut s’attendre à une décision favorable simplement parce que l’intérêt supérieur d’un enfant milite en faveur de ce résultat (Garraway c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 286 au para 58), je juge qu’en l’espèce, l’agent a commis une erreur dans son analyse de l’ISE, car il a appliqué un critère inapproprié à l’ISE et n’a pas examiné tous les éléments de preuve essentiels pertinents aux fins de cette analyse.

[20] La Cour suprême du Canada, au paragraphe 34 de l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy], a écrit ce qui suit :

Passons maintenant à la nécessité, faite au par. 25(1), de « [tenir compte] de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché ». Dans l’arrêt Agraira, le juge LeBel fait observer que cet intérêt s’entend « notamment des droits, des besoins et des intérêts supérieurs des enfants, du maintien des liens entre les membres d’une famille et du fait d’éviter de renvoyer des gens à des endroits où ils n’ont plus d’attaches » (par. 41). [...]

[21] Puis, au paragraphe 41, elle a ajouté ceci :

À mon avis, il s’ensuit non seulement que l’« intérêt supérieur » doit être considéré comme un élément important, mais aussi qu’il doit jouer dans l’appréciation des autres aspects de la situation de l’enfant. Et comme « [l]es enfants méritent rarement, sinon jamais, d’être exposés à des difficultés », la notion de « difficultés inhabituelles et injustifiées » ne saurait généralement s’appliquer aux difficultés alléguées par un enfant à l’appui de sa demande de dispense pour considérations d’ordre humanitaire (Hawthorne, par. 9). Puisque l’enfant peut éprouver de plus grandes difficultés qu’un adulte aux prises avec une situation comparable, des circonstances qui ne justifieraient pas une dispense dans le cas d’un adulte pourraient néanmoins la justifier dans le cas d’un enfant [...].

[22] Plutôt que de suivre les directives de la Cour suprême et de se concentrer sur ce qui était dans l’intérêt supérieur des enfants, l’agent s’est posé la mauvaise question en se demandant si la preuve démontrait que des difficultés [traduction] « compromettraient » le bien‐être des enfants. La Cour a rejeté cette approche dans la décision Conka c Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 985 au para 23, où elle cite le juge Décary de la Cour d’appel fédérale, qui, au paragraphe 9 de l’arrêt Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, avait déclaré que « le concept de “difficultés injustifiées” n’est pas approprié lorsqu’il s’agit d’évaluer les difficultés auxquelles s’exposent les enfants innocents. Les enfants méritent rarement, sinon jamais, d’être exposés à des difficultés. »

[23] Je juge également que l’agent n’a pas accordé le poids approprié aux liens étroits des enfants avec leur tante et sa famille au Canada, qui, après le décès soudain de leur père, les ont aidés à faire leur deuil et à s’adapter à la vie sans lui. Cette erreur affaiblit le caractère approprié de l’analyse de l’ISE, car un agent doit « examiner l’incidence de tous les éléments de preuve essentiels liés aux considérations d’ordre humanitaire que soulevait la demande, et tenir compte des éléments qui allaient à l’encontre des conclusions tirées ou qui remettaient en question les prémisses sur lesquelles s’appuyait la décision à l’égard de la demande : Vavilov aux para 126 et 128 » : Wedderburn c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 299 au para 37.

[24] Comme Auroshika l’a écrit dans une lettre à l’appui de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire de sa famille, les [traduction] « membres de la famille de [sa] tante sont les plus proches parents » qu’ils aient jamais eus, leur oncle [traduction] « est comme un père » et leur tante [traduction] « est comme une deuxième maman », et il n’y a personne en Inde de qui elle et son frère soient aussi proches. Elle a aussi écrit que leur tante et leur oncle les ont accueillis, elle et son frère cadet, et ont pris soin d’eux comme s’ils étaient [traduction] « leurs propres enfants » pour aider leur mère pendant qu’elle était au Koweït. Dans une autre lettre, la sœur de Mme Natesan a également décrit ce qu’elle avait fait pour s’occuper des deux enfants après le décès de M. Jai Ganesh, car Mme Natesan était [traduction] « épuisée émotionnellement » et souffrait d’une [traduction] « grave dépression » quand elle était au Koweït. En outre, la fille de la sœur de Mme Natesan a également écrit une lettre dans laquelle elle a présenté Auroshika comme sa sœur et Ashwin comme son frère, et elle a ajouté qu’ils étaient ses soutiens émotionnels tout comme elle était le leur.

[25] En ce qui concerne l’ISE, jamais n’est mentionné dans la décision à l’examen le soutien que les deux demandeurs mineurs avaient reçu de leur tante et de leur oncle après ce qui était probablement le plus tragique événement qu’ils aient jamais vécu, à savoir la mort de leur père. Pour cette raison, je partage l’avis des demandeurs selon lequel l’agent a minimisé l’importance de la relation d’interdépendance entre les enfants et la famille de leur tante avant de conclure qu’il ne serait pas préjudiciable aux enfants d’être séparés de leurs plus proches parents, en lesquels ils voient des figures maternelle et paternelle et une fratrie.

[26] En dépit des éléments de preuve dont il disposait, l’agent a conclu, de manière déraisonnable, que la preuve ne suffisait pas à établir que la relation entre les enfants et leurs proches parents au Canada était [traduction] « caractérisée par un tel degré d’interdépendance et de confiance qu’un renvoi serait considérablement préjudiciable aux demandeurs ». Cette conclusion minimise l’importance ou ne tient pas compte des facteurs favorables aux enfants, en contradiction avec les paragraphes 34 et 41 de l’arrêt Kanthasamy.

[27] L’agent a également conclu que les enfants avaient une expérience des voyages qui les aiderait à se réintégrer à la société indienne, qu’ils maîtrisaient l’anglais et le tamoul, et qu’ils pourraient maintenir la relation entre eux et les membres de leur famille au Canada depuis l’Inde. Ce faisant, l’agent n’a pas pris adéquatement en compte l’absence de soutien familial en Inde, le peu de temps que les enfants y avaient passé et les difficultés qu’ils devraient surmonter pour s’adapter à la vie dans un pays où ils n’avaient jamais vécu et dont la culture ne leur était pas familière.

[28] À l’audience, le défendeur a prétendu qu’étant donné que l’agent avait reconnu qu’il était dans l’intérêt des enfants de demeurer au Canada, cette conclusion [traduction] « jou[ait] en leur faveur ». Cet argument est directement contredit par la propre conclusion de l’agent selon laquelle il [traduction] « accorde peu de poids à l’intérêt supérieur de l’enfant. »

[29] Le défendeur a également soutenu à l’audience que les enfants étaient maintenant en âge d’aller à l’université, qu’ils pourraient vivre là où ils voudraient étudier, qu’ils n’auraient pas à retourner en Inde, et qu’ils ne vivaient au Canada que depuis 2017. Ces arguments supplémentaires sont sans lien avec la décision à l’examen, puisqu’il n’y est pas fait mention de l’endroit où les enfants pourraient poursuivre leurs études ni des raisons faisant qu’il serait acceptable, vu le nombre d’années qu’ils ont passées au Canada, de ne pas tenir compte de leur intérêt supérieur.

[30] Pour conclure sur ce point, l’agent, en appliquant un critère juridique inapproprié et en n’examinant pas les éléments de preuve essentiels, n’a pas été « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants : Kanthasamy au para 38, citant Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux para 74‐75. Pour cette raison, la décision contestée est déraisonnable.

B. L’agent a‐t‐il commis une erreur dans son traitement de la preuve psychologique?

[31] À propos de la preuve psychologique, l’agent a entre autres affirmé ce qui suit dans la décision à l’examen :

[traduction]
J’ai examiné le rapport psychologique de la demanderesse adulte. Il repose sur une évaluation clinique de 60 minutes. Cette évaluation a été effectuée par le psychologue Gerald Devins. La demanderesse a été dirigée vers lui par son conseil en vue d’obtenir une évaluation psychologique indépendante. Le rapport résume les événements que la demanderesse a vécus au Koweït, en Inde et au Canada. La conclusion du rapport est que la demanderesse souffre d’un trouble dépressif majeur de gravité modérée.

Même si je reconnais que la demanderesse souffre de dépression, j’accorde seulement un certain poids aux autres conclusions contenues dans le rapport, faute d’autres éléments de preuve documentaire à l’appui des affirmations. [Je souligne.]

[32] Selon mon interprétation des motifs cités ci‐dessus, l’agent a accepté le diagnostic du psychologue selon lequel Mme Natesan souffre d’un [traduction] « trouble dépressif majeur de gravité modérée », mais il a rejeté les autres conclusions contenues dans le rapport qui se rapportaient à la situation dans le pays. Au cours de l’audience, j’ai soumis mon interprétation aux parties. Le défendeur a répondu qu’il y souscrivait.

[33] Bien que l’agent ait accepté le fait que Mme Natesan souffrait de dépression, il a en fin de compte accordé [traduction] « seulement un certain poids » à l’évaluation psychologique, et ce, pour deux motifs.

[34] Premièrement, l’agent a souligné que rien n’indiquait que le psychologue avait été témoin d’événements survenus au Koweït, en Inde ou au Canada, ou qu’il avait consulté la preuve concernant la situation en Inde, et il a conclu que les renseignements contenus dans le rapport qui se rapportaient aux événements survenus dans la vie de Mme Natesan étaient non pas objectifs, mais plutôt basés sur ce que Mme Natesan avait dit au psychologue. Deuxièmement, l’agent a conclu que Mme Natesan savait comment accéder à des ressources en ligne et pourrait le faire si elle devait éprouver des problèmes de santé mentale à son retour en Inde. Les demandeurs ont contesté ces deux conclusions.

[35] À propos de la première conclusion de l’agent concernant le rapport, les demandeurs soutiennent que l’agent a déraisonnablement fait fi du fait incontestable que les professionnels de la santé mentale ne sont pas des experts de la situation dans les pays étrangers et qu’ils sont rarement témoins des événements ayant amené un patient à demander de l’aide professionnelle. Ils ajoutent que le raisonnement de l’agent va à l’encontre de l’arrêt Kanthasamy, selon lequel « un psychologue n’a pas à être expert de la situation dans un pays en particulier pour donner son opinion sur les conséquences psychologiques probables d’un renvoi du Canada » : Kanthasamy au para 39.

[36] Les demandeurs soutiennent également que l’agent, en exigeant que le psychologue ait été témoin des événements ou qu’il soit au fait de la situation à l’étranger, a déraisonnablement rehaussé la norme d’acceptation d’une preuve psychologique. Ils soulignent que l’agent n’a pas contesté la déclaration sous serment dans laquelle les faits relatés dans le rapport figuraient également, que les conclusions contenues dans le rapport reposaient sur les résultats d’un test psychologique (l’échelle Fptsd de l’inventaire multiphasique de la personnalité du Minnesota), et que le psychologue qui a effectué l’évaluation détenait un doctorat en psychologie clinique, qu’il était un psychologue agréé, qu’il avait effectué plus de 6 800 évaluations psychologiques et qu’il n’avait aucun intérêt dans l’affaire.

[37] Le défendeur répond qu’il était raisonnable de la part de l’agent de ne pas accepter les conclusions du psychologue concernant la situation en Inde et la situation dans laquelle se retrouverait Mme Natesan si elle devait y retourner, étant donné que le psychologue n’avait pas indiqué avoir fait des recherches sur la situation en Inde. De l’avis du défendeur, le psychologue n’a fait que répéter les propos de Mme Natesan au sujet de la situation en Inde sans faire preuve de la diligence raisonnable requise pour confirmer les impressions de Mme Natesan et sans reconnaître sa méconnaissance du sujet. Le défendeur soutient que de nombreux précédents de la Cour établissent que le simple fait qu’un psychologue ou qu’un psychiatre répète ce que lui a dit un demandeur ne prouve pas que ce qui a été dit est véridique (Demberel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 731 [Demberel] aux para 47‐48).

[38] À mon avis, l’affaire Demberel diffère de la présente affaire, car, en l’espèce, l’agent a reconnu que Mme Natesan souffrait de dépression. Après avoir accepté cette conclusion, l’agent a rejeté les autres conclusions du psychologue pour le seul motif que [traduction] « les renseignements contenus dans le rapport qui se rapportaient aux événements survenus dans la vie de Mme Natesan étaient non pas objectifs, mais plutôt basés sur ce que Mme Natesan avait dit au psychologue ». À mon avis, cette conclusion est déraisonnable pour deux raisons : premièrement, le diagnostic aussi, que l’agent a accepté, repose en partie sur ce qu’avait dit Mme Natesan, et deuxièmement, je conviens avec les demandeurs que cette conclusion a rehaussé la norme d’acceptation d’une preuve psychologique et qu’elle va à l’encontre du paragraphe 49 de l’arrêt Kanthasamy.

[39] Quant à la deuxième conclusion de l’agent concernant le rapport, je souscris à l’argument des demandeurs selon lequel l’agent a commis une erreur en faisant fi de l’impact psychologique d’un renvoi du Canada et en se concentrant plutôt sur l’accès à un traitement en Inde : Kanthasamy au para 48.

[40] Dans son rapport, le psychologue a conclu que des préjudices supplémentaires détérioreraient la santé mentale de Mme Natesan et qu’il était dans l’intérêt supérieur de Mme Natesan de demeurer au Canada, étant donné le traumatisme causé par le décès inattendu et prématuré de son mari, les bienfaits négligeables que l’aide psychologique offerte en ligne lui avait procurés dans le passé, ses pensées suicidaires passives ainsi que l’amélioration considérable de sa santé mentale attribuable au soutien que lui ont apporté sa sœur et son beau‐frère.

[41] La décision à l’examen ne fait nullement état de ces éléments de l’opinion d’expert formulée par le psychologue, puisque l’agent a tout simplement conclu que Mme Natesan pourrait accéder à des [traduction] « ressources en ligne » offertes pour résoudre les problèmes de santé mentale. À mon avis, cette conclusion est déraisonnable, car elle ne tient pas compte de la preuve ni des observations des demandeurs, y compris le témoignage de la sœur de Mme Natesan attestant que Mme Natesan était [traduction] « épuisée émotionnellement et souffrait d’une grave dépression quand elle était au Koweït » et que son état émotionnel [traduction] « s’était grandement amélioré » depuis son arrivée au Canada.

[42] Je rejette l’argument supplémentaire avancé à l’audience par le défendeur selon lequel le rapport d’évaluation du psychologue doit être [traduction] « replacé dans son contexte », à savoir qu’il a été préparé [traduction] « uniquement aux fins de l’immigration » et [traduction] « non pour aider la demanderesse à surmonter ses problèmes de santé mentale ».

[43] Je juge le nouvel argument du défendeur pour le moins inusité. Comme le souligne le défendeur, il incombe aux demandeurs de démontrer que les faits justifient une dispense. En l’espèce, si les demandeurs n’avaient pas présenté de rapport psychologique, l’agent n’aurait probablement même pas reconnu que Mme Natesan souffrait de dépression.

[44] Par ailleurs, il n’y a selon moi rien d’inapproprié à ce que les demandeurs dans les affaires liées à des considérations d’ordre humanitaire présentent un rapport psychologique, s’il y a lieu, à l’appui de leur demande. Cela ne diffère en rien des demandeurs qui disent souffrir d’un problème de santé physique et qui présentent un rapport de leur médecin traitant qui en atteste. En outre, comme l’ont souligné les demandeurs, il est courant, autant en matière civile qu’en matière criminelle, que les parties à l’instance présentent des évaluations psychologiques ou psychiatriques dans le cadre normal du processus judiciaire. Il est déraisonnable, selon les demandeurs, de remettre en question la valeur d’un tel rapport pour la seule et unique raison qu’il est présenté dans une instance en immigration. Je le pense aussi.

[45] En l’espèce, l’agent n’a pas cherché à savoir pourquoi Mme Natesan avait fait des démarches pour obtenir ce rapport psychologique et, d’ailleurs, il a accepté le diagnostic du psychologue. Tout simplement rien ne permettait au défendeur de mettre en question les raisons pour lesquelles les demandeurs ont obtenu ce rapport, et rien dans la preuve ne donnait à penser que ce rapport était le fruit de motifs condamnables.

C. L’agent a‐t‐il commis une erreur en exigeant, dans son analyse des difficultés liées à la discrimination, un élément de preuve établissant un préjudice personnalisé?

[46] L’agent a attribué peu de poids à la situation en Inde, car il a conclu que, bien que la violence fondée sur le sexe soit un problème dans ce pays, les demandeurs devaient établir un lien entre la situation en Inde et leur situation personnelle, et la preuve ne suffisait pas à démontrer que Mme Natesan et sa fille risquaient davantage d’être prises pour cibles que les autres femmes en Inde.

[47] Les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur en exigeant une preuve directe établissant un lien entre les demanderesses et la menace de violences sexuelles et de discrimination en Inde. Ils affirment qu’ils n’étaient pas tenus de démontrer que les demanderesses seraient davantage prises pour cibles que les autres femmes en Inde ni de présenter une preuve personnalisée démontrant qu’elles seraient discriminées, en se fondant sur le raisonnement exposé aux paragraphes 55 et 56 l’arrêt Kanthasamy, qui a été suivi dans les décisions Isesele c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 222 (au para 16) et Kanakasingam c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 457 (au para 20).

[48] Le défendeur soutient qu’indépendamment de la question de savoir si la situation générale déplorable dans le pays de nationalité d’une personne peut justifier l’accueil d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, le fait est que les demandeurs n’ont pas établi de lien entre leur situation personnelle et la situation qu’ils disent défavorable en Inde : Dorlean c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1024 [Dorlean], aux para 35‐36. Dans la décision Dorlean, le juge Shore a conclu qu’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire doit se fonder sur un risque particulier et personnel au demandeur, car, autrement, chaque ressortissant d’un pays en difficulté devrait recevoir une évaluation positive, ce qui n’est pas l’objectif du processus relatif aux considérations d’ordre humanitaire.

[49] Je souligne que la décision Dorlean a été rendue avant l’arrêt Kanthasamy. Au paragraphe 53 de celui‐ci, il est précisé que la discrimination peut être inférée « lorsqu’un demandeur établit qu’il appartient à un groupe qui est victime de discrimination ».

[50] Je souligne également que Mme Natesan a établi un lien entre sa situation personnelle et la discrimination à laquelle elle serait exposée en Inde, et qu’elle a d’ailleurs présenté des observations à cet égard. Dans son affidavit, elle a fait part des inquiétudes à propos de sa sécurité et de celle d’Auroshika que lui causait le fait que le harcèlement sexuel et la violence envers les femmes étaient [traduction] « répandus » en Inde. Elle a également mentionné la forme particulière de discrimination à laquelle elle serait exposée [traduction] « en tant que veuve et femme célibataire ». En outre, le rapport du psychologue indiquait que Mme Natesan s’était dite préoccupée que [traduction] « sa liberté d’expression et la liberté et l’indépendance avec laquelle elle mène sa vie [soient] sévèrement limitées » en tant que [traduction] « veuve avec deux enfants » en Inde, qu’elle avait souligné que la vaste stigmatisation menait à [traduction] « l’ostracisme et à l’exclusion », et qu’elle avait fait part de son inquiétude que ces répercussions négatives [traduction] « s’étend[ent] à ses enfants ».

[51] De l’avis du défendeur, si l’on accepte le raisonnement des demandeurs, il s’ensuit logiquement que les demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire présentées par des ressortissantes de l’Inde (quels que soient leur statut socioéconomique et l’endroit où elles résideraient en Inde) devraient toujours être approuvées. Je ne partage pas cet avis. Certes, la discrimination fondée sur le sexe pourrait bien être un facteur dans bon nombre de demandes fondées des considérations d’ordre humanitaire présentées par des ressortissantes de l’Inde (et d’autres pays d’ailleurs), mais il ne s’agit toujours que d’un seul des nombreux facteurs qui doivent être appréciés à la lumière de l’ensemble de la preuve dans chacun des cas.

[52] Récemment, au paragraphe 30 de la décision Quiros c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1412, j’ai souscris aux motifs exposés par le juge Grammond aux paragraphes 5 à 7 de la décision Marafa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 571, par lesquels il rejetait un argument semblable à celui qu’a avancé le défendeur en l’espèce :

[6] Or, avec égard pour mes collègues, j’estime que ce raisonnement exagère la portée de la jurisprudence majoritaire que j’ai évoquée plus haut et néglige le caractère discrétionnaire d’une décision au sujet d’une demande CH. Tenir compte d’un facteur n’est pas synonyme de rendre une décision favorable au demandeur. Ainsi, la prise en considération des conditions générales du pays de renvoi n’équivaut pas à interdire tout renvoi dans certains pays où les conditions de vie sont particulièrement difficiles.

[7] Le raisonnement des décisions Lalane, Joseph et Ibabu est difficile à réconcilier avec l’arrêt Kanthasamy de la Cour suprême du Canada. En toute justice pour mes collègues, je signale que cet arrêt est postérieur à leurs décisions. Dans cet arrêt, la Cour suprême a rejeté une analyse compartimentée des facteurs pertinents à une demande CH et a affirmé que l’agent doit « examiner et [...] soupeser toutes les considérations d’ordre humanitaire pertinentes » (paragraphe 33, italiques dans l’original). En réalité, refuser de prendre en considération les conditions de vie dans le pays de renvoi, c’est faire comme si le demandeur était renvoyé dans un pays imaginaire. Une telle approche désincarnée est contraire à l’esprit de l’arrêt Kanthasamy.

[53] L’agent, en exigeant que Mme Natesan et Auroshika démontrent qu’elles [traduction] « risquent davantage d’être prises pour cibles que les autres femmes en Inde », a commis l’erreur d’imposer aux demanderesses un fardeau plus lourd que celui que leur imposait la loi.

[54] Les demandeurs ont présenté des arguments supplémentaires à l’audience selon lesquels l’agent a commis une erreur en faisant abstraction de la question de la caste, qui s’ajoute à la discrimination fondée sur le sexe. Je conviens avec le défendeur que la preuve au dossier concernant la question de la caste était insuffisante, en particulier en ce qui a trait à ses conséquences sur Auroshika (qui a des parents de deux castes différentes). En outre, étant donné la conclusion à laquelle je suis parvenue concernant la question de la violence fondée sur le sexe, il ne m’est pas nécessaire d’examiner ce nouvel argument.

D. L’agent a-t-il commis une erreur dans son application du critère relatif aux considérations d’ordre humanitaire?

[55] Les parties en l’espèce ne s’entendent pas au sujet du critère juridique d’évaluation d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Le défendeur soutient qu’il s’agit d’une mesure [traduction] « d’exception » et non d’une filière d’immigration de remplacement, et il cite à ce propos le paragraphe 15 de la décision Semana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1082, le paragraphe 16 de la décision Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Nizami, 2016 CF 1177, et le paragraphe 16 de la décision Shackleford c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1313. Les demandeurs soutiennent que l’approche préconisée par le défendeur a été rejetée aux paragraphes 13 et 31 à 33 de l’arrêt Kanthasamy par les juges majoritaires de la Cour suprême.

[56] Tout d’abord, je souligne qu’en l’espèce, contrairement à ce que l’on voit dans bon nombre de décisions relatives à des considérations d’ordre humanitaire, l’agent n’a pas explicitement affirmé que les demandeurs n’avaient pas démontré que leur situation était [traduction] « exceptionnelle » ou [traduction] « hors de l’ordinaire ». Les parties peuvent avoir interprété ainsi un passage de la décision contestée, mais l’affirmation elle‐même ne s’y trouve pas.

[57] Dans la mesure où je dois me prononcer sur les différentes approches préconisées par les parties, je juge des plus instructif ce qu’a affirmé le juge Zinn dans la décision Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1482, après qu’il eut résumé la nature d’une dispense fondée sur des considérations d’ordre humanitaire :

[23] Il existe une différence importante entre le fait de souligner que ces mesures exceptionnelles sont prévues parce que la situation personnelle particulière de certains est telle que l’expulsion les frappe plus durement que d’autres, et le fait d’affirmer que l’octroi de pareilles mesures est possible uniquement pour ceux qui font la preuve de l’existence de malheurs ou d’autres circonstances exceptionnelles par rapport à d’autres. Le premier explique la raison d’être de l’exemption, tandis que le second vise à identifier les personnes susceptibles de bénéficier de l’exemption. Le second impose à l’exception une condition qui n’a pas lieu d’être.

[Souligné dans l’original.]

[58] Je conviens avec les demandeurs que l’évaluation d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ne repose pas sur une approche [traduction] « comparative » selon laquelle le demandeur doit démontrer en quoi sa situation, par rapport à celle des autres, justifie une dispense. Quant à l’argument du défendeur selon lequel les agents qui tranchent des milliers de demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire doivent pouvoir s’appuyer sur [traduction] « quelque chose » pour distinguer un cas d’un autre, je réponds qu’ils n’ont qu’à se référer à l’arrêt majoritaire rendu par la Cour suprême dans l’affaire Kanthasamy, qui confirme que l’objet de l’exercice du pouvoir discrétionnaire à l’égard de considérations d’ordre humanitaire est d’offrir « une mesure à vocation équitable lorsque les faits sont “de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne” » : Kanthasamy au para 21. Cet arrêt guide les agents lorsqu’ils tranchent des demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire en leur rappelant l’objectif législatif du paragraphe 25(1) et les facteurs pertinents à examiner dans le cadre de l’évaluation de telles considérations. En fait, je tiens pour acquis que tous les agents chargés d’examiner des demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire connaissent les enseignements de l’arrêt Kanthasamy.

[59] En définitive, il ne m’appartient pas de décider si la présente affaire est de nature à inciter les membres de notre société à accorder une dispense. Cependant, je conclus que la décision est entachée par plus d’erreurs qu’il n’en faut pour justifier le renvoi de l’affaire à un autre décideur qui rendra une nouvelle décision.

V. Conclusion

[60] La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

[61] Il n’y a pas de question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‐3402‐21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’une nouvelle décision soit rendue;

  3. Aucune question n’est certifiée.

« Avvy Yao‐Yao Go »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‐3402‐21

 

INTITULÉ :

KRISHNA JAYANTHI NATESAN, AUROSHIKA JAI GANESH, ASHWIN JAI GANESH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 MARS 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GO

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 AVRIL 2022

 

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Michael Butterfield

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Barbara Jackman

Jackman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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