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Date : 20220404


Dossier : IMM‑55‑21

Référence : 2022 CF 467

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 avril 2022

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

THANARUPAN SHANMUGAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur est un Tamoul âgé de 36 ans, citoyen du Sri Lanka, qui affirme être exposé au risque d’être persécuté dans ce pays parce que les membres des forces de sécurité sri lankaises le perçoivent comme un partisan des Tigres de libération de l’Eelam tamoul [les TLET].

[2] Le demandeur sollicite, au titre de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], le contrôle judiciaire de la décision du 19 novembre 2020 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR]. Cette dernière avait conclu qu’il disposait d’une possibilité de refuge intérieur [la PRI] viable au Sri Lanka et qu’il n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Le demandeur soutient que la SAR a apprécié la preuve et sa situation personnelle d’une manière déraisonnable. Quant à lui, le défendeur fait valoir que le traitement de la preuve par la SAR était raisonnable et que la conclusion sur la PRI scelle le sort de la demande.

[3] Après avoir examiné les observations des parties, je suis convaincu que la demande doit être accueillie pour les motifs qui suivent.

II. Contexte

[4] Le demandeur déclare qu’il était le capitaine d’une équipe de soccer qui jouait contre des équipes constituées de membres de la police, de l’armée et de l’armée de l’air du Sri Lanka. Il indique qu’il a souvent conseillé à son équipe de perdre, mais que, le 29 octobre 2016, celle‑ci a remporté un match contre une équipe composée en partie de militaires. Une rixe a éclaté et le demandeur a poussé un membre de l’équipe adverse. La police est intervenue et a demandé à tous les joueurs de quitter les lieux. Le demandeur affirme que des militaires se sont présentés chez lui plus tard le même jour et ont voulu connaître l’endroit où il se trouvait. Il n’était alors pas encore rentré et son frère lui a recommandé de se tenir à l’écart. Le demandeur prétend que des militaires ont aussi visité les demeures de ses coéquipiers.

[5] Selon le demandeur, le jour suivant, des membres de la division des enquêtes criminelles de l’armée sri lankaise [la CID — Criminal Investigation Department] se sont rendus chez lui. Sa mère a dit aux visiteurs qu’il n’était pas là. Ces derniers l’ont informée que son fils devait se présenter à un camp militaire. Le demandeur fait état d’une visite similaire des représentants de la CID chez un coéquipier au cours de laquelle celui‑ci a été accusé d’être un partisan des TLET et arrêté. La mère du demandeur s’est ensuite rendue au camp militaire pour comprendre pourquoi son fils devait s’y présenter. Les motifs étaient confus, mais on l’a informée que son fils serait arrêté s’il ne se présentait pas.

[6] Le demandeur est resté à couvert et a quitté le Sri Lanka le 21 novembre 2016. Il a séjourné quelque temps dans un pays tiers où il affirme avoir perdu son passeport. Le demandeur est ensuite arrivé au Canada en février 2017 en passant par les États‑Unis et a revendiqué l’asile le 7 mars 2017.

III. Décision attaquée

[7] Avant de conclure que le demandeur disposait d’une PRI, la SAR a d’abord fait remarquer qu’il était souvent vague dans ses réponses aux questions posées et lorsqu’il expliquait le fondement de sa demande d’asile. Toutefois, la SAR a conclu que le demandeur avait été sincère dans son témoignage et a déclaré que la présomption de véracité n’avait pas été réfutée.

[8] La SAR s’est ensuite penchée sur le critère de la PRI à deux volets établi dans l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706. En ce qui concerne le premier volet, la SAR a conclu que l’intérêt de l’armée sri lankaise et de la CID à l’égard du demandeur était circonscrit à une région et était nourri par une vendetta personnelle. Ainsi, les agents de persécution ne seraient pas enclins à pourchasser le demandeur dans l’endroit proposé à titre de PRI. En ce qui a trait au deuxième volet du critère de la PRI, la SAR a conclu qu’il n’existait pas de facteur qui rendrait la PRI déraisonnable ou indûment pénible. La SAR a de plus jugé que, bien que le demandeur puisse faire l’objet d’un contrôle accru à son retour au Sri Lanka, ce contrôle n’équivalait pas à de la persécution.

IV. Questions en litige et norme de contrôle

[9] La seule question en litige est de savoir si la décision de la SAR est raisonnable. Une décision raisonnable en est une qui est transparente, justifiée et intelligible (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 15).

V. Analyse

[10] Le demandeur avance qu’en concluant que le risque le visant découlait d’une vendetta personnelle, que celui‑ci était circonscrit à une région et que lui‑même disposait d’une PRI viable, la SAR a omis de jauger adéquatement les circonstances, notamment que :

  1. la réponse pernicieuse des membres de l’équipe militaire à la défaite de leur équipe lors du match de soccer ne tenait pas seulement au fait de perdre, mais bien parce qu’une équipe de l’armée avait concédé la victoire à une équipe composée de joueurs tamouls;

  2. le demandeur jouait un rôle de leader, ce qui explique pourquoi il était visé;

  3. malgré la position de la SAR selon laquelle l’arrestation du demandeur aurait pu se faire au moment du match s’il y avait eu une croyance sincère qu’il était un partisan des TLET, cette possibilité ne change rien au fait qu’un coéquipier a été arrêté le lendemain et que le demandeur a été traqué jusque chez lui;

  4. le caractère sincère ou non de la croyance des agents de persécution que le demandeur était un partisan des TLET n’est pas décisif parce que l’emploi de ce prétexte pour le pourchasser suffisait à créer la perception qu’il était un partisan des TLET, ce qui le mettait à risque dans l’ensemble du pays;

  5. l’arrestation de son coéquipier démontre plus qu’un simple risque de persécution.

[11] Le défendeur avance que la SAR a pondéré adéquatement la preuve et a soupesé les répercussions de l’identité tamoule du demandeur.

[12] Je ne suis pas convaincu par les observations du défendeur.

[13] En cherchant à savoir si l’armée sri lankaise ou la CID étaient motivées à traquer le demandeur dans l’endroit proposé à titre de PRI, la SAR a conclu que la preuve ne permettait pas d’établir que le demandeur était véritablement soupçonné d’être un partisan des TLET. La SAR a ensuite conclu que « les éléments de preuve donnent plutôt à penser que [la] CID utilise ce prétexte pour poursuivre ses vendettas personnelles » et que le demandeur n’avait produit aucun élément de preuve pour établir que les membres de la CID avaient pris des mesures qui « l’auraient effectivement [traduction] “désigné” aux yeux de personnes extérieures comme un membre présumé des TLET ». La SAR a enfin jugé que la crainte du demandeur d’être perçu comme un partisan des TLET est spéculative.

[14] Je suis convaincu qu’il était raisonnable pour la SAR de conclure que la preuve ne permettait pas d’établir que les membres de l’armée aux trousses du demandeur avaient une croyance sincère qu’il était un partisan des TLET. Cependant, je ne suis pas persuadé que la sincérité de la croyance est pertinente pour apprécier le risque couru par le demandeur ou pour constater s’il existait une motivation de le traquer dans d’autres régions du pays en l’espèce.

[15] La sincérité de la croyance des agents de persécution concernés n’atténue pas le risque couru par le demandeur si cette croyance a été adoptée par d’autres membres des services de sécurité qui ignorent tout de la cause sous‑jacente. La SAR ne fait pas fi de cet aspect, mais conclut que le demandeur n’avait pas produit d’élément de preuve indiquant qu’il avait autrement été désigné comme un partisan des TLET. À mon avis, cette conclusion rend l’analyse de la PRI déraisonnable.

[16] Il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur sache quelle action interne auraient pu entreprendre les agents de persécution pour poursuivre ou justifier leur vendetta personnelle ou si ces efforts comprenaient le fait de le « désigner ». Le demandeur n’avait pas le fardeau d’établir qu’il serait la cible de persécution, mais plutôt celui de démontrer qu’il craignait avec raison d’être persécuté.

[17] La SAR était tenue d’apprécier le récit du demandeur compte tenu de la preuve présentée qui comprenait les visites à la demeure du demandeur, l’arrestation d’un coéquipier et les renseignements fournis par la mère du demandeur.

[18] L’accent mis par la SAR sur la sincérité de la croyance des agents de persécution plutôt que sur la perception qui découlerait de leur prétendue motivation à rechercher le demandeur a indûment pesé sur son évaluation de la preuve du demandeur, ce qui a miné le caractère raisonnable de la décision.

VI. Conclusion

[19] La demande est accueillie. Les parties n’ont relevé aucune question à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑55‑21

LA COUR STATUE :

1. La demande est accueillie.

2. L’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision.

3. Aucune question n’est certifiée.

blank

« Patrick Gleeson »

blank

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑55‑21

 

INTITULÉ :

THANARUPAN SHANMUGAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 MARS 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 AVrIL 2022

 

COMPARUTIONS :

Micheal Crane

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Prathima Prashad

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Micheal Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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