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Date : 20220323

Dossier : IMM‑1654‑20

Référence : 2022 CF 401

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 mars 2022

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE :

VINICIUS MOURA FERNANDES SILVA

DANIELE CUNHA BARBOSA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs contestent une décision datée du 23 janvier 2020 par laquelle un agent principal a rejeté la deuxième demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire qu’ils avaient présentée au titre de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] Les demandeurs sont des conjoints et des citoyens du Brésil. Ils ont de longs antécédents en matière d’immigration : ils sont entrés au Canada et en sont sortis, ont fait l’objet de mesures d’exclusion et ont été déboutés de leurs demandes de permis de travail, de visa de résident temporaire et d’examen des risques avant renvoi, ainsi que de leurs demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire.

[3] Le 12 septembre 2018, les demandeurs ont présenté une deuxième demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, dans laquelle ils demandaient à l’agent principal de tenir compte de leur établissement au Canada et des conditions défavorables au Brésil.

[4] Le 23 janvier 2020, l’agent principal a rejeté la deuxième demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire des demandeurs. L’agent principal a tenu compte des deux facteurs soulevés par les demandeurs, ainsi que de l’intérêt supérieur d’un enfant mineur âgé de 16 ans, qui était un ami proche de la famille et qui avait soumis une lettre à l’appui de leur demande (cet élément a été pris en compte même si les demandeurs n’avaient pas fait valoir que l’intérêt supérieur de cet enfant mineur constituait un facteur pertinent).

[5] Les demandeurs soutiennent que la décision de l’agent principal est déraisonnable, car il a commis une erreur lorsqu’il a apprécié leur degré d’établissement au pays et les difficultés auxquelles ils seraient confrontés s’ils devaient retourner au Brésil, et il n’a pas examiné leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire de façon globale.

Analyse

[6] Le paragraphe 25(1) de la LIPR confère au ministre le pouvoir discrétionnaire d’exempter les étrangers des exigences habituelles de la Loi et de leur accorder le statut de résident permanent au Canada, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire justifient une telle dispense. L’examen des considérations d’ordre humanitaire fondé sur le paragraphe 25(1) de la LIPR est global, ce qui signifie que toutes les considérations pertinentes doivent être soupesées cumulativement pour déterminer si la dispense est justifiée dans les circonstances. Une dispense est considérée comme justifiée si la situation est de nature à inciter une personne raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne [voir Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 aux para 13, 28; Caleb c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1018 au para 10].

[7] L’octroi d’une dispense pour considérations d’ordre humanitaire est une mesure de nature exceptionnelle et hautement discrétionnaire, qui « mérite donc une déférence considérable de la part de la Cour » [voir Qureshi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 335 au para 30]. Aucun « algorithme rigide » ne détermine l’issue d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire [voir Sivalingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1185 au para 7].

[8] La norme de contrôle applicable à la décision d’accorder ou non une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable [voir Kanthasamy, précité, au para 44]. Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit tenir compte du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous‑jacent à celle‑ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée [voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 15].

[9] Bien que les demandeurs aient affirmé que l’agent principal avait commis un certain nombre d’erreurs en analysant les considérations d’ordre humanitaire, je suis d’avis que l’erreur commise par l’agent principal lorsqu’il a apprécié les conditions défavorables au Brésil est suffisamment importante pour que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie.

[10] Les motifs sur lesquels l’agent principal s’est appuyé pour tirer sa conclusion à l’égard des conditions défavorables dans le pays sont circonscrits de la manière suivante :

[traduction]
Les demandeurs soutiennent qu’ils subiraient un préjudice en raison des conditions défavorables au Brésil, telles que la mauvaise conjoncture économique du pays et la discrimination fondée sur le genre dans les milieux de travail. À l’appui de ces prétentions, les demandeurs ont présenté des extraits de plusieurs rapports de recherche concernant les conditions au Brésil. De plus, les observations liées aux considérations d’ordre humanitaire des demandeurs indiquent qu’ils ont été incapables d’obtenir un emploi pendant les années où ils ont vécu au Brésil après être revenus du Canada. Par conséquent, je suis d’avis que les éléments dans les documents présentés par les demandeurs à l’appui de leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire démontrent que la mauvaise conjoncture économique est susceptible de nuire aux demandeurs s’ils doivent retourner au Brésil. Cependant, je souligne qu’il ne s’agit là que d’un des facteurs dont il faut tenir compte dans le cadre de la présente demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et qu’une décision relative à ce type de demande est fondée sur une appréciation de tous les facteurs à prendre en considération soulevés par les demandeurs.

[11] Lorsqu’il analyse les considérations d’ordre humanitaire, l’agent doit se demander s’il faut attribuer un poids positif, neutre ou négatif à chaque facteur soulevé par le demandeur. S’il décide d’accorder un poids positif ou négatif aux facteurs soulevés, l’agent doit aussi qualifier ce poids, ce qu’il fait souvent en précisant qu’un poids [traduction] « important », un « certain » poids ou « peu » de poids doit être accordé. L’agent doit ensuite procéder à un examen global, dans le cadre duquel toutes les considérations pertinentes doivent être soupesées cumulativement pour déterminer si une dispense est justifiée dans les circonstances.

[12] En l’espèce, les demandeurs avaient demandé qu’un [traduction] « poids important » soit accordé aux conditions défavorables au Brésil. L’agent principal a certes conclu que [traduction] « la mauvaise conjoncture économique est susceptible de nuire aux demandeurs s’ils doivent retourner au Brésil », mais il n’a pas analysé la façon dont les conditions défavorables au Brésil pourraient avoir une incidence sur les demandeurs et n’a par la suite pas déterminé le poids qu’il convenait d’accorder à ce facteur. En fait, un examen de l’ensemble des motifs révèle que l’agent n’a rien dit en ce qui a trait au poids qui, au bout du compte, a été accordé à ce facteur. En raison de cette lacune dans les motifs de l’agent principal, la Cour ne peut pas savoir si un examen global approprié a été effectué.

[13] Par conséquent, je conclus que la décision de l’agent principal n’est ni intelligible ni adéquatement justifiée. Il en résulte donc que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, la décision de l’agent principal doit être annulée, et l’affaire doit être renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

[14] Les parties n’ont pas proposé de question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1654‑20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

  2. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.

« Mandy Aylen »

Juge

Traduction certifiée conforme

Manon Pouliot


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1654‑20

INTITULÉ :

VINCIUS MOURA FERNANDES SILVA, DANIELE CUNHA BARBOSA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 MARS 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE AYLEN

DATE DES MOTIFS :

LE 23 MARS 2022

COMPARUTIONS :

Steven Tress

POUR LES DEMANDEURS

Meva Motwani

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Steven Tress

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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