Dossier : IMM‑945‑21
Référence : 2022 CF 458
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), 1er avril 2022
En présence de madame la juge Strickland
ENTRE :
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PRABAKARAN JAYARAMAN
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Il s’agit de la demande de contrôle judiciaire concernant la décision datée du 22 janvier 2021 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté l’appel du demandeur contre la Section de la protection des réfugiés [SPR], qui avait conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97, respectivement, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].
Le contexte
[2] Le demandeur, citoyen de l’Inde, dit craindre d’être persécuté par les autorités, par la société en général ainsi que par les dirigeants religieux de ce pays du fait de son orientation sexuelle.
[3] Le demandeur soutient qu’en 2010 il a assumé des responsabilités de gestion pour un restaurant qui appartenait à son père. En février 2016, il a embauché un nouveau cuisinier appelé Govindan. Graduellement, Govindan et lui sont devenus très proches. En juin 2016, Govindan a révélé au demandeur qu’il était membre de la caste des dalits, considérée comme intouchable. Une semaine plus tard, le demandeur et Govindan sont partis en voyage en vue d’acheter du riz pour le restaurant. Ils ont séjourné ensemble dans une chambre d’hôtel, et Govindan lui a révélé qu’il était homosexuel. Les deux ont alors eu des rapports sexuels. Le demandeur soutient que sa relation avec Govindan s’est poursuivie après leur retour à son village.
[4] Le demandeur prétend que, à son insu, un aide‑cuisinier embauché par son père a eu pour instruction de les espionner, Govindan et lui. En juillet 2017, le restaurant a fermé ses portes durant trois jours, pour que l’on puisse faire de légères réparations dans la cuisine. Le demandeur et Govindan se trouvaient dans le local du personnel quand l’aide‑cuisinier est arrivé à l’improviste et les a photographiés en train de s’embrasser. Lorsque l’aide‑cuisinier a montré les photographies au père du demandeur, celui‑ci s’est mis en colère et il a roué son fils de coups. Accompagné des cousins du demandeur, son père s’est ensuite rendu à l’endroit où habitait Govindan et il l’a roué de coups lui aussi. Le demandeur soutient que son père a porté plainte auprès de la police, alléguant que Govindan avait victimisé son fils et en avait fait un homosexuel. La police a arrêté Govindan. Sa caste de même que les photographies sont devenus publiques, ce qui a rendu les villageois furieux. La police a ensuite arrêté le demandeur et l’a battu. Ce dernier dit que son oncle s’est entretenu avec un agent de police d’un grade supérieur, qui a accepté d’obtenir sa mise en liberté en échange d’un cautionnement en espèces et de diverses conditions. Le demandeur est parti se cacher et il a ensuite quitté l’Inde en recourant aux services d’un passeur. Il est arrivé au Canada le 5 septembre 2017 et il a demandé l’asile le 9 mars 2018, ou aux environs de cette date.
[5] La SPR a entendu la demande d’asile du demandeur et a conclu que ce dernier n’était pas un témoin digne de foi ou fiable. Elle a jugé que de nombreux éléments de son témoignage étaient vagues et prêtaient à confusion, et qu’il avait enjolivé ou fabriqué des éléments de preuve pour étayer sa demande. Elle a fait référence au paragraphe 7.6 des Directives numéro 9 de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, intitulées Procédures devant la CISR portant sur l’orientation et les caractères sexuels ainsi que l’identité et l’expression de genre [Directives en matière d’OCSIEG], et elle a conclu que le témoignage et la preuve du demandeur étaient vagues. En particulier, le demandeur avait fait montre d’un manque de connaissances sur des détails de base concernant son partenaire, Govindan, dont son nom de famille. Ce fait minait sa crédibilité générale. La SPR a également fait état d’autres doutes quant à la crédibilité. Elle a aussi conclu qu’il avait présenté fort peu de preuves documentaires à l’appui de sa demande, et que les documents qu’il avait quand même produits n’avaient pas dissipé les nombreux doutes sérieux que suscitait sa crédibilité.
La décision faisant l’objet du présent contrôle
[6] La SAR a conclu que la SPR avait appliqué d’une manière appropriée les Directives en matière d’OCSIEG lors de l’évaluation de la preuve.
[7] La SAR n’a relevé aucune erreur dans l’inférence défavorable que la SPR a tirée du fait que le demandeur ignorait le nom de famille de Govindan, et elle aussi a considéré que cela était invraisemblable. Elle a également jugé qu’il y avait une incohérence inexpliquée entre l’explication du demandeur selon laquelle son père, en le faisant passer pour une victime, voulait le protéger et le fait que celui‑ci avait porté plainte à la police parce que, censément, son fils avait été transformé en un homosexuel. La SAR a tiré une inférence défavorable de cela, de même que du témoignage vague et évasif du demandeur à propos des efforts qu’il avait faits pour obtenir des copies de la plainte déposée auprès de la police et du mandat délivré contre lui.
[8] La SAR a est estimé que la SPR avait commis une erreur en concluant que l’allégation du demandeur selon laquelle il avait été témoin d’hommes ayant des rapports sexuels entre eux dans le dortoir d’un collège ne concordait pas avec la preuve que, en Inde, les homosexuels courent un risque de mort ou de préjudice grave. Elle a jugé qu’il s’agissait là d’une incohérence secondaire, qui n’était pas déterminante à l’égard de la demande.
[9] La SAR a également considéré que la SPR avait commis une erreur en tirant une inférence défavorable de la disposition évidente du demandeur à se livrer à un comportement sexuel risqué dans le restaurant, et elle a déclaré qu’elle n’aurait pas tiré la même inférence. Cependant, ce fait n’était pas déterminant à l’égard de la demande, car le demandeur n’était pas crédible de façon générale et il n’avait pas établi qu’il avait entretenu une relation avec Govindan.
[10] La SAR a conclu que la SPR avait eu raison de faire abstraction des éléments de preuve documentaires du demandeur. La SPR n’avait pas commis d’erreur en jugeant que le demandeur n’était généralement pas crédible et que les documents qu’il avait soumis n’étaient pas suffisants pour étayer une décision en sa faveur.
[11] La SAR n’a pas contesté la crédibilité des éléments de la preuve documentaire concernant le traitement des homosexuels en Inde mais, comme le demandeur n’était pas parvenu à établir qu’il avait un tel profil, elle a jugé qu’il n’était pas nécessaire d’analyser ce risque.
[12] La SAR a confirmé que la décision de la SPR était correcte, concluant que le demandeur n’était généralement pas crédible, ce qui réfutait la présomption de véracité. Le demandeur n’était donc pas parvenu à établir de manière crédible qu’il s’exposait à une possibilité sérieuse de persécution ou à montrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il s’exposerait personnellement à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il devait retourner en Inde.
Les questions en litige et la norme de contrôle applicable
[13] La seule question qui est en litige dans la présente affaire est celle de savoir si la décision de la SAR est raisonnable. Plus précisément :
la SAR a‑t‑elle commis une erreur dans la manière dont elle a appliqué les Directives en matière d’OCSIEG?
les conclusions de la SAR quant à la crédibilité sont‑elles raisonnables?
la SAR a‑t‑elle commis une erreur dans la manière dont elle a traité les éléments de preuve documentaires du demandeur?
[14] Les parties soutiennent, et je suis d’accord avec elles, que, pour évaluer le bien‑fondé de la décision de la SAR, il est présumé que la cour de révision doit appliquer la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 16, 23 et 25). En appliquant cette norme, la cour de révision se demande si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable – la justification, la transparence et l’intelligibilité – et si cette décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci (Vavilov, au para 99).
Analyse
i.
La SAR a‑t‑elle commis une erreur dans la manière dont elle a appliqué les Directives en matière d’OCSIEG?
[15] Le demandeur soutient que la SAR a omis de tenir compte de son affirmation selon laquelle la SPR [traduction] « s’est fondée de manière inexacte sur son récit, sur les faits fondamentaux qu’il a vécus et sur ses allégations »
et que la SPR n’a pas [traduction] « approfondi le processus psychologique et affectif qu’il [le demandeur] a subi depuis l’époque où il était un jeune garçon, pendant son adolescence et à l’âge adulte »
. Il ajoute que les motifs de la SAR ne montrent pas que celle‑ci a abordé de manière holistique et sensible les expériences uniques que son orientation sexuelle lui a fait vivre, et que les conclusions qu’elle a tirées sont viciées parce qu’elle s’est écartée des Directives en matière d’OCSIEG au sujet des preuves corroborantes.
[16] Le défendeur soutient que la SAR a examiné de manière raisonnable les circonstances du demandeur et qu’elle a expressément tenu compte des Directives en matière d’OCSIEG. Elle a considéré que le demandeur n’avait pas donné d’exemples précis de la manière dont la SPR avait fait abstraction des Directives dans son analyse et que ses conclusions quant à la crédibilité reposaient sur des incohérences relevées dans les allégations du demandeur qu’il n’était pas possible d’expliquer raisonnablement.
[17] Je signale que la SPR indique au début de ses motifs que, pour arriver à sa décision, elle a pris en compte les Directives en matière d’OCSIEG. Elle ajoute que les Directives soulignent les défis particuliers auxquels peuvent être confrontés les demandeurs d’asile devant la SPR pour ce qui est de leur orientation sexuelle et de leur identité et de leur expression de genre. De plus, les Directives établissent des principes qui guident les décideurs de la SPR lorsqu’ils ont affaire à des cas qui mettent en cause des questions liées aux OCSIEG. La SPR dit qu’elle s’est servie des Directives afin de s’assurer que l’instance comportait le degré de sensibilité et de conscience nécessaires à l’égard de la situation du demandeur d’asile, relativement aux questions d’OCSIEG qui étaient susceptibles d’avoir une incidence sur des conclusions de fait et des conclusions mixtes de fait et de droit.
[18] La SAR signale que le demandeur, dans les observations qu’il a présentées en appel, a affirmé que la SPR s’est fondée, pour la forme, sur les Directives en matière d’OCSIEG et qu’elle ne les a pas appliquées de bonne foi. La SAR a pris acte de l’affirmation du demandeur selon laquelle la SPR aurait dû approfondir sa situation psychologique en tant que tamoul indou âgé de 31 ans et reconnaître ce qu’il a déclaré au sujet de la difficulté à témoigner à propos de son attirance secrète envers les hommes, plutôt que de se concentrer sur [traduction] « le récit, les faits fondamentaux, les allégations, les actes commis par des tiers ». La SAR note que le demandeur a affirmé que la SPR n’a pas appliqué les sections 3.1, 3.2, 3.3, 3.6, 6.1, 7.4.1, 7.6.1 et 7.7.1 des Directives en matière d’OCSIEG, lesquelles décrivent certaines des difficultés auxquelles peuvent se heurter de nombreux demandeurs d’asile qui présentent des différences sur le plan des OCSIEG.
[19] La SAR a fait remarquer que le demandeur n’avait pas cité les motifs de la SPR ni donné des exemples précis de l’omission alléguée d’appliquer les Directives en matière d’OCSIEG. Et bien qu’il ait fait référence à de nombreuses sections de ces Directives, il n’a pas montré en quoi les conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité n’établissaient pas une appréciation du contexte dans lequel la demande d’asile avait pris naissance. La SAR dit qu’elle a écouté l’enregistrement de l’audience de la SPR et qu’elle n’a relevé aucun exemple des difficultés auxquelles sont confrontées les personnes aux prises avec des différences sur le plan des OCSIEG. Le demandeur a témoigné sans difficulté et il n’a pas semblé être intimidé ou éprouver des difficultés psychologiques. La SAR n’a pas non plus constaté d’obstacles culturels qui aurait influencé son témoignage. Elle a conclu que, dans l’affaire, la question litigieuse était uniquement la crédibilité des allégations du demandeur.
[20] À mon avis, et contrairement aux observations du demandeur, il ressort clairement des motifs de la SAR que celle‑ci a pris conscience qu’il faisait valoir que la SPR s’était [traduction] « fondée de manière inexacte sur son récit, sur les faits importants qu’il a[vait] vécus et sur ses allégations »
. Cependant, comme la SAR l’a conclu, pour faire valoir que les Directives en matière d’OCSIEG n’avaient pas été appliquées, le demandeur était tenu de faire plus qu’énumérer simplement leurs dispositions. Il lui fallait relever une erreur précise dans les conclusions de la SPR au sujet de la crédibilité ou d’autre nature qu’elle avait tirées pour établir de quelle manière elle n’avait pas appliqué les Directives à sa situation (Obalade c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1030 [Obalade] au para 18; Yu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 625 au para 22). La SAR a écouté l’enregistrement de l’audience de la SPR et elle n’a relevé aucun exemple donnant à penser que le demandeur avait de la difficulté à relater son récit.
[21] De plus, les Directives en matière d’OCSIEG n’obligent pas la SPR ou la SAR à approfondir le [traduction] « processus psychologique et affectif »
des demandeurs. Au contraire, ces décideurs doivent effectuer leurs évaluations de la crédibilité en gardant à l’esprit, d’une part, les défis particuliers auxquels peuvent se heurter les personnes dont il faut prendre en considération les OCSIEG lorsqu’elles présentent leur situation et, d’autre part, les principes énoncés dans les Directives.
[22] Le demandeur soutient que la SAR s’est écartée des Directives en matière d’OCSIEG, lesquelles reconnaissent que dans les affaires qui mettent en cause des OCSIEG il est possible qu’on ne dispose pas de preuves corroborantes. Cependant, ni la SAR ni la SPR n’ont rejeté la demande d’asile du demandeur en raison d’un manque de preuves corroborantes sur son orientation sexuelle. La SAR a rejeté l’appel parce qu’elle a convenu avec la SPR que le demandeur manquait généralement de crédibilité.
[23] De plus, les Directives en matière d’OCSIEG traitent de l’évaluation de la crédibilité des personnes dont les OCSIEG doivent être pris en considération :
7.4 Incohérences
7.4.1 Les cas concernant des personnes dont les OCSIEG doivent être pris en considération ne diffèrent pas des autres dossiers dont est saisie la CISR, c’est‑à‑dire que les commissaires peuvent tirer une conclusion défavorable des incohérences, des contradictions ou des omissions importantes dans la preuve à défaut d’explication raisonnable. Au moment d’évaluer le caractère raisonnable d’une explication donnée pour un problème de crédibilité cerné, les commissaires devraient tenir compte des réalités personnelles, culturelles, sociales, économiques et juridiques des personnes dont les OCSIEG doivent être pris en considération, ainsi que de leur bien‑être mental, des obstacles linguistiques et des répercussions d’un traumatisme. À titre d’exemple, il peut être difficile pour une personne qui a caché ses OCSIEG de les dévoiler et d’en parler avec les autorités gouvernementales au point d’entrée, ce qui pourrait entraîner des incohérences entre les renseignements fournis dans le cadre de l’interrogatoire au point d’entrée et ceux présentés dans le cadre du témoignage à l’audience. À titre d’autre exemple, les identités définies par les OCSIEG peuvent être fluides et une personne peut se désigner comme un homme gai au point d’entrée et comme une personne trans plus tard dans son formulaire Fondement de la demande d’asile. Les incohérences terminologiques peuvent également être expliquées de façon raisonnable. À titre d’exemple, les lettres d’appui reflètent les points de vue des personnes qui les rédigent. Il se peut que l’auteur de la lettre n’utilise pas les mêmes termes ou ne décrive pas l’identité de la personne de la même façon que la personne elle‑même le fait
7.5 Conclusions d’invraisemblance
7.5.1 Les conclusions d’invraisemblance ne doivent pas être fondées sur des stéréotypes. À titre d’exemple, il peut être vraisemblable qu’une personne dont les OCSIEG doivent être pris en considération ait eu des relations hétérosexuelles. Il peut être également vraisemblable qu’elle ait participé à des activités qui auraient pu l’exposer à un risque dans son pays de référence.
7.6 Témoignage vague
7.6.1 Un témoignage vague et peu détaillé au sujet de relations entre personnes du même sexe ou genre peut justifier une conclusion défavorable quant à la crédibilité, mais les commissaires doivent établir s’il y a des obstacles culturels, psychologiques ou d’autres natures susceptibles d’expliquer la manière dont le témoignage est présenté. Dans un dossier concernant une personne dont les OCSIEG doivent être pris en considération, lorsque le commissaire conclut que le témoignage est vague, il doit, comme dans d’autres cas, fournir des motifs précis à l’appui de la conclusion suivant laquelle le témoignage n’est pas complet ni transparent.
[24] Il était loisible à la SAR et la SPR de prendre en considération les incohérences, les invraisemblances et les imprécisions au moment d’évaluer la crédibilité du témoignage du demandeur, et celui‑ci n’a pas établi que la SAR, en agissant de la sorte, a appliqué indûment les Directives en matière d’OCSIEG. Comme le signale le défendeur, notre Cour a décrété que ces Directives ne sont pas une « panacée »
contre les conclusions défavorables quant à la crédibilité (Okunowo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 175 au para 66; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 179 au para 19). Le fait que la SAR ait relevé dans la preuve des incohérences et des invraisemblances ne veut pas dire que les Directives en matière d’OCSIEG n’ont pas été appliquées ou qu’elles l’ont été de manière irrégulière.
[25] Lorsqu’il a comparu devant moi, le demandeur a affirmé que son principal souci avait trait à l’omission de la SAR d’apprécier les facteurs culturels lorsqu’elle avait évalué sa preuve. Par exemple, au moment d’examiner le témoignage du demandeur selon lesquels il n’avait pas demandé et il ignorait le nom de famille de Govindan, la SAR aurait dû considérer ce fait dans son juste contexte culturel. Cependant, les observations qui ont été soumises à la SAR ne donnaient pas à penser qu’il y avait un contexte culturel pertinent et qu’il aurait fallu en tenir compte. À l’audience de la SPR, le demandeur a aussi été interrogé en détail par son propre conseil. Mais il ne lui a pas posé de questions sur l’existence d’un lien culturel quelconque qui aurait expliqué le fait qu’il ignorait le nom de famille de Govindan, pas plus qu’il n’a laissé entendre qu’il y avait en jeu des sensibilités culturelles quelconques.
[26] Je signale également que la SAR, dans ses motifs, montre en fait qu’elle a porté attention à plusieurs éléments des Directives en matière d’OCSIEG. Par exemple, elle a jugé que la SPR avait commis une erreur en tirant une inférence défavorable fondée sur le comportement à risque des hommes homosexuels dans le contexte de l’Inde. Cela concorde avec les indications données à la section 7.5 des Directives en matière d’OCSIEG : « il peut être vraisemblable qu’[une personne dont les OCSIEG doivent être pris en considération] ait participé à des activités qui auraient pu l’exposer à un risque dans son pays de référence »
. La conclusion de la SAR selon laquelle la SPR avait commis une erreur montre qu’elle était sensible à ces indications.
[27] Pour toutes les raisons qui précèdent, je ne suis pas convaincue que la SAR, dans sa décision, a fait abstraction ou a mal interprété les Directives en matière d’OCSIEG.
ii.
Les conclusions de la SAR quant à la crédibilité sont‑elles raisonnables?
[28] Le demandeur soutient que l’analyse de la SAR était exagérément minutieuse et que celle‑ci a mis en doute sa crédibilité en s’arrêtant à des questions qui étaient secondaires, peu pertinentes et tangentielles par rapport à sa demande et qu’elle a tiré des conclusions déraisonnables à l’égard de sa crédibilité. Plus particulièrement, la SAR a commis une erreur en se concentrant sur le fait que le demandeur ignorait le nom de famille de son partenaire Govindan, en concluant que ses allégations au sujet de la plainte déposée par son père à la police étaient invraisemblables et en interprétant mal son témoignage à propos des efforts qu’il avait faits pour obtenir une copie du rapport de police. Le demandeur soutient également que la SAR a fait abstraction de manière déraisonnable de sa preuve documentaire.
[29] Le défendeur soutient que la SAR n’a pas tiré de conclusions d’invraisemblance. Elle a fait état de contradictions évidentes dans la preuve du demandeur qui n’étaient pas expliquées de manière raisonnable et qui étaient reliées au nœud de sa demande. De plus, ces conclusions relatives à la crédibilité étaient raisonnables. La SAR a également conclu de manière raisonnable que la preuve documentaire du demandeur n’était pas suffisante pour étayer la demande.
i.
Le nom de famille de Govindan
[30] La SAR a considéré que la SPR n’avait pas commis d’erreur en tirant une inférence défavorable du fait que le demandeur ignorait le nom de famille de Govindan. Elle a souligné que le demandeur connaissait Govindan depuis un an et demi avant qu’il prenne la fuite au Canada; il le décrivait comme l’amour de sa vie et un bon ami; il l’avait personnellement embauché, il lui avait fourni un logement et, sur le plan professionnel, il était son gérant et il avait travaillé à ses côtés pendant 16 mois. Le demandeur a dit de leur relation personnelle qu’elle était exclusive et sincère et qu’ils étaient très proches. La SAR a estimé que le fait d’ignorer le nom de famille de Govindan justifiait que l’on tire une inférence défavorable quant à la crédibilité selon la prépondérance des probabilités. De plus, ce fait était également invraisemblable, car l’allégation débordait le cadre de ce à quoi il était raisonnable de s’attendre. Sur ce point, la SAR a signalé que le demandeur connaissait le nom de famille de l’aide‑cuisinier que son père avait embauché deux semaines avant l’incident, mais pas celui de son amant. La SAR a souscrit à l’inférence défavorable que la SPR avait tirée sur ce point.
[31] Le demandeur soutient que la SAR a trop insisté sur le fait qu’il ignorait le nom de famille de son partenaire du même sexe et qu’elle a fait abstraction du fait que l’élément le plus important de sa demande était son orientation sexuelle. Il ajoute que la conclusion que la SAR a tirée à l’égard de la crédibilité était déraisonnable parce qu’il s’agissait d’une omission mineure ou secondaire dans son témoignage et qu’il avait expliqué de manière raisonnable que Govindan n’avait jamais mentionné son nom de famille, car il voulait cacher le nom de la famille de son père.
[32] À mon avis, pour les motifs dont elle fait état, la SAR a conclu de manière raisonnable que le fait que le demandeur ignorait le nom de famille de Govindan, dans ces circonstances, justifiait que l’on tire une inférence défavorable quant à la crédibilité et la conclusion que ce fait était invraisemblable parce qu’il débordait le cadre de ce à quoi il était raisonnable de s’attendre. Il ne s’agissait pas d’un point secondaire. La totalité de la demande du demandeur est axée sur sa relation avec Govindan; cette relation occupe une place centrale dans l’orientation sexuelle que revendique le demandeur. De plus, l’affidavit que celui‑ci a déposé au soutien de son appel devant la SAR ne confirme pas l’explication susmentionnée, à savoir que Govindan voulait cacher le nom de la famille de son père. Le demandeur a plutôt déclaré qu’il ne voulait pas faire intrusion dans la vie privée de la famille de Govindan en s’enquérant du nom de son père, de son nom de famille.
[33] Dans la décision Obalade, le juge Walker a examiné une conclusion défavorable quant à la crédibilité de nature semblable par rapport à un demandeur qui se disait bisexuel et, a‑t‑il écrit :
[22] La conclusion défavorable tirée par la SAR quant à la crédibilité de M. Obalade repose principalement sur le témoignage vague qu’a donné ce dernier et sur le fait qu’il ne connaissait pas des renseignements de base au sujet de WA. M. Obalade soutient que l’évaluation par la SAR de sa relation avec WA reflète son opinion sur la façon dont une personne devrait s’exprimer à propos d’un partenaire et d’une relation. Or, la SAR n’a pas axé son analyse sur sa conception d’une relation intime, mais plutôt sur le fait que M. Obalade n’avait pu donner aucun renseignement de base au sujet d’un partenaire avec qui il avait été pendant quatre ans ni aucune caractéristique pour le décrire. Il ne s’agit pas d’un cas où le tribunal exigeait de quelqu’un qu’il exprime ses sentiments ou décrive sa relation intime.
[34] Comme dans l’affaire Obalade, il était raisonnable que la SAR conclue que l’omission du demandeur de ne « donner aucun renseignement de base au sujet [de son amoureux] […] ni aucune caractéristique pour le décrire »
– son nom de famille – avait une incidence défavorable sur sa crédibilité et que ce fait n’avait pas été expliqué de manière raisonnable.
ii.
L’omission de produire le rapport de police
[35] Le demandeur fait valoir que la SAR a mal interprété son témoignage au sujet des efforts qu’il avait faits pour obtenir une copie du rapport de police et qu’il n’essayait pas d’être vague ou évasif. Il avait plutôt présenté un scénario hypothétique, celui du risque auquel son oncle aurait pu s’être exposé s’il avait demandé une copie de la plainte. De plus, les incohérences, s’il y en avait, étaient minimes et n’auraient pas dû servir de fondement à une conclusion défavorable quant à la crédibilité.
[36] Il ressort d’un examen de la transcription de l’audience de la SPR que le demandeur a tout d’abord déclaré qu’il avait tenté d’obtenir une copie de la plainte par l’entremise de son père, mais que celui‑ci n’avait pas répondu au téléphone. Quand on lui a demandé si son oncle aurait pu en obtenir une copie, le demandeur a répondu qu’il aurait peut‑être pu le faire, mais que cet oncle lui avait dit qu’un mandat d’arrestation avait été établi contre lui et qu’il était inquiet que la police garde l’oncle en détention pour essayer de savoir de lui où lui‑même se trouvait.
[37] Répondant à des questions de son propre conseil, le demandeur a tout d’abord déclaré qu’il n’avait pas contacté son oncle pour lui poser des questions au sujet du mandat ou de la plainte. Il a ensuite dit qu’il l’avait demandé à son oncle, mais qu’ils avaient tous deux eu peur de ce qui pouvait arriver si l’oncle demandait les documents. Son conseil a fait de multiples efforts pour que le demandeur explique cette contradiction dans son témoignage. Ce dernier a déclaré qu’il détenait quelques informations sur les accusations qui étaient portées contre lui. Son oncle lui avait dit qu’il y avait deux accusations qui pesaient contre lui, et que cette information lui avait été communiquée par un agent de police qui était très proche de lui et qui était en poste dans leur village. Quand on lui a demandé pourquoi son oncle n’avait pas pu obtenir une copie du mandat ou d’autres documents par l’entremise de cet ami policier, le demandeur a déclaré que l’agent de police avait un grade subalterne et que c’était des agents d’un grade supérieur qui conservaient tous les documents. Le demandeur n’a pas indiqué comment il était au courant de cela.
[38] Il ressort clairement de la transcription que le demandeur n’a jamais expliqué en fait pourquoi il avait témoigné de manière incohérente à propos du fait de savoir s’il avait demandé à son oncle une copie de la plainte déposée par son père auprès de la police. De plus, son témoignage changeait et était évasif. Je ne souscris pas non plus à l’observation que l’avocat m’a soumise, à savoir que le demandeur n’avait tout simplement pas compris la question posée ou que des facteurs culturels l’empêchaient de répondre de manière claire. Ce n’est pas ce qui ressort du dossier.
[39] La SAR peut tirer raisonnablement des inférences défavorables quant à la crédibilité d’un demandeur à cause d’incohérences ou de contradictions dans son témoignage (Olajide c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 197 [Olajide] aux para 11‑13, 17‑18; Noel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 281 au para 20). Dans la présente affaire, la SAR a tiré raisonnablement une inférence défavorable quant à la crédibilité du demandeur en se fondant sur son témoignage.
iii.
Le comportement du père du demandeur
[40] La SAR a estimé que la SPR n’avait pas commis d’erreur en concluant que le témoignage du demandeur sur la plainte portée par son père auprès de la police n’était pas digne de foi. Elle a jugé qu’il y avait une incohérence entre, d’une part, le témoignage du demandeur selon lequel son père voulait le protéger, en le faisant passer pour une victime de Govindan, et, d’autre part, son témoignage à propos du fait que son père avait déposé une plainte à la police dans laquelle il admettait que le demandeur avait été [traduction] « transformé en un homosexuel »
. C’est‑à‑dire qu’il y avait une incohérence entre le souhait de la famille d’éviter toute honte et toute réprobation sociale et la déclaration du père du demandeur aux autorités que son fils avait des relations sexuelles avec un homme. S’appuyant sur le témoignage incohérent du demandeur au sujet du comportement de son père, la SAR a tiré une inférence défavorable quant à sa crédibilité.
[41] Le demandeur soutient que la SAR n’a pas tenu compte du fait que son témoignage concordait avec ses allégations et sa situation particulière. Il n’était pas non plus invraisemblable que le père du demandeur ait voulu rejeter le blâme sur Govindan et tenir celui‑ci criminellement responsable de la relation. De plus, le demandeur a expliqué de manière raisonnable que son père avait porté plainte dans un geste de colère, n’anticipant pas que les photographies seraient divulguées au public.
[42] Dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA, le demandeur indique que son père voulait présenter l’incident de manière à faire passer son fils pour la victime de Govindan, mais que cette histoire avait plus tard dérapé.
[43] Il ressort d’un examen de la transcription de l’audience de la SPR que quand celle‑ci lui a demandé pourquoi son père avait porté plainte à la police contre Govindan, le demandeur a répondu que son père était fâché parce que Govindan [traduction] « avait souillé son fils »
et qu’il avait agi sous l’impulsion de la colère. Sa famille s’attendait à ce que la police arrête Govindan, mais pas qu’elle prenne des mesures contre le demandeur. Cependant, le photographe avait rendu les clichés publics, ce qui avait envenimé la situation. Quand on lui a demandé pourquoi son père avait porté plainte alors que la relation sexuelle allait être dans ce cas connue de la police, et peut‑être du public, le demandeur a déclaré qu’il ne le savait pas.
[44] Le conseil du demandeur, lorsqu’il l’a interrogé, lui a fait remarquer que son père savait sûrement qu’en se présentant à la police il allait rendre public un comportement qui serait considéré comme honteux, et il lui a demandé pourquoi son père ne se serait pas plutôt occupé de la situation en privé. Le demandeur a répondu que l’intention de son père, en déposant la plainte, était de le protéger et de mettre un terme à la relation. Quand on lui a demandé pourquoi son père avait voulu agir ainsi de manière aussi publique, le demandeur a répondu : [traduction] « [p]eut‑être qu’il a pris une décision rapide et que, quand il en a parlé à un politicien, ils ont décidé ensemble de déposer une plainte »
. Il n’y a pas eu d’autre preuve au sujet de l’intervention d’un politicien.
[45] La SPR a conclu que, d’après le témoignage du demandeur, son père avait honte de lui et que, si c’était le cas, il serait alors raisonnable de présumer que celui‑ci ne voulait pas que d’autres sachent ou pensent que son fils était homosexuel. La SPR a signalé que le demandeur, dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA ainsi que dans son témoignage, a soutenu que sa famille avait perdu sa réputation et vivait dans la honte parce que le public croyait qu’il était homosexuel. La SPR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y avait peu de chances que le père du demandeur ait déposé auprès de la police une plainte qui faisait savoir au public que son fils était homosexuel ou qui aurait amené le public à le percevoir comme tel. La SPR a donc tiré une inférence défavorable au sujet de la véracité de l’allégation du demandeur.
[46] Contrairement à la conclusion de la SAR, la SPR n’a pas trouvé que le demandeur avait témoigné de manière incohérente. J’ai aussi un peu de difficulté avec l’idée que l’on reproche au demandeur de ne pas pouvoir expliquer les agissements de son père. Il n’y a non plus aucune incohérence, dans le propre témoignage du demandeur au sujet du comportement de son père. La SAR a déclaré avoir tiré une inférence défavorable quant à la crédibilité en s’appuyant sur le [traduction] « témoignage incohérent »
du demandeur. À mon avis, ce témoignage n’était pas incohérent dans le sens littéral du terme. La SAR n’a tout simplement pas admis que l’explication du demandeur était vraisemblable compte tenu du contexte, c’est‑à‑dire le fait de déclarer publiquement sa relation homosexuelle alors que l’incidence négative de ce geste était évidente. Comme l’a déclaré la SAR, le demandeur a signalé qu’il vivait dans un village où les gens sont très religieux et conservateurs et où ils ont une attitude hostile envers les homosexuels.
[47] En définitive, et en gardant à l’esprit le fait que le demandeur n’a pas produit le rapport de police et la conclusion de la SPR, à savoir que, selon la prépondérance des probabilités, il serait peu vraisemblable que le père signale l’incident à la police, l’inférence défavorable quant à la crédibilité qu’a tirée la SAR est raisonnable.
[48] Par ailleurs, même s’il s’agissait d’une conclusion d’invraisemblance, la SAR était en droit de tirer des conclusions sur la crédibilité du demandeur en se fondant sur des invraisemblances, le bon sens et la logique, et elle peut rejeter une preuve si elle est incompatible avec les probabilités touchant l’ensemble de l’affaire ou si elle est marquée par des incohérences (voir la décision Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 au para 26). Une conclusion d’invraisemblance peut se justifier quand l’allégation n’est pas logique au vu de la preuve ou quand elle « déborde le cadre de ce à quoi il est raisonnable de s’attendre »
(Valtchev c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2001 CFPI 776 au para 7; Aguilar Zacarias c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1155 aux para 9‑11; Akintola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 971 aux para 11‑14).
[49] Il était loisible à la SAR de conclure que l’allégation du demandeur, à savoir que son père aurait déposé une plainte publique auprès de la police alors que, d’après ses dires, il vivait dans un village où les gens étaient très religieux et conservateurs et avaient une attitude hostile envers les homosexuels, était invraisemblable, car cette allégation ne concordait pas avec la preuve et n’était pas logique au vu de cette dernière, ou elle débordait le cadre de ce à quoi il était raisonnable de s’attendre.
[50] Le demandeur soutient qu’il n’est pas invraisemblable que son père ait pris délibérément le risque de faire état de la relation à la police (et, je le signale, d’engager un étranger pour espionner son fils, ce qui créait également un risque d’exposition publique) et qu’il ait surestimé la mesure dans laquelle il pouvait contrôler l’information. Mais cela n’explique pas pourquoi le père du demandeur avait opté pour une démarche publique alors que la relation homosexuelle du demandeur n’avait pas été portée à la connaissance du public. Le demandeur ne signale pas non plus un élément quelconque du dossier qui confirme son observation que les agissements de son père étaient raisonnables [traduction] « de la part d’un parent indien, compte tenu des facteurs culturels et de la notion historique selon laquelle les parents cherchent à rejeter le blâme sur d’autres personnes quand, dans leur esprit, l’orientation sexuelle de leur enfant a été causée par quelqu’un d’autre, et non acquise naturellement »
.
[51] Quoi qu’il en soit, même si cette conclusion de la SAR n’était pas raisonnable, cela ne rendrait pas déraisonnable la manière dont la SAR a évalué la crédibilité dans son ensemble. Les conclusions de la SAR sur le rapport de police, la méconnaissance du nom de famille de Govindan et le caractère vague et évasif du témoignage du demandeur suffiraient pour étayer sa conclusion que la SPR n’avait pas commis d’erreur en déterminant que le demandeur, de façon générale, manquait de crédibilité.
iii.
La SAR a‑t‑elle commis une erreur dans la manière dont elle a traité les éléments de preuve documentaires du demandeur?
[52] Le demandeur soutient que la SAR a fait abstraction de manière déraisonnable de sa preuve documentaire qui corroborait son orientation sexuelle. Il ajoute que la SAR, toujours de manière déraisonnable, a attribué peu de poids à une lettre produite par The 519 [Centre 519] et en concluant que cette lettre ne corroborait pas son orientation sexuelle. De plus, la SAR a qualifié à tort de lettre l’affidavit de son oncle, elle n’en a pas évalué la valeur probante et elle lui a attribué, par erreur, peu de poids. Enfin, la SAR n’a pas évalué la preuve dans son ensemble.
[53] Le défendeur soutient que la SAR a bel et bien pris en considération la lettre du Centre 519 mais qu’elle a conclu qu’elle n’était pas suffisante pour établir l’orientation sexuelle du demandeur. Quant à l’affidavit de l’oncle, compte tenu des problèmes de crédibilité sous‑jacents, la SAR a conclu de manière raisonnable que ce document ne permettait pas de disposer de la demande d’asile. Le défendeur ajoute que les arguments du demandeur au sujet de sa crédibilité sont assimilables à une demande pour que notre Cour soupèse à nouveau la preuve.
[54] La SAR a fait remarquer que la SPR a conclu que le demandeur n’était pas un témoin digne de foi ou fiable et que son manque général de crédibilité était suffisant pour rejeter la demande. La SAR a ajouté qu’une conclusion d’absence de crédibilité générale peut s’étendre à tous les éléments de preuve pertinents, auquel cas il faudrait une preuve documentaire indépendante et crédible pour pouvoir trancher la demande de manière favorable. La SAR a estimé que la SPR n’avait pas commis d’erreur en concluant que le demandeur manquait généralement de crédibilité et que les documents qu’il avait soumis n’étaient pas suffisants pour permettre de trancher sa demande de manière favorable.
[55] Comme il est indiqué dans la décision Lawani, un manque de crédibilité concernant les éléments centraux d’une demande d’asile peut s’étendre à d’autres éléments de cette demande et s’appliquer de façon généralisée aux éléments de preuve documentaires qui sont présentés pour corroborer une version des faits (au para 24). La SPR a conclu que c’était le cas en l’espèce. La SAR a convenu qu’une conclusion de manque de crédibilité générale peut s’étendre à la totalité des éléments de preuve pertinents, auquel cas il serait nécessaire de produire une preuve documentaire indépendante et crédible pour pouvoir trancher la demande favorablement.
[56] La SAR a pris en considération les photographies produites, et elle a jugé qu’elles semblaient avoir été prises lors d’une parade de la fierté gaie et a admis que le demandeur avait pris part à cette activité. Elle a toutefois signalé que n’importe qui peut le faire et elle n’a donc attribué aux photographies aucune valeur probante pour ce qui était de corroborer l’orientation sexuelle du demandeur. Celui‑ci n’a pas contesté la conclusion à laquelle la SAR est arrivée au sujet des photographies.
[57] La SAR a également pris en considération la carte d’adhésion au Centre 519, le dossier de formation, la fiche de présence et la lettre du Centre 519 qui confirmait que le demandeur était membre de cette organisation depuis septembre 2017 et qu’il assistait aux réunions hebdomadaires. La SAR a jugé qu’il n’y avait aucune preuve que le demandeur n’aurait pas pu s’associer au Centre 519 sans être homosexuel et que ces documents n’étaient pas suffisants pour rendre crédible l’identité sexuelle que revendiquait le demandeur.
[58] La lettre du Centre 519 confirme que le demandeur est un membre actif du Community Centre Among Friends LGBT Refugee Support Group du Centre 519, décrit comme un groupe de soutien, dirigé par des pairs, de revendicateurs du statut de réfugié LGBT seulement. Le demandeur invoque la décision Ojie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 342 [Ojie], qui avait trait au contrôle judiciaire d’une demande de dispense pour motifs d’ordre humanitaire [CH] qui avait été rejetée. Dans cette affaire, l’agent CH avait admis que le demandeur était membre du centre communautaire 519, mais il avait jugé que la lettre n’indiquait pas si le demandeur était homosexuel ou bisexuel, car le fait qu’une personne était membre de cette organisation ne voulait pas forcément dire qu’elle était homosexuelle ou bisexuelle. La juge Elliot a conclu que l’agent avait mal interprété la lettre. Cette lettre, a‑t‑elle écrit, faisait plus qu’indiquer que le demandeur avait des liens avec le Centre 519; son auteur indiquait que le demandeur appartenait à un groupe réservé aux revendicateurs du statut de réfugié LGBT. La juge Elliot a conclu que cela revenait à dire que le demandeur s’identifiait comme bisexuel et qu’il aurait fallu que l’agent, avant de rejeter la lettre, prenne le temps de la lire avec soin et d’en comprendre le contenu (para 45‑46).
[59] Des lettres de cette nature qui viennent du Centre 519 et d’autres organisations sont souvent déposées à l’appui de diverses instances en matière d’immigration. Par exemple, dans l’affaire Oviawe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 204 [Oviawe], la demanderesse s’appuyait sur des lettres et d’autres documents émanant d’organisations LGBTQ+ au sujet de sa présence et de sa participation. La SAR avait exprimé l’avis que n’importe qui pouvait assister aux activités d’organisations LGBTQ+ et que le fait de participer aux activités de telles organisations n’était pas suffisant pour établir une allégation de bisexualité. Notre Cour a décrété que la SAR pouvait raisonnablement arriver à cette conclusion. De plus, il était question dans cette affaire de soupeser et d’évaluer la preuve, ce qui n’est pas le rôle qui incombe à la cour de révision. Dans le même ordre d’idées, dans l’affaire Obalade c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1030, la SAR avait pris en considération deux lettres de soutien de la part d’organisations LGBTQ. Elle avait admis que le demandeur participait aux activités de ces deux groupes, mais elle avait conclu que les lettres n’établissaient pas qu’il était bisexuel, car « [e]ssentiellement, elles n’établissaient pas ni ne pouvaient établir l’orientation sexuelle de M. Obalade »
(au para 23).
[60] Je signale que, dans la présente affaire, même si la lettre dit que le groupe est [traduction] « réservé aux revendicateurs de statut de réfugié LGBT »
, elle n’indique pas si, ou de quelle façon, on évalue l’identité sexuelle des personnes qui souhaitent en devenir membres. De plus, la SPR a demandé au demandeur si une personne qui n’était pas homosexuelle, qui était hétérosexuelle, pouvait se joindre au Centre 519, et il a répondu : [traduction] « [p]eut‑être, je ne le sais pas »
. À mon avis, comme il a été conclu dans la décision Obalade, la lettre du Centre 519 ne peut pas, en soi, établir l’orientation sexuelle du demandeur.
[61] La lettre du Centre 519 est plutôt une preuve que le demandeur s’est présenté comme homosexuel après son arrivée au Canada. Elle n’étaye pas directement sa version des faits qui l’ont amené à fuir l’Inde, et elle n’établit pas qu’il est bel et bien homosexuel. Les motifs de la SAR montrent que celle‑ci a lu et compris le contenu de la lettre du Centre 519 mais qu’elle a jugé qu’elle n’était pas suffisante pour établir son orientation sexuelle. À mon avis, il était raisonnable de la part de la SAR de conclure que le contenu de la lettre, même en y ajoutant foi, ne dissipait pas les problèmes de crédibilité générale du demandeur.
[62] De plus, il incombe à la SAR d’apprécier et d’évaluer les éléments de preuve qui lui sont soumis, et une cour de révision ne devrait pas modifier les conclusions de fait qu’elle a tirées, sauf si elle s’est fondamentalement méprise sur la preuve qui lui a été soumise ou si elle n’en a pas tenu compte (Vavilov, aux para 125‑126). Déterminer si la façon dont un décideur a traité une lettre du Centre 519 ou une preuve semblable est raisonnable ou pas est un exercice qui se fait au cas par cas et qui oblige à analyser le contenu de la lettre au dossier, les motifs du décideur et le contexte de la décision.
[63] Quant à la preuve de l’oncle du demandeur, il est vrai que la SAR l’a qualifiée de lettre, alors qu’il s’agissait en fait d’un affidavit. Mais cela ne change rien au résultat. La SAR a conclu que le document reprenait la plupart des allégations contenues dans l’exposé circonstancié écrit que le demandeur avait produit et que, en raison du manque général de crédibilité de celui‑ci, il convenait de n’accorder aucun poids à ce document.
[64] Comme il est écrit dans la décision Olajide, « il est tout à fait acceptable d’accorder peu, voire aucun poids aux pièces justificatives lorsque la crédibilité du demandeur est déjà entachée : Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 576, au paragraphe 90; Lawani, au paragraphe 24 »
(au para 15).
[65] Dans le même ordre d’idées, dans la décision Chinwuba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 312 [Chinwuba], au paragraphe 26, notre Cour a décrété que « [l]es éléments de preuve ne sont pas évalués indépendamment de la demande d’asile dans son ensemble, et si la preuve personnelle du demandeur n’est pas crédible, il est raisonnable que la SAR ait des doutes sur la crédibilité de la preuve documentaire présentée à l’appui de la demande »
(voir aussi Oviawe, au para 44).
[66] Et, comme il a été signalé plus tôt, dans la décision Lawani, le juge Gascon a écrit :
[24] Quatrièmement, le manque de crédibilité concernant les éléments centraux d’une demande d’asile peut s’étendre à d’autres éléments de la demande et les entacher (Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] ACF No 604 (CAF) (QL), aux para 7 et 8) et s’appliquer de façon généralisée aux éléments de preuve documentaire présentés pour corroborer une version des faits. Dans le même ordre d’idées, il est loisible à la SPR de n’accorder aucune force probante aux évaluations ou aux rapports fondés sur des éléments sous‑jacents jugés non crédibles (Brahim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1215 [Brahim], au para 17).
[67] En l’espèce, la SAR a conclu avec exactitude que l’affidavit de l’oncle réitérait essentiellement, en termes vagues, la preuve du demandeur. La SAR avait déjà conclu que ses allégations n’étaient pas crédibles quand le demandeur les avait formulées et elle avait jugé que ce dernier manquait en général de crédibilité. La présomption de véracité a été réfutée (Maldonado c Canada (Emploi et Immigration), [1980] 2 CF 302 (CA)). La SAR a étendu de manière raisonnable ses conclusions relatives au manque général de crédibilité du demandeur à son évaluation des documents présentés à l’appui de sa demande d’asile. En conséquence, selon moi, la SAR n’a pas commis d’erreur en n’accordant aucun poids à l’affidavit de l’oncle.
Conclusion
[68] En définitive, la conclusion de la SAR, à savoir que la SPR a évalué correctement que le demandeur manquait de façon générale de crédibilité et que cela suffisait pour réfuter la présomption de véracité, est raisonnable.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑945‑21
LA COUR ORDONNE :
la demande de contrôle judiciaire est rejetée;
aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens;
aucune question de portée générale à certifier n’a été proposée, ou l’affaire n’en soulève aucune.
« Cecily Y. Strickland »
Juge
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑945‑21
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INTITULÉ :
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PRABAKARAN JAYARAMAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE par vidéoconférence via zoom
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DATE DE L’AUDIENCE :
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le 24 mars 2022
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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la juge STRICKLAND
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DATE DES MOTIFS :
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LE 1er avril 2022
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COMPARUTIONS :
Yasin Ahmed Razak
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POUR Le demandeur
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Nick Continelli
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POUR Le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Razak Law
Etobicoke (Ontario)
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POUR Le demandeur
|
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR Le défendeur
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