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Date : 20220411


Dossier : T-40-18

Référence : 2022 CF 519

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 11 avril 2022

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

PAID SEARCH ENGINE TOOLS, LLC

demanderesse/défenderesse reconventionnelle

et

GOOGLE CANADA CORPORATION, GOOGLE LLC et ALPHABET INC.

défenderesses/demanderesses reconventionnelles

JUGEMENT ET MOTIFS SUPPLÉMENTAIRES

[1] Les présents motifs portent sur les dépens et les débours à verser aux défenderesses, Google Canada Corporation, Google LLC et Alphabet Inc. (Google), à la suite du jugement et des motifs dans l’affaire 2021 FC 1435, dans laquelle j’ai accueilli la demande reconventionnelle de Google et conclu que les revendications du brevet de la demanderesse PAID SEARCH ENGINE TOOLS (PSET) étaient invalides et non contrefaites.

[2] Pour les motifs qui suivent, j’ordonne que les honoraires de Google soient taxés selon la fourchette supérieure de la colonne IV du tarif B et que Google soit remboursée pour les débours qui s’avèrent raisonnables et nécessaires.

I. Contexte

[3] Dans l’instance sous-jacente, PSET a affirmé que Google avait contrefait le brevet canadien no 2,415,167 (le brevet 167) nommé « Paid Search Engine Bid Management », un procédé conçu pour aider les annonceurs à gérer leurs offres d’espace publicitaire en ligne sur les moteurs de recherche payants.

[4] Le procès dans cette affaire s’est déroulé virtuellement sur 15 jours, et 19 témoins des faits et 8 témoins experts ont témoigné.

[5] Dans le jugement et les motifs, j’ai rejeté la revendication de PSET pour contrefaçon de brevet contre Google. J’ai accueilli la demande reconventionnelle de Google et conclu que le brevet de PSET était invalide pour divers motifs, notamment l’antériorité, l’évidence et l’insuffisance. En tant que partie ayant obtenu gain de cause, Google s’est vu attribuer les dépens.

[6] Les parties n’ont pas réussi à s’entendre sur les frais et la Cour a reçu les observations suivantes :

  • Les observations confidentielles de Google sur les frais, déposées le 24 janvier 2022, y compris une ébauche de mémoire de frais et un affidavit de Susan Burkhardt daté du 24 janvier 2022;

  • Les observations confidentielles de PSET sur les frais, déposées le 24 janvier 2022, avec l’affidavit de Jennifer Nahorniak daté du 17 janvier 2022;

  • Les réponses confidentielles de Google, déposées le 4 février 2022, avec l’affidavit de Chirani Mudunkotuwa daté du 4 février 2022;

  • Les observations confidentielles en réponse de PSET sur les frais, déposées le 4 février 2022, avec l’affidavit de Dawn Trach daté du 4 février 2022.

[7] Dans son mémoire de frais, Google réclame des honoraires d’un montant de 562 221,88 $, taxés selon la fourchette supérieure de la colonne V du tarif B, et des débours d’un montant de 2 007 820,35 $, soit un total de 2 570 042,23 $.

[8] PSET soutient que les honoraires accordés à Google devraient être taxés selon la fourchette médiane de la colonne III, qu’ils ont chiffrés à 143 436,00 $. En ce qui concerne les débours, PSET fait valoir que Google ne devrait pas récupérer les honoraires des experts Michael Grehan, Steven Tadelis, Christopher Bakewell et Errol Soriano. Elle affirme également qu’une réduction globale de 25 % devrait être appliquée en raison des allégations de Google selon lesquelles PSET a fait de fausses déclarations à l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC). Elle soutient que les débours de Google devraient être limités à 364 429,97 $.

II. Analyse

[9] L’objectif de l’adjudication de dépens est triple : « l’indemnisation, l’incitation à régler et la dissuasion de comportements abusifs » (Air Canada c Thibodeau, 2007 CAF 115 au para 24).

[10] Bien que l’adjudication d’une somme globale soit « de plus en plus courant[e] » dans les procès relatifs à la propriété intellectuelle (Allergan Inc. c Sandoz Canada Inc., 2021 CF 186 au para 22 [Allergan]), Google ne demande pas l’adjudication d’une somme globale.

[11] La Cour dispose d’un pouvoir discrétionnaire quant à l’adjudication des dépens selon le paragraphe 400(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles). Comme on peut le lire dans la décision Nova Chemicals Corporation c Dow Chemical Company, 2017 CAF 25 :

[10] Selon le paragraphe 400(1) des Règles des Cours fédérales, la Cour « a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens [et] de les répartir ». Ce principe a été décrit comme « le principe premier de l’adjudication des dépens » : Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc., 2002 CAF 417, [2003] 2 C.F. 451, au para. 9 (Consorzio).

[12] Le paragraphe 400(3) des Règles énonce un certain nombre de facteurs qui peuvent être pris en compte dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, dont certains seront examinés ci‑dessous.

A. Alinéa 400(3)a) – Le résultat de l’instance

[13] Google fait valoir que, comme elle a eu gain de cause sur tous les aspects de l’action et de la demande reconventionnelle, elle a droit à des dépens selon une fourchette élevée. Elle souligne également qu’il s’agissait du troisième échec de la demande de brevet de PSET contre Google pour la même invention.

[14] PSET met en garde contre le fait que l’adjudication de dépens de l’ampleur de ceux demandés par Google aurait un effet dissuasif quant à la volonté des petits titulaires de brevets d’intenter des actions en justice. Elle évoque une question d’accès à la justice.

[15] Il ressort de la preuve présentée au procès que PSET n’est pas un plaideur inexpérimenté. Par conséquent, je ne souscris pas à l’argument selon lequel le droit d’accès à la justice des petits titulaires de brevets est un facteur à prendre en considération pour déterminer le montant des dépens en l’espèce.

[16] J’adjugerai donc les dépens à Google à une fourchette supérieure à la lumière des facteurs énoncés ci-dessous.

B. Alinéas 400(3)b), c) et g) – Les sommes réclamées, la complexité et la charge de travail

[17] Google souligne que PSET a réclamé des dommages-intérêts sans précédent, à savoir de plus d’un milliard de dollars, et a fait valoir 59 revendications de brevet. Selon Google, la portée et l’ampleur des revendications avancées par PSET ont obligé Google à en défendre agressivement tous les aspects, et à faire appel à de nombreux témoins des faits et témoins experts.

[18] Au cours du procès, la Cour a entendu de nombreux témoignages techniques sur la théorie des enchères, la conception des enchères, la technologie des moteurs de recherche et l’émergence du marketing par moteur de recherche. Des éléments de preuve ont également été présentés sur le développement et l’évolution de la publicité sur Internet. Enfin, d’importants témoignages d’experts ont été présentés sur les questions économiques et les méthodes de calcul des dommages.

[19] Je qualifierais les questions et la preuve dans la présente affaire comme étant d’une complexité supérieure à la moyenne. Je souligne qu’il y avait 59 revendications de brevet qui devaient être interprétées. De plus, de multiples motifs d’invalidité devaient être examinés. Une partie de la preuve technique et une grande partie de la preuve financière étaient confidentielles, ce qui a obligé la Cour à recourir à des procédures à huis clos pour des segments importants du procès.

[20] Même si PSET souligne qu’elle a limité sa demande de dommages-intérêts à 10 % des profits de Google, elle ne l’a fait qu’au procès, bien après que Google ait retenu les services d’experts pour traiter la question des dommages-intérêts.

[21] Il ne fait aucun doute que la présente affaire était complexe et qu’elle a nécessité un travail considérable de la part des deux parties tout au long de l’instance. À mon avis, cela justifie que l’on s’écarte des honoraires habituels prévus à la colonne III en faveur d’honoraires fixés selon une fourchette plus élevée.

C. Alinéa 400(3)i) – La conduite d’une partie qui a eu pour effet d’abréger ou de prolonger inutilement la durée de l’instance

[22] Les deux parties ont adopté une approche agressive dans ce litige.

[23] Google fait valoir que le refus de PSET de scinder l’action a inutilement allongé et compliqué les procédures. Google fait remarquer que les services de ses quatre experts sur les mesures correctives n’ont été nécessaires que parce que PSET a refusé la scission de l’instance.

[24] PSET cite la décision Seedlings Life Science Ventures, LLC c Pfizer Canada SRI, 2020 CF 505 [Seedlings], dans laquelle, sur la question du refus de scission d’une partie, le juge Grammond a affirmé que « [b]ien qu’il soit fréquent que les parties demandent la scission de l’instance dans les affaires de propriété intellectuelle, elles ne sont pas tenues de le faire. De même, la scission de l’instance n’accélère pas toujours le procès […] » (au para 25). Le juge Grammond a poursuivi en précisant que la partie déboutée serait déjà confrontée aux conséquences de l’absence de scission, puisque les dépens alloués incluraient les frais que la partie ayant obtenu gain de cause a dépensés pour la partie de la demande relative aux dommages-intérêts.

[25] À mon avis, la présente affaire aurait dû être scindée. Le procès portant sur l’interprétation, la contrefaçon et la validité aurait pu être mené en deux fois moins de temps avec beaucoup moins d’experts. Bien que je reconnaisse que, comme dans l’affaire Seedlings, PSET sera responsable des honoraires des experts en dommages-intérêts de Google, il s’agit néanmoins d’une affaire où il aurait été avantageux que la partie de la demande relative à la responsabilité soit traitée avant la partie de la demande relative aux dommages-intérêts.

[26] Ici, malgré le fait que 59 réclamations nécessitaient des interprétations, il ne fait aucun doute que la partie de l’affaire portant sur les dommages-intérêts a pris la majorité du temps et a fait l’objet de la plupart des témoignages d’experts. La preuve relative aux dommages et à la réparation a porté sur la redevance raisonnable, la comptabilisation des profits, la répartition et les solutions de substitution non contrefaisantes.

[27] L’instance aurait été plus efficiente si elle avait été scindée. Le fait que PSET n’ait pas accepté la scission est un facteur qui milite en faveur d’honoraires plus élevés.

[28] Google fait par ailleurs valoir que PSET a refusé d’admettre des détails fondamentaux concernant des documents non litigieux, notamment l’authenticité de 152 documents de Google. À mon avis, l’absence d’entente sur la preuve documentaire s’applique aux deux parties de manière égale. Par conséquent, je conclus qu’il s’agit d’un point neutre.

D. Alinéa 400(3)n.1) – La question de savoir si les dépenses engagées pour la déposition d’un témoin expert étaient justifiées

[29] La Cour a entendu les témoignages de huit experts qui ont également soumis des rapports volumineux.

[30] Google demande le remboursement des frais de ses experts, à savoir les montants suivants :

  • 203 917,50 $ pour le Dr Parkes;

  • 875 307,38 $ pour le Dr Tadelis;

  • 558 784,00 $ pour M. Bakewell;

  • 247 172,50 $ pour M. Soriano;

  • 20 569,90 $ pour M. Grehan.

[31] PSET conteste les montants qui devraient être accordés au Dr Tadelis, à M. Grehan, à M. Bakewell et à M. Soriano, étant donné les préoccupations exprimées par la Cour quant à l’indépendance de leurs rapports, ou parce que la Cour ne s’est pas fondée sur leurs opinions. PSET s’appuie sur la décision Allergan aux paragraphes 69-73, et sur la décision Betser-Zilevitch c Petrochina Canada Ltd, 2021 CF 151 au paragraphe 20, dans lesquelles la Cour a pris ces facteurs en considération.

[32] Cependant, je qualifierais l’évaluation des rapports d’experts par la Cour d’exercice typique d’un juge de première instance. Le fait que la Cour n’ait pas retenu l’avis d’un expert ou lui ait accordé une faible valeur ne signifie pas, par défaut, que les frais engagés pour faire appel à cet expert doivent être réduits ou considérés comme non recouvrables (Seedlings aux para 30‑31).

[33] Je relève en outre que, bien que PSET conteste les honoraires des experts de Google, elle n’a pas divulgué les honoraires de ses propres experts. Il n’existe donc pas de montant de référence permettant d’évaluer le caractère raisonnable des honoraires des experts.

[34] Dans ces circonstances, Google a droit au recouvrement intégral des frais relatifs à ses témoins experts.

E. Alinéa 400(3)o) – Toute autre question qu’elle juge pertinente

[35] PSET soutient que les dépens de Google devraient être réduits de 25 %, parce que Google a affirmé que PSET a fait de fausses déclarations et des modifications dans le but de tromper l’OPIC. PSET soutient que cela sous-entend une fraude, et devrait avoir une incidence importante sur la taxation des dépens si l’allégation n’est pas prouvée. PSET s’appuie sur la décision Eli Lilly Canada Inc. c Apotex Inc, 2008 CF 142, dans laquelle bien que la défenderesse ait soulevé une telle allégation mais l’ait abandonnée par la suite, la Cour a réduit tous les frais et débours de 25 % (aux para 61-63, 192).

[36] L’allégation de Google selon laquelle PSET a induit l’OPIC en erreur a obligé PSET à présenter le témoignage de Shauna Paul, son agente de brevets. Toutefois, même sans l’allégation de fausse déclaration, compte tenu des dépôts de documents irréguliers effectués par PSET auprès de l’OPIC, PSET aurait de toute façon dû présenter ce témoignage. Par conséquent, je ne réduirai pas les frais et débours recouvrables en raison de ce facteur.

[37] Dans son mémoire de frais pour le procès, Google demande le remboursement des honoraires de quatre avocats (deux avocats principaux et deux avocats adjoints). Compte tenu des facteurs exposés ci-dessus, je suis d’avis que le recouvrement des honoraires de deux avocats principaux et d’un avocat adjoint est approprié.

III. Débours

[38] En ce qui concerne le recouvrement des débours, la question est de savoir s’ils étaient raisonnables et nécessaires au moment où ils ont été engagés (M.K. Plastics Corporation c Plasticair inc., 2007 CF 1029 aux para 34-37).

[39] La partie la plus importante des débours de Google est constituée des honoraires d’experts. Google demande le remboursement des honoraires d’expert, comme indiqué au paragraphe 30 ci-dessus, qui tient compte des réductions du taux horaire et de la suppression des dépenses liées à la preuve en réponse, que la Cour n’a pas admise. À mon avis, ces débours étaient raisonnables et nécessaires, et sont donc recouvrables.

[40] PSET s’oppose aux débours de 12 352,50 $ réclamés par Google pour les dépenses liées à une simulation de procès menée avec l’aide de la très honorable Beverley McLachlin. Le caractère recouvrable de ces débours devrait être déterminé par l’officier taxateur à la lumière de renseignements supplémentaires.

[41] Les déboursés relatifs au déplacement en vue d’assister à l’interrogatoire préalable devraient être limités aux avocats présents à l’interrogatoire préalable.

[42] La nécessité du déplacement pour assister au procès (qui s’est déroulé virtuellement) et, par conséquent, le caractère récupérable des frais de déplacement, devront également être évalués à l’aide d’informations supplémentaires.

[43] À l’exception de ce qui est indiqué ci-dessus, Google a droit au recouvrement de tous les débours raisonnables et nécessaires.

IV. Conclusion

[44] Pour les motifs susmentionnés, j’ordonnerai une taxation des dépens selon la fourchette supérieure de la colonne IV du tarif B. Sous réserve de mes commentaires sur les débours ci-dessus, Google sera remboursée pour les débours qui s’avèrent raisonnables et nécessaires.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-40-18

LA COUR STATUE que les frais de Google seront taxés selon la fourchette supérieure de la colonne IV du tarif B. Google sera remboursée pour les débours qui s’avèrent raisonnables et nécessaires.

 

« Ann Marie McDonald »

 

Juge

Traduction certifiée conforme

Marie-France Blais, L.L. B., traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-40-18

 

INTITULÉ :

PAID SEARCH ENGINE TOOLS, LLC c GOOGLE CANADA CORPORATION, GOOGLE LLC et ALPHABET INC.

 

OBSERVATIONS ÉCRITES EXAMINÉES À OTTAWA (ONTARIO) CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

JUGEMENT ET MOTIFS SUPPLÉMENTAIRES :

la juge mcdonald

DATE DES MOTIFS SUPPLÉMENTAIRES :

LE 11 AVRIL 2022

OBSERVATIONS ÉCRITES PAR :

Marcus Klee, Scott Beeser,

Jonathan Stainsby, Devin Doyle,

Jonathan Giraldi, Bryan Norrie

POUR LA DEMANDERESSE/DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

Christopher Van Barr,

Michael Crichton, Marc Richard,

Charlotte McDonald, Alex Gloor,

Marc Crandall, Natalia Thawe

 

POUR LES DÉFENDERESSES/DEMANDERESSES RECONVENTIONNELLES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

AITKEN KLEE LLP

Ottawa (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE/DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

Gowling WLG (Canada) LLP

Ottawa (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES/DEMANDERESSES RECONVENTIONNELLES

 

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