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Date : 20220405


Dossier : T‑1443‑18

Référence : 2022 CF 470

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 avril 2022

En présence de madame la protonotaire Mireille Tabib

ENTRE :

AUGUST IMAGE LLC

demanderesse

et

AIRG INC.

défenderesse

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I. Introduction

[1] August Image LLC, la demanderesse dans la présente action (« August »), est une agence de syndication de photographies. Elle affirme avoir acquis le droit exclusif d’autoriser six photographies de Jennifer Lopez prises par le photographe des célébrités Joe Pugliese. August affirme que la défenderesse, airG Inc. (« airG ») a violé le droit d’auteur sur les photographies en les reproduisant sans autorisation sur son site Web www.buzz.airG.com, et demande des dommages‑intérêts d’un montant de 22 412,45 $ pour la violation.

[2] Pour les motifs qui suivent, l’action d’August sera rejetée.

II. Remarques préliminaires

[3] La présente action a été instruite selon la procédure d’action simplifiée de la Cour fédérale, où l’interrogatoire principal est produit sous forme d’affidavits et où il est loisible à la partie adverse de contre‑interroger de vive voix les auteurs des affidavits pendant le procès. Ce procès était plutôt inhabituel, en ce sens qu’airG a choisi de ne pas contre‑interroger les auteurs d’affidavits d’August et de ne pas présenter d’éléments de preuve à l’appui de sa propre position. AirG a plutôt limité sa défense à s’opposer à l’admissibilité de presque tous les éléments de preuve présentés par August et à faire valoir qu’August ne s’était pas acquittée de son fardeau de preuve à l’égard de presque tous les éléments constitutifs de la cause d’action.

[4] Une autre caractéristique unique de la procédure était l’accent mis par airG sur les similitudes entre la présente action et une autre action pour violation du droit d’auteur intentée sous forme d’action simplifiée contre airG, mais par une autre demanderesse, Lickerish, Ltd. Cette action a été rejetée après le procès : Lickerish, Ltd c airG Inc, 2020 CF 1128. Une grande partie des éléments de preuve présentés par la demanderesse dans l’affaire Lickerish a été jugée inadmissible, de sorte que la demanderesse n’a pas prouvé le bien‑fondé de tous les éléments constitutifs de l’action.

[5] Bien qu’il existe des similitudes entre les deux procédures, les décisions de la Cour quant à l’admissibilité dans l’affaire Lickerish ne peuvent pas s’appliquer globalement à la présente action. Les décisions quant à l’admissibilité d’éléments de preuve doivent être prises en tenant compte des faits et des circonstances de chaque affaire. Une différence importante entre la présente affaire et l’affaire Lickerish est qu’aucun des témoins dans cette affaire n’avait une connaissance personnelle des faits qu’ils exposaient. En l’espèce, August a produit le témoignage de deux témoins ayant une connaissance directe de la plupart des faits à l’origine de l’action. Cela a orienté la définition des questions d’admissibilité soulevées et mené, dans bien des cas, à une analyse différente et à un résultat différent. La Cour a conclu que, dans les présents motifs, il n’était pas nécessaire d’examiner tous les arguments d’airG fondés sur les décisions rendues dans l’affaire Lickerish. La Cour a établi le cadre d’analyse de chaque opposition à l’admissibilité, et lorsque les décisions dans l’affaire Lickerish n’étaient pas applicables à ce cadre, elles n’ont pas été examinées.

III. Les questions en litige

[6] Les questions à trancher dans la présente action sont les suivantes :

  • a) Est‑ce que Joe Pugliese détient le droit d’auteur sur les photographies en cause?

  • b) August a‑t‑elle qualité pour agir et alléguer une violation du droit d’auteur sur les photographies?

  • c) AirG a‑t‑elle violé le droit d’auteur sur les photographies?

  • d) Si airG a violé le droit d’auteur, quels dommages‑intérêts devrait‑on accorder?

  • e) À quelle partie des dépens devraient‑ils être adjugés et selon quel barème?

IV. La preuve

[7] Comme il a été mentionné, AirG s’est opposée à l’admissibilité de pratiquement tous les paragraphes et pièces des affidavits d’August. Plutôt que de se prononcer sur chaque opposition à titre préliminaire, la Cour établira d’abord les faits et les documents attestés par chaque auteur d’un affidavit. Les oppositions seront examinées et tranchées dans le cadre de l’examen par la Cour des éléments de preuve pertinents à chaque élément essentiel de la cause d’action.

A. Affidavit de Joe Pugliese

[8] Le premier paragraphe numéroté de l’affidavit de M. Pugliese indique ce qui suit : [traduction] « Je suis l’auteur des photographies visées par l’action susmentionnée […] ». M. Pugliese décrit ensuite sa carrière de photographe de portraits, de ses débuts dans des journaux jusqu’à son travail de pigiste et à sa réussite en tant que photographe de célébrités. Ses sujets comprenaient Hillary Clinton, ainsi que le Duc et la Duchesse de York, et ses œuvres ont été publiées dans des magazines comme People et Vanity Fair. M. Pugliese décrit comment sa réputation [traduction] « est fondée sur la qualité de [son] travail et la confiance [qu’il a] avec [ses] sujets, ce qui commence sur le plateau et continue avec le traitement des photographies après la séance ».

[9] En ce qui concerne les photographies en cause, il témoigne comme suit :

[traduction]

13. J’ai assisté à une séance photo le 17 avril 2015, à Los Angeles, en Californie. Mon représentant chez B&A a négocié la séance de Jennifer Lopez pour le magazine US Weekly. L’entente avec le magazine US Weekly, signée par mon agent, Ehrin Feeley, est jointe aux présentes en tant que pièce B.

14. La production des photographies de Jennifer Lopez a exigé mon expertise, mon talent, mon jugement et un effort intellectuel considérable. Une séance de ce calibre commence par des discussions créatives et des références pour déterminer l’emplacement, le plateau, la mode et le thème. Ensuite, il faut consulter au sujet des technologies numériques, de la garde‑robe, des cheveux et du maquillage. Chaque décision est prise avec une intégrité créative. Je dirige l’éclairage, la composition de l’image, et la présentation finale du produit final au sujet et aux éditeurs.

15. Le résultat final comprenait 12 photographies qui ont été imprimées dans le numéro de juin 2015 du magazine US Weekly. Six des photographies en cause dans la présente affaire sont jointes aux présentes en tant que pièce C.

[10] M. Pugliese décrit ensuite comment il procède habituellement pour enregistrer les photographies auprès du United States Copyright Office, en commençant par soumettre des images individuelles en tant que [traduction] « épreuves », puis, après la publication, en soumettant des copies imprimées à des fins de publication en tant que [traduction] « feuilles de parution ». Il indique qu’il a enregistré les photographies de Jennifer Lopez en tant qu’épreuves, et aussi, conformément à leur utilisation dans le magazine US Weekly, en tant que feuilles de parution. Il joint deux documents – les pièces E et F – qu’il identifie comme des certificats d’enregistrement. Les originaux, affirme‑t‑il, restent sous la garde et le contrôle de Joe Pugliese Photography, l’entreprise qu’il dirige.

[11] En ce qui concerne sa relation avec August, M. Pugliese indique ce qui suit :

[traduction]

10. J’ai conclu une convention de syndication avec August Image LLC le 4 janvier 2012, en vertu de laquelle August Image a obtenu une licence exclusive mondiale pour mes œuvres à des fins de vente, de délivrance de licences et d’autres promotions. Une copie de la convention signée est jointe aux présentes en tant que pièce A. August Image conserve l’original dans ses pièces commerciales ordinaires.

11. Conformément à la convention, je transmets mes œuvres à August Image pour qu’il les utilise afin de délivrer des licences pour mes œuvres. Je continue d’être lié par cette convention avec August Image.

[12] La pièce A est dûment identifiée et jointe à l’affidavit de M. Pugliese.

[13] Il convient de noter que, bien que l’affidavit de M. Pugliese contienne la déclaration initiale [traduction] « Je, JOSEPH PUGLIESE, de Los Angeles, dans l’État de Californie, des États‑Unis d’Amérique, CONFIRME QUE : », l’affidavit ne contient aucune autre déclaration relative à la résidence ou à la citoyenneté de M. Pugliese à un moment quelconque pendant la période visée par l’action.

B. Affidavit de William Hannigan

[14] L’affidavit de M. Hannigan indique qu’il est le cofondateur, l’unique partenaire d’exploitation et le directeur général d’August Image LLC. L’affidavit contient une déclaration générale indiquant ce qui suit :

[traduction]

2. Les documents fournis par August Image et joints en tant que pièces au présent affidavit font partie des livres et dossiers ordinaires d’August Image lorsque ces inscriptions ont été créées et que ces inscriptions ont été créées dans la pratique normale et habituelle du commerce. Les livres ou dossiers originaux sont sous la garde et le contrôle d’August Image et les copies jointes au présent affidavit en sont des copies conformes.

[15] L’affidavit ne précise pas toujours qui a effectivement créé les copies jointes en tant que pièces.

[16] L’affidavit de M. Hannigan couvre trois grandes questions. La convention avec M. Pugliese, la réception des photographies et l’octroi d’une licence pour celles‑ci, et la contrefaçon par airG.

[17] En ce qui concerne la convention avec M. Pugliese, l’affidavit indique ce qui suit :

[traduction]

5. August Image a obtenu une licence exclusive de Pugliese le 4 janvier 2012 (la « convention »). Les modalités explicites de cette licence exclusive comprenaient les suivantes :

a. August sera l’agent mondial exclusif de Pugliese pour la vente, la délivrance de licences et d’autres formes de promotion de portraits photographiques créés pendant la période;

b. la durée de la période de la convention est de deux ans, renouvelable par la suite;

c. Pugliese soumettra toutes les images au fur et à mesure qu’elles sont créées ou deviennent disponibles, sur une base continue et périodique, selon le cas, ainsi que toutes les autorisations, versions, ententes et contrats connexes.

6. J’ai signé la convention au nom d’August Image. Une copie de la convention signée est jointe à la présente en tant que pièce B. L’original est sous la garde et le contrôle d’August Image, et la copie jointe au présent affidavit en est une copie conforme.

7. J’ai envoyé la convention à Pugliese par courriel. Pugliese a signé la convention et a retourné une copie électronique signée pour le dossier d’August Image.

[18] La pièce A est dûment identifiée et jointe à l’affidavit. Lors de l’examen, à l’exception de la taille des copies et des annotations et numéros de page dans les marges, la pièce A de l’affidavit de M. Pugliese et la pièce A de l’affidavit de M. Hannigan semblent être des copies exactes.

[19] M. Hannigan ajoute qu’en 2015, Joe Pugliese a envoyé à August 12 nouvelles images de Jennifer Lopez pour les rendre disponibles à des fins de syndication en vertu de la convention. M. Hannigan déclare qu’à la réception des images, August les a ajoutées à sa base de données en ligne. Il joint en tant que pièce C des captures d’écran de six de ces images tirées de la base de données, qui, selon lui, ont été [traduction] « prises par moi‑même et stockées sur mon ordinateur, qui est situé au siège de August Image à New York et contrôlé par celui‑ci ».

[20] À l’exception des annotations manuscrites et des numéros de page qui figurent à la pièce C de l’affidavit de M. Pugliese, les images dans cette pièce et celles à la pièce C de l’affidavit de M. Hannigan semblent être les mêmes, bien qu’elles soient de tailles et de qualités d’impression différentes.

[21] L’affidavit de M. Hannigan indique que les photographies ont été autorisées, sous licence, jusqu’au mois d’août, avec des frais de licence allant de 700 $ AU à 3 250 $US; chaque image était habituellement autorisée, sous licence, pour environ 2 084 $ US. Des copies des licences antérieures sont jointes à son affidavit en tant que pièce D.

[22] Enfin, l’affidavit de M. Hannigan indique ce qui suit :

[traduction]

16. Depuis au moins août 2015 jusqu’au 11 janvier 2018 ou après, les images de Lopez sont utilisées et reproduites sur le site buzz.airg.com. Les images de Lopez ont accompagné un article intitulé « Jennifer Lopez REIGNS Supreme at Motherhood! » [Jennifer Lopez DOMINE la maternité!]. Une capture d’écran de l’article contenant les images de Lopez, comme il en a été fait foi le 11 janvier 2018, et reflétant fidèlement le site Web tel qu’il apparaissait à l’époque est jointe en tant que pièce E.

[23] La pièce E montre plusieurs images, dont six semblent être les mêmes que les images à la pièce C de l’affidavit de M. Pugliese (moins les annotations et les numéros de page) et à la pièce C de l’affidavit de M. Hannigan.

[24] Le reste de l’affidavit de M. Hannigan affirme que les photographies étaient toujours disponibles sous licence en août, qu’aucune autorisation n’a été accordée en août pour la reproduction des images sur le site Web d’airG, et que M. Hannigan était convaincu, au regard d’une lecture des pages secondaires de buzz.airg.com, que le site est détenu et contrôlé par airG.

C. Autres éléments de preuve

[25] Enfin, August s’appuie sur des lectures de l’interrogatoire préalable d’airG, en vertu desquelles airG admet qu’elle a, par le passé, possédé et utilisé le site Web www.buzz.airg.com.

D. Est‑ce que Joe Pugliese détient le droit d’auteur sur les photographies en cause?

[26] Le droit d’auteur est un droit créé et régi exclusivement par la loi. La Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C‑42, confère un droit d’auteur à « l’auteur » sur toute « œuvre artistique » si l’auteur était, à la date de création de l’œuvre, soit un citoyen, un sujet ou un résident habituel du Canada ou de tout autre pays signataire de la Convention de Berne, un traité international régissant le droit d’auteur. Pour que M. Pugliese soit reconnu, en vertu de la Loi sur le droit d’auteur, comme le titulaire du droit d’auteur sur les photographies, il faut donc établir que les photographies sont une œuvre artistique originale, que M. Pugliese en est l’auteur et qu’au moment où elles ont été créées, il était un résident habituel, un sujet ou un citoyen du Canada ou d’un autre pays signataire. Les États‑Unis d’Amérique sont un signataire de la Convention de Berne.

[27] Le fait que les photographies invoquées constituent des œuvres artistiques originales à l’égard desquelles il peut exister un droit d’auteur est l’un des rares faits qui ne soient pas contestés par airG dans la présente action. AirG conteste par ailleurs l’admissibilité des images présentant les photographies, le fait que M. Pugliese soit l’auteur des photographies, et la citoyenneté de M. Pugliese ou sa résidence dans un pays signataire. Chaque facteur contesté sera examiné à tour de rôle.

(1) Admissibilité des photographies de la pièce C

[28] La pièce C de l’affidavit de M. Pugliese comprend des copies des photographies en cause. AirG soutient que ces copies sont inadmissibles parce que ce sont plutôt les originaux qui auraient dû être soumis et que les exigences du paragraphe 30(3) de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C‑5, n’ont pas été respectées de sorte à rendre ces copies admissibles au lieu des originaux.

[29] L’argument d’airG sur ce point amalgame à tort la règle de la meilleure preuve et la règle interdisant le ouï‑dire.

[30] Les éléments de preuve par ouï‑dire sont en principe inadmissibles. Le ouï‑dire a été défini comme « une déclaration verbale ou écrite faite par une personne autre que celle qui témoigne lors de l’instance, hors du tribunal, que le témoin répète ou produit devant le tribunal dans le but d’établir la véracité ce qui a été dit ou écrit » (voir Pfizer Canada Inc c Teva Canada Limited, 2016 CAF 161 au para 89). La règle interdisant le ouï‑dire s’applique aux documents lorsqu’ils sont présentés comme preuve de la véracité de leur contenu. Elle ne s’applique pas lorsqu’un document est présenté comme preuve de son existence ou de son fait (Pfizer, précité, au para 90).

[31] L’article 30 de la Loi sur la preuve au Canada prévoit une exception à la règle interdisant le ouï‑dire. Le ouï‑dire est de nature permissive, plutôt qu’exclusive, en ce sens qu’il établit les conditions en vertu desquelles certains documents, à savoir les pièces commerciales, peuvent être produits en preuve pour constituer une preuve des faits qui y sont consignés, lorsqu’ils pourraient autrement être inadmissibles en vertu de la règle de common law interdisant le ouï‑dire.

[32] Les photographies en cause en l’espèce ne sont pas présentées comme constituant une preuve des faits qui y sont consignés. Elles ne sont pas présentées comme preuve de l’apparence de Mme Lopez, des vêtements qu’elle portait ou de l’endroit où elle se trouvait à la date à laquelle les photographies ont été prises. Elles sont plutôt produites comme représentant [traduction] « les œuvres artistiques » en cause, comme un moyen d’identifier l’objet du droit d’auteur et comme une preuve qu’elles ont été créées. Par conséquent, les photographies constituent des faits plutôt qu’un mémoire des faits. En l’espèce, la règle du ouï‑dire ne s’applique pas aux photographies et l’article 30 de la Loi sur la preuve au Canada ne s’applique pas.

[33] En se plaignant que les originaux des photographies, plutôt que des copies, auraient dû être produits, airG invoque essentiellement la règle de la meilleure preuve.

[34] La règle de la meilleure preuve a été formulée pour la première fois au 18e siècle. Comme elle a été initialement formulée, [traduction] « [o]n exige uniquement la meilleure preuve que la nature de l’objet en cause permet d’obtenir […] »; elle était aussi inclusive qu’exclusive. Si aucune meilleure preuve n’est disponible, on peut alors obtenir la meilleure preuve qui était disponible à ce moment‑là; d’autre part, s’il existait une meilleure preuve [traduction] « primaire » (comme un document original), la preuve secondaire (comme une copie) ne pourrait pas être admise (Sopinka, Lederman et Bryant, The Law of Evidence in Canada, 2e éd, 1999, aux pages 1005‑1006, para 18.4 et 18.5).

[35] La règle moderne offre maintenant une certaine souplesse; dans la plupart des affaires, il s’agit d’une question de poids et non d’admissibilité. Dans le cas des photocopies et des imprimés de documents électroniques, la règle ne sera généralement pas appliquée pour exclure des éléments de preuve, à moins qu’il y ait une question quant à savoir si le document a été modifié. Dans l’affaire ITV Technologies Inc c WIC Television Ltd, 2003 CF 1056, la Cour a rejeté une opposition à l’admissibilité de copies au motif qu’elles n’avaient pas été certifiées, reconnaissant ce qui suit au paragraphe 20 :

[20] WIC a contesté l’admissibilité de la plus grande partie des imprimés produits par ITV Technologies aux motifs que ces documents relevaient du ouï‑dire et que les copies déposées n’étaient pas certifiées conformes. Il est vrai qu’il n’a pas été produit de copies certifiées conformes et que l’admission des exemplaires des documents en question aurait pu être refusée en vertu de la règle traditionnelle de la meilleure preuve. Cependant, l’exactitude des copies que permet la technologie contemporaine a diminué l’importance de la règle de la meilleure preuve. En effet, comme le font observer Sopinka, Lederman et Bryant aux pages 1013 et 1014 de The Law of Evidence in Canada, 2e édition, 1999 :

[traduction] (…) à l’ère des photocopies, des sorties sur imprimante et des vidéocassettes, la question de savoir quel document est l’original n’a pas nécessairement de réponse évidente. En outre, les règles de la preuve devraient refléter les pratiques de la société contemporaine. Lord Lloyd formulait à ce sujet les observations suivantes dans l’arrêt R. v. Governor of Pentonville Prison, ex Parte Osman :

[…] notre Cour ne demanderait pas mieux que de dire adieu à la règle de la meilleure preuve. Nous admettons qu’elle remplissait une fonction importante à l’époque du parchemin et des plumes d’oie. Mais depuis l’invention du papier carbone et, à plus forte raison, du photocopieur et du télécopieur, cette fonction a en grande partie disparu. Dans les cas de poursuite pour faux, le tribunal attribuera peu de poids, voire aucun, à quoi que ce soit d’autre que l’original; de même si l’exemplaire produit devant lui est illisible. Mais le maintien d’une règle d’exclusion générale à ces fins particulières ne se justifie guère à notre avis.

L’état contemporain de la common law, des lois, des règles de pratique et de la technologie a rendu cette règle désuète dans la plupart des cas, et la question qui se pose à ce propos est maintenant celle du poids et non de l’admissibilité.

[36] Dans le cas particulier des photographies, il n’est pas tout à fait clair si les « originaux » des photographies existent sous une forme qui pourrait concrètement être produite en preuve. Si les photographies avaient été prises de façon numérique, les photographies jointes en tant que pièce C auraient très bien pu être une reproduction directe d’un fichier électronique et, par conséquent, constituées la meilleure preuve disponible des photographies. AirG s’oppose au fait que le témoin n’a pas déposé cette pièce C comme des [traduction] « impressions réelles provenant d’une capture négative ou électronique ». Toutefois, le témoin n’a pas témoigné que les pièces étaient des copies des originaux. Il témoigne qu’il s’agit des photographies. AirG a choisi de ne pas contre‑interroger le témoin. AirG ne peut pas, par pure spéculation, prétendre que les photographies ne sont pas les originaux ni la meilleure preuve de ces photographies.

[37] Même si les photographies présentées en tant que pièce C n’étaient que des copies des originaux, la Cour les admettrait quand même en preuve. Les images sont présentées comme preuve que des photographies ont été prises et pour identifier les œuvres à l’égard desquelles un droit d’auteur est revendiqué. M. Pugliese les a reconnues et identifiées comme les photographies dont il prétend être l’auteur. Rien ne laisse entendre qu’elles sont mal identifiées ou qu’elles ont été substantiellement modifiées par rapport aux originaux. En effet, l’un des droits essentiels protégés par le droit d’auteur est le droit d’empêcher d’autres personnes de reproduire ou de copier son œuvre, même de façon imparfaite. Tout ce qu’il faut en l’espèce, c’est que la Cour puisse identifier l’œuvre à l’égard de laquelle un droit d’auteur est revendiqué. Les images jointes en tant que pièce C à l’affidavit de M. Pugliese sont admissibles à cette fin.

(2) Auteur

[38] Compte tenu du témoignage de M. Pugliese décrivant sa participation à la création des photographies en cause, la Cour est convaincue que M. Pugliese est l’auteur des photographies.

[39] Il semble évident que l’auteur d’une photographie est la personne qui a pris la photo, tout comme l’auteur d’un livre est la personne qui a écrit le livre et l’auteur d’une composition musicale est la personne qui l’a composée. Toutefois, il est moins évident de démêler ce que nous entendons véritablement par « prendre » une photo, « écrire » un livre ou « composer » une partition. Le vocabulaire que nous utilisons évoque l’image de la main de l’auteur qui presse sur la gâchette de la caméra, tient le stylo ou tape les touchent qui inscriront des mots ou des notes. Toutefois, ces gestes sont purement mécaniques. Ils peuvent souvent être exécutés tout aussi efficacement par une personne sans talent ou jugement, en suivant simplement les instructions d’une autre personne. Une personne peut dicter à une autre les mots à écrire, ou fredonner une chanson à transcrire. Le véritable auteur est‑il celui dont les mots et les idées ont été transcrits, celui qui les a en fait « écrit »? Une autre personne pourrait préparer une scène, choisir l’éclairage, donner des instructions à un sujet sur une pose, déterminer l’angle et les réglages de la caméra, et demander à une autre personne d’appuyer sur l’obturateur. Est‑ce que l’auteur de la photo qui en résulte est la personne qui a dirigé cette séance ou la personne dont le doigt a appuyé sur le bouton? La Loi sur le droit d’auteur ne fournit pas de réponse directe à ces questions, et elle ne définit même pas le terme « auteur ».

[40] Pour définir ou déterminer qui est l’auteur d’une œuvre, il faut commencer par comprendre ce qui définit une « œuvre artistique originale » à l’égard de laquelle il peut exister un droit d’auteur en vertu de la Loi sur le droit d’auteur. La Cour suprême a défini l’œuvre « originale » comme suit dans CCH Canadian Ltée c Barreau du Haut‑Canada, 2004 CSC 13, au paragraphe 16 :

Pour être « originale » au sens de la Loi sur le droit d’auteur, une œuvre doit être davantage qu’une copie d’une autre œuvre. Point n’est besoin toutefois qu’elle soit créative, c’est‑à‑dire novatrice ou unique. L’élément essentiel à la protection de l’expression d’une idée par le droit d’auteur est l’exercice du talent et du jugement. J’entends par talent le recours aux connaissances personnelles, à une aptitude acquise ou à une compétence issue de l’expérience pour produire l’œuvre. J’entends par jugement la faculté de discernement ou la capacité de se faire une opinion ou de procéder à une évaluation en comparant différentes options possibles pour produire l’œuvre. Cet exercice du talent et du jugement implique nécessairement un effort intellectuel. L’exercice du talent et du jugement que requiert la production de l’œuvre ne doit pas être négligeable au point de pouvoir être assimilé à une entreprise purement mécanique.

[Non souligné dans l’original.]

[41] Ce que le droit d’auteur protège, c’est l’exercice du talent et du jugement pour produire une œuvre qui exprime une idée. L’auteur est donc la personne dont le talent et le jugement ont servi à produire l’œuvre.

[42] M. Pugliese s’identifie comme l’auteur des photographies en cause. La réputation, y compris la qualité de son travail, et la relation avec ses sujets, qu’il décrit comme constituant le fondement de sa carrière de photographe de célébrités, constituent des connaissances, des aptitudes développées et une capacité pratique qu’il a acquise et qu’il utilise pour produire ses œuvres. Il explique en quoi consistent cette réputation et ces relations, et fournit des exemples. M. Pugliese décrit également les éléments de la séance qui ont nécessité la prise de décisions et un jugement avant la séance elle‑même. En lisant le témoignage dans son ensemble, la Cour comprend que M. Pugliese a pris ces décisions et appliqué son jugement à ces questions. M. Pugliese décrit également les éléments qu’il a dirigés le jour de la séance, et ceux qu’il a subséquemment dirigés. Au regard du témoignage, la Cour comprend que M. Pugliese n’a pas exécuté les activités lui‑même, mais a demandé à d’autres personnes de déterminer comment les exécuter pour réaliser les œuvres. La Cour est convaincue que M. Pugliese a consacré beaucoup d’efforts intellectuels à exercer son propre talent et son propre jugement pour créer les photographies, et qu’il en est l’auteur.

[43] La Cour n’accepte pas les arguments de la défenderesse selon lesquels la déclaration sous serment de M. Pugliese n’est pas suffisamment détaillée, n’inclut pas suffisamment de faits ou ne contient que des déclarations intéressées ou catégoriques. Le fait que M. Pugliese utilise également le libellé consacré par la jurisprudence pour définir ses actes ne nuit pas aux détails qu’il fournit. La défenderesse s’oppose au fait que M. Pugliese n’a pas expliqué ce qu’il entendait par [traduction] « dirigé », [traduction] « composition » ou [traduction] « présentation finale ». Ces mots ne sont de nature ni opaque ni technique; dans le contexte de l’affidavit, ils sont explicites. Enfin, comme il a été discuté ci‑dessus, le fait que M. Pugliese n’ait pas explicitement indiqué qu’il avait [traduction] « pris » les photographies importe peu. Il a suffisamment expliqué les étapes qu’il a suivies, et le talent et le jugement qu’il a exercés, utilisés et déployés pour créer les œuvres.

(3) Résidence ou citoyenneté d’un pays signataire

[44] August affirme que M. Pugliese est un résident des États‑Unis et qu’il a donc droit à la protection du droit d’auteur en vertu de la Loi sur le droit d’auteur. À l’appui de cette affirmation, elle cite l’exposé initial de M. Pugliese dans son affidavit, où il s’identifie comme étant [traduction] « de Los Angeles, en Californie », les certificats d’enregistrement du droit d’auteur délivrés aux États‑Unis, sur lesquels figurent son adresse en Californie (et qui l’identifient également comme un citoyen des États‑Unis), et la convention conclue entre lui et August, sur laquelle figure également la même adresse en Californie (bien qu’avec un numéro de bureau différent).

[45] L’analyse de la Cour commence par l’examen de l’admissibilité des certificats d’enregistrement du droit d’auteur joints à l’affidavit de M. Pugliese et les fins de preuve pour lesquelles ils pourraient être admis.

[46] August soutient que, conformément à l’article 53 de la Loi sur le droit d’auteur, ces certificats d’enregistrement constituent la preuve de l’existence du droit d’auteur et du fait que la personne figurant aux enregistrements en est le titulaire. Toutefois, les certificats d’enregistrement du droit d’auteur n’ont pas été délivrés par le Bureau du droit d’auteur du Canada visé par la Loi sur le droit d’auteur, mais, selon les éléments de preuve de M. Pugliese, par le United States Copyright Office. Dans la mesure où ils sont admissibles, ils n’auraient pas pour effet de constituer une preuve de l’existence du droit d’auteur sur les photographies. La Cour est entièrement d’accord avec l’analyse et les conclusions tirées dans la décision Lickerish, précitée, aux paragraphes 39‑40, selon lesquelles l’article 53 ne s’applique qu’aux certificats d’enregistrement canadiens, et que les certificats d’enregistrement délivrés par le United States Copyright Office ne peuvent être utilisés comme preuve de l’existence du droit d’auteur en vertu du paragraphe 53(2) de la Loi sur le droit d’auteur.

[47] À moins d’être une preuve concluante de l’existence du droit d’auteur et du fait que M. Pugliese en est le titulaire, ce certificat pourrait‑il encore être admis en preuve afin d’établir la citoyenneté ou la résidence de M. Pugliese aux États‑Unis au moment de la création des photographies?

[48] Les certificats contiennent des déclarations indiquant que M. Pugliese est citoyen des États‑Unis et que son adresse se situe sur la rue Romaine, à Los Angeles, en Californie. Toutefois, ces déclarations correspondent parfaitement à la définition du ouï‑dire et sont inadmissibles. Le ouï‑dire a été défini comme « une déclaration […] écrite faite par une personne autre que celle qui témoigne lors de l’instance, hors du tribunal, que [M. Pugliese] répète ou produit devant le tribunal dans le but d’établir la véracité de ce qui a été […] écrit ». M. Pugliese n’affirme nulle part dans son affidavit que les faits énoncés dans les certificats d’enregistrement sont véridiques.

[49] Pour être admissibles comme preuve de la véracité des déclarations concernant la citoyenneté ou l’adresse de M. Pugliese, les certificats devraient être considérés comme des « pièces commerciales » en vertu de l’article 30 de la Loi sur la preuve au Canada. Comme il est mentionné ci‑dessus, l’article 30 crée une exception à la règle du ouï‑dire. Elle rend admissible ce qui ne le serait pas autrement. Toutefois, pour qu’une partie puisse bénéficier de cette exception, elle doit satisfaire à toutes les conditions prescrites, y compris les conditions techniques concernant les circonstances dans lesquelles une copie, plutôt que le document original, peut être utilisée. La marge de manœuvre que les tribunaux ont accordée pour appliquer la règle de la meilleure preuve n’entre pas en jeu lorsque l’on invoque l’avantage de cette exception (Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Dueck, [1998] ACF no 1492 (QL) au para 3; R v Andrew, [1986] BCJ No 2447 (QL) au para 100; R v Ho, 2006 BCPC 112 aux para 30‑32).

[50] Pour utiliser des copies des certificats comme pièces commerciales en vertu de l’article 30 de la Loi sur la preuve au Canada, August doit satisfaire aux exigences du paragraphe (3) de cet article, qui se lit comme suit :

(3) Lorsqu’il n’est pas possible ou raisonnablement commode de produire une pièce décrite au paragraphe (1) ou (2), une copie de la pièce accompagnée d’un premier document indiquant les raisons pour lesquelles il n’est pas possible ou raisonnablement commode de produire la pièce et d’un deuxième document préparé par la personne qui a établi la copie indiquant d’où elle provient et attestant son authenticité, est admissible en preuve, en vertu du présent article, de la même manière que s’il s’agissait de l’original de cette pièce pourvu que les documents satisfassent aux conditions suivantes : que leur auteur les ait préparés soit sous forme d’affidavit reçu par une personne autorisée, soit sous forme de certificat ou de déclaration comportant une attestation selon laquelle ce certificat ou cette déclaration a été établi en conformité avec les lois d’un État étranger, que le certificat ou l’attestation prenne ou non la forme d’un affidavit reçu par un fonctionnaire de l’État étranger.

 

(3) Where it is not possible or reasonably practicable to produce any record described in subsection (1) or (2), a copy of the record accompanied by two documents, one that is made by a person who states why it is not possible or reasonably practicable to produce the record and one that sets out the source from which the copy was made, that attests to the copy’s authenticity and that is made by the person who made the copy, is admissible in evidence under this section in the same manner as if it were the original of the record if each document is

(a) an affidavit of each of those persons sworn before a commissioner or other person authorized to take affidavits; or

(b) a certificate or other statement pertaining to the record in which the person attests that the certificate or statement is made in conformity with the laws of a foreign state, whether or not the certificate or statement is in the form of an affidavit attested to before an official of the foreign state.

 

[51] L’affidavit de M. Pugliese ne satisfait pas à ces exigences. Il n’indique pas pourquoi les raisons pour lesquelles il ne pourrait pas être possible ou raisonnablement commode de produire le document original; il n’atteste pas qu’il a fait lui‑même la copie; il ne peut donc pas être considéré comme une preuve de la provenance de la copie ou comme une attestation de son authenticité. Les certificats d’enregistrement ne peuvent pas être admis en preuve pour constituer une preuve des déclarations qu’ils contiennent en vertu de l’article 30 de la Loi sur la preuve au Canada, et ils demeurent donc inadmissibles à cette fin en vertu de la règle interdisant le ouï‑dire.

[52] M. Pugliese témoigne par ailleurs qu’il a pris des mesures pour enregistrer les photographies en cause auprès du United States Copyright Office, qu’il a reçu des certificats d’enregistrement et que les copies des certificats joints à son affidavit représentent fidèlement les certificats originaux qu’il a reçus. Ces déclarations demeurent admissibles comme preuve du fait qu’il a pris ces mesures et les certificats peuvent être admis comme preuve de leur existence, mais c’est tout. Les certificats ne constituent pas une preuve admissible du fait que les déclarations qu’ils contiennent sont véridiques, y compris celles concernant l’adresse et la citoyenneté de M. Pugliese à l’époque.

[53] La déclaration d’identification au début de l’affidavit de M. Pugliese, souscrit le 5 octobre 2021, selon laquelle il est [traduction] « de Los Angeles, dans l’État de Californie, aux États‑Unis d’Amérique », constitue la preuve qu’il était, à ce moment‑là, un résident habituel des États‑Unis. En effet, les règles de pratique de la Cour et des cours supérieures de la plupart des provinces exigent qu’une personne qui établit sous serment un affidavit utilise la formule acceptée « Je soussigné(e), (nom, prénoms et occupation du déclarant), de la (ville, municipalité, etc.) de (nom), dans le(la) (comté, municipalité régionale, etc.) de (nom), DÉCLARE SOUS SERMENT (ou AFFIRME SOLENNELLEMENT) QUE […] ». Dans cette formule, le lieu indiqué est compris comme étant le lieu de résidence de l’auteur de l’affidavit.

[54] Toutefois, les conditions de l’existence du droit d’auteur au Canada en vertu du paragraphe 5(1) de la Loi sur le droit d’auteur sont que « l’auteur était, à la date de sa création, citoyen, sujet ou résident habituel d’un pays signataire » (non souligné dans l’original). L’affidavit de M. Pugliese n’établit pas qu’il était un résident habituel des États‑Unis au moment de la création des œuvres, en avril 2015 ou vers cette date.

[55] La convention de licence conclue entre M. Pugliese et August, datée du 4 janvier 2012, indique une adresse particulière de M. Pugliese, à Los Angeles, en Californie. L’admissibilité de cette convention de licence est examinée plus en détail ci‑dessous. Toutefois, même si la convention était admissible en preuve comme preuve de la véracité de cette déclaration, elle ne constituerait pas une preuve satisfaisante du lieu de résidence habituelle ou de citoyenneté de M. Pugliese au moment pertinent.

[56] L’expression « résident habituel » n’est pas définie dans la Loi sur le droit d’auteur. Le terme « résidence », à lui seul ou en combinaison avec des adjectifs comme permanente, principale ou ordinaire, est utilisé dans de nombreuses lois fédérales et provinciales canadiennes. En ce qui concerne la personne physique, la résidence s’entend de l’endroit que la personne appelle son chez‑soi, où elle vit, où elle « s’établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d’intérêts et de convenances, au lien question » (Koo (Re), [1993] 1 CF 286 au para 2, citant Re Papadogiorgakis, [1978] 2 CF 208 (1re inst)). La résidence est une question de fait qui va au‑delà de la présence physique d’une personne à un moment donné et au‑delà de l’adresse qu’elle pourrait choisir de donner aux fins de l’exécution d’un contrat commercial comme la convention de licence en l’espèce.

[57] Le simple fait que M. Pugliese ait inscrit une adresse en Californie dans une convention conclue en 2012 ne constitue pas une preuve qu’il était un résident habituel de la Californie en 2015, même s’il était considéré conjointement avec le fait qu’il y résidait en 2021 et que la séance photo a eu lieu en Californie. La résidence habituelle d’une personne n’est pas fixe. Bien qu’elle ne change pas en raison d’un séjour temporaire ou d’une visite ailleurs, elle peut changer d’année en année, à mesure que les intentions et les conditions de vie de la personne changent. Il incombait à August de prouver, par prépondérance de preuve, que M. Pugliese était un résident ou un citoyen des États‑Unis – ou de tout autre pays signataire de la Convention de Berne – au moment de la création des photos en 2015, afin d’établir que les photographies étaient protégées par le droit d’auteur en vertu de la Loi sur le droit d’auteur. Elle ne s’est pas acquittée de ce fardeau.

[58] En vertu de l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur le droit d’auteur, il pourrait également exister un droit d’auteur au Canada à l’égard des photographies si celles‑ci étaient publiées pour la première fois dans un pays signataire « en quantité suffisante pour satisfaire la demande raisonnable du public ». Bien qu’August n’ait pas plaidé la question, la Cour fait remarquer que M. Pugliese témoigne que les photographies ont été imprimées dans le numéro de juin 2015 du magazine US Weekly et qu’il a demandé leur enregistrement aux États‑Unis en se fondant sur cette publication. Par souci d’exhaustivité, la Cour a examiné la question de savoir si ces éléments de preuve permettaient de satisfaire aux exigences de l’article 5 de la Loi sur le droit d’auteur. Malgré le titre du magazine, rien n’indique qu’il a été publié aux États‑Unis, et encore moins que les États‑Unis étaient le pays où il a été publié pour la première fois; il n’y a aucune preuve de la quantité d’impressions de la publication. La Cour ne peut pas prendre connaissance d’office de la diffusion ou du lieu de publication du magazine US Weekly.

[59] La Cour conclut qu’August n’a pas prouvé qu’il existe un droit d’auteur à l’égard des photographies en cause.

[60] Cette conclusion est fatale à l’action d’August, et il ne serait pas nécessaire d’aller plus loin. Toutefois, si cette conclusion est erronée, la Cour poursuivra brièvement son analyse des autres éléments de la cause d’action.

E. August a‑t‑il qualité pour agir et alléguer une violation du droit d’auteur sur les photographies?

[61] August n’est pas l’auteur des photographies. Il ne peut intenter une poursuite pour violation du droit d’auteur que si l’auteur lui a cédé un intérêt dans le droit d’auteur. Selon le paragraphe 13(4) de la Loi sur le droit d’auteur, cette cession n’est valable que si elle est rédigée par écrit et signée par l’auteur ou son agent autorisé.

[62] August affirme qu’elle a qualité pour intenter une poursuite en vertu d’une convention de licence exclusive de portée mondiale rédigée par écrit et signée en sa faveur par M. Pugliese, laquelle est jointe en tant que pièce A à l’affidavit de M. Hannigan et à celui de M. Pugliese. AirG s’oppose à l’admission de cette convention en preuve parce que l’original n’a pas été produit et qu’il n’a pas été satisfait aux exigences du paragraphe 30(3) de la Loi sur la preuve au Canada concernant l’utilisation de copies.

[63] Encore une fois, les arguments d’airG amalgament à tort la règle de la meilleure preuve et la règle interdisant le ouï‑dire. En l’espèce, la convention de licence n’est pas utilisée pour établir la véracité d’une déclaration qu’elle contient, mais plutôt pour établir son existence et étayer le témoignage des témoins concernant ses modalités. Deux des signataires du document ont témoigné qu’August et M. Pugliese ont conclu une convention en vertu de laquelle M. Pugliese accordait à August une licence exclusive mondiale à des fins de vente, de délivrance de licences et de promotion des œuvres de M. Pugliese, que cette convention était rédigée par écrit et que ces signataires l’avaient signée. Il n’y a aucun ouï‑dire en l’espèce, mais plutôt des témoignages admissibles de deux témoins ayant une connaissance personnelle directe des faits. L’article 30 de la Loi sur la preuve au Canada ne s’applique pas.

[64] En ce qui concerne la règle de la meilleure preuve, les deux témoins produisent un document que chacun reconnaît comme étant une copie de cette convention; les deux copies sont identiques à tous les égards pertinents et rien n’indique que les documents ont été modifiés de façon substantielle. De plus, il y a des éléments de preuve indiquant que la convention a été signée en plusieurs exemplaires; la signature de M. Pugliese est apposée sur une copie envoyée par courriel, qui a ensuite été retournée à August par voie électronique. Il n’y a donc pas d’« original » évident pouvant être produit. La Cour est convaincue que les copies de la convention jointe aux affidavits des deux témoins en tant que pièces A sont admissibles comme preuve de l’existence et des modalités de la convention entre August et M. Pugliese.

[65] AirG s’oppose également au fait que la convention ne constitue pas une preuve de l’existence d’une entente avec la demanderesse, dont la dénomination sociale complète est August Image LLC, mais plutôt une preuve de l’existence d’une entente avec une entité différente, identifiée dans la convention comme « August LLC ».

[66] Il est vrai que l’entité identifiée comme partie contractante dans la convention est « August LLC » et non « August Image LLC », la désignation juste de la demanderesse. Toutefois, cela ne signifie pas que la convention a été conclue par une [traduction] « entité complètement différente » et en faveur d’une telle entité, comme le suggère airG. Rien n’indique qu’il existe une entité appelée « August LLC », et, par conséquent, rien n’indique qu’une entente aurait pu être conclue ou pourrait exister entre M. Pugliese et toute entité autre qu’August. Compte tenu des éléments de preuve non contestés de M. Hannigan selon lesquels il a signé cette convention au nom d’August Image LLC et des éléments de preuve également non contestés de M. Pugliese selon lesquels il a conclu cette convention avec August Image LLC, la conclusion à tirer est que la désignation d’August LLC dans la convention est une simple erreur d’écriture. Cela ne change pas le fait que la partie véritable, effective et visée par la convention est August.

[67] De même, la Cour n’accepte pas l’argument d’airG selon lequel la convention de licence est nulle ou de nul effet en raison d’une ambiguïté perçue dans la description des images ou dans la détermination d’une [traduction] « date de lancement » dans deux de ses clauses. Les parties à la convention ont témoigné de leur compréhension commune selon laquelle les photographies en cause ont été communiquées à August aux fins d’administration de la convention de licence et que la licence était en vigueur à la date à laquelle les photographies ont été livrées à August à cette fin. AirG a eu la possibilité de contre‑interroger les témoins pour contester leur affirmation et leur conduite au regard des ambiguïtés perçues. Or, elle a choisi de ne pas le faire. La Cour n’est pas convaincue que l’interprétation commune des témoins de la convention soit incorrecte ou n’est pas étayée par les modalités de la convention, ou que les témoins se sont conduits d’une manière incompatible avec cette interprétation.

[68] Enfin, l’affidavit de M. Hannigan, au paragraphe 9, établit qu’August a reçu les six photographies en cause de M. Pugliese et qu’elles sont donc devenues assujetties aux modalités de la licence. Les copies des photographies jointes en tant que pièce C à l’affidavit de M. Hannigan sont présentées pour identifier les photographies reçues, et non comme preuve d’une déclaration faite dans celles‑ci. M. Hannigan a témoigné avoir récupéré et imprimé lui‑même les copies à partir de la base de données d’August. La règle interdisant le ouï‑dire ne s’applique pas pour exclure ces images. La Cour a été en mesure de comparer les images jointes à l’affidavit de M. Hannigan et celles identifiées par M. Pugliese comme étant ses œuvres, et elle est convaincue qu’elles présentent les mêmes œuvres.

[69] La Cour est convaincue que, s’il existait un droit d’auteur au Canada à l’égard des photographies en cause, August aurait la capacité de faire respecter le droit d’auteur en vertu d’une licence exclusive rédigée par écrit et signée par l’auteur des photographies.

F. AirG a‑t‑elle violé le droit d’auteur sur les photographies?

[70] Le paragraphe 16 de l’affidavit de M. Hannigan, reproduit au début des présents motifs, établit, à la satisfaction de la Cour, que M. Hannigan a personnellement vu, le 11 janvier 2018, les photographies en cause dans la présente action qui étaient affichées sur le site buzz.airg.com, qu’airG reconnaît avoir possédé et utilisé. La capture d’écran du site Web joint à son affidavit en tant que pièce E n’est pas un original; rien n’indique la personne qui a fait la copie et la date à laquelle cette dernière a été faite. Néanmoins, l’image n’est pas présentée comme une preuve qu’elle a été prise, comme preuve indépendante du contenu du site Web, ou comme une preuve de toute déclaration qui y est faite. Par conséquent, il ne s’agit donc pas d’une preuve par ouï‑dire, il n’est pas nécessaire de satisfaire à l’exigence relative aux pièces commerciales et il ne s’agit pas d’un « document électronique » auquel s’appliquent les exigences de l’article 31.2 de la Loi sur la preuve au Canada.

[71] L’image à la pièce E est présentée à l’appui du témoignage de M. Hannigan. M. Hannigan définit l’image comme [traduction] « refl[étant] fidèlement le site Web tel qu[‘il] l’observait à l’époque ». L’image semble juste et rien ne suggère une intention d’induire en erreur. M. Hannigan était au courant des photos et a vu personnellement le site Web; il est donc en mesure de vérifier que la pièce E représente fidèlement le site Web (voir R v Murphy, 2011 NSCA 54; R. v Creemer and Cormier, [1968] 1 CCC 14 (CA N‑É) à la page 22). Les images sont admissibles pour représenter la présentation du site Web d’airG en date du 11 janvier 2018. La Cour a comparé les photographies illustrées dans la capture d’écran du site Web d’airG et les photographies identifiées comme étant les œuvres de M. Pugliese, et elle est convaincue que six des photographies qui figurent sur le site Web d’airG sont des copies ou des reproductions des photographies en cause dans la présente action.

[72] Bien que les éléments de preuve donnent à penser que M. Hannigan aurait pu voir les images sur ce site Web à d’autres moments, depuis aussi tôt qu’août 2015, le témoignage n’est pas suffisamment précis pour permettre à la Cour de conclure que les images ont été affichées de façon constante sur le site Web d’airG d’août 2015 à janvier 2018. Néanmoins, la Cour est convaincue qu’airG a, au moins le 11 janvier 2018, reproduit les photographies en cause sur son site Web sans l’autorisation d’August.

[73] Toutefois, cela ne suffit pas en soi à établir une contrefaçon susceptible de donner lieu à une action. La Loi sur le droit d’auteur ne s’applique qu’à la protection contre l’utilisation ou la reproduction non autorisée de matériel protégé par le droit d’auteur au Canada. En ce qui concerne les communications au moyen de l’Internet, dans l’affaire Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique du Canada c Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, [2004] 2 RCS 427, la Cour suprême a soutenu qu’il doit y avoir un « lien réel et important » entre la communication et le Canada. « En ce qui concerne l’Internet, le facteur de rattachement pertinent est le situs du fournisseur de contenu, du serveur hôte, des intermédiaires et de l’utilisateur final » (SOCAN, précité au para 61). La seule preuve d’un lien avec le Canada en l’espèce est le lieu d’affaires d’airG, à Vancouver, en Colombie‑Britannique. Bien qu’AirG admette être propriétaire du site Web sur lequel les photographies étaient affichées, rien n’indique la personne qui a téléchargé le contenu sur le site Web, le situs du fournisseur du contenu, l’emplacement du serveur ou de tout intermédiaire, et l’utilisateur final au Canada. En date du 21 septembre 2021, M. Hannigan, la seule personne qui ait témoigné avoir vu le site Web, était un résident de New York. Rien n’indique qu’il n’ait jamais séjourné au Canada ou qu’il ait consulté le site Web d’airG à partir d’un endroit au Canada.

[74] Bien que la Cour soit convaincue qu’airG a utilisé, sans autorisation, les photographies sur son site Web, elle n’est pas convaincue qu’il existe un lien réel et important entre cette utilisation non autorisée et le Canada. La Cour n’a pas compétence pour appliquer la Loi sur le droit d’auteur pour sanctionner cette utilisation non autorisée – en présumant qu’il existe un droit d’auteur au Canada à l’égard des photographies.

G. Si airG a violé le droit d’auteur, quels dommages‑intérêts devrait‑on accordés?

[75] Si la Cour avait statué en faveur d’airG, elle aurait accordé des dommages‑intérêts évalués en fonction des frais de licence qui auraient autrement été facturés pour chaque photographie. Ce montant est établi en moyenne à 2 084,00 $ US par image.

[76] Dans la mesure où elles sont présentées comme preuve des faits qu’elles exposent, les copies de la convention de licence antérieure jointes à l’affidavit de M. Hannigan en tant que pièce D constituent un ouï‑dire et ne sont pas admissibles en preuve. Elles ne satisfont pas aux exigences du paragraphe 30(3) de la Loi sur la preuve au Canada pour être admissibles à cette fin comme pièces commerciales. Toutefois, cela n’enlève rien aux éléments de preuve directs et admissibles de M. Hannigan, selon lesquels August a autorisé, sous licence, les photographies en cause moyennant de frais moyens de 2 084,00 $ US par image.

[77] La Cour n’a aucune raison d’ignorer ou de douter de l’exactitude ou de la véracité de l’affidavit de M. Hannigan à ce sujet. Bien qu’il témoigne que des membres du personnel d’August ont mené des négociations sur les modalités des licences avec les parties concernées, cela n’exclut pas sa connaissance personnelle des modalités et des frais en fin de compte facturés pour les licences délivrées. L’affidavit de M. Hannigan indique clairement qu’il a une connaissance personnelle des faits énoncés dans son affidavit, à moins qu’il indique s’être fondé sur des renseignements. Dans deux cas, il indique explicitement que certaines déclarations sont fondées sur des renseignements, et, dans ces cas, il fournit la source de ces renseignements. La Cour conclut que les éléments de preuve de M. Hannigan sont mesurés, précis et crédibles.

H. À quelle partie des dépens devraient‑ils être adjugés et selon quel barème?

[78] AirG a obtenu gain de cause avec la présente action et devrait recouvrir ses dépens.

[79] AirG s’appuie sur l’affaire Sanofi‑Aventis Canada Inc c Apotex Inc, 2009 CF 1139, au paragraphe 13, pour faire valoir que les procès de propriété intellectuelle sont [traduction] « reconnus » comme mettant en litige des questions importantes et complexes qui justifient l’adjudication de dépens à la fourchette de la colonne IV du tarif B. De son côté, August soutient que des dépens au milieu de la fourchette de la colonne III du tarif B sont suffisants et appropriés dans le cadre de la présente procédure d’action simplifiée. Il est vrai que de nombreuses affaires de propriété intellectuelle soulèvent des questions complexes et importantes. Néanmoins, il n’est pas axiomatique que chaque action en matière de propriété intellectuelle soulève nécessairement de telles questions. La présente instance était une action simplifiée. Elle n’a soulevé aucune question de droit nouvelle ou complexe. En effet, le contenu du droit substantiel n’a guère été contesté. Les faits étaient tout aussi simples et la contestation portait presque exclusivement sur l’admissibilité des éléments de preuve présentés par August. Le milieu de la colonne III du Tarif B reflète amplement l’importance, la complexité ou la difficulté des questions.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

    1. l’action de la demanderesse est rejetée;
    2. des dépens, taxés selon la fourchette médiane de la colonne III du Tarif B, sont adjugés à la défenderesse.

« Mireille Tabib »

Protonotaire

Traduction certifiée conforme

[Claude Leclerc]


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T‑1443‑18

 

INTITULÉ :

AUGUST IMAGE LLC c AIRG INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 1er ET 2 NOVEMBRE 2021

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA PROTONOTAIRE TABIB

DATE DES MOTIFS :

Le 5 avril 2022

COMPARUTIONS :

Madison Steenson

Pour la demanderesse

John Shields

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Macmillan Knight LLP

Cabinet d’avocats

Calgary (Alberta)

Pour la demanderesse

Shields Harney

Règlement des litiges et différends

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour la défenderesse

 

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