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Date : 20220407


Dossier : IMM‑5801‑21

Référence : 2022 CF 506

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 avril 2022

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

DAVOOD FALLAHI

LEILASADAT MOUSAVI

ARIABOD FALLAHI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs sont un homme âgé de 38 ans [le demandeur principal], son épouse et leur enfant mineur : ils sont tous citoyens iraniens. Ils demandent le contrôle judiciaire d’une décision portant rejet de la demande de permis d’études qui permettrait au demandeur principal de poursuivre des études de maîtrise à une université canadienne, de la demande de permis de travail pour son épouse et de la demande de visa de visiteur pour permettre à leur enfant de les accompagner.

[2] Tel qu’il est expliqué ci‑dessous, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, car j’estime que l’analyse de l’agent quant au plan d’études et au cheminement de carrière et d’études du demandeur principal est inintelligible et a donné lieu à une décision déraisonnable.

II. Contexte

[3] Le demandeur principal a obtenu un baccalauréat en administration des affaires de l’Université islamique Azad en 2006. En 2009, il a commencé à exercer ses fonctions actuelles de superviseur en assurance individuelle (accidents, maladie et voyage) au sein de Parsian Insurance Company [Parsian] à Téhéran. En 2019, il a obtenu un diplôme de maîtrise en gestion industrielle de l’Université islamique Azad.

[4] Selon une lettre datée du 13 mai 2021, le demandeur principal a été admis à l’Université Fairleigh Dickinson en Colombie‑Britannique, afin de poursuivre des études de maîtrise en sciences de l’administration avec une spécialisation en administration des ressources humaines. Selon une lettre datée du 10 juin 2021, Parsian affirme qu’elle offre au demandeur principal un congé autorisé de deux ans et, après qu’il aura obtenu son diplôme universitaire, un emploi de gestionnaire des ressources humaines. Le 29 juin 2021, le demandeur principal a présenté sa demande de permis d’études. Les autres demandeurs ont présenté des demandes de permis de travail et de visa de visiteur afin de l’accompagner.

[5] Le 4 août 2021, un agent d’immigration [l’agent] a rejeté les demandes présentées par les demandeurs [la décision]. Les lettres à l’intention des demandeurs les informaient que leurs demandes avaient été rejetées au motif que l’agent n’était pas convaincu que le demandeur principal quitterait le Canada à la fin de son séjour, compte tenu a) de la raison de sa visite et b) de ses liens familiaux au Canada et dans son pays de résidence.

[6] L’analyse de l’agent relativement à la demande présentée par le demandeur principal figure dans les notes consignées au système mondial de gestion des cas [le SMGC] et est rédigée en ces termes :

[traduction]
J’ai examiné la demande. Le client cherche à entrer au Canada pour obtenir un diplôme de maîtrise en administration des ressources humaines de l’Université Fairleigh Dickinson. Je note que le client est titulaire d’un baccalauréat en gestion des affaires et d’une maîtrise en gestion industrielle. De plus, le client travaille comme superviseur en assurances au sein de la même société depuis 2009. Le contenu et le niveau d’études proposés semblent recouper les études déjà poursuivies et l’expérience professionnelle déjà acquise par le demandeur ou y être inférieurs. Je ne vois pas comment le programme proposé démontre adéquatement la progression logique de ses études ou de sa carrière. Le plan d’études ne semble pas raisonnable compte tenu des antécédents du demandeur en matière d’emploi et d’études. Je constate que, compte tenu des études et de l’expérience de travail du demandeur principal, sa motivation à poursuivre des études au Canada à ce stade ne semble pas raisonnable. Le plan d’études qu’il a présenté est vague et ne décrit pas un cheminement de carrière et d’études clair pour lequel ce programme d’études serait avantageux. Compte tenu des liens familiaux ou des raisons économiques de rester au Canada, les raisons incitant le demandeur à rester au Canada peuvent l’emporter sur les liens qu’il a avec son pays d’origine. Le client a une épouse et a un enfant à charge. L’épouse et l’enfant sont déclarés comme l’accompagnant. Après avoir soupesé les facteurs propres à la présente demande, je ne suis pas convaincu que le demandeur respectera les conditions qui lui seront imposées en tant que résident temporaire. Pour les motifs mentionnés précédemment, je rejette la présente demande.

[7] Les notes consignées au SMGC qui ont trait aux demandes des autres demandeurs renvoient au rejet de la demande du demandeur principal et indiquent que les autres demandes ont également été rejetées [traduction] « […] en raison du but de la visite et des liens ».

[8] Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.

III. Questions et norme de contrôle

[9] Les observations des demandeurs soulèvent les questions suivantes aux fins d’examen par la Cour :

  1. Était‑il raisonnable que l’agent ne soit pas convaincu que les demandeurs quitteraient le Canada à la fin de la période de séjour autorisé?

  2. Les demandeurs se sont‑ils vu priver de leur droit à l’équité procédurale dans l’examen de leurs demandes effectué par l’agent?

[10] Tel que l’indique sa formulation, la première question est assujettie à la norme de la décision raisonnable. La norme de la décision correcte s’applique à la deuxième question, qui est liée à l’équité procédurale.

IV. Analyse

[11] Même si les demandeurs ont soulevé de nombreux arguments à l’appui de leurs positions sur les questions énoncées précédemment, ma décision d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire se fonde sur l’analyse effectuée par l’agent relativement au plan d’études du demandeur principal et de son cheminement de carrière et d’études, selon laquelle il n’était pas convaincu que le demandeur principal, et, par extension, les autres demandeurs, quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisé.

[12] Je conviens avec le défendeur que cette décision est fondée en grande partie sur les réserves de l’agent au sujet du plan d’études du demandeur principal. Je conviens également qu’il est manifeste que l’agent a examiné le plan d’études, tel qu’il est indiqué expressément dans les notes consignées au SMGC, ainsi que les antécédents du demandeur principal en matière d’études, son emploi actuel et le programme d’études proposé au Canada. Je reconnais également que les agents des visas disposent d’un vaste pouvoir discrétionnaire lorsqu’ils évaluent une demande de cette nature et bénéficient d’une déférence considérable (voir, par exemple, Nimely c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 282, au para 7; Binu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 743, au para 10).

[13] Cependant, tel qu’il a été expliqué par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, aux para 85 et 86, une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti, de sorte que le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité de la décision.

[14] En l’espèce, bien que l’agent semble avoir pris en considération les faits décrits précédemment, il m’est impossible de discerner une analyse rationnelle et intelligible à l’appui des conclusions qui ont été tirées par l’agent en fonction de ces faits. La conclusion de l’agent selon laquelle le niveau du programme d’études au Canada que propose le demandeur principal recoupe ses études antérieures est, en soi, intelligible, car le demandeur principal propose de poursuivre des études de maîtrise bien qu’il ait déjà obtenu un diplôme de maîtrise en Iran. Or, la conclusion de l’agent selon laquelle le contenu des études recoupe celui des études antérieures du demandeur principal ne me semble pas revêtir la même intelligibilité.

[15] Les études antérieures du demandeur principal ont mené à l’obtention d’un diplôme de maîtrise en gestion industrielle. S’il mène à bien le programme qu’il souhaite poursuivre au Canada, le demandeur principal se verra décerner un diplôme de maîtrise en sciences de l’administration avec une spécialisation en administration des ressources humaines. Même s’il s’agit d’un autre diplôme d’études supérieures, son titre indique un objectif axé sur la gestion des ressources humaines. Je n’ai pas constaté de preuve au dossier qui étayerait la conclusion selon laquelle cet objectif représente un recoupement avec les études antérieures du demandeur principal. Assurément, aucune explication dans la décision ne permet de déterminer la manière dont l’agent est parvenu à cette conclusion.

[16] En outre, le dossier dont était saisi l’agent et dont est à présent saisie la Cour indique que le demandeur principal souhaite poursuivre cet objectif particulier en matière d’études, car son employeur actuel, Parsian, lui a offert ce qu’il décrit comme étant une promotion, assortie d’une hausse de salaire, au poste de gestionnaire des ressources humaines. Dans ses observations à l’intention de l’agent, le demandeur principal a présenté une copie de la lettre de Parsian confirmant ces renseignements.

[17] Dans le contexte de ces contraintes factuelles, la décision n’énonce pas de façon intelligible la manière dont l’agent est arrivé à la conclusion selon laquelle le plan d’études du demandeur principal ne semblait pas raisonnable, compte tenu de ses antécédents en matière d’emploi et d’études, ou selon laquelle le plan ne décrivait pas un cheminement de carrière et d’études clair pour lequel le programme d’études proposé serait avantageux. Cela ne signifie pas que de telles conclusions seraient nécessairement déraisonnables dans le contexte des faits en l’espèce, si l’agent avait tenu un raisonnement rationnel à l’appui de telles conclusions. Or, en l’absence d’un tel raisonnement rationnel, je conclus que la décision était déraisonnable en ce qui concerne l’agent principal.

[18] Pour en arriver à cette conclusion, j’ai tenu compte de l’observation du défendeur selon laquelle la date figurant sur la lettre de Parsian, où est confirmée l’offre du poste de gestionnaire des ressources humaines au demandeur principal suivant l’obtention de son diplôme, est postérieure à la date de la lettre d’admission au programme de l’Université Fairleigh Dickinson reçue par le demandeur principal. Le défendeur soutient qu’il n’est donc pas clair si ce programme en particulier était requis pour l’obtention de la promotion ou si d’autres programmes ou options s’offraient au demandeur principal.

[19] Je ne trouve pas convaincant l’argument selon lequel la séquence particulière de ces documents nuit au récit du demandeur principal. Plus important encore, la décision révèle qu’aucune analyse n’a été effectuée à cet égard.

[20] En ce qui concerne les autres demandeurs, selon mon interprétation de la décision, les conclusions de l’agent relativement aux autres demandes, soit pour un permis de travail et un visa de visiteur, découlent des conclusions qu’il a tirées pour le demandeur principal. Par conséquent, étant donné que j’ai conclu que la décision était déraisonnable en ce qui concerne le demandeur principal, la décision est également déraisonnable en ce qui concerne les autres demandeurs.

[21] J’accueille donc la présente demande de contrôle judiciaire, et il n’est pas nécessaire pour la Cour de tenir compte des autres observations des demandeurs.

[22] Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification, et aucune question n’est formulée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5801‑21

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et que la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il rende une nouvelle décision. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5801‑21

INTITULÉ :

DAVOOD FALLAHI, LEILASADAT MOUSAVI,

ARIABOD FALLAHI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 mars 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

Le 7 avril 2022

COMPARUTIONS :

Samin Mortazavi

POUR LES DEMANDEURS

Jocelyne Mui

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pax Law Corporation

Avocats et notaires

North Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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