Date : 20220401
Dossier : IMM-6383-20
Référence : 2022 CF 457
Ottawa (Ontario), le 1er avril 2022
En présence de l’honorable madame la juge Roussel
ENTRE :
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DMYTRO SHALAIEV
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partie demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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partie défenderesse
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Contexte
[1] Le demandeur, Dmytro Shalaiev, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR], rendue le 30 novembre 2020. Dans sa décision, la SAR rejette l’appel du demandeur et confirme la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR], selon laquelle le demandeur n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger.
[2] Le demandeur est citoyen d’Israël, d’origine ukrainienne et de religion chrétienne orthodoxe. Sa demande d’asile est fondée sur une crainte d’être persécuté en Israël en raison de sa religion, ses origines ethniques et son refus de faire le service militaire obligatoire en Israël.
[3] Au soutien de sa demande d’asile, le demandeur allègue qu’en raison de la guerre qui sévit en Ukraine, il prend la décision en septembre 2014 de se rendre en Israël pour étudier. Ayant des origines juives, il obtient la citoyenneté israélienne en juin 2015.
[4] Il se sent rapidement discriminé en Israël parce qu’il est chrétien orthodoxe. Il n’est pas embauché lorsque son stage se termine et doit se rabattre sur un emploi inférieur à ses compétences. En mars 2016, un voisin juif affecté à la gestion de l’immeuble où il réside lui crache dessus parce qu’il se rendait à l’église pour célébrer Pâques. Après cet évènement, le demandeur reçoit des insultes de la part de ses voisins, voit son loyer augmenté et est menacé d’expulsion.
[5] En février 2015, le demandeur visite la base militaire de Nafah lors de son programme d’intégration en tant qu’immigrant. Il est grandement troublé par le terrain d’entraînement, qui reproduit un village palestinien. En juin 2016, le demandeur est convoqué pour faire un stage de service militaire de deux (2) mois à cette même base militaire. Une fois ce stage terminé, il reçoit une convocation supplémentaire le 25 août 2016 afin d’entamer son service militaire de réserve, qui aura lieu dans le secteur de Gaza. Le service militaire doit débuter le 26 septembre 2016 et durer quatre (4) semaines. Le demandeur consulte un organisme gouvernemental soutenant les individus qui s’opposent au service militaire obligatoire. On lui explique qu’il est pratiquement impossible d’éviter légalement le service militaire et que s’il refusait de le faire, il serait emprisonné. Craignant pour sa vie et sa liberté, il quitte Israël et arrive au Canada le 9 septembre 2016. Il dépose ensuite une demande d’asile en août 2017.
[6] Le 19 février 2019, la SPR rejette la demande d’asile. Elle indique d’emblée que Israël est le pays de référence puisque la preuve documentaire démontre que l’Ukraine ne reconnait pas la double nationalité. Elle examine ensuite la discrimination subie par le demandeur et conclut qu’il ne s’agit pas de persécution. La SPR se penche également sur l’argument du demandeur qu’il est un objecteur de conscience. Elle juge que le demandeur n’est pas un objecteur de conscience authentique, mais plutôt un déserteur et qu’il n’a pas démontré que le service militaire en Israël constitue de la persécution au regard du droit international, ou que les peines prévues en cas de désertion équivalent à de la persécution. Enfin, la SPR conclut que le demandeur n’a pas été en mesure de démontrer par une preuve claire et convaincante qu’il ne pourrait obtenir une protection adéquate de l’État.
[7] Le demandeur porte cette décision en appel devant la SAR. Le 30 novembre 2020, la SAR rejette l’appel. Elle conclut d’abord que la nature cumulative du traitement subi par le demandeur n’atteint pas le seuil pour être considérée comme de la persécution, soit « une violation soutenue et systémique des droits de la personne fondamentaux »
. Elle juge ensuite que la SPR a commis une erreur en déterminant que les convictions politiques du demandeur n’étaient pas authentiques.
[8] La SAR examine aussi les lois israéliennes portant sur la conscription et les peines applicables en cas de refus du service militaire obligatoire, ainsi que la preuve présentée par le demandeur. Elle conclut que Israël est un État démocratique qui a promulgué des lois sur le service militaire d’application générale et que le demandeur n’a pas reçu un traitement différent en raison d’un des motifs prévus dans la Convention relative au statut des réfugiés. Elle détermine également que la distinction entre les objecteurs de conscience et les objecteurs sélectifs, comme le demandeur, n’est pas discriminatoire et que la preuve ne lui permet pas d’établir que les individus ayant des objections politiques fondées sur le traitement des Palestiniens soient traités différemment des autres déserteurs. Elle ajoute que le fait d’incarcérer un objecteur de conscience qui refuse d’effectuer son service militaire ne constitue pas de la persécution en soi et que la SPR a conclu à juste titre que les peines n’étaient pas excessivement sévères.
[9] La SAR se penche ensuite sur la question de savoir si le service réserviste israélien est illégitime en vertu du droit international, conformément à l’article 171 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés [Guide]. Elle examine les documents soumis par le demandeur quant au non-respect de plusieurs résolutions des Nations Unies pour les territoires palestiniens occupés, ainsi que les allégations selon lesquelles Israël aurait commis des crimes de guerre lors d’incursions à Gaza en 2008 et 2014. Elle souligne de plus que des violations isolées ne constituent pas une violation condamnée par la communauté internationale. Elle note que selon l’avis de convocation, le demandeur était tenu de se présenter à une base militaire pour le service à Gaza et que les crimes isolés ne sont pas nécessairement condamnés par la communauté internationale. La SAR ajoute que, bien que certains soldats postés près de la clôture aient pu, en violation du droit international, tirer sur des personnes à l’intérieur de Gaza lors de manifestations, il n’était pas probable que le demandeur soit obligé de commettre un acte qui serait condamné par la communauté internationale.
[10] Enfin, la SAR confirme que la SPR n’a pas commis d’erreur en concluant que le demandeur n’avait pas renversé la présomption de la protection de l’État en Israël. La SAR est d’avis que le demandeur n’aurait probablement pas eu d’exemption pour son objection à servir dans les territoires palestiniens. Cependant, la preuve démontrait qu’il avait des motifs non politiques pour demander une exemption du service de réserve et, à moins que cela ne soit inutile ou ne le mette en danger, le demandeur était donc tenu d’épuiser les recours internes avant de réclamer une protection internationale. La SAR conclut ainsi que le demandeur n’est pas une personne à protéger conformément aux articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].
II.
Analyse
[11] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. La Cour est du même avis.
[12] Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, la Cour doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Elle doit se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 99 [Vavilov]). Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov au para 100).
[13] Le demandeur soutient d’abord que la décision de la SAR n’est pas suffisamment justifiée et intelligible sur l’absence de persécution en raison de la discrimination cumulative qu’il dit avoir subie en Israël du fait qu’il est d’origine ukrainienne et de religion chrétienne orthodoxe.
[14] La Cour ne peut souscrire à cet argument.
[15] La décision de la SAR doit être examinée dans le contexte selon lequel le demandeur a formulé ses motifs d’appel. En l’espèce, le demandeur n’a pas contesté la conclusion selon laquelle les incidents de discrimination n’étaient pas suffisants pour établir la persécution. En effet, les arguments du demandeur dans son mémoire d’appel devant la SAR portent principalement sur l’évaluation par la SPR de sa crédibilité et de son témoignage. Il ne peut raisonnablement reprocher à la SAR de ne pas être allée au-delà des motifs d’appel ou de ne pas avoir fourni des motifs approfondis sur des motifs d’appel qu’il n’a pas préalablement contestés (Kanawati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 12 aux para 23-24; Broni c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 365 au para 15; Dhillon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 321 aux para 18-20).
[16] La SAR a néanmoins examiné l’ensemble de la preuve au dossier. À l’instar de la SPR, elle conclut que la nature cumulative du traitement subi par le demandeur n’atteint pas le niveau requis pour constituer de la persécution, soit une « violation soutenue et systémique des droits de la personne fondamentaux »
. Bien qu’il ait reconnu à l’audience que cette conclusion relève plutôt d’une appréciation factuelle, le demandeur soutient que la SAR a mal évalué la preuve.
[17] Cet argument est mal fondé pour deux (2) raisons. Premièrement, le demandeur ne démontre pas en quoi la preuve a été mal évaluée. Deuxièmement, il est bien établi qu’il n’appartient pas à cette Cour de réévaluer et soupeser la preuve pour arriver à un résultat qui sera favorable au demandeur (Vavilov au para 125).
[18] Le prochain volet des arguments du demandeur porte sur l’analyse de la SAR relative à son service militaire.
[19] Le demandeur reproche d’abord à la SAR d’avoir conclu que son opposition au service militaire constituait une objection de conscience partielle. Il allègue que cette conclusion n’est pas basée sur la preuve et que la SAR aurait dû se satisfaire de son témoignage.
[20] Pour conclure ainsi, la SAR s’appuie sur la décision Lebedev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 728 [Lebedev], dans laquelle la Cour compare l’objection de conscience et l’objection sélective. Ces deux notions ont été définies comme suit :
[44] […] À mon sens, l’objection de conscience est le fait de ceux qui s’opposent entièrement à la guerre en raison de leurs convictions politiques, éthiques ou religieuses. L’objection sélective vise quant à elle l’opposition à une guerre par un demandeur qui estime que ce conflit viole le droit international et les droits de la personne.
[Souligné dans l’original.]
[21] Bien que la SAR qualifie l’objection du demandeur comme étant « partielle »
, il est évident qu’elle se réfère à l’objection de conscience sélective puisqu’elle l’utilise ailleurs dans ses motifs.
[22] En expliquant son objection au service militaire, le demandeur a indiqué qu’il avait pris conscience de la situation concernant l’armée israélienne lorsqu’il a fait une visite de la base militaire et qu’il a été choqué de voir que celle-ci reproduisait un village palestinien. Il a également témoigné que sa rencontre avec un Palestinien à Tel-Aviv n’avait fait que renforcer son objection de conscience.
[23] Compte tenu du témoignage du demandeur, la SAR pouvait raisonnablement juger que les objections du demandeur étaient fondées sur le traitement des Palestiniens, et non contre le service militaire en toutes circonstances.
[24] Le demandeur conteste ensuite la conclusion de la SAR selon laquelle il n’a pas épuisé ses recours pour se prévaloir de la protection de l’État. Il soutient que cette conclusion est déraisonnable puisqu’il ne pouvait pas prendre le risque de présenter une demande d’exemption, sachant qu’elle serait très probablement refusée.
[25] La SAR reconnait que, selon la preuve au dossier, le demandeur n’aurait probablement pas obtenu une exemption pour la seule raison qu’il avait une objection à servir dans les territoires palestiniens. Toutefois, elle souligne que la preuve au dossier démontre qu’il aurait pu faire valoir une objection fondée sur un motif non politique précis survenu à la suite de sa formation militaire et qu’un des membres du comité chargé d’évaluer la demande d’exemption avait la compétence pour évaluer la situation du demandeur. Comme la SPR, la SAR conclut que le demandeur était tenu d’épuiser les voies de recours en Israël avant de réclamer la protection du Canada.
[26] En effet, le demandeur devait, pour réfuter la présomption de la protection de l’État, établir qu’il avait épuisé en vain tous les recours disponibles (Hinzman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171 au para 46 [Hinzman]). La seule tentative du demandeur d’épuiser ses voies de recours en Israël se limite à une consultation auprès d’un organisme qui soutient ceux qui ne veulent pas faire de service militaire. Selon le demandeur, les membres de cet organisme lui auraient dit qu’il n’avait pas le choix d’effectuer son service militaire, sinon il risquait l’emprisonnement. La preuve ne démontre toutefois pas qu’il se soit informé auprès d’autres personnes, comme un avocat, sur les autres possibilités légales qui s’offraient à lui. La preuve au dossier indique en effet qu’il existait différentes raisons pour lesquelles une personne pouvait être légalement exemptée du service militaire et que de nombreux objecteurs avaient réussi à obtenir une libération pour les mêmes motifs qu’aurait pu faire valoir le demandeur. Cette même preuve fait aussi référence à la possibilité de demander d’être affecté à des postes de non-combattant ou d’être exempté du port d’arme de façon à faire son service militaire sans aller à l’encontre de ses croyances. En l’espèce, le demandeur a quitté Israël pour le Canada, avant même de se prévaloir de tels recours. Or, un demandeur ne peut obtenir l’asile s’il n’a pas tenté adéquatement d’obtenir la protection offerte par son pays d’origine (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 à la p 724; Hinzman aux para 52, 56). Le demandeur n’a pas démontré de manière convaincante qu’il était objectivement raisonnable pour lui de ne pas réclamer une telle protection.
[27] Le demandeur reproche également à la SAR l’analyse de sa crainte de retour en Israël. Il allègue notamment que la SAR aurait dû tenir compte du fait qu’il sera considéré comme un traitre et qu’il risque d’être emprisonné injustement et subir de la persécution. Il soutient que la SAR a sous-estimé la gravité de sa situation en indiquant que le fait d’incarcérer un objecteur de conscience qui refuse de faire son service militaire ne constitue pas de la persécution en soi et qu’il n’y a pas de persécution si les peines infligées ne sont pas sévères. À cet égard, il s’appuie sur l’article 169 du Guide, qui se lit comme suit :
Un déserteur ou un insoumis peut donc être considéré comme un réfugié s’il peut démontrer qu’il se verrait infliger pour l’infraction militaire commise une peine d’une sévérité disproportionnée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. Il en irait de même si l’intéressé peut démontrer qu’il craint avec raison d’être persécuté pour ces motifs, indépendamment de la peine encourue pour désertion.
[28] Les motifs de la SAR démontrent qu’elle a considéré le risque que le demandeur soit emprisonné pour son refus d’effectuer son service militaire.
[29] La SAR examine la loi israélienne relative à la conscription et la peine applicable en cas de refus d’effectuer le service militaire obligatoire afin de déterminer s’il s’agit d’une loi d’application générale qui serait appliquée de façon équitable et impartiale sur le plan de la poursuite et de la sanction. Elle note que la désertion de l’armée est passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à quinze (15) ans et qu’un soldat qui est absent sans autorisation peut être emprisonné pour une durée maximale de deux (2) ans.
[30] La SAR examine ensuite la question des exemptions de l’obligation d’effectuer le service militaire et des exemples de peines de prison pour les objecteurs de conscience qui se voient refuser leur demande d’exemption. Elle note que cette preuve démontre que la peine peut être répétée plusieurs fois et que rien n’indique que ceux qui ont des objections politiques fondées sur le traitement des Palestiniens soient traités différemment des autres déserteurs.
[31] La SAR ajoute que le fait d’incarcérer un objecteur de conscience qui refuse d’effectuer son service militaire ne constitue pas en soi de la persécution et qu’il n’y a pas de persécution lorsque les peines infligées ne sont pas sévères. Elle estime que la SPR a jugé à juste titre que les peines imposées n’étaient pas excessivement sévères. La SPR avait déterminé, après examen de la preuve objective, que celle-ci ne permettait pas de conclure que les sanctions imposées aux déserteurs équivalaient à de la persécution.
[32] La Cour rappelle que des sanctions imposées aux objecteurs de conscience n’équivalent généralement pas à de la persécution ou à un risque en vertu de l’article 97 de la LIPR (Ates c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 322; Aytac c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 560 aux para 31-32 [Aytac]). Le demandeur avait le fardeau d’établir le contraire (Storozhuk c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 74 au para 24; Karen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1217 au para 19 [Karen]). À défaut de preuve à cet effet et en l’absence d’arguments mieux étoffés en appel sur le risque de retour, l’analyse de la SAR est raisonnable.
[33] En dernier lieu, le demandeur soutient que la SAR n’a pas tenu compte de toute la preuve qui démontre que Israël « ne respecte pas le droit international humanitaire et les droits des enfants et [qu’il] risque certainement de se voir obligé de violer ces droits en acceptant de servir l’armée israélienne »
. De façon générale, le demandeur fait valoir que, en raison de ces violations du droit humanitaire international, toute peine qui pourrait lui être infligée pour avoir refusé de participer à de tels actes constituerait en soi de la persécution.
[34] Dans ses motifs, la SAR examine en effet si le service réserviste israélien est illégitime en vertu du droit international conformément à l’article 171 du Guide. Celui-ci indique ce qui suit :
N’importe quelle conviction, aussi sincère soit-elle, ne peut justifier une demande de reconnaissance du statut de réfugié après désertion ou après insoumission. Il ne suffit pas qu’une personne soit en désaccord avec son gouvernement quant à la justification politique d’une action militaire particulière. Toutefois, lorsque le type d’action militaire auquel l’individu en question ne veut pas s’associer est condamné par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires, la peine prévue pour la désertion ou l’insoumission peut, compte tenu de toutes les autres exigences de la définition, être considérée en soi comme une persécution.
[35] Il s’agit de la deuxième exception à la règle qu’un demandeur ne puisse généralement revendiquer le statut de réfugié uniquement parce qu’il ne veut pas servir dans l’armée de son pays. Selon James Hathaway (The Law of Refugee Status, Markham: Butterworths, 1991), cité dans Lebedev, l’insoumission peut entraîner la reconnaissance du statut de réfugié si elle reflète l’opinion politique implicite que le service militaire en question est foncièrement illégitime au regard du droit international (Lebedev au para 14).
[36] La Cour est d’accord que des incidents isolés ne constituent pas en soi une violation condamnée par la communauté internationale (Volkovitsky c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 893 aux para 40-41 [Volkovitsky]; Treskiba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 15 au para 7).
[37] En l’espèce, la SAR a considéré la preuve déposée par le demandeur portant sur le non-respect par Israël d’un nombre de résolutions des Nations Unies concernant les territoires palestiniens occupés et sur les allégations selon lesquelles Israël aurait commis des crimes de guerre lors des incursions de Gaza en 2008 et 2014. Elle se réfère également au rapport d’Amnistie internationale portant sur des manifestations en 2018 lors desquelles certains soldats postés près de la clôture ont pu, en violation du droit international, tirer sur des personnes à l’intérieur de Gaza. La SAR conclut que le demandeur ne serait « probablement pas obligé d’agir de cette manière »
, ni obligé de commettre un acte qui serait condamné par la communauté internationale.
[38] Le demandeur avait le fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y avait une possibilité raisonnable d’être appelé à participer à des actions contraires au droit international (Volkovitsky au para 43; Karen au para 25; Aytac au para 17).
[39] En l’espèce, la SAR reconnait que le demandeur était tenu de se présenter pour son service militaire à Gaza. Toutefois, elle s’appuie sur le fait que son service n’était que pour une période de quatre (4) semaines, alors que les actes reprochés avaient eu lieu à des moments spécifiques dans le temps, soit en 2008, 2014 et 2018. À la lumière de cette preuve, elle pouvait raisonnablement juger que le demandeur n’avait pas démontré qu’il serait forcé de participer à des actes qui pourraient être condamnés par la communauté internationale.
[40] En conclusion, la Cour rappelle que la déférence est de mise à l’égard des décisions de la SAR et qu’il ne lui n’appartient pas de réévaluer les éléments de preuve pour en arriver à une conclusion différente (Vavilov au para 125; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59). La Cour est d’avis que lorsqu’ils sont interprétés de manière globale et contextuelle, les motifs de la SAR respectent la norme de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Vavilov. La décision est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent, et est justifiée compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes (Vavilov au para 85).
[41] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification, et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.
JUGEMENT au dossier IMM-6383-20
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée; et
Aucune question de portée générale n’est certifiée.
« Sylvie E. Roussel »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-6383-20
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INTITULÉ :
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DMYTRO SHALAIEV, c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 25 NOVEMBRE 2021
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JUGEMENT ET motifs :
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LA JUGE ROUSSEL
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DATE DES MOTIFS :
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LE 1ER AVRIL 2022
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COMPARUTIONS :
Sabine Venturelli
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Pour LA PARTIE DEMANDERESSE
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Suzanne Trudel
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Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Sabine Venturelli
Montréal (Québec)
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Pour LA PARTIE DEMANDERESSE
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Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE
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