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Date : 20220411


Dossier : IMM-91-21

Référence : 2022 CF 514

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 11 avril 2022

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

MONIQUE CASSANDRA NICOLE BROWNE

BERTRAM GLADSTONE BROWNE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Monique et Bertram Browne sont des citoyens de Saint-Vincent-et-les-Grenadines. Ils vivent au Canada depuis 2008 et 2011, respectivement, et se sont mariés en 2012. Ils sont arrivés au Canada munis de visas de résident temporaire et sont sans statut au pays depuis que ces visas ont expiré, peu après leur arrivée respective. Ils ont présenté une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], qui a été rejetée en 2015. En 2018, ils ont présenté une nouvelle demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, qui a été rejetée en mai 2020. Par la présente, ils demandent le contrôle judiciaire de la décision rendue en mai 2020. Ils contestent à la fois le bien-fondé de la décision et l’équité du processus par lequel la décision a été rendue.

[2] Pour les motifs exposés ci-dessous, je conclus que la décision de rejeter la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire déposée par les Browne était raisonnable et équitable. En ce qui concerne le bien-fondé de la décision, l’analyse de l’agent était conforme à l’approche établie dans la jurisprudence pour les demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire, et l’agent a évalué de façon raisonnable l’établissement des Browne au Canada et les difficultés auxquelles ils seraient confrontés s’ils devaient retourner à Saint-Vincent-et-les-Grenadines. En ce qui concerne la procédure, je conclus que l’agent n’était pas obligé, dans les circonstances, de demander aux Browne de fournir des dossiers médicaux à jour, malgré le délai de traitement de leur demande.

[3] La demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[4] Les Browne contestent à la fois le bien-fondé de la décision de l’agent de rejeter leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et le processus ayant mené à cette décision. Les arguments avancés par les Browne soulèvent les questions en litige suivantes :

1) L’agent a-t-il appliqué le bon critère juridique à l’évaluation de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire?

2) L’agent a-t-il commis une erreur dans son évaluation de l’établissement des Browne au Canada?

3) L’agent a-t-il commis une erreur dans son évaluation des difficultés auxquelles les Browne seraient exposés s’ils devaient retourner à Saint-Vincent-et-les-Grenadines?

  • B. L’agent a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale en omettant de demander une copie à jour des dossiers médicaux?

[5] Le bien-fondé de la décision de l’agent est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, et les questions A.1) à 3) sont donc assujetties à cette norme : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16-17, 23-25; Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 aux para 44-45.

[6] Les Browne soutiennent que la question de l’application du bon critère juridique [la question A.1)] est soumise à la norme de la décision correcte, citant à l’appui les paragraphes 30 et 31 de la décision Mursalim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 596. Dans cette décision, qui a été rendue avant l’arrêt Vavilov, le juge Norris a fait remarquer que « [l]a norme de la décision raisonnable avec déférence présuppose que le décideur a appliqué le bon critère juridique », citant deux arrêts de la Cour suprême, soit l’arrêt Lake c Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23 au para 41, et l’arrêt Németh c Canada (Justice), 2010 CSC 56 au para 10. Le critère juridique applicable aux demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire ayant été établi dans l’arrêt Kanthasamy, le juge Norris a conclu que le choix du critère devrait faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte : Mursalim, au para 32, citant Kanthasamy.

[7] Dans l’arrêt Vavilov, cependant, les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada ont précisé que l’évaluation de la question de savoir si le décideur administratif a suivi un précédent contraignant fait partie de l’analyse du caractère raisonnable : Vavilov, aux para 111-112. Une décision est déraisonnable si le décideur n’a pas suivi un précédent contraignant ou n’a pas expliqué de manière raisonnable toute dérogation à ce précédent : Vavilov, au para 112. Dans une certaine mesure, il s’agit d’une question de sémantique. Qu’une décision administrative dans laquelle le décideur déroge à un précédent contraignant quant au critère juridique applicable soit considérée comme « incorrecte » ou « déraisonnable » importe moins que le fait que la décision ne peut être maintenue. Cependant, selon l’arrêt Vavilov, il ne fait aucun doute que l’approche analytique applicable est celle du caractère raisonnable, le précédent contraignant agissant comme une « contrainte juridique » à laquelle le décideur est assujetti et qui peut rendre la décision déraisonnable : Vavilov, aux para 105, 111-112.

[8] En ce qui concerne la question relative à l’équité procédurale [la question B], il faut se demander si la procédure ayant mené à la décision était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54. On peut considérer que cette évaluation est reflétée dans la norme de la décision correcte ou qu’aucune norme de contrôle n’est appliquée : Canadien Pacifique, aux para 54-56; Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35.

III. Analyse

A. La décision de l’agent était raisonnable

1) La décision de l’agent était conforme au critère juridique applicable

[9] Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême a énoncé l’approche à adopter pour l’examen des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire présentées au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR. Dans son examen de l’historique de la disposition, la juge Abella, s’exprimant au nom de la majorité, a mentionné avec approbation l’approche adoptée par la Commission d’appel de l’immigration dans la décision Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 AIA 351 : Kanthasamy, aux para 13-14, 20-21. Elle a conclu que le paragraphe 25(1) et les dispositions antérieures avaient un objectif commun, à savoir offrir « une mesure à vocation équitable lorsque les faits sont “de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne” » : Kanthasamy, au para 21, citant Chirwa, à la p 364.

[10] La Cour suprême a ainsi rejeté l’application d’une approche qui exigerait que les motifs d’ordre humanitaire établissent l’existence de « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées ». Si les difficultés sont certes un facteur pertinent, il n’y a pas de seuil applicable pour l’octroi d’une dispense en vertu du paragraphe 25(1). De plus, la prise en compte des difficultés ne doit pas entraver la capacité de l’agent à examiner et à soupeser tous les motifs d’ordre humanitaire pertinents dans un cas donné : Kanthasamy, aux para 28-33; Miyir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 73 aux para 15-16. Ces directives ont conduit notre Cour à annuler le rejet de demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire dans des cas où l’agent avait mené à tort une « analyse axée sur les difficultés », avait examiné la demande « exclusivement sous l’angle des difficultés » ou avait omis de prendre en compte de façon globale les motifs d’ordre humanitaire : Marshall c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 72 au para 37; Mursalim, au para 37; Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 848 aux para 32-34.

[11] Les Browne soutiennent que l’agent qui a examiné leur demande a commis la même erreur, c’est-à-dire qu’il a traité les motifs d’ordre humanitaire de façon isolée et qu’il n’a pas appliqué l’approche humanitaire prescrite dans l’arrêt Kanthasamy. Je ne puis être d’accord.

[12] Lorsqu’elle a été déposée en juin 2018, la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire des Browne mentionnait les difficultés émotionnelles et financières qui les attendaient s’ils quittaient le Canada pour aller à Saint-Vincent-et-les-Grenadines, leurs antécédents personnels de pauvreté à Saint-Vincent, ainsi que leur degré d’établissement et leurs liens familiaux au Canada. Dans des observations supplémentaires déposées en mars 2019, les Browne ont informé l’agent que Mme Browne avait reçu un diagnostic de cancer de la thyroïde et subi une intervention chirurgicale et que, même si on s’attendait à ce qu’elle s’en remette, il serait difficile pour elle d’obtenir des soins continus à Saint-Vincent-et-les-Grenadines compte tenu de l’état du système de santé du pays, notamment des lacunes dans les soins oncologiques.

[13] L’agent chargé de l’examen de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a examiné individuellement et cumulativement ces facteurs. Après avoir résumé brièvement l’affaire et confirmé l’identité des Browne, l’agent a exposé les motifs de son refus, qu’il a divisés en deux grandes sections, identifiées par les sous-titres [traduction] « Difficultés et défis à Saint-Vincent-et-les-Grenadines » et [traduction] « Établissement ». Dans la première section, l’agent a examiné les observations des Browne et les éléments de preuve touchant le diagnostic de cancer de Mme Browne et l’intervention chirurgicale qu’elle a subie, ainsi que le système de santé de Saint-Vincent-et-les-Grenadines. Dans cette section, l’agent a également évalué les observations des Browne sur les conditions économiques à Saint-Vincent-et-les-Grenadines et les difficultés qu’ils pourraient rencontrer dans leur recherche d’emploi, ainsi que leurs observations selon lesquelles ces difficultés, conjuguées à la pauvreté de leurs familles, font en sorte qu’il serait difficile pour eux de se procurer les médicaments dont ils ont besoin.

[14] Dans la section sur l’établissement, l’agent a examiné les observations et les éléments de preuve présentés par les Browne au sujet de leur vie au Canada, notamment les emplois qu’ils ont occupés et les programmes de formation professionnelle qu’ils ont suivis, leur situation financière, les liens personnels qu’ils ont tissés avec des amis, ainsi que leur engagement et leurs activités de bénévolat au sein de leur église au Canada.

[15] L’agent a ensuite examiné tous ces éléments globalement dans sa conclusion. Il a tenu compte des facteurs méritant un poids favorable, tout en limitant le poids accordé à l’établissement des Browne, étant donné que ceux-ci avaient acquis un certain degré d’établissement alors qu’ils n’avaient pas l’autorisation de séjourner ou de travailler au Canada, notamment à la suite du rejet de leur première demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. L’agent a conclu que le poids global de ces facteurs ne justifiait pas l’octroi d’une dispense.

[16] Ayant examiné l’ensemble des motifs donnés par l’agent (les arguments particuliers présentés par les Browne pour contester l’évaluation des difficultés et de l’établissement seront examinés ci-dessous), je ne puis conclure que l’analyse de l’agent est dépourvue de compassion, comme le soutiennent les Browne. L’agent a examiné les observations et les éléments de preuve présentés par les Browne, en tenant compte de la solidité de la preuve et du poids à accorder à divers facteurs. L’agent a reconnu les difficultés auxquelles le couple était exposé et a décrit favorablement les éléments de preuve concernant leurs relations sociales et leur service communautaire. Cette approche est conforme à celle décrite dans l’arrêt Kanthasamy.

[17] Je dois également rejeter l’argument des Browne portant qu’il était déraisonnable de rejeter leur demande compte tenu de leur situation et que leur demande aurait très bien pu être approuvée si l’agent avait fait preuve de plus de compassion. Cela revient pratiquement à demander à la Cour de substituer sa décision à celle de l’agent, ce qui n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire : Vavilov, aux para 75, 96.

[18] L’agent n’a pas non plus examiné isolément les divers motifs d’ordre humanitaire, ni adopté « l’angle des difficultés ». Par nécessité, l’agent a examiné les facteurs dans l’ordre, à commencer par les observations des Browne concernant les difficultés et les défis. Toutefois, son examen de l’établissement était axé sur l’établissement et non sur les difficultés. L’agent s’est ensuite attaché à examiner la situation des Browne dans son ensemble et à évaluer les différents facteurs, pour déterminer si l’octroi d’une dispense pour motifs d’ordre humanitaire était justifié. Là encore, cette analyse est conforme à l’approche applicable aux demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire.

[19] Je conclus par conséquent que, de façon générale, l’agent a adopté la bonne approche dans son analyse des motifs d’ordre humanitaire. Passons donc aux arguments particuliers des Browne quant au fond de l’analyse relative à l’établissement et aux difficultés auxquelles ils seraient exposés s’ils devaient retourner à Saint-Vincent-et-les-Grenadines.

2) L’évaluation du facteur de l’établissement effectuée par l’agent était raisonnable

[20] Pour évaluer le degré d’établissement des Browne au Canada en tant que motif d’ordre humanitaire, l’agent a résumé les antécédents professionnels de Mme Browne et les efforts qu’elle a déployés pour poursuivre ses études. Il a ensuite résumé les antécédents professionnels de M. Browne et les efforts qu’il a déployés pour poursuivre ses études. Dans les deux cas, l’agent a noté que les Browne étaient sans statut depuis 2009 et 2012, respectivement, et qu’ils n’avaient pris aucune mesure pour régulariser leur situation. L’agent a ensuite examiné l’établissement financier des Browne et a noté que peu de pièces justificatives avaient été présentées, de sorte qu’il était difficile d’évaluer leur situation financière actuelle. L’agent a noté que Mme Browne envoyait de l’argent à sa famille à Saint-Vincent, bien qu’il n’y ait aucune trace de tels versements après 2014. Globalement, l’agent a conclu que, bien que les Browne avaient fait des efforts pour s’établir au Canada en travaillant, ils n’avaient pas d’antécédents stables en matière d’emploi et avaient présenté peu de renseignements financiers, ce qui réduisait le poids favorable pouvant être accordé à cet élément de l’établissement.

[21] Comme je l’ai indiqué ci-dessus, l’agent a ensuite évalué les éléments personnels et communautaires de l’établissement des Browne et a accordé un poids favorable à leurs efforts d’intégration compte tenu des lettres d’appui très positives qu’ils ont présentées. L’agent a également accordé un poids favorable aux activités de bénévolat et de bienfaisance de Mme Browne, qu’elle effectue par l’intermédiaire de son église et qui témoignent de ses efforts en vue de devenir un membre actif de la société canadienne. Après avoir examiné de façon globale les éléments personnels, communautaires et financiers, l’agent a conclu que les éléments personnels et communautaires jouaient en faveur des Browne, mais que, puisqu’il disposait de peu d’éléments de preuve permettant d’évaluer la situation financière actuelle de Mme Browne ou démontrant des progrès significatifs en vue de l’obtention d’un emploi permanent, il ne pouvait accorder qu’un poids modérément favorable au facteur de l’établissement.

[22] Dans sa conclusion générale, l’agent a noté que l’établissement était le seul facteur qui méritait un certain poids, mais que ce poids n’était pas considérable. L’agent a répété que le poids pouvant être accordé au facteur de l’établissement était limité par le fait que les Browne avaient réussi à améliorer leur degré d’établissement en séjournant et en travaillant au Canada sans autorisation, notamment à la suite du rejet de leur première demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[23] Les Browne affirment que cette analyse est déraisonnable. Ils soulèvent quatre arguments, dont je traiterai successivement.

a) L’absence de statut des Browne au Canada

[24] Les Browne soutiennent d’abord qu’il était déraisonnable que l’agent s’attarde à leur absence de statut et qu’il s’en serve pour affaiblir le poids de la preuve de leur établissement au Canada, citant les décisions Sebbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 813, et Osun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 295, rendues par notre Cour. Dans la décision Sebbe, le juge Zinn s’est dit troublé par les observations formulées par l’agent, selon lesquelles la personne qui avait présenté une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire avait « bénéficié de l’application régulière de la loi dans le cadre des programmes pour les réfugiés et qu’on lui a[vait] donc offert les outils et les possibilités nécessaires pour acquérir un certain degré d’établissement au sein de la société canadienne ». Le juge Zinn a conclu qu’un agent doit analyser et évaluer le degré d’établissement et la mesure dans laquelle cet élément joue en faveur de l’octroi d’une dispense et « ne doit pas simplement faire abstraction des mesures prises par les demandeurs et en attribuer le mérite au régime canadien de l’immigration et de la protection des réfugiés pour leur avoir donné le temps de prendre ces mesures; il doit reconnaître l’initiative dont les demandeurs ont fait preuve à cet égard » : Sebbe, au para 21.

[25] Le juge Diner a appliqué ces principes dans la décision Osun et a conclu que l’analyse de l’agent, qui utilisait des termes essentiellement identiques à ceux utilisés dans l’affaire Sebbe, était déraisonnable : Osun, aux para 13-15. Dans les deux décisions, l’agent a écarté dans ses motifs l’établissement des demandeurs principalement parce que ceux-ci avaient acquis un certain degré d’établissement alors qu’ils étaient des demandeurs d’asile, pas parce qu’ils étaient sans statut : Sebbe, au para 21; Osun au para 13; voir également Aboubacar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 714 aux para 14-20; Jaramillo Zaragoza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 879 aux para 18, 36-40. Cela dit, la Cour a également établi dans la décision Sebbe et dans d’autres décisions ultérieures qu’il était déraisonnable de faire entièrement abstraction des éléments de preuve liés à l’établissement simplement parce que le demandeur avait acquis un certain degré d’établissement alors qu’il était sans statut : Sebbe, aux para 23-24; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1142 aux para 31-32; Lopez Bidart c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 307 au para 32.

[26] Comme le fait remarquer le ministre, les principes qui découlent des décisions Sebbe et Osun ainsi que d’autres décisions semblables, existent parallèlement aux principes que notre Cour a énoncés dans des décisions comme Semana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1082, et Shackleford c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1313. Dans l’affaire Semana, la Section d’appel de l’immigration (la SAI) avait conclu que les motifs d’ordre humanitaire ne justifiaient pas l’annulation de l’interdiction de territoire pour cause de fausses déclarations qui avait été prononcée contre la demanderesse. Le juge Gascon a estimé qu’il était raisonnable que la SAI accorde moins de poids à l’établissement de la demanderesse compte tenu de ses fausses déclarations répétées et de son mépris des lois en matière d’immigration : Semana, au para 46. Il a repris les propos du juge Nadon, alors juge à la Cour fédérale, qui a affirmé que les demandeurs ne doivent pas être « récompensés » pour avoir passé du temps au Canada alors qu’ils n’avaient pas le droit de le faire : Semana, au para 48, citant Tartchinska c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 15032 (CF) au para 22; voir également Shackleford, aux para 23-24; Edo-Osagie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1084 aux para 15-17; Ylanan c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1063 au para 35.

[27] À mon avis, ces décisions ne sont pas contradictoires. Dans la décision Sebbe, la Cour a souligné que la question de savoir si les mesures ont été prises régulièrement par le demandeur est pertinente : Sebbe, au para 24; voir également Singh, au para 32. À l’inverse, dans les décisions Semana, Shackleford et Edo-Osagie, la Cour a souligné que l’agent n’avait pas fait abstraction de la preuve d’établissement du demandeur, mais lui avait accordé moins de poids compte tenu du fait que le demandeur n’avait pas de statut, et elle a jugé que cette approche était raisonnable : Semana, au para 46; Shackleford, aux para 23-24; Edo-Osagie, aux para 15, 17; voir également Franco c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 734 au para 24; Dela Pena c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1407 au para 27.

[28] On peut considérer que les décisions précitées étayent trois propositions : 1) il est déraisonnable que l’agent chargé d’évaluer une demande de dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR ne tienne pas compte de la preuve d’établissement d’un demandeur au motif que celui-ci s’est établi au Canada alors qu’il avait le statut de demandeur d’asile; 2) il est déraisonnable que l’agent chargé d’évaluer une demande de dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR ne tienne pas compte de la preuve d’établissement d’un demandeur au motif que celui-ci s’est établi au Canada alors qu’il n’avait pas de statut juridique; 3) il n’est pas déraisonnable que l’agent tienne compte des circonstances qui ont donné lieu à l’établissement, y compris l’absence de statut ou les fausses déclarations, et qu’il décide d’accorder pour ces raisons moins de poids au degré d’établissement.

[29] En l’espèce, l’agent n’a pas fait abstraction des éléments de preuve relatifs à l’établissement des Browne pour la simple raison qu’ils se rapportaient à une période pendant laquelle les Browne n’avaient pas de statut. L’agent a plutôt accordé un poids favorable à ces éléments de preuve, mais a conclu que ce poids était limité, parce que les Browne s’étaient établis au Canada alors qu’ils n’avaient pas l’autorisation de séjourner ou de travailler au pays. Cette conclusion concorde avec la jurisprudence précitée et n’est pas déraisonnable. L’agent n’a pas non plus mis indûment l’accent sur l’absence de statut, comme le prétendent les Browne. L’agent a mentionné, à juste titre, l’absence de statut des Browne dans son analyse de l’établissement, et l’a mentionnée de nouveau lorsqu’il a énoncé sa conclusion générale à la fin de son analyse. Je ne constate aucune erreur dans cette approche.

b) Éducation et emploi

[30] Les Browne affirment qu’il était déraisonnable que l’agent mentionne les efforts qu’ils ont déployés pour améliorer leurs compétences, mais qu’il affirme que ces efforts ne les avaient pas véritablement aidés à trouver un emploi permanent. Selon les Browne, l’agent a ainsi minimisé de façon déraisonnable ce qu’ils avaient accompli en mettant l’accent sur ce qu’ils n’avaient pas réussi à accomplir.

[31] Je ne suis pas de cet avis. Il était raisonnable que l’agent évalue à la fois les éléments favorables de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et les éléments moins favorables. C’est le genre d’appréciation individualisée et d’exercice de pondération qu’appelle une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Contrairement à ce qu’affirment les Browne, je ne pense pas que l’agent a [traduction] « minimisé » leurs réalisations scolaires en mettant l’accent sur l’absence de progrès en vue de l’obtention d’un emploi. Dans son examen du degré d’établissement des Browne, l’agent a plutôt pris acte des efforts qu’ils avaient déployés en matière d’éducation, tout en reconnaissant que ces efforts n’avaient à ce jour pas permis d’améliorer leur situation professionnelle.

c) Caractère exceptionnel

[32] Les Browne font ensuite valoir que l’agent a en réalité exigé qu’ils démontrent un degré « exceptionnel » d’établissement, une approche que notre Cour a déjà jugée déraisonnable : Osun, aux para 16-17, citant Sivalingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1185 au para 13.

[33] La principale difficulté que pose cet argument est que le raisonnement critiqué par les Browne ne figure pas dans les motifs de l’agent. Ce dernier renvoie aux différents éléments de leur établissement, accordant un poids favorable à certains éléments et un poids moins favorable à d’autres. À aucun moment l’agent ne déclare, ou même ne donne à penser, qu’il n’a pas considéré le degré d’établissement des Browne comme un facteur favorable parce qu’il n’était pas exceptionnel. À cet égard, je n’accepte pas l’argument des Browne selon lequel le renvoi par l’agent à des questions comme l’absence de progrès vers l’obtention d’un emploi permanent suppose l’application d’une norme exceptionnelle. Le fait que l’agent qui examine une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire renvoie à des éléments moins favorables ou moins convaincants de l’établissement d’un demandeur ne signifie pas qu’il exige implicitement que le demandeur démontre un degré d’établissement exceptionnel.

d) Établissement financier

[34] Enfin, les Browne soutiennent qu’en ne tenant pas compte de leur établissement financier l’agent n’a pas examiné l’ensemble de la situation en equity, à savoir qu’ils se servaient de leurs moyens financiers pour soutenir leur église au Canada et leurs familles à Saint-Vincent. Ici encore, je crois que c’est une mauvaise interprétation des motifs de l’agent, qui constituent le point de départ de l’analyse du caractère raisonnable.

[35] L’agent a accordé un poids limité à l’établissement financier des Browne, en raison surtout du manque de preuve, qui a rendu difficile l’évaluation de leur situation financière. Il a notamment constaté que les Browne n’avaient pas déposé d’avis de cotisation datés d’avant 2018, qu’ils avaient déposé des relevés bancaires de 2014 seulement et qu’il n’y avait aucun document relatif aux versements envoyés à Saint-Vincent-et-les-Grenadines après 2014. Il incombait aux Browne d’établir les faits qu’ils invoquaient à l’appui de leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, et il était raisonnable que l’agent conclue que la preuve limitée dont il disposait concernant leur situation financière signifiait que seul un poids limité pouvait être accordé à ce facteur : Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189 au para 45.

[36] Je ne suis donc convaincu par aucun des arguments formulés par les Browne pour faire valoir que l’évaluation de leur établissement par l’agent était déraisonnable.

3) L’évaluation du facteur des difficultés effectuée par l’agent était raisonnable

[37] Les Browne soutiennent que l’analyse des difficultés effectuée par l’agent était également déraisonnable. Ils mettent l’accent sur deux éléments principaux : d’abord, leur pauvreté et la difficulté qu’ils auraient à trouver un emploi à Saint-Vincent-et-les-Grenadines; ensuite, les difficultés qu’éprouverait Mme Browne à obtenir des traitements continus contre le cancer après sa chirurgie. Là encore, les Browne soulèvent plusieurs arguments.

a) Caractère contemporain de la preuve médicale

[38] Les Browne estiment que l’agent a rejeté de manière déraisonnable leurs éléments de preuve médicale sous prétexte qu’ils étaient périmés. Ils soutiennent que les éléments de preuve étaient récents au moment de leur dépôt et que les retards dans le traitement de leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne devraient pas être retenus contre eux, citant à cet effet le point (v) du paragraphe 8 de la décision De Roldan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 40.

[39] Toutefois, après examen de la décision, je conviens avec le ministre que l’agent n’a pas rejeté les rapports médicaux des Browne au motif qu’ils étaient périmés. Au contraire, l’agent a pris note de l’état de santé de Mme Browne au moment où ces rapports ont été rédigés : elle devait simplement prendre des médicaments pour une durée indéterminée et pourrait devoir subir une autre intervention chirurgicale. L’agent a ensuite noté que les Browne n’avaient pas soumis d’autres éléments de preuve [traduction] « pour signaler un changement de situation depuis, ni fourni de renseignements à jour sur son processus de guérison ou sa situation médicale en général ». L’agent a donc conclu qu’il n’y avait aucune preuve convaincante que Mme Browne était susceptible d’avoir besoin d’un traitement supplémentaire, par exemple une intervention chirurgicale. Autrement dit, l’agent a accepté que, en l’absence de renseignements plus récents, les renseignements médicaux déposés reflétaient toujours l’état de Mme Browne. L’agent n’a pas rejeté ces renseignements médicaux au motif qu’ils étaient antérieurs à la décision.

[40] Puisque l’agent n’a pas rejeté les éléments de preuve médicale au motif qu’ils étaient périmés, je n’ai pas besoin d’examiner la question de savoir s’il aurait été déraisonnable qu’il le fasse dans les circonstances.

[41] L’évaluation par l’agent des éléments de preuve fournis n’était pas non plus déraisonnable. Les Browne invoquent une lettre médicale datée du 20 novembre 2018, qui indique que Mme Browne [traduction] « aura probablement aussi besoin d’une autre intervention chirurgicale et d’un traitement à l’iode radioactif pour son cancer papillaire de la thyroïde » et que, si ce traitement s’avérait nécessaire, elle aurait besoin de suivre une hormonothérapie thyroïdienne substitutive. Cependant, un rapport daté du 16 janvier 2019 indique que le risque couru par Mme Browne est incertain et qu’une recommandation serait formulée ultérieurement pour la suite des choses (surveillance étroite ou nouvelle intervention chirurgicale, avec ou sans iode radioactif). Aux termes de mon examen, je conclus que l’évaluation par l’agent des éléments de preuve médicale en ce qui a trait à l’état de Mme Browne, c’est-à-dire sa conclusion selon laquelle il n’y avait aucune preuve convaincante qu’elle était susceptible de nécessiter d’autres interventions chirurgicales, était raisonnable.

[42] Je note à cet égard que Mme Browne a déposé à l’appui de la présente demande des dossiers médicaux à jour. L’agent ne disposait pas de ces documents, qui sont pour la plupart postérieurs à la décision; ils n’ont donc aucune incidence sur le caractère raisonnable de celle-ci. Quoi qu’il en soit, le rapport le plus récent mentionne simplement que Mme Browne doit faire l’objet d’un suivi continu, ce qui ne contredit pas la conclusion de l’agent selon laquelle rien n’indique qu’une nouvelle intervention chirurgicale sera nécessaire.

b) Accessibilité et coût des soins à Saint-Vincent-et-les-Grenadines

[43] Les Browne contestent également les conclusions de l’agent concernant l’accessibilité des soins de santé à Saint-Vincent-et-les-Grenadines et l’incidence de cette question sur leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[44] Dans son analyse des difficultés, l’agent a noté les craintes exprimées par les Browne au sujet des lacunes dans les soins oncologiques à Saint-Vincent-et-les-Grenadines. L’agent a examiné les éléments de preuve déposés, à savoir des articles de presse et une lettre d’un fonctionnaire à la retraite, et en a évalué le contenu et la fiabilité. L’agent a noté que la preuve n’établissait pas que les médicaments dont Mme Browne avait besoin n’étaient pas disponibles à Saint-Vincent-et-les-Grenadines et n’établissait aucune comparaison entre le coût des médicaments à Saint-Vincent et au Canada. L’agent a conclu que les Browne n’avaient pas fourni d’éléments de preuve convaincants que les médicaments étaient excessivement coûteux ou non disponibles à Saint-Vincent-et-les-Grenadines.

[45] Les Browne invoquent des éléments de preuve qui montrent, par exemple, que les traitements contre le cancer sont coûteux à Saint-Vincent-et-les-Grenadines, qu’on y observe des taux élevés de cancer et de décès liés au cancer, et que des services de chimiothérapie et de radiothérapie n’y sont pas offerts. Néanmoins, ils ne m’ont pas convaincu que l’analyse effectuée par l’agent de l’ensemble des éléments de preuve concernant les soins de santé et les soins oncologiques à Saint-Vincent-et-les-Grenadines était déraisonnable. En l’absence d’un tel caractère déraisonnable, il n’appartient pas à la Cour de tenter de réévaluer les éléments de preuve ou le poids à leur accorder dans le cadre de l’évaluation des motifs d’ordre humanitaire.

[46] Au vu du dossier, il était raisonnablement loisible à l’agent de conclure que Mme Browne n’avait pas fourni d’éléments de preuve convaincants établissant qu’elle aurait besoin de subir d’autres interventions chirurgicales. L’agent a donc conclu que peu de poids pouvait être accordé à ce facteur dans la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, malgré les éléments de preuve concernant l’état des services de santé et des soins oncologiques à Saint-Vincent-et-les-Grenadines. Il appartenait à l’agent chargé du traitement de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de procéder à cette évaluation en fonction de la preuve dont il disposait, et je conclus que son évaluation était raisonnable.

c) Conditions économiques

[47] Enfin, les Browne contestent l’analyse des conditions économiques défavorables à Saint-Vincent-et-les-Grenadines effectuée par l’agent. L’agent a pris note du taux de chômage du pays et a accordé un certain poids aux difficultés potentielles pour trouver un emploi, reconnaissant que la situation économique du pays n’était pas idéale. Toutefois, il a noté que peu d’éléments de preuve avaient été déposés pour démontrer que les Browne éprouveraient des difficultés particulières pour trouver du travail. Il n’a donc pas accordé beaucoup de poids à ce facteur. Les Browne soutiennent que cela revient à rejeter la preuve de conditions défavorables généralisées dans le pays sous prétexte que tous les habitants du pays seraient exposés à ces conditions, une approche que la Cour a jugé déraisonnable aux paragraphes 32 à 36 de la décision Diabate c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 129.

[48] Contrairement à ce que prétendent les Browne, l’agent n’a pas selon moi commis l’erreur décrite dans la décision Diabate. À mon avis, il y a une différence entre, d’une part, rejeter la preuve de difficultés ou de risques au motif que tout le monde y est confronté dans le pays et, d’autre part, conclure qu’un demandeur n’a pas établi de lien entre la preuve relative aux conditions défavorables dans le pays et sa propre situation. Dans le premier cas, il s’agit de l’erreur décrite dans la décision Diabate. Dans le second cas, il s’agit d’une évaluation de la situation personnelle du demandeur, que la Cour a jugé raisonnable : Uwase c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 515 aux para 41-43; Arsu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 617 aux para 16-17. À mon avis, l’analyse effectuée par l’agent en l’espèce relève de la dernière catégorie.

[49] Les motifs de l’agent doivent également être évalués au regard des observations faites par les Browne : Vavilov, aux para 127-128. Dans leur demande initiale, les Browne ont peu parlé d’emploi. Ils ont simplement affirmé dans leurs observations qu’ils étaient [traduction] « inquiets de ne pas arriver à subvenir à leurs besoins », et Mme Browne a parlé dans sa déclaration du taux de chômage élevé et du fait qu’elle n’avait aucun emploi qui l’attendait. Dans les nouvelles observations déposées après la chirurgie de Mme Browne, M. et Mme Browne ont soutenu que celle-ci n’aurait pas d’emploi si elle devait retourner à Saint-Vincent-et-les-Grenadines, étant donné le taux de chômage du pays et le fait que leur absence de 15 ans les avait rendus [traduction] « moins désirables » aux yeux des employeurs. Ils ont également déposé une lettre d’une propriétaire d’entreprise indiquant qu’elle n’embauche pas de candidats ayant des antécédents de maladie. L’agent a évalué ces arguments et les éléments de preuve à l’appui et a conclu qu’ils n’établissaient pas que Mme Browne se verrait systématiquement refuser un emploi, comme elle le prétendait. Le fait que l’agent a mentionné que la preuve n’établissait pas que les Browne auraient des [traduction] « difficultés particulières » à trouver un emploi doit donc être considéré comme une réponse raisonnable à leur argument limité voulant qu’ils éprouveraient plus de difficultés que la moyenne à trouver un emploi.

[50] Par conséquent, je ne suis pas convaincu que l’analyse effectuée par l’agent à l’égard des facteurs liés aux difficultés présentés par les Browne était déraisonnable.

B. L’agent n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale

[51] Les arguments relatifs à l’équité procédurale formulés par les Browne portent sur le caractère contemporain de la preuve médicale, comme je l’ai mentionné ci-dessus. Les Browne soutiennent qu’il était injuste que l’agent écarte les éléments de preuve médicale au motif qu’ils étaient périmés sans exiger que des renseignements à jour soient présentés. Cet argument doit être rejeté pour trois raisons.

[52] Premièrement, comme je l’ai indiqué ci-dessus, l’agent n’a pas écarté les éléments de preuve médicale au motif qu’ils étaient périmés. Il a simplement noté que les Browne n’avaient présenté aucun document modifiant les renseignements contenus dans les rapports fournis.

[53] Deuxièmement, dans la mesure où il existait d’autres éléments de preuve médicale indiquant un changement dans l’état ou le pronostic de Mme Browne, il incombait aux Browne de les déposer et non à l’agent de les demander. Comme les Browne le concèdent à juste titre, notre Cour a déjà jugé qu’il incombe au demandeur de fournir les documents nécessaires pour étayer sa demande et que l’agent n’est pas tenu de demander des renseignements à jour : Rodriguez Zambrano c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 481 aux para 39-40; Law c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 79 au para 18. Ce principe s’applique en l’espèce, et les arguments des Browne concernant le délai de traitement de leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’y changent rien. Je fais remarquer que les Browne étaient manifestement conscients de la possibilité de mettre à jour leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, puisqu’ils l’ont fait lorsque Mme Browne a reçu un diagnostic de cancer et subi une intervention chirurgicale. S’il y avait eu de nouveaux renseignements médicaux pertinents à fournir, les Browne auraient pu et auraient dû les fournir.

[54] Troisièmement, comme je l’ai mentionné ci-dessus, les éléments de preuve médicale à jour déposés par les Browne dans le cadre de la présente demande indiquent qu’il n’y avait de toute façon aucun nouveau renseignement médical qui aurait pu contredire les conclusions de l’agent. L’agent a examiné l’argument des Browne selon lequel Mme Browne pourrait avoir besoin de subir une autre intervention chirurgicale, et il a conclu qu’aucun élément de preuve convaincant ne le démontrait. Les éléments de preuve médicale à jour qui ont été déposés auprès de la Cour montrent simplement que Mme Browne nécessite un suivi continu. Les Browne n’ont présenté aucun élément de preuve additionnel pour établir que Mme Browne aura besoin d’une nouvelle chirurgie contre le cancer, ni aucun élément de preuve antérieur à la décision qui aurait pu modifier la conclusion de l’agent.

[55] Je conclus donc que le processus ayant mené à la décision de l’agent de refuser la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire des Browne était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances.

IV. Conclusion

[56] La demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-91-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Nicholas McHaffie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-91-21

 

INTITULÉ :

MONIQUE CASSANDRA NICOLE BROWNE ET AL c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 novembre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 11 avril 2022

 

COMPARUTIONS :

Daniel Kingwell

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Erin Estok

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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