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Date : 20220329


Dossier : IMM-4440-21

Référence : 2022 CF 428

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 mars 2022

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

SHEDA BRIGITTE KATUMBUS

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse, Mme Katumbus, est une citoyenne de la République démocratique du Congo (RDC). Elle est arrivée au Canada en 2014 et a demandé l’asile. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté sa demande d’asile en 2015, et cette décision a été confirmée par la Section d’appel des réfugiés (la SAR) en 2016.

[2] En 2019, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. La demande a été rejetée le 14 janvier 2021 et, en mai 2021, la demanderesse a présenté une demande de réexamen de cette décision. Elle sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision rendue le 9 juin 2021 par laquelle l’agent principal a rejeté sa demande de réexamen (la décision relative au réexamen).

[3] Je suis d’avis que la décision relative au réexamen n’est pas raisonnable. En effet, l’agent est allé trop loin dans l’application de la première étape de l’analyse en matière de réexamen et a examiné, quoique brièvement, les nouveaux éléments de preuve et les nouvelles observations fournis par la demanderesse. Il a rouvert la décision, mais n’a pas justifié ses conclusions par des motifs répondant au cadre d’analyse établi dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov). Par conséquent, la présente demande de contrôle de la décision relative au réexamen sera accueillie.

I. La décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire

[4] Dans la décision défavorable qui a été rendue relativement à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, l’agent a examiné les facteurs soulevés par la demanderesse puis a accordé un poids modéré à chacun d’entre eux :

[traduction]

Intérêt supérieur de l’enfant : Les enfants en question sont les petits-enfants de la demanderesse. Cette dernière s’occupe des enfants pour sa fille. L’agent a reconnu que la demanderesse a tissé des liens avec ses petits-enfants, mais a jugé ce facteur non déterminant faute d’indications sur l’âge des enfants et leur nombre, le nombre d’heures que la demanderesse a passées à s’occuper d’eux et les moments marquants de leur relation.

Risque et conditions défavorables en RDC : L’agent a examiné les décisions par lesquelles la SPR et la SAR ont rejeté la demande d’asile de la demanderesse et a accordé beaucoup de poids à celles-ci. La demanderesse s’est appuyée sur les mêmes allégations de crainte et de persécution dans sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, mais cela n’a pas suffi à établir qu’elle était exposée à un risque en RDC. L’agent a également examiné la situation générale en RDC, notamment au regard de la sécurité et de la détention dans ses aéroports internationaux, de la violence systémique et de l’impunité des agents de l’État. Il a reconnu l’existence du moratoire du Canada sur les renvois en RDC, mais a indiqué qu’à lui seul, ce moratoire ne peut justifier une décision favorable relative aux considérations d’ordre humanitaire.

Établissement au Canada : L’agent a examiné les renseignements sur l’emploi à temps plein de la demanderesse au Canada depuis 2018 à titre d’opératrice de machine pour une entreprise de vêtements, ainsi que les lettres favorables jointes à sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Malgré l’affirmation de la demanderesse selon laquelle elle n’aurait aucun soutien familial en RDC, l’agent a relevé que la mère et la sœur de la demanderesse y résident et que la demanderesse n’a présenté aucune preuve expliquant pourquoi ces dernières seraient incapables de l’aider. L’agent a soupesé les défis potentiels de la demanderesse sur le marché du travail en RDC en regard de ses emplois antérieurs en RDC et au Canada, et de son âge (57 ans à l’époque).

[5] En résumé, l’agent a reconnu que la demanderesse entretenait des liens familiaux plus étroits au Canada, mais a affirmé qu’elle avait également de la famille en RDC et dans les régions voisines. De plus, il a souligné qu’une décision défavorable n’empêcherait pas la demanderesse de voir ses enfants puisqu’elle pourrait revenir au Canada en se faisant parrainer. L’agent a conclu que les facteurs favorables dans la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ne justifiaient pas l’octroi d’une dispense pour considérations d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

II. La décision relative au réexamen

[6] L’agent a examiné les nouveaux renseignements et éléments de preuve joints à la demande de réexamen présentée par la demanderesse ainsi que les allégations formulées par cette dernière relativement aux erreurs qui auraient été commises dans la décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[7] L’agent a d’abord relevé la preuve présentée par la demanderesse au sujet de ses petits-enfants et du rôle qu’elle occupe dans leur vie en renvoyant à une lettre écrite par la fille de cette dernière. Il a ensuite examiné brièvement le nouveau contrat de travail de la demanderesse – examen à l’issue duquel il a jugé que les modalités de ce dernier décrivant son salaire et son titre étaient comparables à celles de son emploi précédent – ainsi que les renseignements additionnels sur sa famille en RDC. Selon l’agent, tous les renseignements et les éléments de preuve joints à la demande de réexamen, à l’exception du contrat de travail actuel de la demanderesse, auraient pu être présentés avant que la décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire soit rendue. Ce facteur a joué en défaveur d’un réexamen.

[8] Enfin, l’agent a terminé son examen par une analyse des erreurs alléguées par la demanderesse dans la décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[9] L’agent a conclu que les renseignements fournis ne justifiaient pas le réexamen de la décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, et a confirmé le rejet de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaires présentée par la demanderesse.

III. Analyse

[10] La décision relative au réexamen est susceptible de contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable (Vavilov, aux para 10, 23; Hussein c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 44 au para 32 (Hussein)). Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit examiner les motifs donnés par le décideur et déterminer si la décision « est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et si elle « est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85).

[11] La jurisprudence confirme que les agents d’immigration ont la liberté d’exercer le pouvoir discrétionnaire de réexaminer leurs décisions à la lumière d’un nouvel élément de preuve ou d’une nouvelle observation (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Kurukkal, 2010 CAF 230 au para 5). Il s’agit d’une analyse en deux étapes : dans un premier temps, l’agent doit chercher à savoir s’il y a lieu de « rouvrir le dossier »; et dans un deuxième temps, s’il décide de permettre le réexamen, il procède à un examen réel de la décision sur le fond (Hussein, au para 55; A.B. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1206 au para 21 (A.B.)). Il incombe au demandeur de démontrer qu’un tel examen est justifié dans l’intérêt de la justice ou dans des circonstances exceptionnelles (Hussein, au para 57, citant Ghaddar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 727 au para 19).

[12] La question déterminante en l’espèce est celle de savoir si l’agent a rejeté la demande de réexamen à la première ou à la deuxième étape de l’analyse. Cette question est fondamentale dans le cadre du contrôle de la décision relative au réexamen par la Cour, car la portée de l’évaluation d’une demande de réexamen par l’agent et l’essence des motifs qu’il doit fournir au demandeur diffèrent à chaque étape. Dans l’éventualité où ni la demanderesse ni la Cour ne peuvent démontrer que, pour arriver à sa décision, l’agent a effectué l’examen limité requis à la première étape de l’analyse ou l’examen approfondi exigé à la deuxième étape de l’analyse, la décision ne satisfera pas aux exigences de transparence et d’intelligibilité nécessaires pour être jugée raisonnable.

[13] La demanderesse soutient que l’agent a clairement entrepris la deuxième étape de l’analyse, même s’il avait affirmé qu’il n’était pas justifié de réexaminer la décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Selon la demanderesse, l’agent a réexaminé tous les facteurs d’ordre humanitaire pertinents en regard des nouveaux renseignements, des nouveaux éléments de preuve et des nouvelles observations qu’elle a fournis, mais de manière superficielle et sans justifier adéquatement ses conclusions.

[14] De son côté, le défendeur soutient que la décision relative au réexamen n’expose que le refus par l’agent de réexaminer la demande après avoir procédé à la première étape de l’analyse. Selon lui, l’agent a examiné la situation de la demanderesse, ses nouveaux renseignements et ses observations relatives au réexamen; il a reconnu l’existence d’un pouvoir discrétionnaire de réexamen de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire; et il a justifié son refus. Le défendeur affirme que c’est tout ce que la loi exige.

[15] Les deux parties s’appuient sur le paragraphe 31 de la décision du juge Pentney dans l’affaire A.B. :

[31] Un agent devra inévitablement examiner les motifs avancés pour justifier la réouverture d’une décision, ce qui suppose de tenir compte dans une certaine mesure des observations du demandeur sur la question de savoir pourquoi il est dans l’intérêt de la justice ou nécessaire dans les circonstances de revoir la décision initiale. En l’espèce, l’analyse de l’agent porte exclusivement sur les motifs avancés par la demanderesse pour justifier le réexamen de la décision relative à l’ERAR. Il n’est pas fait mention de nouveaux éléments de preuve quant aux risques auxquels elle serait exposée, et c’est là l’indice le plus clair que l’agent n’est pas passé à la deuxième étape de l’analyse.

[16] En l’espèce, l’agent est sans équivoque : il refuse de réexaminer la décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et affirme que la décision initiale demeure inchangée. Toutefois, je dois apprécier, dans mon analyse, la décision relative au réexamen dans son ensemble.

[17] L’analyse de l’agent comporte deux aspects. Premièrement, l’agent a examiné les nouveaux éléments de preuve de la demanderesse, puis s’est penché sur ses observations à l’appui de sa demande de réexamen. C’est le premier aspect de la décision relative au réexamen qui pose problème parce qu’il laisse supposer que l’agent a évalué la preuve, alors que pareille évaluation doit plutôt être faite à la deuxième étape – c’est-à-dire au réexamen réel (Hussein, au para 57). Dans la décision A.B., l’un des motifs qui a amené le juge Pentney à conclure que l’agent n’avait pas pleinement réexaminé la décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire initiale est que ce dernier n’avait aucunement fait mention, dans sa décision, des nouveaux éléments de preuve présentés par la demanderesse. Il s’agissait de l’« indice le plus clair » que l’agent n’était pas passé à la deuxième étape de l’analyse (A.B., au para 31).

[18] La décision relative au réexamen diverge de celle soumise au contrôle dans la décision A.B. En l’espèce, l’agent a renvoyé aux nouveaux éléments de preuve de la demanderesse pour chacun des trois facteurs d’ordre humanitaire en jeu. Pour deux de ces facteurs, l’agent a brièvement analysé la nature et l’importance de la nouvelle preuve. À mon avis, la simple mention de nouveaux éléments de preuve dans une décision relative au réexamen n’indique pas nécessairement que l’agent se prononce sur la deuxième étape de l’analyse. Pareille mention ou description peut raisonnablement faire partie des motifs de l’agent visant à justifier son refus de rouvrir la décision. Par exemple, le fait que l’agent mentionne la lettre écrite par la fille de la demanderesse dans la décision relative au réexamen ne pose pas problème. Ce sont plutôt son examen des nouveaux éléments de preuve sur l’établissement de la demanderesse au Canada et la famille de cette dernière en RDC, ainsi que ses conclusions quant à l’incidence de cette preuve sur la décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire qui laissent entendre qu’il est passé à la deuxième étape.

[19] L’agent a jugé que le nouvel emploi de la demanderesse n’était pas un élément important parce que le titre et le salaire liés à son nouveau poste étaient comparables à ceux de son ancien poste. En ce qui concerne la famille de la demanderesse en RDC, bien que l’agent ait reconnu que la demanderesse avait fourni des détails supplémentaires, il a conclu que la nouvelle preuve fournissait peu de renseignements sur les représailles subies par sa mère, les conditions de vie de sa mère et de sa sœur, et la manière dont la demanderesse demeure en contact avec sa mère. L’agent a écarté cette preuve au motif qu’elle n’étayait pas les allégations formulées. Ce faisant, je suis d’avis qu’il a mentionné et analysé la nouvelle preuve et tiré des conclusions relativement à celle-ci. Or, cette analyse est réservée au réexamen de la décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire sur le fond et ne doit pas faire partie de l’étape initiale visant à établir s’il était justifié que l’agent exerce son pouvoir discrétionnaire de rouvrir une décision (Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1202 au para 14).

[20] Il fait peu de doute qu’à l’issue de l’examen prévu à la deuxième étape, la décision de réexamen n’est pas raisonnable. En toute justice, l’agent n’avait probablement pas l’intention de passer à la deuxième étape. Malheureusement, malgré avoir tenté de rester dans les limites de la première étape de l’analyse, l’agent a procédé à l’appréciation de la nouvelle preuve, ce qui a nui à la clarté et à l’intelligibilité de la décision relative au réexamen (Vavilov, au para 85). Je suis d’avis que la manière dont l’agent a pris en compte les nouveaux éléments de preuve empêche la demanderesse de bien comprendre les motifs qui justifient le rejet de sa demande de réexamen et que, pour cette raison, la Cour doit intervenir.

[21] Enfin, la demanderesse affirme que l’agent a commis une erreur en rejetant sa demande de réexamen au motif qu’elle aurait pu fournir tous ses nouveaux éléments de preuve, hormis son contrat de travail actuel, dans le cadre de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire initiale. Selon elle, l’agent devait examiner les autres facteurs énoncés dans les instructions et lignes directrices opérationnelles publiées par le ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté concernant le réexamen d’une décision défavorable relative à une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Je ne suis pas de cet avis. L’agent n’est pas tenu de se reporter à ces facteurs s’ils n’ont rien à voir avec la demande de réexamen faisant l’objet du contrôle. En l’espèce, la demanderesse n’a pas mentionné l’importance d’autres facteurs mentionnés dans ces documents, et le dossier n’indique rien en ce sens. Par conséquent, je conclus qu’il était loisible à l’agent de tenir compte du moment choisi par la demanderesse pour présenter ses nouveaux éléments de preuve, ce que l’agent a reconnu comme un fait non déterminant relativement à l’issue de la demande de réexamen.

[22] Pour les motifs qui précèdent, la demande est accueillie. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4440-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4440-21

 

INTITULÉ :

SHEDA BRIGITTE KATUMBUS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 MARS 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE :

LE 29 MARS 2022

 

COMPARUTIONS :

Richard Wazana

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Christopher Ezrin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wazana Law

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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