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Date : 20211124

Dossier : IMM-5870-20

Référence : 2021 CF 1291

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 novembre 2021

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE :

YOSUANI VARGAS HERNANDEZ

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu


[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 30 septembre 2020 dans laquelle un commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SPR] a conclu que la demande d’asile présentée par la demanderesse en vertu de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi] était manifestement infondée au sens de l’article 107.1 de la Loi.

[2] Pour les motifs qui suivent, je suis convaincue que la décision de la SPR portant que la demanderesse avait présenté une demande d’asile manifestement infondée était raisonnable. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Contexte et décision contestée

[3] La demanderesse, Yosuani Vargas Hernandez, est une citoyenne du Mexique âgée de 32 ans.

[4] Le 21 septembre 2018, la demanderesse a fui le Mexique avec son compagnon. Ils sont arrivés au Canada le même jour.

[5] La demanderesse et son compagnon ont déposé chacun une demande d’asile le 9 octobre 2018. Conformément à la règle 55 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2021-256, leurs demandes ont été jointes parce qu’ils ont affirmé être des conjoints de fait [ci-après, la demande d’asile]. Dans la demande d’asile, la demanderesse en l’espèce est désignée comme étant la co-demandeure d’asile, et son compagnon, comme le demandeur d’asile principal [ci-après appelés collectivement les demandeurs].

[6] Les demandeurs ont sollicité l’asile au motif que le demandeur d’asile principal est né sans bras gauche, et ils affirment qu’en raison de cette incapacité physique, ils ont subi une discrimination persistante au Mexique dans toutes les sphères leur vie, y compris les soins de santé, l’emploi, l’éducation, le logement et l’accès aux services sociaux et publics. Les demandeurs soutiennent que cette discrimination, prise en compte dans son intégralité, équivaut à de la persécution. Ils allèguent qu’ils vivaient en union de fait, et que la demanderesse a été victime de discrimination en raison de sa relation avec le demandeur d’asile principal et du mauvais traitement systématiquement infligé aux femmes au Mexique.

[7] Les demandeurs ont présenté leurs allégations de manière plus détaillée dans leurs formulaires Fondement de la demande d’asile [FDA] et se sont appuyés sur un exposé circonstancié conjoint rédigé par le demandeur d’asile principal. Selon la preuve produite par les demandeurs, ils ont commencé à se fréquenter après leur rencontre à l’université en août 2015. Les renseignements sur leurs antécédents domiciliaires contenus dans leurs formulaires FDA respectifs indiquent qu’ils ont eu plusieurs lieux de résidence avant leur arrivée au Canada.

[8] La demande d’asile a été entendue le 28 février 2020. À l’audience, les demandeurs ont déclaré qu’ils avaient bel et bien vécu ensemble de mai à septembre 2018, soit juste avant qu’ils ne viennent au Canada, et que depuis leur arrivée au pays, ils avaient toujours partagé le même logement.

[9] Dans sa décision, la SPR a tiré les conclusions suivantes à l’égard du demandeur d’asile principal : a) son incapacité ne faisait aucun doute et la SPR était convaincue qu’il avait été victime discrimination grave au Mexique tout au long de sa vie; b) il avait pu bénéficier de soins de santé et de programmes sociaux, ainsi que d’une éducation primaire et secondaire complète; c) il avait été en mesure de travailler et avait pu recourir à des programmes d’emploi financés par le gouvernement; d) il n’avait pas subi de discrimination en matière de logement; e) il n’y avait pas eu absence de protection de l’État. La SPR a conclu que le demandeur d’asile principal n’avait pas souffert de discrimination atteignant le seuil de la persécution et qu’il n’avait par conséquent pas qualité de réfugié ni celle de personne à protéger.

[10] En ce qui concerne la demanderesse, la SPR a conclu que la preuve ne permettait pas d’établir qu’elle était la conjointe de fait du demandeur d’asile principal lorsqu’ils sont arrivés au Canada. La SPR a souligné que le terme « conjoint de fait » répondait à une définition aux termes de laquelle les personnes en cause doivent avoir vécu dans une relation conjugale pendant au moins un an. La SPR a fait remarquer que les renseignements sur les antécédents domiciliaires des demandeurs, qu’ils ont tous deux affirmé être complets, véridiques et exacts, indiquaient qu’ils avaient eu des adresses distinctes au Mexique jusqu’au moment de leur arrivée au Canada. Bien qu’ils aient déclaré à l’audience qu’ils avaient vécu ensemble pendant les quatre mois ayant précédé leur arrivée au Canada, la SPR a noté que les renseignements contenus dans leurs formulaires FDA respectifs ne reflétaient pas cette cohabitation. Quoique les demandeurs aient dit avoir toujours partagé le même logement depuis leur arrivée au Canada, la SPR a conclu qu’aux fins de leur demande d’asile conjointe, ils ne pouvaient pas être considérés comme liés par une relation familiale au moment de leur entrée au pays. La SPR n’a pas été convaincue que leur relation dépassait le stade de la simple fréquentation.

[11] Ayant conclu que les demandeurs n’étaient pas des conjoints de fait, la SPR a cherché à savoir si la demanderesse pouvait établir le bien-fondé de sa demande distincte à l’égard du Mexique. La SPR a constaté que : a) l’exposé circonstancié du demandeur d’asile principal n’abordait pratiquement pas la question de la persécution ni celle du risque de préjudices auxquels la demanderesse serait exposée au Mexique; b) à l’audience, la demanderesse a été interrogée au sujet du fondement de sa demande d’asile à l’égard du Mexique, et elle a répondu qu’il s’agissait de la discrimination subie par le demandeur d’asile principal. Elle a dit qu’il était douloureux pour elle de le voir souffrir. Elle a déclaré que, lorsqu’ils se promenaient ensemble dans la rue, les gens les regardaient fixement et lui demandaient ce qu’elle faisait avec lui; c) la demanderesse a affirmé qu’elle avait peur de retourner au Mexique parce que des organisations criminelles savaient qu’elle fréquentait le demandeur d’asile principal, mais elle a reconnu que cette allégation n’avait pas été mentionnée dans l’exposé circonstancié conjoint.

[12] La SPR a conclu qu’elle ne disposait d’aucun élément de preuve convaincant démontrant que la demanderesse avait subi de la persécution ou qu’elle était exposée à un risque de préjudice ou à une menace à sa vie. La SPR a jugé qu’en conséquence, sa demande d’asile était manifestement infondée.

III. Question en litige et norme de contrôle

[13] La seule question en litige consiste à savoir si la décision par laquelle la SPR a jugé manifestement infondée la demande d’asile de la demanderesse était raisonnable. Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable. [voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23-24; Nweke c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 242 au para 18].

[14] Afin de se prononcer sur le caractère raisonnable d’une décision, la Cour doit chercher à savoir si la décision est convenablement justifiée, transparente et intelligible. Pour satisfaire à ces exigences, la décision doit « être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et […] justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » [voir Vavilov, précité, aux para 85, 99].

IV. Analyse

[15] Une demande peut être jugée manifestement infondée en vertu de l’article 107.1 de la Loi lorsqu’elle est clairement frauduleuse. Dans la décision Warsame c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 596 aux para 30-31, le juge Roy énonce succinctement les conditions qui doivent être remplies pour qu’une demande puisse être considérée comme « clairement frauduleuse » :

[30] Pour qu’une demande d’asile soit dite frauduleuse, il faut que le demandeur ait déclaré qu’une situation est d’une certaine nature alors qu’en réalité elle ne l’est pas. Mais ce n’est pas n’importe quel mensonge ou rapport inexact qui revêt la demande d’asile d’un caractère frauduleux. Il faut pour cela que les déclarations malhonnêtes, les supercheries, les mensonges touchent à un aspect important de cette demande, de sorte à influer substantiellement sur la décision dont elle fera l’objet. À mon sens, une demande d’asile ne peut être dite frauduleuse si la malhonnêteté n’a pas d’effet substantiel sur la décision à laquelle elle donne lieu.

[31] Si le terme « frauduleuse » dénote la nécessité d’assertions inexactes ou de la dissimulation d’un fait important dans le but d’induire une autre personne à agir à son détriment, j’aurais tendance à penser que le terme « clairement » (clearly) concerne le degré de fermeté de la conclusion. Par exemple, le Black’s Law Dictionary, West Group, 7e éd., définit la [traduction] « norme de la décision manifestement (clearly) erronée » comme la norme suivant laquelle [traduction] « un jugement peut être infirmé si la cour d’appel a la ferme conviction qu’il est entaché d’une erreur ». De même, pour qu’une demande d’asile soit clairement frauduleuse, il faut à mon avis que le décideur ait la ferme conviction que l’intéressé cherche à obtenir l’asile par des moyens frauduleux, par exemple des mensonges ou une conduite malhonnête, qui influent sur le point de savoir si sa demande d’asile sera ou non accueillie. Les mensonges d’importance secondaire ou antérieurs à la présentation de la demande d’asile ne semblent pas remplir cette condition.

[Non souligné dans l’original.]

[16] Une simple conclusion défavorable en matière de crédibilité ne suffit pas à établir qu’une demande est manifestement infondée. C’est la demande en soi qui doit être frauduleuse [voir Yuan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2018 CF 755 au para 33].

[17] La demanderesse fait valoir qu’il était déraisonnable que la SPR juge sa demande d’asile manifestement infondée, car les préoccupations soulevées par la SPR à l’égard de sa demande d’asile ne remplissaient pas les conditions rigoureuses requises pour que celle‑ci soit considérée comme « clairement frauduleuse » et rejetée au motif qu’elle était manifestement infondée, et qu’en raison de cette conclusion, elle soit privée de la possibilité de porter appel la décision rendue par la SPR devant la Section d’appel des réfugiés. La demanderesse affirme que la SPR n’a pas été saisie d’une demande clairement frauduleuse, mais qu’elle a plutôt exprimé des réserves fondées sur la crédibilité de la demanderesse ou l’absence de preuves crédibles. Les doutes de la SPR concernant la nature de la relation entre les demandeurs n’indiquent pas nécessairement que la demanderesse avait une intention frauduleuse, trompeuse ou malhonnête lorsqu’elle a présenté sa demande d’asile. La demanderesse souligne que la SPR a justement reconnu qu’elle entretenait une relation amoureuse avec le demandeur d’asile principal, de sorte que l’allégation selon laquelle ils étaient des conjoints de fait contenait [traduction] « un fond de vérité », et donc que leur relation n’avait pas été invoquée à des fins frauduleuses ou malhonnêtes.

[18] La demanderesse affirme en outre que la SPR a commis une erreur en concluant qu’elle n’avait pas établi le bien-fondé de sa demande d’asile distincte à l’égard du Mexique. Elle fait valoir qu’étant donné que la raison pour laquelle la SPR a débouté le demandeur d’asile principal n’était pas que sa demande d’asile était manifestement infondée, il était raisonnable de présumer qu’elle avait également subi une certaine discrimination en raison de sa relation avec son compagnon. Selon la demanderesse, il était plausible qu’en raison de l’incapacité du demandeur d’asile principal, elle ait été victime de harcèlement et d’intimidation lorsqu’elle se trouvait avec lui dans des lieux publics, et que toute discrimination subie par le demandeur d’asile principal sur son lieu de travail ait eu une incidence sur propres moyens de subsistance. Il était également plausible qu’elle ait également été victime de la violence généralement exercée contre les femmes au Mexique.

[19] En résumé, la demanderesse affirme que la SPR n’a pas saisi la différence entre le rejet d’une demande jugée clairement frauduleuse et celui fondé sur des conclusions défavorables en matière de crédibilité.

[20] La demanderesse soutient en outre que la décision est déraisonnable, car la SPR n’a expliqué qu’en une seule phrase sa conclusion selon laquelle la demande était manifestement infondée, ce qui ne constitue pas des motifs suffisants.

[21] Je ne suis pas d’accord. L’article 1(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés DORS/2002-227 prévoit que l’expression « conjoint de fait » désigne une « [p]ersonne qui vit avec la personne en cause dans une relation conjugale depuis au moins un an ». La preuve manifeste et incontestée présentée à la SPR par les demandeurs eux-mêmes révèle qu’ils n’ont pas cohabité pendant un an avant d’arriver au Canada. Or, ils ont indiqué dans leurs demandes respectives qu’ils étaient des conjoints de fait. Pour reprendre les termes de la décision Warsame, la demanderesse a déclaré que sa relation avec le demandeur principal était d’une certaine nature alors qu’elle ne l’était pas. Cette fausse déclaration jouait un rôle important dans la demande d’asile présentée par la demanderesse, car elle lui permettait d’invoquer la persécution subie par le demandeur d’asile principal et sa qualité de personne à protéger. À défaut de pouvoir s’appuyer sur une union de fait, la demanderesse était tenue de démontrer qu’elle avait personnellement subi des persécutions et qu’elle devait être protégée.

[22] En ce qui concerne l’examen par la SPR de la demande d’asile distincte de la demanderesse, il était inacceptable de faire reposer celle-ci sur des présomptions ou des conjectures, lesquelles sont pourtant invoquées devant la Cour par la demanderesse pour étayer son affirmation selon laquelle la décision de la SPR était déraisonnable. Il incombait à la demanderesse de présenter à la SPR des preuves de la discrimination dont elle avait été victime et de sa qualité de personne à protéger, ce qu’elle n’a pas fait. Bien que la demanderesse ait déclaré à l’audience qu’elle devait être protégée contre des organisations criminelles, il s’agissait d’une nouvelle allégation imprécise et non corroborée, que la demanderesse n’avait présentée ni dans son formulaire FDA ni dans l’exposé circonstancié qui y était joint.

[23] Je tiens également à souligner qu’à l’audience, la demanderesse a affirmé que la Cour devait intégrer le concept de « relativisme culturel » dans son analyse de la nature du lien l’unissant au demandeur d’asile principal, faisant valoir que, compte tenu de leur culture, ils étaient susceptibles de se considérer comme des conjoints de fait. Cet argument n’a pas été soulevé dans le mémoire de la demanderesse et ne sera donc pas examiné par la Cour. Quoi qu’il en soit, je constate qu’aucune preuve n’indique que cette question a été soulevée devant la SPR ni que la SPR disposait d’éléments de preuve démontrant que la culture des demandeurs ait pu avoir une incidence sur leur fausse déclaration selon laquelle ils étaient des conjoints de fait.

[24] En outre, je rejette la prétention selon laquelle la SPR n’a pas fourni de motifs adéquats pour expliquer pourquoi elle a conclu que la demande d’asile distincte de la demanderesse était manifestement infondée. Les motifs doivent être lus dans leur ensemble et, après avoir examiné les diverses conclusions tirées la SPR dans leur intégralité, je suis d’avis que les motifs justifient adéquatement la décision de déclarer la demande manifestement infondée.

[25] La demanderesse affirme que la SPR n’a pas compris la différence entre le rejet d’une demande manifestement frauduleuse et celui fondé sur des conclusions défavorables en matière de crédibilité, mais les conclusions de la SPR selon lesquelles les demandeurs n’étaient pas des conjoints de fait et sa décision relative à la demande d’asile de la demanderesse étaient toutes deux fondées sur la preuve (ou l’absence de preuve) dont elle disposait, et non sur des conclusions défavorables quant crédibilité de la demanderesse.

[26] Étant donné que la demanderesse a fait une fausse déclaration déterminante concernant la nature de sa relation avec le demandeur d’asile principal, et qu’elle n’a présenté aucune preuve convaincante à l’appui de sa demande distincte d’asile, je suis convaincue que la décision par laquelle la SPR a jugé cette demande manifestement infondée était raisonnable. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[27] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5870-20

LA COUR STATUE que :

  1. la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification et l’affaire n’en soulève aucune.

« Mandy Aylen »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5870-20

INTITULÉ :

YOSUANI VARGAS HERNANDEZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

audience TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 novembre 2021

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE Aylen

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

le 24 novembre 2021

 

COMPARUTIONS :

Nilofar Ahmadi

POUR La DEMANDeresse

 

Stephen Jarvis

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

NK Lawyers

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR La DEMANDeresse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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