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Date : 20220401

Dossier : T‑1802‑21

Référence : 2022 CF 459

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er avril 2022

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE :

LE‑VEL BRANDS, LLC

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse annonce et vend au Canada le produit « Thrive DFT Patch » [le timbre Thrive DFT ou le timbre] dans une gamme de produits « Premium Lifestyle ». En juin 2015, la demanderesse a avisé Santé Canada de son intention de vendre le timbre en tant que cosmétique et a subséquemment reçu un numéro de cosmétique de Santé Canada. Peu après le lancement du timbre, Santé Canada a avisé la demanderesse qu’il n’approuvait pas le classement du timbre en tant que cosmétique et a fait remarquer que le timbre pourrait satisfaire à la définition applicable à un produit de santé naturel [PSN], pour lequel une licence était requise.

[2] Entre février 2016 et novembre 2021, la demanderesse a fourni à Santé Canada des observations détaillées et de la preuve pour expliquer pourquoi le timbre devrait être classé en tant que cosmétique, plutôt qu’en tant que PSN. Santé Canada a répondu à ces observations et a soulevé diverses préoccupations concernant les présentations faites par la demanderesse au sujet du timbre, ce qui a amené Santé Canada à conclure que le timbre était un PSN. La demanderesse a déclaré à plusieurs reprises que les présentations considérées comme problématiques par Santé Canada, empêchant un classement en tant que cosmétique, avaient été faites par erreur, cesseraient autrement d’être faites et/ou ne seraient pas, en fait, problématiques et n’empêcheraient pas le classement en tant que cosmétique.

[3] Après la réception d’un dernier ensemble d’observations, daté du 8 novembre 2021, de la part de la demanderesse, le ministre de la Santé, par l’entremise de la Direction générale de la conformité des produits de santé, des opérations réglementaires et de l’application de la loi de Santé Canada, a rendu une décision définitive le 26 novembre 2021, dans laquelle il exigeait que le timbre soit classé en tant que PSN plutôt qu’en tant que cosmétique, et il a envoyé une lettre de conformité à la demanderesse exigeant que cette dernière cesse de vendre ce produit au Canada et fournisse de plus amples renseignements sur le produit. C’est cette décision définitive qui est en cause dans la présente demande de contrôle judiciaire.

[4] La demanderesse affirme que la décision de Santé Canada était à la fois déraisonnable et injuste sur le plan de la procédure. La demanderesse affirme que les éléments suivants sont essentiels pour trancher la présente demande :

  1. les conclusions de la décision définitive ne sont pas suffisamment justifiées et étayées, et, par conséquent, le [traduction] « comment » ainsi que le [traduction] « pourquoi » qui sous‑tendent les conclusions tirées ne peuvent être correctement compris, de sorte que la décision définitive doit être annulée;

  2. Santé Canada a manqué à son obligation d’équité procédurale en [traduction] « verrouillant » une décision antérieure et en refusant de réexaminer la question, malgré le fait qu’il soit pleinement conscient que les éléments à l’appui sous‑jacents à la décision précédente n’existaient plus;

  3. compte tenu des faits incontestés au dossier, la conclusion inévitable concernant le classement du produit est que le timbre est un produit cosmétique, ou du moins qu’il n’est pas un PSN, de sorte qu’un jugement déclaratoire devrait être rendu à cet effet;

  4. si la question doit être renvoyée à Santé Canada, la Cour devrait prévoir des limites raisonnables à l’interprétation législative des définitions de « cosmétique » et de « produit de santé naturelle », de sorte que Santé Canada puisse correctement appliquer les faits acceptés à son réexamen.

[5] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la demanderesse n’a pas démontré que la décision de Santé Canada était déraisonnable ou qu’elle a été privée de son droit à l’équité procédurale. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

I. Le contexte

[6] La demanderesse est une entreprise qui se décrit elle‑même comme une entreprise de « style de vie de première qualité » qui vend un certain nombre de produits au Canada, dont certains sont enregistrés en tant que PSN, tandis que d’autres (comme le timbre) sont vendus en tant que cosmétiques. Le timbre est vendu au Canada exclusivement sur le site Web canadien de la demanderesse (le‑vel.ca) et est commercialisé sur la page du produit sur le site Web canadien, dans la brochure du timbre et sur l’étiquette du timbre.

[7] La brochure du timbre qui était utilisée à la date de la décision définitive dépeint le produit ainsi :

[8] Sous la photo se trouvent les points descriptifs suivants :

  • Technologie cosmétique Derma Fusion

  • Rétablit la barrière d’hydratation de la peau

  • Aide à améliorer l’élasticité de la peau

  • La peau a une apparence ferme et tonifiée

  • La peau a une apparence visiblement plus jeune

[9] La brochure contient également le libellé suivant :

THRIVE Premium Lifestyle DFT est une percée axée sur la technologie dans le domaine de la cosmétique. Le système de libération DFT (Technologie Derma Fusion) de Le‑Vel est à l’origine d’une toute nouvelle catégorie, la première en son genre. Et maintenant, avec la technologie Fusion 2.0, DFT atteint de nouveaux sommets. DFT a été conçu pour infuser le derme (peau) avec notre formule THRIVE Lifestyle unique et de première qualité. Bref, DFT vous aide à obtenir des résultats supérieurs pour un style de vie supérieur.

Lorsqu’il est pris dans le cadre de l’expérience THRIVE de 8 semaines avec les capsules THRIVE Premium Lifestyle et la boisson frappée THRIVE Premium Lifestyle, DFT favorise une peau propre et saine ainsi qu’un mode de vie sain global. Les personnes qui suivent ce programme obtiendront des résultats supérieurs incomparables et des avantages incroyables.

[10] La page du timbre sur le site Web (à la date de la décision définitive) comprend quatre des cinq points descriptifs mentionnés ci‑dessus et le même libellé que sur la brochure.

[11] La demanderesse a avisé Santé Canada que sa première vente du timbre a été réalisée en 2015. Le 25 août 2015, Santé Canada a envoyé à la demanderesse un accusé de réception de sa déclaration de cosmétique et lui a attribué un numéro de cosmétique. L’accusé de réception indiquait que l’attribution d’un numéro de cosmétique a) ne constituait pas une procédure d’évaluation ou d’approbation du produit; b) ne constituait pas l’acceptation par Santé Canada du fait que le produit était un cosmétique au titre des exigences réglementaires; c) ne soustrayait pas l’entreprise à la responsabilité de s’assurer que le cosmétique satisfaisait aux exigences de la Loi sur les aliments et drogues, LRC 1985, c F‑27 [la LAD], du Règlement sur les cosmétiques, CRC, c 869, ou d’autres dispositions législatives connexes.

[12] Le 5 février 2016, Santé Canada a informé la demanderesse que le timbre n’était pas classé en tant que cosmétique au Canada. La lettre à la demanderesse indiquait qu’en se fondant sur les renseignements fournis dans sa déclaration de cosmétique, le produit faisait des présentations qui ne correspondaient pas à un cosmétique, au sens de l’article 2 de la LAD, puisque la formule de déclaration ou l’étiquette de ce produit renvoyait à un ou plusieurs des mots [traduction] « réduction des gras (y compris le contrôle, la réduction et la prévention de la cellulite, ainsi que la gestion du poids) ».

[13] La demanderesse a demandé des précisions à Santé Canada sur l’avis de classement, et Santé Canada a fourni une réponse le 9 février 2016.

[14] En 2018, Santé Canada a reçu une plainte alléguant que le timbre était un PSN non homologué vendu au Canada. Le 15 octobre 2018, Santé Canada a envoyé à la demanderesse une lettre de demande de conformité à l’égard du timbre et d’un autre des produits de la demanderesse. Celle‑ci a fourni à Santé Canada une réponse à la lettre de conformité. Le 18 avril 2019, Santé Canada a confirmé que la Direction de la sécurité des produits de consommation avait classé le timbre en tant que produit non cosmétique, que la Direction des produits de santé naturels et sans ordonnance avait classé le timbre en tant que PSN et que la demanderesse violait le paragraphe 4(1) du Règlement sur les produits de santé naturels, DORS/2003‑196 [le RPSN], dans la mesure où elle vendait un produit non homologué.

[15] La demanderesse a fourni des observations supplémentaires en réponse dans une lettre datée du 26 avril 2019. Elle a soutenu que la FDA définissait un cosmétique comme étant « les substances ou mélanges de substances fabriqués, vendus ou présentés comme pouvant servir à embellir, purifier ou modifier le teint, la peau, les cheveux ou les dents, y compris les désodorisants et les parfums », et que le timbre a été particulièrement vendu et présenté comme rétablissant la barrière d’hydratation de la peau, améliorant l’élasticité de la peau et promouvant une apparence ferme, tonifiée et visiblement plus jeune à des fins esthétiques. En outre, la demanderesse a allégué que le timbre était par ailleurs conforme au Règlement sur les cosmétiques et qu’il n’était pas indiqué à des fins thérapeutiques. La demanderesse a prétendu que son produit ne pouvait pas raisonnablement être considéré comme étant visé par la définition d’un PSN, et qu’il n’était pas non plus commercialisé en tant que PSN. La demanderesse a également demandé que l’on confirme si le classement était une [traduction] « décision définitive ».

[16] Le 15 mai 2019, Santé Canada a répondu à la lettre de la demanderesse du 26 avril 2019 en déclarant que la décision n’était pas considérée comme une décision définitive, mais qu’une réponse officielle à sa lettre suivrait bientôt. La réponse du 21 mai 2019 de Santé Canada mentionnait ce qui suit :

[traduction]

La décision concernant le classement rendue conjointement par le Programme de cosmétiques de la Direction de la sécurité des produits de consommation (DSPC) et la Direction des produits de santé naturels et sans ordonnance (DPSNSO) était fondée sur les renseignements présentés sur les images de l’étiquette du produit, ainsi que sur le site Web suivant : https://le‑vel.ca/Products/THRIVE/DFT (y compris le PDF connexe du produit : https://cdn.le‑vel.com/fr‑CA/Documents/THRV003.pdf).

Premièrement, les renseignements sur le site Web du produit, https://le‑vel.ca/Products/THRIVE/DFT (y compris le PDF connexe du produit : https://cdn.le‑vel.com/fr‑CA/Documents/THRV003.pdf) donnent à entendre que la forme pharmaceutique des timbres administre des ingrédients à absorber par voie systémique. Plus précisément, les renseignements indiquent que le « système de libération DFT a été conçu pour infuser le derme (peau) » et « pour assurer une plus grande biodisponibilité et une meilleure absorption ». Cela donne à entendre que les allégations décrites sont réalisées en modifiant une fonction organique, et que le terme « produit de santé naturel » est défini, en partie, comme un produit qui « modifi[e] des fonctions organiques ». Conformément à la section 3.3 du Document de référence : Classement des produits situés à la frontière entre les cosmétiques et les drogues, « [p]our être un cosmétique, le produit doit présenter une absence d’absorption percutanée et ne pas devoir être absorbé par voie systémique pour produire l’effet ».

Deuxièmement, les ingrédients du produit sont visés par l’annexe 1 du Règlement sur les produits de santé naturels (le RPSN). L’article 4 du RPSN interdit la vente de PSN, à moins qu’une licence de mise en marché n’ait été délivrée à l’égard du produit. Pour de plus amples renseignements sur les exigences de la Loi sur les aliments et drogues et de ses règlements connexes, veuillez consulter l’annexe ci‑jointe et le site Web de Santé Canada.

[17] La demanderesse a présenté d’autres renseignements le 26 mai 2019.

[18] Le 5 juillet 2019, Santé Canada a envoyé une autre lettre à la demanderesse pour préciser les renseignements qui avaient mené au classement du timbre en tant que PSN. Plus précisément, la lettre mentionnait ce qui suit :

[traduction]

Santé Canada aimerait préciser le contenu de sa correspondance précédente, plus particulièrement les renseignements qui ont donné lieu au classement du timbre Thrive DFT en tant que produit de santé naturel (PSN). Le renvoi aux deux énoncés « le système de libération DFT a été conçu pour infuser le derme (peau) » et « pour assurer une plus grande biodisponibilité et une meilleure absorption » n’était pas destiné à insinuer qu’il s’agissait d’allégations thérapeutiques. Au lieu de cela, Santé Canada aimerait souligner que ces énoncés donnent à entendre que la forme pharmaceutique des timbres administre des ingrédients à absorber par voie systémique et que, par conséquent, les allégations faites concernant le timbre Thrive DFT, comme « apparence ferme et tonifiée » et « apparence visiblement plus jeune », sont réalisées au moyen d’un mécanisme d’action par voie systémique. À ce titre, le produit le ferait en modifiant une fonction organique, ce qui correspondrait à l’aspect fonctionnel de la définition d’un PSN, selon l’énoncé au paragraphe 1(1) du Règlement sur les produits de santé naturels.

Un timbre cosmétique ne devrait produire l’effet désiré que localement à l’endroit où le timbre est appliqué. Les allégations « apparence ferme et tonifiée » et « apparence visiblement plus jeune » ne sont pas précisées par le terme « peau » (c’est‑à‑dire « La peau a une apparence ferme et tonifiée » et « La peau a une apparence apparaît visiblement plus jeune »). De plus, les photos et la vidéo incluses sur le site Web https://le‑vel.ca/Products/THRIVE/DFT (y compris le PDF connexe du produit : https://cdn.le‑vel.com/fr‑CA/Documents/THRV003.pdf) montrent des personnes qui portent le timbre Thrive DFT sur leur bras ou leur épaule, c’est‑à‑dire des endroits peu susceptibles de permettre d’obtenir une peau plus jeune ou une amélioration de l’élasticité de la peau. Ces présentations, en plus d’un manque de directives claires sur les zones d’application ou d’indications aux consommateurs selon lesquelles les produits n’offrent un avantage que lorsqu’ils sont appliqués localement, sous‑entendent des effets thérapeutiques systémiques et appuient le classement du timbre Thrive DFT en tant que PSN.

La suppression de l’un ou l’autre ou des deux énoncés « Le système de libération DFT a été conçu pour infuser le derme (peau) » et « pour assurer une plus grande biodisponibilité et une meilleure absorption » provenant du document de commercialisation ne changerait pas le classement de ce produit en tant que PSN. Les allégations et les ingrédients ne sont pas les seuls facteurs qui déterminent le classement d’un produit; les présentations fournies au sujet du produit servent également à donner une impression nette de ce qu’est le produit et de ce qu’il fait. Les présentations peuvent comprendre une phrase, une image, un symbole, un paragraphe ou une inférence sur les étiquettes, dans les feuillets d’information ou dans la publicité. Les présentations sur ce produit dans leur ensemble, y compris les exemples non exhaustifs mentionnés ci‑dessus, sous‑entendent une absorption et une action par voie systémique des ingrédients utilisés dans ce produit.

[19] Dans une lettre datée du 19 juillet 2019, la demanderesse a fourni de longues observations supplémentaires, en réponse aux précisions de Santé Canada. Cette lettre comprenait l’étude de Platt (qui a effectué des recherches et analysé les avantages cosmétiques d’un produit formulé et conçu de façon similaire), des monographies des ingrédients actifs du timbre, des exemples de cosmétiques comprenant des ingrédients similaires et une ébauche à jour de l’étiquette qui a modifié les allégations « apparence ferme et tonifiée » et « apparence visiblement plus jeune » par « La peau a une apparence ferme et tonifiée » et « La peau a une apparence visiblement plus jeune ». La lettre résumait également les éléments de preuve et les arguments juridiques relatifs aux définitions de « cosmétique » et de « produit de santé naturelle » qui avaient été fournis à Santé Canada à ce jour. Plus précisément, la lettre mentionnait ce qui suit :

[traduction]

Votre lettre indique que la suppression des énoncés « Le système de libération DFT a été conçu pour infuser le derme (peau) » et « pour assurer une plus grande biodisponibilité et une meilleure absorption » ne concerne pas, en soi, la question du classement. […] Le‑Vel est d’avis que ces énoncés ne devraient pas faire partie de la décision de Santé Canada concernant le classement du produit, puisque Le‑Vel ne fait pas ces présentations au sujet du produit.

Plus précisément, ces énoncés ont été présentés par erreur et ne faisaient pas du tout partie de la correspondance initiale d’application de la loi de Santé Canada ni du positionnement du produit de notre cliente. Si les énoncés mentionnés ci‑dessus continuent de guider la position de Santé Canada, veuillez nous en aviser, afin que nous puissions aborder adéquatement les deux énoncés, ainsi que la pertinence globale du renvoi continu de Santé Canada à ces énoncés […]

Votre lettre poursuit en indiquant que Santé Canada a tenu compte de la totalité des renseignements, mais ne fournit aucun exemple précis des renseignements fournis par Le‑Vel qui étayent le classement du produit en tant que PSN. Par conséquent, nonobstant votre lettre, notre cliente continue d’être dans une position où Santé Canada semble pencher vers une décision particulière sans fournir de motifs clairs […]

[…]

3. La zone d’application du timbre

Votre lettre mentionne que les zones d’application du timbre sur le bras ou l’épaule sont des « endroits peu susceptibles de permettre d’obtenir une peau plus jeune ou une amélioration de l’élasticité de la peau ». Veuillez noter que notre cliente fait la promotion du produit comme contribuant à fournir des avantages cosmétiques à des endroits plus difficiles, comme le bras ou l’épaule (entre autres). Voici des considérations importantes à cet égard :

i. De nombreux cosmétiques sur le marché canadien visent à être utilisés sur l’épaule, le bras et d’autres zones de la peau. Par exemple, il existe un marché entier de crèmes corporelles accessible aux consommateurs canadiens.

ii. Ni la définition de « cosmétique » ni celle de « produit de santé naturelle » ne tiennent compte de la zone du corps où il y a une application topique cutanée. En fait, Santé Canada classe le lubrifiant intime à usage personnel en tant que cosmétique.

iii. Selon l’étude de Platt, le produit « […] aide à diffuser les avantages dermiques sur une surface importante au‑delà de la zone d’application du timbre ».

iv. Notre cliente vend d’autres produits ciblant particulièrement les personnes sportives et actives. À ce titre, sa clientèle actuelle a généralement un désir plus important d’obtenir les avantages cosmétiques pour les zones souvent exposées de la peau, comme les bras et les épaules.

Nous croyons que les renseignements ci‑dessus expliquent mieux pourquoi ces endroits ne sont pas seulement logiques pour un produit cosmétique, mais aussi comment ils sont essentiels pour atteindre l’effet cosmétique dans des endroits très particuliers.

4. Le manque de directives

Votre lettre mentionne également que l’absence de directives claires concernant la zone d’application sous‑entend des effets thérapeutiques systémiques. Nous avons été déroutés par cette déclaration, car une telle déclaration est incompatible avec le Règlement sur les cosmétiques et le RPSN. Le Règlement sur les cosmétiques n’exige que des directives d’utilisation pour les produits qui présentent un risque évitable. En revanche, le RPSN exige qu’un PSN comprenne des instructions d’utilisation sur son étiquette (c’est‑à‑dire la dose recommandée, le mode d’administration et la durée d’utilisation). Un manque de directives étaye un classement en tant que cosmétique, par opposition à un classement en tant que PSN, lorsqu’il y a une intention de fournir un des éléments fonctionnels énumérés dans la définition du PSN mentionnée ci‑dessus.

[20] Nonobstant l’affirmation de la demanderesse selon laquelle le timbre est promu comme offrant des avantages cosmétiques à des [traduction] « endroits plus difficiles », aucun élément de preuve dans le dossier certifié du tribunal, au sujet de ces documents promotionnels, n’a été porté à l’attention de la Cour. De plus, au moment de la décision définitive, la demanderesse avait supprimé de l’étiquette du produit toute directive quant à l’endroit où placer le timbre lors de son utilisation.

[21] Santé Canada a préparé une lettre de réponse datée du 5 août 2021. Toutefois, en raison d’une erreur administrative, la lettre n’a été transmise à la demanderesse que le 3 novembre 2021, en même temps qu’une lettre de conformité datée du 3 novembre 2021. Les lettres confirmaient la décision de Santé Canada de classer le timbre en tant que PSN et demandaient à la demanderesse de cesser immédiatement de vendre le timbre au Canada au plus tard le 18 novembre 2021. Dans la lettre du 5 août 2021, Santé Canada a fourni les motifs suivants pour le classement du timbre en tant que PSN :

[traduction]

Au moment de classer un produit, Santé Canada examine si le produit correspond aux définitions de « produit thérapeutique », de « produit de santé naturel » ou de « cosmétique », énoncées dans la Loi sur les aliments et drogues (voir l’annexe A). La présentation du produit comprend l’étiquetage et toute publicité relative au produit, comme, sans toutefois s’y limiter, les sites Web, les publicités radiophoniques, les infopublicités, les magazines, les dépliants, l’emballage, les imprimés de masse, les publicités télévisées, etc. Bien que les classements ne soient pas fondés uniquement sur les sites Web, ceux‑ci sont pris en compte dans la présentation générale du produit.

Lors de l’examen relatif au classement du timbre Thrive DFT, Santé Canada a tenu compte de l’ensemble des renseignements alors disponibles, y compris l’étiquette canadienne, le site Web canadien (www.le‑vel.ca), ainsi que d’autres sites Web canadiens faisant la promotion du produit. L’étude de Platt a également été prise en compte et pourrait appuyer un effet local (par rapport à un effet systémique). Toutefois, bien que l’étiquette fournie ne contienne aucune allégation thérapeutique, selon le site Web www.le‑vel.ca, le produit est présenté comme ayant une utilisation thérapeutique. Le site Web canadien fournit des liens vers le PDF du produit, qui décrit le produit comme contribuant à la gestion du poids, soutenant la gestion de l’appétit, offrant un soutien nutritionnel, améliorant l’acuité mentale et soutenant l’énergie et la circulation, lesquels sont considérés comme des effets thérapeutiques.

Le site Web canadien fournit également un lien vers une vidéo donnant l’impression que le timbre fait partie d’une « formule naturopathique et synergique de qualité supérieure » (0:15) et que le timbre administre « des vitamines, des minéraux, des extraits végétaux, des enzymes digestives, des probiotiques, des antioxydants, des protéines, des fibres, des acides aminés » (0:18 à 0:26). Selon les éléments visuels, la forme pharmaceutique des timbres semble être absorbée par voie systémique et dispersée dans l’ensemble du corps. Les trois couches du timbre sont décrites (0:43) comme la « Couche 2 », qui est l’« ingrédient actif ou [la] formule active », et la « Couche 3 », qui est la « couche d’absorption et de perméation ». Le timbre est présenté comme fournissant des substances de PSN absorbées par voie systémique pour modifier une fonction organique, correspondant ainsi à la définition de « produit de santé naturelle » énoncée dans le RPSN. La vidéo se termine en dirigeant la personne qui la regarde vers le site Web américain Le‑Vel.com. Sur le site Web américain, le timbre Thrive DFT est associé à la gestion du poids, à l’acuité mentale, au soutien à la gestion de l’appétit, ainsi qu’au soutien à l’énergie et à la circulation.

En outre, l’étiquette canadienne est presque identique à l’étiquette américaine, et une recherche de « Thrive DFT » ou de « Thrive patch » sur le Web au Canada fait ressortir le site Web américain et d’autres sites Web liés directement au produit, qui font la promotion d’utilisations thérapeutiques de celui‑ci. Les sites Web qui font la promotion d’utilisations thérapeutiques de ce produit peuvent induire en erreur le consommateur canadien moyen quant à l’utilisation recommandée du produit, particulièrement dans le contexte d’une étiquette qui est presque identique.

La recommandation de classer ce produit en tant que produit de santé est fondée sur ses présentations concernant l’utilisation. Bien que les ingrédients puissent se trouver dans des cosmétiques, le produit est considéré comme un produit de santé, parce que le produit est présenté comme ayant une utilisation thérapeutique et systémique (comme il est indiqué dans certains des exemples mentionnés ci‑dessus). Étant donné que les ingrédients sont des substances mentionnées à l’annexe 1 du Règlement sur les produits de santé naturels (le RPSN), il est recommandé de classer le produit en tant que produit de santé naturel (par rapport à un médicament sur ordonnance ou sans ordonnance) […]

[22] En examinant les motifs fournis par Santé Canada dans sa lettre du 5 août 2021, il est important de noter que le PDF du produit mentionné dans la lettre n’est pas le même que la brochure actuelle du timbre. En fait, à l’époque, la brochure du timbre comprenait la même photographie, mais avec un titre à côté de la photo qui disait indiquait que [traduction] « [l]a technologie s’allie à une nutrition de qualité supérieure » et les points entièrement différents suivants :

[traduction]

  • Gestion du poids

  • Soutien à la gestion de l’appétit

  • Technologie de libération 2.0

  • Soutien nutritionnel

[23] La brochure comprenait également le libellé suivant :

[traduction]

THRIVE Premium Lifestyle DFT est une percée axée sur la technologie dans le domaine de la santé, du bien‑être, de la gestion du poids et du soutien nutritionnel. Le système de libération DFT (Technologie Derma Fusion) de Le‑Vel est à l’origine d’une toute nouvelle catégorie, la première en son genre. Et maintenant, avec la technologie Fusion 2.0, DFT a atteint de nouveaux sommets. Notre système de libération DFT a été conçu pour infuser le derme (peau) avec notre formule THRIVE Lifestyle unique et de première qualité — différente de notre formule en capsules ou en boissons frappées — afin d’obtenir un taux de libération bénéfique à long terme. Bref, DFT vous aide à obtenir des résultats supérieurs pour un style de vie supérieur. La technologie Fusion 2.0 étant conçue pour fournir une plus grande biodisponibilité, une meilleure absorption et un meilleur soutien nutritionnel, vos résultats avec le système DFT 2.0 ne peuvent être que supérieurs.

Lorsqu’il est pris dans le cadre de l’expérience THRIVE de 8 semaines, avec les capsules THRIVE Premium Lifestyle et la boisson frappée THRIVE Premium Lifestyle, DFT favorise une gestion propre et saine du poids, ainsi qu’un mode de vie sain global. Les personnes qui suivent ce régime obtiendront des résultats largement supérieurs, avec des avantages comme l’amélioration de la santé, du bien‑être et de la condition physique, ainsi que la gestion du poids et le soutien nutritionnel.

[24] La vidéo mentionnée dans la lettre du 5 août 2021 comprend une représentation graphique d’un corps portant le timbre sur l’épaule ou la partie supérieure du bras, avec diverses lignes colorées qui s’étendent de l’endroit où est appliqué le timbre jusqu’aux bras, au torse et aux jambes, sans doute à travers le système cardiovasculaire.

[25] Ni la lettre du 5 août 2021 ni celle du 3 novembre 2021 n’invitait ou ne s’engageait à examiner d’autres observations. Néanmoins, la demanderesse a fourni des renseignements supplémentaires, pour examen par Santé Canada, dans une lettre datée du 8 novembre 2021, dans laquelle elle mentionnait ce qui suit :

[traduction]

[…] Il semble, d’après notre examen de la lettre d’août, que la décision la plus récente de la DPSNSO concernant le reclassement soit fondée sur les présentations du produit, plutôt que sur la composition du produit même : « [l]a recommandation de classer ce produit en tant que produit de santé est fondée sur ses présentations concernant l’utilisation ». Notre cliente reconnaît qu’en raison d’une erreur interne, elle avait involontairement des liens vers du contenu très limité en dehors de son site Web Le‑vel.ca. Cependant, en date du 4 novembre 2021, notre cliente a corrigé l’erreur, qui était manifestement incompatible avec la promotion prévue et de longue date du produit en tant que cosmétique, ce qui est extrêmement évident sur son site Web canadien et l’emballage du produit. Notre cliente est déterminée à mettre en œuvre des contrôles du processus afin de réduire le risque que cela se reproduise. Plus important encore, la grande majorité des présentations dominantes relatives au produit étaient et continuent d’être de nature cosmétique. Les exemples comprennent (sans toutefois s’y limiter) les suivants :

● rétablit la barrière d’hydratation de la peau;

● aide à améliorer l’élasticité de la peau;

● la peau a une apparence ferme et tonifiée;

● la peau a une apparence visiblement plus jeune.

[…]

Avec la mise en œuvre des mesures correctives très limitées mentionnées ci‑dessus, les questions soulevées par Santé Canada dans les lettres sont maintenant théoriques. Les seuls renseignements disponibles pour classer le produit sont de nature cosmétique, et, par conséquent, le produit doit rester classé en tant que cosmétique […] La DPSNSO ne peut pas reclasser le produit uniquement en raison d’énoncés sous‑entendant un PSN par inadvertance, et qui sont maintenant supprimés, à l’exclusion d’un libellé clair et du dépôt d’études scientifiques démontrant que le produit est, et est annoncé comme, un cosmétique […]

[26] Dans cette correspondance, la demanderesse a également demandé à Santé Canada de confirmer si la décision concernant le classement était une décision définitive.

[27] Le 10 novembre 2021, Santé Canada a indiqué par courriel que la nature définitive de cette décision était confirmée et que la demande de cessation des ventes le 18 novembre 2021 n’était plus applicable.

[28] Le 26 novembre 2021, Santé Canada a transmis sa décision définitive à la demanderesse. Dans un courriel d’accompagnement de la même date, Santé Canada a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Selon les renseignements disponibles à l’heure actuelle, Santé Canada demeure convaincu du classement du timbre Thrive DFT en tant que produit de santé naturel, et les exigences énoncées dans le Règlement sur les produits de santé naturels s’appliquent, y compris celles en matière de délivrance de licences d’exploitation et de mise en marché. Compte tenu de cela, veuillez consulter la lettre de conformité envoyée à votre établissement, laquelle indique que la date limite pour répondre est le 3 décembre 2021.

Veuillez noter que le classement du timbre Thrive DFT en tant que produit de santé naturel est fondé sur les renseignements présentés sur les images de produits et les sites Web, puisque aucune demande de licence de mise en marché n’a été soumise à ce jour […]

[29] La lettre d’accompagnement du 26 novembre 2021 mentionnait ce qui suit :

[traduction]

Comme il est indiqué dans la recommandation de classement de la DPSNSO fournie précédemment, la DPSNSO considère que le « timbre Thrive DFT » est un produit de santé naturel (PSN).

Le timbre comprend des substances énoncées à l’annexe 1 du Règlement sur les produits de santé naturels (le RPSN) et est présenté comme fournissant un effet corporel sur l’ensemble de la peau et non limité à la zone d’application locale, par l’absorption par voie systémique et la modification une fonction organique. Par conséquent, le produit est visé par la définition de « produit de santé naturelle » du RPSN. En outre, conformément à la section 3.3 du Document de référence : Classement des produits situés à la frontière entre les cosmétiques et les drogues, pour être un cosmétique, le produit doit présenter une absence d’absorption percutanée et ne pas devoir être absorbé par voie systémique pour produire l’effet.

Bien que les ingrédients puissent se trouver dans des cosmétiques et qu’il puisse n’y avoir aucune allégation thérapeutique explicite sur l’étiquette ou le site Web canadien, le produit est présenté comme ayant une utilisation thérapeutique et systémique, et est donc considéré comme un PSN.

[30] La lettre datée du 26 novembre 2021 demandait également à la demanderesse [traduction] « de cesser la vente, l’importation et toutes les activités assujetties à une licence » et [traduction] « de retirer toute publicité et/ou tout document promotionnel connexes ».

II. Le cadre réglementaire

[31] La LAD établit le pouvoir de Santé Canada de réglementer les aliments, les drogues, les cosmétiques et les instruments médicaux vendus au Canada. De nombreux règlements ont été pris sous le régime de la LAD, y compris le RPSN, qui définit le PSN.

[32] La FDA définit ainsi les termes « cosmétique » et « cosmetic » :

Notamment les substances ou mélanges de substances fabriqués, vendus ou présentés comme pouvant servir à embellir, purifier ou modifier le teint, la peau, les cheveux ou les dents, y compris les désodorisants et les parfums.

includes any substance or mixture of substances manufactured, sold or represented for use in cleansing, improving or altering the complexion, skin, hair or teeth, and includes deodorants and perfumes;

[33] Les termes « drogue » et « drug » sont ainsi définis dans la LAD :

Sont compris parmi les drogues les substances ou mélanges de substances fabriqués, vendus ou présentés comme pouvant servir :

a) au diagnostic, au traitement, à l’atténuation ou à la prévention d’une maladie, d’un désordre, d’un état physique anormal ou de leurs symptômes, chez l’être humain ou les animaux;

b) à la restauration, à la correction ou à la modification des fonctions organiques chez l’être humain ou les animaux;

c) à la désinfection des locaux où des aliments sont gardés.

includes any substance or mixture of substances manufactured, sold or represented for use in

(a) the diagnosis, treatment, mitigation or prevention of a disease, disorder or abnormal physical state, or its symptoms, in human beings or animals,

(b) restoring, correcting or modifying organic functions in human beings or animals, or

(c) disinfection in premises in which food is manufactured, prepared or kept;

[34] Aux termes de la LAD, un PSN est considéré comme un sous‑ensemble de « drogues ». Un PSN est ainsi défini au paragraphe 1(1) du RPSN :

Substance mentionnée à l’annexe 1, combinaison de substances dont tous les ingrédients médicinaux sont des substances mentionnées à l’annexe 1, remède homéopathique ou remède traditionnel, qui est fabriqué, vendu ou présenté comme pouvant servir :

a) au diagnostic, au traitement, à l’atténuation ou à la prévention d’une maladie, d’un désordre, d’un état physique anormal, ou de leurs symptômes chez l’être humain;

b) à la restauration ou à la correction des fonctions organiques chez l’être humain;

c) à la modification des fonctions organiques chez l’être humain telle que la modification de ces fonctions de manière à maintenir ou promouvoir la santé.

 

means a substance set out in Schedule 1 or a combination of substances in which all the medicinal ingredients are substances set out in Schedule 1, a homeopathic medicine or a traditional medicine, that is manufactured, sold or represented for use in

(a) the diagnosis, treatment, mitigation or prevention of a disease, disorder or abnormal physical state or its symptoms in humans;

(b) restoring or correcting organic functions in humans; or

(c) modifying organic functions in humans, such as modifying those functions in a manner that maintains or promotes health.

[35] Aux termes des articles 4 et 5 du RPSN, les personnes qui souhaitent vendre un PSN au Canada doivent présenter une demande de licence de mise en marché au ministre et obtenir une licence avant de pouvoir vendre le produit au Canada.

[36] En l’espèce, il n’y a pas de litige entre les parties quant au fait que le timbre comprend une substance ou une combinaison de substances mentionnées à l’annexe 1 du RPSN. En fait, le litige concerne la question de savoir si le timbre est « présenté comme pouvant servir […] à la modification des fonctions organiques chez l’être humain telle que la modification de ces fonctions de manière à maintenir ou promouvoir la santé ».

III. Les questions préliminaires

A. La correction de l’intitulé

[37] Au début de l’audience, j’ai soulevé avec les parties la question de la modification de l’intitulé afin de supprimer le ministre de la Santé à titre de défendeur. Étant donné que le ministre de la Santé est le décideur en cause, conformément à l’alinéa 303(1)a) des Règles des Cours fédérales, il ne devrait pas être nommé comme défendeur. L’intitulé sera donc modifié avec effet immédiat.

B. Les parties contestées des affidavits de M. Hoffman et de Mme Richardson devraient‑elles être radiées?

[38] Dans l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, la Cour d’appel fédérale a fourni des directives claires concernant la portée de la preuve adéquate dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire :

[…] en principe, le dossier de la preuve qui est soumis à notre Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire se limite au dossier de preuve dont disposait [le décideur]. En d’autres termes, les éléments de preuve qui n’ont pas été portés à la connaissance [du décideur] et qui ont trait au fond de l’affaire soumise [au décideur] ne sont pas admissibles dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire présentée à notre Cour. […]

Le principe général interdisant à notre Cour d’admettre de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’une instance en contrôle judiciaire souffre quelques exceptions reconnues et la liste des exceptions n’est sans doute pas exhaustive. Ces exceptions ne jouent que dans les situations dans lesquelles l’admission, par notre Cour, d’éléments de preuve n’est pas incompatible avec le rôle différent joué par la juridiction de révision et par le tribunal administratif […] En fait, bon nombre de ces exceptions sont susceptibles de faciliter ou de favoriser la tâche de la juridiction de révision sans porter atteinte à la mission qui est confiée au tribunal administratif. Voici trois de ces exceptions :

a) Parfois, notre Cour admettra en preuve un affidavit qui contient des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire […] On doit s’assurer que l’affidavit ne va pas plus loin en fournissant des éléments de preuve se rapportant au fond de la question déjà tranchée par le tribunal administratif, au risque de s’immiscer dans le rôle que joue le tribunal administratif en tant que juge des faits et juge du fond. […]

b) Parfois les affidavits sont nécessaires pour porter à l’attention de la juridiction de révision des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif, permettant ainsi à la juridiction de révision de remplir son rôle d’organe chargé de censurer les manquements à l’équité procédurale […]

c) Parfois, un affidavit est admis en preuve dans le cadre d’un contrôle judiciaire pour faire ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée […]

[39] Le défendeur affirme que les éléments de preuve suivants devraient être radiés ou n’avoir aucun poids, aux motifs que le décideur ne disposait pas de ces éléments de preuve et que ceux‑ci ne correspondent à aucune des exceptions reconnues :

  1. les paragraphes 6 à 38 et les pièces C à P de l’affidavit de Mme Richardson, souscrit le 10 février 2022;

  2. les parties de l’affidavit de Drew Hoffman, souscrit le 10 février 2022, qui traitent du géoblocage.

[40] Les parties contestées de l’affidavit de Mme Richardson contiennent des photos et des renseignements sur divers produits, y compris ceux qui se décrivent comme des timbres, trouvés par l’auteure de l’affidavit à la suite de visites dans divers magasins de détail à Ottawa. L’auteure de l’affidavit a ensuite effectué une recherche sur l’emballage du produit et dans les bases de données de Santé Canada, afin de déterminer si l’un de ces produits était homologué comme médicament, PSN ou produit homéopathique. Les résultats de ces recherches sont inclus dans l’affidavit de Mme Richardson.

[41] Le défendeur affirme que les parties contestées de l’affidavit de Mme Richardson ne sont pas pertinentes quant à la décision faisant l’objet du présent contrôle, puisque le classement de produits autres que le timbre et l’application de la loi à l’égard de ceux‑ci n’ont aucune incidence sur le caractère raisonnable de la décision ou sur l’équité procédurale à laquelle la demanderesse a droit. De plus, le défendeur fait remarquer que les parties contestées de l’affidavit de Mme Richardson n’ont aucun lien avec l’un ou l’autre des arguments présentés par la demanderesse dans son mémoire des faits et du droit.

[42] La demanderesse affirme que les parties contestées de l’affidavit de Mme Richardson constituent des renseignements généraux visant à démontrer que tous les timbres ne sont pas classés par Santé Canada comme PSN, c’est‑à‑dire des renseignements qui étaient connus de Santé Canada au moment où il a rendu sa décision.

[43] Je conviens avec le défendeur que les parties contestées de l’affidavit de Mme Richardson ne sont pas du tout pertinentes quant aux questions dont est saisie la Cour et que les éléments de preuve sont inadmissibles, puisque le décideur ne disposait pas de ces éléments de preuve et que ceux‑ci ne correspondent pas à l’exception relative aux « renseignements généraux ». Il était loisible à la demanderesse de présenter ces éléments de preuve à Santé Canada dans l’un des nombreux ensembles d’observations et d’éléments de preuve qu’elle a présentés à Santé Canada, ce qu’elle n’a pas fait. Quoi qu’il en soit, je fais remarquer que la demanderesse n’a fait aucune mention de la preuve dans ses observations écrites ou orales, ce qui démontre le manque de pertinence des éléments de preuve contestés. Par conséquent, je n’accorde aucun poids aux parties contestées de l’affidavit de Mme Richardson.

[44] En ce qui concerne l’affidavit de M. Hoffman, le défendeur affirme que, bien que de grandes parties de l’affidavit constituent des arguments, il est principalement préoccupé par le fait que l’affidavit de M. Hoffman tente de présenter à la Cour des renseignements qui n’ont jamais été fournis à Santé Canada — c’est‑à‑dire qu’à un moment inconnu, la demanderesse a mis en œuvre un [traduction] « géoblocage » sur son site Web américain, afin que les internautes au Canada soient automatiquement redirigés vers le site Web canadien plutôt que vers le contenu et les présentations sur le timbre sur le site Web américain. Les références à cette mise en œuvre d’un géoblocage figurent aux paragraphes 10, 11, 27, 33 et 54 de l’affidavit de M. Hoffman. Le défendeur affirme que ces éléments de preuve sont inadmissibles, puisque le décideur ne disposait pas de ces éléments de preuve et que ceux‑ci ne correspondent à aucune des exceptions reconnues.

[45] En ce qui concerne les parties de l’affidavit de M. Hoffman qui constituent des arguments, le défendeur affirme que la jurisprudence de la Cour indique clairement que peu de poids, voire aucun, ne doit être accordé à ces éléments de preuve.

[46] La demanderesse affirme que les éléments de preuve de M. Hoffman qui sont contestés sont admissibles, puisqu’ils ont été [traduction] « indirectement » abordés dans la correspondance de la demanderesse à Santé Canada. Comme il a été mentionné ci‑dessus, Santé Canada a fait part à la demanderesse, dans sa lettre du 5 août 2021, d’un certain nombre de préoccupations au sujet du contenu publié sur le site Web canadien (PDF du produit et une vidéo), ainsi que d’une préoccupation particulière au sujet du fait que les Canadiens qui effectuaient des recherches en ligne concernant le timbre étaient en mesure d’accéder au site Web américain et à d’autres sites Web liés directement au produit qui faisaient la promotion des utilisations thérapeutiques du timbre. En réponse aux préoccupations soulevées par Santé Canada, la demanderesse a indiqué ce qui suit dans sa lettre datée du 8 novembre 2021 :

[traduction]

[…] Notre cliente reconnaît qu’en raison d’une erreur interne, elle avait involontairement des liens vers du contenu très limité en dehors de son site Web Le‑vel.ca. Cependant, en date du 4 novembre 2021, notre cliente a corrigé l’erreur, qui était manifestement incompatible avec la promotion prévue et de longue date du produit en tant que cosmétique, ce qui est extrêmement évident sur son site Web canadien et l’emballage du produit. Notre cliente est déterminée à mettre en œuvre des contrôles du processus afin de réduire le risque que cela se reproduise. […]

[Non souligné dans l’original.]

[47] La demanderesse affirme que la mention de la [traduction] « [mise] en œuvre des contrôles du processus » et les mesures correctives prises par la demanderesse pour répondre aux préoccupations de Santé Canada comprenaient le géoblocage et que, par conséquent, les éléments de preuve de M. Hoffman qui sont contestés étaient connus de Santé Canada. Je rejette cette affirmation. Je conclus que la lettre du 8 novembre 2021 de la demanderesse ne répond pas à la préoccupation de Santé Canada concernant les résultats de recherche sur Internet qui sont obtenus par les Canadiens et que la demanderesse tente maintenant de corriger cette lacune au moyen de l’affidavit de M. Hoffman, ce qui est inapproprié. Je conclus que le géoblocage n’a pas été « indirectement » abordé dans la lettre du 8 novembre 2021 et que, de ce fait, les efforts de géoblocage déployés par la demanderesse n’ont pas été présentés au décideur. Par conséquent, je conclus que les éléments de preuve de M. Hoffman concernant le géoblocage sont inadmissibles.

[48] La demanderesse affirme que, même si le décideur ne disposait pas des éléments de preuve concernant le géoblocage, ceux‑ci sont pertinents quant à l’exercice que doit entreprendre la Cour, car le classement d’un produit en tant que PSN dépend des présentations fournies au sujet du produit, et les éléments de preuve dont dispose la Cour indiquent clairement que les Canadiens n’ont plus accès aux résultats de recherche Web qui les mèneraient au site Web américain. Je rejette cette affirmation. Le rôle de la Cour dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire est d’examiner le caractère raisonnable du classement du timbre, par Santé Canada, en tant que PSN au moment où la décision a été rendue. La Cour ne rend pas sa propre décision concernant le classement, en fonction de l’état des présentations actuellement faites par la demanderesse. Dans la mesure où il y a eu un changement important dans les présentations depuis le 26 novembre 2021, il incombe à la demanderesse de soulever la question auprès de Santé Canada, mais cela ne modifie pas l’exercice actuellement entrepris devant la Cour et ne rend pas admissibles des éléments de preuve autrement inadmissibles.

[49] Je conviens avec le défendeur que de nombreux paragraphes de l’affidavit de M. Hoffman constituent des arguments, notamment lorsque M. Hoffman commente le contenu de diverses correspondances. La correspondance parle d’elle‑même, et les commentaires de M. Hoffman à ce sujet ne sont d’aucune utilité pour la Cour.

IV. Les autres questions en litige et la norme de contrôle

[50] Les autres questions suivantes sont en litige dans la présente demande :

  1. La décision définitive est‑elle raisonnable?

  2. Santé Canada a‑t‑il manqué à son obligation d’équité procédurale envers la demanderesse?

[51] En ce qui concerne la première question, lorsqu’une cour de justice se penche sur le fond d’une décision administrative, la norme de contrôle présumée est la décision raisonnable. Aucune exception à cette présomption n’a été soulevée ni ne s’applique [voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23, 25]. Pour décider si une décision est raisonnable, la Cour examine la question de savoir si elle est suffisamment intelligible, transparente et justifiée. Pour répondre à ces exigences, la décision doit refléter « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et [être] justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti ». Le résultat et le raisonnement doivent être raisonnables [voir Vavilov, précité, aux para 83, 85, 99].

[52] En ce qui concerne la deuxième question, les parties conviennent qu’aucune norme de contrôle particulière ne s’applique et que la question à trancher est de savoir si, compte tenu du contexte particulier et des circonstances de l’espèce, le processus suivi par le décideur d’un tribunal administratif était équitable et a accordé aux parties concernées le droit de se faire entendre ainsi que la possibilité complète d’être informées de la preuve à réfuter et d’y répondre [voir Tsigehana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 426 aux para 14, 15; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54; Vavilov, précité, au para 77].

V. Analyse

A. La décision définitive de Santé Canada est raisonnable

[53] La demanderesse affirme que la décision de Santé Canada est déraisonnable pour un certain nombre de raisons, que j’examinerai chacune à tour de rôle.

[54] Tout d’abord, la demanderesse affirme que la décision de Santé Canada selon laquelle le timbre est un PSN est déraisonnable, puisque Santé Canada n’identifie pas les présentations de la demanderesse sur lesquelles la décision est fondée et qu’un examen du dossier certifié du tribunal ne permet pas de comprendre le fondement de la décision. Par conséquent, la demanderesse affirme que la décision n’est pas suffisamment justifiée et étayée.

[55] Toutefois, dans le cadre de son analyse relative au caractère raisonnable d’une décision, la cour de révision doit examiner les motifs donnés avec « une attention respectueuse », et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à la conclusion tirée. Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre le fondement sur lequel repose la décision (Vavilov, précité, aux para 84, 97).

[56] Avant de se pencher sur les motifs mêmes, il est important de rappeler le contexte dans lequel la décision définitive a été rendue. Comme je l’ai expliqué ci‑dessus, la demanderesse et Santé Canada ont procédé à un échange détaillé d’observations et de décisions préliminaires avant la publication de la décision définitive de Santé Canada. Dans le cadre de ces va‑et‑vient, les documents promotionnels de la demanderesse concernant le timbre au Canada ont beaucoup changé, de sorte que Santé Canada était tenu d’examiner diverses versions des présentations faites par la demanderesse. Santé Canada a fait part à la demanderesse de ses préoccupations qu’il avait à divers moments, au sujet des présentations faites par la demanderesse, et a fourni une justification de ces préoccupations. La demanderesse a examiné et répondu à certaines de ces préoccupations, tandis que d’autres n’ont pas été examinées ou ont été rejetées par la demanderesse.

[57] Il est également devenu évident pour Santé Canada que la demanderesse poursuivait en fin de compte une stratégie de promotion très différente pour le timbre au Canada, par rapport à celle employée aux États‑Unis. Au Canada, le timbre est présenté comme ciblant la peau (rétablissement de la barrière d’hydratation de la peau, amélioration de l’élasticité de la peau et cause d’une apparence ferme et tonifiée ainsi que visiblement plus jeune de la peau), tandis qu’aux États‑Unis, il est présenté comme contribuant à la nutrition (gestion du poids, soutien à la gestion de l’appétit et soutien nutritionnel). Santé Canada a exprimé des préoccupations à la demanderesse quant au fait que les consommateurs canadiens n’étaient pas protégés contre les documents promotionnels utilisés aux États‑Unis, et lui a fourni divers exemples de documents promotionnels préoccupants. Comme il a été mentionné ci‑dessus, la demanderesse n’a pas répondu à toutes les préoccupations de Santé Canada concernant cette question.

[58] En ce qui concerne les motifs de la décision, la décision définitive se trouve dans la lettre de Santé Canada datée du 26 novembre 2021 et le courriel d’accompagnement. La lettre et le courriel fournissent les motifs de décision suivants :

  1. la décision concernant le classement était fondée sur les renseignements présentés sur les images de produits et les sites Web;

  2. le timbre comprend des substances mentionnées à l’annexe 1 du RPSN;

  3. le timbre est présenté comme fournissant un effet corporel sur l’ensemble de la peau, et non limité à la zone d’application locale, par l’absorption par voie systémique et la modification d’une fonction organique;

  4. en outre, pour être un cosmétique, le produit doit présenter une absence d’absorption percutanée et ne pas devoir être absorbé par voie systémique pour produire l’effet.

[59] La lettre de décision définitive incorporait également par renvoi les motifs fournis par Santé Canada dans une correspondance antérieure, en mentionnant [traduction] « [c]omme il est indiqué dans la recommandation de classement de la DPSNSO fournie précédemment ». À ce titre, la Cour peut examiner les motifs supplémentaires de décision fournis par Santé Canada à la demanderesse dans sa correspondance antérieure.

[60] Pour déterminer si les motifs de Santé Canada sont justifiés, intelligibles et transparents, en se fondant sur la lettre de décision définitive et le courriel ou lorsqu’ils sont considérés de façon plus générale dans le contexte de la correspondance antérieure, la Cour ne peut pas reprendre les motifs de Santé Canada et rédiger efficacement des motifs supplémentaires à l’appui de la décision de Santé Canada. Toutefois, la Cour est autorisée à « relier les points sur la page quand les lignes, et la direction qu’elles prennent, peuvent être facilement discernées » [voir Alexion Pharmaceuticals Inc v Canada (Attorney General), 2021 FCA 157 aux para 8, 17; Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431 au para 11; Vavilov, précité, au para 97].

[61] Je suis convaincue qu’il est facile de déterminer le fondement de la décision de Santé Canada lorsqu’on l’examine de façon globale et contextuelle. Santé Canada a exposé des motifs de décision clairs dans sa correspondance antérieure, et la demanderesse n’a pas répondu adéquatement aux préoccupations de Santé Canada dans ses observations et éléments de preuves subséquents. L’affirmation de la demanderesse selon laquelle elle est maintenant [traduction] « totalement incertaine de la raison pour laquelle la décision a été rendue et de la façon dont celle‑ci a été rendue » est tout simplement indéfendable.

[62] Santé Canada a clairement mentionné à maintes reprises à la demanderesse que la décision concernant le classement était fondée non seulement sur ce qui figurait sur l’étiquette de produit présentée, mais aussi sur la façon dont le produit et la gamme de produits étaient commercialisés, tant en ce qui a trait aux images qu’aux mots utilisés, et qu’elle ne se limitait pas à un examen de sites Web. Le classement était plutôt fondé sur la présentation globale du produit [voir, par exemple, les lettres datées du 6 février 2016, du 5 juillet 2019 et du 5 août 2021].

[63] Santé Canada a clairement indiqué à la demanderesse qu’il n’avait pas conclu que la demanderesse avait présenté des allégations thérapeutiques. Santé Canada était plutôt d’avis que le timbre était présenté comme ayant une utilisation thérapeutique et systémique. Dans sa lettre du 21 mai 2019, Santé Canada a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Premièrement, les renseignements sur le site Web du produit, https://le‑vel.ca/Products/THRIVE/DFT (y compris le PDF connexe du produit : https://cdn.le‑vel.com/fr‑CA/Documents/THRV003.pdf) donnent à entendre que la forme pharmaceutique des timbres administre des ingrédients à absorber par voie systémique. Plus précisément, les renseignements indiquent que le « système de libération DFT a été conçu pour infuser le derme (peau) » et « pour assurer une plus grande biodisponibilité et une meilleure absorption ». Cela donne à entendre que les allégations décrites sont réalisées en modifiant une fonction organique, et que le terme « produit de santé naturel » est défini, en partie, comme un produit qui « modifi[e] des fonctions organiques ». Conformément à la section 3.3 du Document de référence : Classement des produits situés à la frontière entre les cosmétiques et les drogues, « [p]our être un cosmétique, le produit doit présenter une absence d’absorption percutanée et ne pas devoir être absorbé par voie systémique pour produire l’effet ».

[Non souligné dans l’original.]

[64] Dans sa lettre datée du 5 juillet 2019, Santé Canada a confirmé qu’il ne laissait pas entendre que la demanderesse avait présenté des allégations thérapeutiques au sujet du timbre, et a réitéré sa position selon laquelle la demanderesse faisait des présentations selon lesquelles les avantages allégués du timbre étaient obtenus au moyen d’un mécanisme d’action par voie systémique, en modifiant une fonction organique :

[traduction]

Santé Canada aimerait préciser le contenu de sa correspondance précédente, plus particulièrement les renseignements qui ont donné lieu au classement du timbre Thrive DFT en tant que produit de santé naturel (PSN). Le renvoi aux deux énoncés « le système de libération DFT a été conçu pour infuser le derme (peau) » et « pour assurer une plus grande biodisponibilité et une meilleure absorption » n’était pas destiné à insinuer qu’il s’agissait d’allégations thérapeutiques. Au lieu de cela, Santé Canada aimerait souligner que ces énoncés donnent à entendre que la forme pharmaceutique des timbres administre des ingrédients à absorber par voie systémique et que, par conséquent, les allégations faites concernant le timbre Thrive DFT, comme « apparence ferme et tonifiée » et « apparence visiblement plus jeune », sont réalisées au moyen d’un mécanisme d’action par voie systémique. À ce titre, le produit le ferait en modifiant une fonction organique, ce qui correspondrait à l’aspect fonctionnel de la définition d’un PSN, selon l’énoncé au paragraphe 1(1) du Règlement sur les produits de santé naturels.

[Non souligné dans l’original.]

[65] La même préoccupation a été réitérée par Santé Canada dans sa lettre du 5 août 2021, dans laquelle il a déclaré que [traduction] « le produit est présenté comme ayant une utilisation thérapeutique ».

[66] En ce qui concerne cette question, Santé Canada a soulevé une préoccupation auprès de la demanderesse au sujet de la photo utilisée par celle‑ci dans ses documents promotionnels montrant la zone d’application du timbre sur la partie supérieure du bras ou sur l’épaule de la mannequin. Dans sa lettre du 5 juillet 2019, Santé Canada a déclaré ce qui suit :

[traduction]

[…] De plus, les photos et la vidéo incluses sur le site Web https://le‑vel.ca/Products/THRIVE/DFT (y compris le PDF connexe du produit : https://cdn.le‑vel.com/fr‑CA/Documents/THRV003.pdf) montrent des personnes qui portent le timbre Thrive DFT sur leur bras ou leur épaule, c’est‑à‑dire des endroits peu susceptibles de permettre d’obtenir une peau plus jeune ou une amélioration de l’élasticité de la peau. Ces présentations, en plus d’un manque de directives claires sur les zones d’application ou d’indications aux consommateurs selon lesquelles les produits n’offrent un avantage que lorsqu’ils sont appliqués localement, sous‑entendent des effets thérapeutiques systémiques et appuient le classement du timbre Thrive DFT en tant que PSN.

[Non souligné dans l’original.]

[67] En examinant cette justification donnée par Santé Canada, il est important de se rappeler qu’en réponse aux préoccupations qu’il a soulevées au sujet de l’étiquette initiale du produit soumise par la demanderesse, cette dernière a supprimé de l’étiquette du produit toute indication ou directive concernant la zone d’application prévue du timbre. À ce titre, les consommateurs ne reçoivent aucune directive quant à l’endroit où placer le timbre, et aucun énoncé n’est fourni pour préciser que le timbre n’offre un avantage que lorsqu’il est appliqué localement.

[68] Santé Canada a également mentionné clairement dans ses motifs que les présentations faites par la demanderesse sur son site Web américain (le‑vel.com) étaient problématiques, puisque les Canadiens y avaient accès. Plus précisément, la lettre du 5 août 2021 de Santé Canada informait la demanderesse qu’une vidéo sur le site Web canadien se terminait par un lien redirigeant la personne qui la regardait vers le site Web américain et qu’une recherche sur le Web au Canada, concernant le timbre, mène au site Web américain et à d’autres sites Web liés directement au produit qui font la promotion d’utilisations thérapeutiques de celui‑ci. Santé Canada a fait remarquer que [traduction] « [l]es sites Web qui font la promotion d’utilisations thérapeutiques de ce produit peuvent induire en erreur le consommateur canadien moyen quant à l’utilisation recommandée du produit, particulièrement dans le contexte d’une étiquette qui est presque identique ».

[69] Bien que la demanderesse ait informé Santé Canada que la vidéo et la brochure inexacte du produit avaient été supprimées du site Web canadien, les présentations suivantes étaient toujours en place au moment où la décision définitive avait été rendue :

  1. la brochure du produit disponible sur le site Web canadien a été corrigée pour ne plus mentionner la gestion du poids, mais plutôt présenter le timbre comme ciblant la peau (rétablissement de la barrière d’hydratation de la peau, amélioration de l’élasticité de la peau et cause d’une apparence ferme et tonifiée ainsi que visiblement plus jeune de la peau);

  2. la photo montrant la zone d’application du timbre sur l’épaule ou la partie supérieure du bras de la mannequin est demeurée inchangée;

  3. l’étiquette du produit ne précisait pas où placer le timbre et ne comprenait aucun libellé donnant à entendre que le timbre n’offrait que des avantages locaux;

  4. aucune explication n’a été fournie par la demanderesse relativement au géoblocage du site Web américain, de sorte qu’il n’a pas été répondu à la préoccupation de Santé Canada concernant l’accès des Canadiens aux allégations thérapeutiques de perte de poids au sujet du timbre. À ce titre, les Canadiens effectuant une recherche sur Internet ont continué d’avoir accès au site Web américain et à d’autres sites liés qui faisaient la promotion du même timbre pour des utilisations thérapeutiques, comme la perte de poids.

[70] Compte tenu de ce qui précède, je suis convaincue que Santé Canada a fourni des motifs intelligibles et transparents pour étayer sa conclusion selon laquelle la demanderesse avait [traduction] « présenté » le timbre comme [traduction] « fournissant un effet corporel sur l’ensemble de la peau et non limité à la zone d’application locale ».

[71] La question qui doit ensuite être examinée est celle de savoir si la conclusion de Santé Canada selon laquelle les présentations de la demanderesse visent l’utilisation du timbre dans « la modification des fonctions organiques chez l’être humain telle que la modification de ces fonctions de manière à maintenir ou promouvoir la santé » est raisonnable.

[72] La demanderesse affirme que Santé Canada ne précise pas comment les présentations faites par la demanderesse correspondent à la définition législative de « produit de santé naturel ». La demanderesse affirme que les déclarations faites par Santé Canada dans la décision démontrent qu’il a entrepris une interprétation législative déraisonnable, puisque la définition législative de « produit de santé naturel » ne comprend pas [traduction] « l’absorption par voie systémique » ou [traduction] « un effet corporel sur l’ensemble de la peau ».

[73] Le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation [le REIR] pour le RPSN prévoit que la définition de « produit de santé naturelle » ne comprend pas les cosmétiques. La demanderesse affirme que « la modification des fonctions organiques » ne peut donc pas raisonnablement être interprétée comme englobant « embellir, purifier ou modifier » la peau, de manière à regrouper déraisonnablement ces définitions.

[74] La demanderesse affirme en outre que la nécessité d’une interprétation étroite de « la modification des fonctions organiques » est soulignée dans le REIR, qui indique ce qui suit à la page 1574 :

Dans la GCI, on a proposé que la troisième composante (iii) soit rédigée comme suit : « au maintien et à la promotion de la santé ou, de quelque autre façon, à la modification des fonctions organiques chez l’être humain ». Toutefois, des commentaires ont été reçus que cette composante devrait être rédigée autrement de façon à indiquer clairement que le « maintien et la promotion de la santé » sont inextricablement liés à « la modification des fonctions organiques ». Ceci permettrait de mieux refléter la compréhension du fait que plusieurs PSN, par leurs effets sur les fonctions organiques, peuvent contribuer à une bonne santé.

[75] La demanderesse affirme que, seule, « la modification des fonctions organiques » ne fait pas correspondre un produit avec la définition de « produit de santé naturelle ». Il doit également y avoir un lien plus large avec cette approche « de manière à maintenir ou promouvoir la santé ».

[76] La demanderesse affirme que toutes ses présentations au sujet du timbre concernent la peau et sont directement compatibles avec les allégations non thérapeutiques que Santé Canada reconnaît comme acceptables pour des cosmétiques. Elle affirme que [traduction] « l’absorption » d’un ingrédient par la peau n’équivaut pas automatiquement à [traduction] « la modification d’une fonction organique », puisque de nombreux timbres, lotions et pâtes cosmétiques sont absorbés par la peau dans une certaine mesure, mais n’entraînent aucune modification d’une fonction organique. En s’appuyant sur ce fondement, la demanderesse affirme que l’absorption seule est insuffisante pour faire en sorte qu’un produit ne corresponde pas à la définition de « cosmétique ».

[77] En outre, la demanderesse affirme qu’aucune [traduction] « efficacité systémique » ne peut être déduite de l’absorption. Cette interprétation fusionnerait en fait les définitions de « drogue » et de « cosmétique ». La demanderesse affirme que le classement d’un produit topique en tant que PSN exige plus qu’une simple absorption; elle exige l’élément particulier de la modification d’une fonction organique pour améliorer la santé.

[78] La demanderesse affirme qu’elle n’a fait aucune présentation selon laquelle le timbre modifiait une fonction organique, et que Santé Canada n’a pas laissé entendre qu’une analyse scientifique appuyait une telle conclusion. La demanderesse affirme qu’il reste une [traduction] « conclusion hâtive » non étayée dans la décision de Santé Canada qui la rend déraisonnable.

[79] Je rejette les affirmations de la demanderesse. Ses arguments font abstraction de ce qui est au cœur de la décision de Santé Canada. Celui‑ci a reconnu que la demanderesse ne faisait pas d’allégation thérapeutique explicite, et il n’est pas contesté que la demanderesse emploie, dans ses présentations, un libellé que Santé Canada juge acceptable pour des allégations non thérapeutiques relatives à des cosmétiques.

[80] Toutefois, Santé Canada a jugé que, lorsqu’on observe, ensemble, l’image de la mannequin portant le timbre sur la partie supérieure de son bras ou sur son épaule (qui, selon Santé Canada, était un endroit peu susceptible de permettre d’obtenir une peau d’apparence plus jeune ou une amélioration de l’élasticité de la peau), le manque de directives claires quant à la zone d’application du timbre et l’absence de tout libellé indiquant que les avantages du produit présentés (rétablissement de la barrière d’hydratation de la peau, amélioration de l’élasticité de la peau, peau d’apparence ferme et tonifiée, et peau d’apparence visiblement plus jeune) sont limités à la zone d’application locale du timbre, la demanderesse laisse entendre que le timbre a une utilisation thérapeutique et systémique. Je conclus que la décision de Santé Canada à cet égard était raisonnable.

[81] De plus, au moment où la décision a été rendue, les consommateurs canadiens avaient accès au site Web américain du timbre, qui regorgeait de textes et d’images appuyant une conclusion d’allégations thérapeutiques explicites et la modification de fonctions organiques. Bien que la demanderesse n’admette pas que les présentations fournies sur le site Web américain et dans les documents promotionnels américains correspondent à la définition de « produit de santé naturelle », la demanderesse a déployé beaucoup d’efforts pour supprimer toute référence à ces présentations, ce qui m’amène à conclure raisonnablement que la demanderesse reconnaît la nature problématique de telles présentations au Canada pour un classement en tant que cosmétique.

[82] En outre, je fais remarquer que la demanderesse n’a pas explicitement nié l’exactitude de la conclusion de Santé Canada selon laquelle le timbre est présenté comme améliorant la peau au‑delà de la simple zone d’application du timbre. Bien que la demanderesse ait fourni à Santé Canada une explication quant à la raison pour laquelle la mannequin porte le timbre sur la partie supérieure de son bras ou sur son épaule et quant à la raison pour laquelle ses clients peuvent choisir de cibler cette zone de la peau, l’explication de la demanderesse n’a pas indiqué que la zone de la peau censée bénéficier des avantages du timbre était limitée à la zone d’application locale. Au contraire, la demanderesse a mentionné ce qui suit : [traduction] « Selon l’étude de Platt, le produit “[…] aide à diffuser les avantages dermiques sur une surface importante au‑delà de la zone d’application du timbre” ».

[83] La question est alors de savoir si la décision de Santé Canada selon laquelle la présentation d’une utilisation thérapeutique systémique — c’est‑à‑dire appliquer le timbre sur la partie supérieure du bras ou sur l’épaule pour améliorer la peau sur d’autres parties du corps — correspondait à la définition de « produit de santé naturelle » était raisonnable.

[84] Je conviens avec le défendeur qu’on devrait faire preuve de déférence à l’égard de Santé Canada, qui a rendu cette décision, puisqu’il possède une expertise et des connaissances spécialisées pertinentes pour rendre une décision compatible avec les objectifs et les réalités pratiques du régime administratif. Bien que les expressions [traduction] « absorption par voie systémique » et [traduction] « effet corporel sur l’ensemble de la peau » ne figurent pas dans la définition de « produit de santé naturelle », Santé Canada a expliqué dans sa lettre du 5 juillet 2019 que les présentations de la demanderesse donnaient à entendre que le timbre était [traduction] « absorbé par voie systémique » et que ses effets étaient obtenus par un [traduction] « mécanisme d’action par voie systémique ». C’est ce mécanisme d’action par voie systémique qui constitue la modification d’une fonction organique.

[85] Je ne suis pas convaincue que la demanderesse ait démontré que cette conclusion était déraisonnable. La demanderesse n’a mentionné aucun élément de preuve qui aurait été négligé et qui indiquerait une conclusion contraire, comme une présentation se trouvant au dossier qui donnerait à entendre que l’application du timbre sur la partie supérieure du bras ou sur l’épaule pour améliorer la peau sur d’autres parties du corps n’entraîne pas la modification d’une fonction organique. Bien que le demandeur s’appuie sur l’étude de Platt et mentionne les commentaires de Santé Canada selon lesquels l’étude de Platt [traduction] « pourrait appuyer un effet local (par rapport à un effet systémique) », je souligne que l’étude de Platt n’était pas une étude sur le timbre. Toutefois, plus important encore, le classement s’appuie principalement sur la façon dont la demanderesse présente l’utilisation du timbre. Comme l’a fait remarquer la demanderesse dans ses observations du 19 juillet 2019 à Santé Canada, même si le timbre modifie des fonctions organiques, le principal motif du classement est le fait que le timbre doit être présenté par la demanderesse comme modifiant des fonctions organiques, et, par conséquent, je ne vois pas comment l’étude de Platt aide la demanderesse dans sa tentative de démontrer que la décision de Santé Canada était déraisonnable.

[86] Bien que la demanderesse affirme que l’absorption à elle seule ne suffit pas à l’assimiler à une modification d’une fonction organique, la demanderesse ne tient pas compte du fait que les présentations, lorsqu’elles sont considérées dans leur ensemble, donnent à entendre qu’il y a plus que seulement une absorption locale et un effet local.

[87] La demanderesse a accordé une grande importance au fait qu’à elle seule, la modification de fonctions organiques n’était pas suffisante et que le REIR exigeait qu’il y ait un lien plus large avec l’expression « de manière à maintenir ou promouvoir la santé ». Toutefois, la demanderesse n’a présenté aucune observation dans son mémoire des faits et du droit pour laisser entendre que le timbre n’était pas présenté pour être utilisé de manière à maintenir ou à promouvoir la santé. De plus, je ne suis pas convaincue qu’il incombait à Santé Canada d’examiner explicitement cette composante de la définition de « produit de santé naturelle » dans ses motifs, puisque cet aspect de la définition n’a jamais été une question réelle entre les parties. À cet égard, la brochure du produit présente clairement le timbre pour être utilisé afin d’aider le porteur à « obtenir des résultats supérieurs pour un style de vie supérieur » et comme faisant partie d’un système de produits qui « favorise une peau propre et saine ainsi qu’un mode de vie sain global ». Bien que la demanderesse ait affirmé pour la première fois dans ses observations orales que le « style de vie » ou le « mode de vie » ne peuvent être assimilés au maintien ou à la promotion de la santé, je ne suis pas convaincue que la demanderesse ait démontré que la conclusion contraire de Santé Canada était déraisonnable à la lumière de l’ensemble des présentations faites par la demanderesse.

[88] La demanderesse affirme que Santé Canada a commis d’autres erreurs en s’appuyant indûment sur des restrictions énoncées dans un document de référence administratif intitulé Classement des produits situés à la frontière entre les cosmétiques et les drogues [le document de référence]. Tout d’abord, la demanderesse affirme que la question de savoir si le timbre correspond ou non à la définition de « produit de santé naturelle » est une question distincte de celle de savoir s’il s’agit ou non d’un cosmétique. La demanderesse affirme que la mention du document de référence par Santé Canada donne à entendre qu’il a classé le timbre en tant que PSN du fait qu’il ne correspondait pas à la définition de « cosmétique », plutôt qu’en se fondant sur une analyse indépendante relativement à la question de savoir si le timbre correspondait à la définition législative de « produit de santé naturelle ».

[89] Je rejette cette affirmation. Il n’y a aucun motif permettant de laisser entendre que Santé Canada n’a pas effectué une analyse indépendante relativement à la question de savoir si le timbre correspondait à la définition de « produit de santé naturelle ». Au contraire, la lettre de décision définitive et la correspondance antérieure de Santé Canada démontrent clairement qu’une telle analyse a été effectuée. De plus, dans sa lettre de décision, Santé Canada n’a renvoyé au document de référence qu’après avoir déjà conclu que le timbre était un PSN. Une interprétation juste du renvoi de Santé Canada au document de référence veut qu’il fût d’avis que le document appuyait davantage sa décision, et non qu’il en constituait le fondement.

[90] La demanderesse affirme également que le document de référence semble ajouter une limite à la définition de « cosmétique » qui n’est pas comprise dans le libellé de la LAD. Un cosmétique est défini comme [traduction] « tout produit présenté comme embellissant, purifiant ou modifiant la peau ». La demanderesse affirme qu’il n’y a aucune limite législative quant à la façon dont cet embellissement, cette purification ou cette modification de la peau est réalisé, de sorte que l’exigence énoncée dans le document de référence selon laquelle un cosmétique doit « présenter une absence d’absorption percutanée et ne pas devoir être absorbé par voie systémique pour produire l’effet » réduit la portée de la définition législative de façon inadmissible.

[91] Bien que la demanderesse ait, tout au long de ses observations, tenté de combiner la question dont est saisie la Cour avec celle de savoir si le timbre devrait être dûment qualifié de cosmétique; la question dont est saisie la Cour est de savoir si la décision selon laquelle le timbre correspond à la définition de « produit de santé naturelle » est raisonnable. Comme il a déjà été mentionné, je ne considère pas que la décision définitive de Santé Canada selon laquelle le timbre est un PSN est fondée sur l’application du document de référence. À cet égard, je fais remarquer que le document de référence prévoit explicitement à la section 1.1 qu’il n’est pas destiné à aider à déterminer si une « drogue » est davantage subdivisée comme un PSN.

[92] Même si c’était inexact, je conviens avec le défendeur que la section 3.3 du document de référence précise que le produit doit présenter une absence d’absorption percutanée et ne pas devoir être absorbé par voie systémique pour produire l’effet. Cela est conforme à la définition de « produit de santé naturelle » et à la propre observation de la demanderesse devant la Cour selon laquelle [traduction] « le classement d’un produit topique en tant que PSN exige plus qu’une simple absorption; il requiert l’élément législatif particulier de la modification d’une fonction organique pour améliorer la santé ».

[93] Enfin, la demanderesse affirme que la délivrance d’une [traduction] « ordonnance de cessation de vente » par Santé Canada constitue une sanction déraisonnable et injustifiée. La demanderesse affirme que, comme la définition de « produit de santé naturelle » est fondée sur les présentations faites au sujet du produit, le classement approprié du produit n’est pas [traduction] « fixe », mais dépend plutôt de la présence continue des présentations permettant de qualifier le produit de PSN. À ce titre, la demanderesse affirme qu’il existe une autre solution claire à l’exigence selon laquelle la demanderesse cesse toutes les ventes de timbre, à savoir qu’il pourrait lui être ordonné de cesser de faire les présentations en cause. La demanderesse affirme que Santé Canada a indûment imposé une interdiction totale de vente du timbre, sans aucune justification pour cette [traduction] « sanction extrême ».

[94] La demanderesse affirme que, même si la Cour conclut que le classement du timbre en tant que PSN était raisonnable, elle devrait néanmoins conclure que la [traduction] « sanction » imposée est déraisonnable et que la demanderesse devrait avoir la possibilité de continuer à vendre le timbre, sans les présentations que Santé Canada juge problématiques.

[95] Je rejette cette affirmation. La caractérisation, par la demanderesse, de la décision définitive comme imposant une sanction est sans fondement. La demanderesse n’a pas reçu de sanction. La demanderesse a plutôt été informée que le timbre était correctement classé en tant que PSN et qu’une licence de mise en marché devait être obtenue, afin de continuer à vendre le timbre, comme le prescrit le paragraphe 4(1) du RPSN. Santé Canada a demandé à la demanderesse de cesser de vendre le produit et de mettre fin à toutes les activités assujetties à une licence et liées au timbre. Je conviens avec le défendeur que l’exigence de cesser de vendre le timbre sans une licence de mise en marché constituait un énoncé de la loi applicable, et non l’imposition d’une forme quelconque de sanction.

[96] Il n’y avait certainement rien qui empêchait la demanderesse de prendre des mesures pour obtenir une licence de mise en marché pour le timbre depuis qu’elle avait été avertie pour la première fois de la position de Santé Canada, selon laquelle le timbre était ou pourrait être un PSN, il y a plus de six ans. De plus, bien que la demanderesse puisse préférer avoir la possibilité de modifier ses documents promotionnels (encore une fois), en vue de supprimer toute présentation à l’appui d’un classement en tant que PSN, elle n’a invoqué aucune obligation légale ou autre, selon laquelle Santé Canada serait tenu de suspendre une décision concernant le classement ou de « négocier » efficacement avec la demanderesse pour arriver à un ensemble de présentations qui entraîneraient un nouveau classement du timbre en tant que cosmétique. Il incombe à la demanderesse de se conformer à la loi, et la décision définitive confirme simplement son obligation de le faire.

[97] Par conséquent, je rejette la demande de la demanderesse de lui donner la possibilité de poursuivre la vente du timbre en attendant que d’autres modifications soient apportées à ses documents promotionnels.

B. Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale

[98] La demanderesse affirme qu’elle avait droit à un degré accru d’équité procédurale, puisque [traduction] « [l’]ordonnance de cessation de vente » porte un grave préjudice à ses activités, étant donné que le timbre est un produit central au Canada et est au cœur de l’ensemble de ses activités. La demanderesse affirme que Santé Canada a manqué à ses obligations en matière d’équité procédurale accrue, en ce sens qu’il s’est appuyé sur des présentations de la demanderesse qui avaient été faites par inadvertance et qui ne l’étaient plus au moment où la décision définitive a été rendue. Plus précisément, la demanderesse a informé Santé Canada que la brochure du produit et le lien vidéo mentionnés dans la lettre du 5 août 2021 de Santé Canada avaient été inclus par erreur et par inadvertance sur le site Web canadien et qu’ils avaient été supprimés de ce site Web. À ce titre, les seules autres présentations étayant le classement du timbre en tant que PSN par Santé Canada ont été supprimées.

[99] En « maintenant avec fermeté » sa position antérieure, la demanderesse affirme que Santé Canada n’a pas tenu compte des observations et des éléments de preuve finaux de la demanderesse. Étant donné que Santé Canada a refusé de confirmer, lors du contre‑interrogatoire, s’il avait procédé à un réexamen de sa décision concernant le classement après avoir reçu les observations du 8 novembre 2021 de la demanderesse, et qu’il a refusé de produire des documents internes en raison du secret du délibéré, la demanderesse affirme que la Cour devrait tirer une inférence défavorable à l’encontre de Santé Canada et conclure qu’il a choisi de [traduction] « verrouiller » la conclusion à laquelle il était arrivé dans sa lettre du 5 août 2021, en sachant très bien que les circonstances avaient considérablement changé et que le fondement de la décision du 5 août 2021 concernant le classement n’existait plus.

[100] La demanderesse affirme que la décision définitive devrait être annulée, au motif que Santé Canada n’a pas suivi une procédure juste et équitable lorsqu’il a classé le timbre.

[101] Je ne suis pas convaincue que la demanderesse ait établi qu’il y a eu quelque manquement à l’équité procédurale. L’affirmation de la demanderesse selon laquelle Santé Canada a fondé sa décision sur des présentations faites par inadvertance et qu’il savait qu’elles n’étaient plus faites à la date de la décision n’est pas étayée par la preuve. Au contraire, je suis convaincue que la preuve démontre que Santé Canada a déterminé que, lorsqu’on observe, ensemble, l’image de la mannequin portant le timbre sur la partie supérieure de son bras ou sur son épaule (qui, selon Santé Canada, était un endroit peu susceptible de permettre d’obtenir une peau d’apparence plus jeune ou une amélioration de l’élasticité de la peau), le manque de directives claires quant à la zone d’application du timbre et l’absence de tout libellé indiquant que les avantages du produit présentés (rétablissement de la barrière d’hydratation de la peau, amélioration de l’élasticité de la peau, peau d’apparence ferme et tonifiée, et peau d’apparence visiblement plus jeune) sont limités à la zone d’application locale du timbre, cela sous‑entend une utilisation thérapeutique et systémique. Toutes ces présentations continuaient d’être faites par la demanderesse à la date à laquelle la décision définitive a été rendue. De plus, la demanderesse n’avait pas informé Santé Canada, à la date de la décision définitive, des efforts déployés pour géobloquer les Canadiens effectuant des recherches en ligne concernant le timbre, de sorte que l’accès aux présentations faites par la demanderesse au sujet du timbre aux États‑Unis demeurait une considération réelle dont devait tenir compte Santé Canada.

[102] En ce qui concerne la proposition de la demanderesse selon laquelle elle s’est vu refuser l’équité procédurale, car Santé Canada a indûment [traduction] « verrouillé » sa décision et n’a pas tenu compte de ses observations du 8 novembre 2021, je conclus que cette proposition est tout à fait hypothétique. Le simple fait que la décision définitive de Santé Canada était conforme à sa décision antérieure ne constitue pas un fondement suffisant pour conclure qu’il avait un esprit fermé.

[103] De plus, la preuve ne démontre pas un tel esprit aussi fermé de la part de Santé Canada. L’historique des interactions entre Santé Canada et la demanderesse révèle que Santé Canada a reçu de nombreux ensembles d’observations et d’éléments de preuve de la part de la demanderesse, ce qui a permis à celle‑ci d’avoir de multiples occasions de répondre pleinement aux préoccupations soulevées par Santé Canada. Lorsque la demanderesse a apporté des changements répétés et importants à ses présentations, Santé Canada en a tenu compte.

[104] Je refuse de tirer une inférence défavorable à l’encontre de Santé Canada, comme l’a proposé la demanderesse. Contrairement à l’affirmation de la demanderesse, la lettre de décision définitive et le courriel d’accompagnement mentionnent clairement que Santé Canada a examiné les renseignements dont il disposait en date du 26 novembre 2021 et que, bien que de nouveaux renseignements aient été fournis par la demanderesse concernant la suppression du PDF relatif au produit et de la vidéo problématiques, les préoccupations initiales concernant l’image et la zone d’application du timbre, telles que décrites ci‑dessus, étaient toujours en litige, tout comme la préoccupation de Santé Canada concernant les résultats de recherche sur le Web. Par conséquent, il y avait un fondement suffisant pour que Santé Canada « maintienne avec fermeté » son classement du timbre en tant que PSN, comme il l’avait déjà communiqué à la demanderesse. De plus, je fais remarquer que, nulle part dans la lettre de décision définitive, Santé Canada n’indique que sa décision était fondée sur le PDF relatif au produit et la vidéo problématiques.

VI. Les dépens

[105] Lors de l’audition de la demande, les parties ont indiqué qu’elles avaient convenu que, si le défendeur avait gain de cause et que la demande était rejetée, le défendeur recouvrirait ses frais afférents à la demande, les dépens étant fixés à 10 000,00 $.

[106] Par conséquent, le défendeur se verra adjuger les dépens de la présente demande, lesquels sont fixés à 10 000,00 $. Cette somme s’ajoute aux 2 500,00 $ que le défendeur peut recouvrer relativement à mon ordonnance du 31 janvier 2022 sur la requête présentée au titre de l’article 317 des Règles.

VII. Conclusion

[107] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée dans son intégralité, et le défendeur se verra adjuger les dépens de la demande, lesquels sont fixés à 10 000,00 $.


JUGEMENT dans le dossier T‑1802‑21

LA COUR STATUE que :

  1. L’intitulé est par la présente modifié de manière à supprimer le ministre de la Santé comme défendeur;

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  3. La demanderesse paiera au défendeur les dépens de la présente demande, lesquels sont fixés à 10 000 $, taxes et débours compris.

 

« Mandy Aylen »

 

Juge

Traduction certifiée conforme

[Christian Laroche], LL.B., juriste‑traducteur

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1802‑21

 

INTITULÉ :

LE‑VEL BRANDS, LLC c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 MARS 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

LA JUGE AYLEN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

LE 1ER AVRIL 2022

 

COMPARUTIONS :

Jay Zakaib

Alexander Camenzind

 

Pour la demanderesse

 

Shain Widdifield

Monisha Ambwani

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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