Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220316


Dossier : IMM-1378-20

Référence : 2022 CF 358

Ottawa (Ontario), le 16 mars 2022

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

LIN TIAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Le contexte et la décision sous-jacente

[1] Le demandeur, M. Lin Tian, est un citoyen de la République populaire de Chine qui demande le contrôle judiciaire d’une décision d’un agent d’immigration du consulat général du Canada à Hong Kong [agent], en date du 2 janvier 2020. M. Tian a déposé une demande de résidence permanente dans la catégorie de l’immigration économique à titre de travailleur autonome ayant une expérience pertinente dans des activités culturelles. Sa demande incluait son épouse, Mme Shan Gao, et leur fils comme personnes à charge.

[2] M. Tian évolue dans le domaine de la production cinématographique depuis plusieurs années. Il a obtenu en 2004 un diplôme en publicité de la Hebei Normal University ainsi qu’une maîtrise en design artistique de la Communication University of China à Pékin en 2007. Par la suite, de 2007 à 2016, il a occupé plusieurs emplois à l’Administration générale de la presse, de l’édition, de la radiodiffusion, du cinéma et de la télévision de Chine durant lesquels il s’est vu confier plusieurs tâches variées. Il a été responsable de la rédaction de la revue professionnelle nationale « Audio & Video Production »; il a pris part à l’étude et à la formulation de normes nationales pour l’industrie de la télévision et du cinéma; il a participé à l’organisation d’événements d’envergure liés à l’industrie; et il a pris part aux travaux d’approbation, d’évaluation et de production de documentaires à grande échelle préparés par une chaîne de télévision chinoise d’envergure internationale [CCTV] et visant à présenter la culture chinoise.

[3] En 2016, M. Tian a décidé de devenir producteur autonome. Il se spécialise dans les projets commerciaux culturels qui visent à présenter différents aspects culturels d’un pays ou d’une communauté à l’aide d’une plateforme multimédia. M. Tian a travaillé en coopération avec plusieurs compagnies, incluant CCTV et Alibaba, dont il affirme avoir utilisé les ressources, plus précisément les équipes de production et les réalisateurs professionnels. À titre de producteur autonome, M. Tian a été en mesure de percevoir un revenu important.

[4] M. Tian a soumis sa demande de résidence permanente en septembre 2018 dans le but de venir s’installer avec sa famille à Toronto. Le 1er mars 2019, le consulat général du Canada à Hong Kong a envoyé une lettre à M. Tian pour lui demander de fournir la documentation permettant d’établir son expérience utile acquise dans le domaine culturel ainsi que son intention et sa capacité à travailler à titre de travailleur autonome au Canada. En réponse à cette lettre, M. Tian a soumis plusieurs documents, incluant ses relevés de notes d’université, des copies de ses contrats avec des compagnies ayant retenu ses services, des photos de ses divers projets, des preuves des paiements qu’il a reçus pour son travail, ainsi qu’un plan d’affaires. Ce plan d’affaires prévoit trois composantes : [traduction] « (1) aider les marques culturelles et commerciales au Canada à créer des produits mieux ciblés pour en faire la promotion sur le marché chinois; (2) favoriser le développement de vidéos canadiennes en ligne grâce à [son] expérience dans la production de vidéos en ligne; (3) créer une banque de talents cinématographiques canadiens et apporter au Canada des projets de clients chinois pour les produire ». M. Tian a également affirmé avoir l’intention d’investir 100 000 $ pour la création de son propre studio de production à Toronto.

[5] À la fin du mois de mars, M. Tian a effectué une visite exploratoire à Toronto durant laquelle il affirme avoir rencontré différentes compagnies de production locales et des partenaires potentiels. À la suite de sa visite, M. Tian a soumis des lettres provenant de deux compagnies avec lesquelles il a tenu des rencontres lorsqu’il se trouvait à Toronto. Ces compagnies affirment dans leur lettre qu’elles projettent de coopérer avec M. Tian sur des projets cinématographiques commerciaux. M. Tian a également soumis une lettre de recommandation datée de septembre 2019 écrite par le fondateur de RUI PRODUCTIONS, une compagnie avec laquelle M. Tian a collaboré sur un certain nombre de projets.

[6] Le 13 novembre 2019, M. Tian a été convoqué à une entrevue au consulat général du Canada à Hong Kong, entrevue durant laquelle il a eu l’opportunité de répondre aux préoccupations émises par l’agent quant à sa demande de résidence permanente. À la fin de l’entrevue, l’agent a réitéré ses préoccupations à M. Tian :

[traduction]

Les renseignements que vous avez fournis dans votre demande et à votre entrevue laissent planer des doutes dans mon esprit, à savoir :

Pour la période de cinq ans précédant la date de votre demande de visa de résident permanent, soit depuis 2013/09/21, je suis persuadé que vous n’avez pas acquis une période de deux ans ou deux périodes d’un an d’expérience dans la participation à des activités culturelles à l’échelle internationale en tant que producteur en Chine.

Votre expérience à titre de travailleur autonome, depuis 2016, consistait en des projets commerciaux, et non des activités culturelles. Vous n’avez pas été en mesure d’établir que vous possédiez l’expérience requise aux termes de R88(1).

De plus, vous avez expliqué que vous utilisiez les ressources et les employés des entreprises, notamment Alibaba, qui collaboraient avec vous sur votre production. Vous avez présenté peu de recherches et de connaissances sérieuses pour mettre à exécution seul votre plan d’affaires en tant que travailleur autonome au Canada. En fait, vous prévoyez de vous fier à Alibaba, une entreprise chinoise, pour faire de vous un producteur en tant que travailleur autonome au Canada. Vous avez, pour le moment, des compétences linguistiques limitées qui ajoutent au doute que suscite votre capacité d’exercer un travail autonome au Canada et de contribuer de manière importante aux activités culturelles au Canada.

[7] Dans une lettre datée du 2 janvier 2022, l’agent a refusé la demande de résidence permanente de M. Tian [la décision de l’agent] parce qu’il ne répondait pas aux exigences établies par le paragraphe 88(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [Règlement]. Premièrement, l’agent a conclu que M. Tian n’avait pas démontré qu’il possédait une expérience utile dans des activités culturelles pour la période de cinq ans précédant immédiatement la date de la soumission de sa demande de résidence permanente, puisque son expérience en tant que producteur indépendant depuis 2016 relève plutôt de projets commerciaux. L’agent a également conclu que M. Tian n’avait pas démontré qu’il avait effectué des recherches sérieuses et qu’il présentait des connaissances suffisantes pour exécuter son plan de travail autonome au Canada puisque son plan relevait essentiellement du soutien de la compagnie chinoise Alibaba. L’agent a également considéré les capacités linguistiques limitées de M. Tian dans l’une des langues officielles du Canada.

[8] M. Tian soutient que l’agent a commis une erreur dans son analyse des critères provenant de la définition de « travailleur autonome » puisqu’il a démontré que ses projets, bien que de nature commerciale, présentait un caractère culturel. M. Tian soutient également que l’agent n’a pas tenu compte de la documentation qui lui a été présentée relativement à l’expérience utile que détient M. Tian en tant que producteur de films de haut niveau ainsi qu’à sa capacité de mettre son plan à exécution.

II. Régime législatif

[9] Une demande de résidence permanente à titre de travailleur autonome sera rejetée si le demandeur n’est pas un travailleur autonome au sens du paragraphe 88(1) du Règlement :

Exigences minimales

Minimal requirements

 

100(2) Si le demandeur au titre de la catégorie des travailleurs autonomes n’est pas un travailleur autonome au sens du paragraphe 88(1), l’agent met fin à l’examen de la demande et la rejette.

100(2) If a foreign national who applies as a member of the self-employed persons class is not a self-employed person within the meaning of subsection 88(1), the application shall be refused and no further assessment is required.

[10] La catégorie de « travailleur autonome » est définie au paragraphe 88(1) du Règlement :

travailleur autonome Étranger qui a l’expérience utile et qui a l’intention et est en mesure de créer son propre emploi au Canada et de contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada.

self-employed person means a foreign national who has relevant experience and has the intention and ability to be self-employed in Canada and to make a significant contribution to specified economic activities in Canada.

[11] Un étranger demandant la résidence permanente à titre de travailleur autonome doit donc démontrer qu’il détient une expérience utile. Ce qui constitue une expérience utile relativement à des activités culturelles est également défini au paragraphe 88(1) du Règlement :

expérience utile

relevant experience, in respect of

 

a) S’agissant d’un travailleur autonome autre qu’un travailleur autonome sélectionné par une province, s’entend de l’expérience d’une durée d’au moins deux ans au cours de la période commençant cinq ans avant la date où la demande de visa de résident permanent est faite et prenant fin à la date où il est statué sur celle-ci, composée :

 

(a) a self-employed person, other than a self-employed person selected by a province, means a minimum of two years of experience, during the period beginning five years before the date of application for a permanent resident visa and ending on the day a determination is made in respect of the application, consisting of

(i) relativement à des activités culturelles :

 

(i) in respect of cultural activities,

(A) soit de deux périodes d’un an d’expérience dans un travail autonome relatif à des activités culturelles,

 

(A) two one-year periods of experience in self-employment in cultural activities,

(B) soit de deux périodes d’un an d’expérience dans la participation à des activités culturelles à l’échelle internationale,

 

(B) two one-year periods of experience in participation at a world class level in cultural activities, or

(C) soit d’un an d’expérience au titre de la division (A) et d’un an d’expérience au titre de la division (B),

(C) a combination of a one-year period of experience described in clause (A) and a one-year period of experience described in clause (B),

 

[…]

III. Question en litige et norme de contrôle

[12] La présente demande de contrôle judiciaire soulève une seule question : la décision de l’agent est-elle raisonnable?

[13] La norme de contrôle applicable à la révision d’une décision portant sur une demande de résidence permanente est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16-17 [Vavilov]; Griscenko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 614 au para 10; Kim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1291 au para 18). La Cour doit donc déterminer si la décision de l’agent, en tenant compte de son résultat et de son raisonnement, est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov au para 15). Une décision sera considérée comme raisonnable si elle est fondée sur une analyse intrinsèquement rationnelle et cohérente (Vavilov au para 85).

IV. La décision de l’agent de rejeter la demande de résidence permanente de M. Tian n’est pas déraisonnable

[14] La définition de « travailleur autonome » au paragraphe 88(1) du Règlement crée trois critères cumulatifs pour qu’une demande de résidence permanente à titre de travailleur autonome soit acceptée : (1) l’étranger doit posséder une expérience utile; (2) l’étranger doit avoir l’intention et être en mesure de créer son propre emploi au Canada; et (3) cet emploi doit, selon toute probabilité, contribuer de manière importante à des activités économiques déterminées au Canada.

[15] M. Tian soutient que l’agent a adopté une analyse erronée des critères applicables aux étrangers demandant d’obtenir la résidence permanente à titre de travailleur autonome, puisqu’il considère avoir établi qu’il possédait une expérience utile en tant que producteur et qu’il avait l’intention et la capacité de travailler au Canada à titre de travailleur autonome.

A. L’expérience utile de M. Tian

[16] Afin de démontrer qu’il répond au premier critère de la définition de travailleur autonome, M. Tian a tenté d’établir qu’il possédait une expérience utile dans un travail autonome relatif à des activités culturelles en soumettant plusieurs documents faisant état de son expérience à titre de producteur.

[17] Dans sa décision, l’agent a conclu que l’expérience de M. Tian relevait de projets commerciaux plutôt que d’activités culturelles :

[traduction]

Votre expérience à titre de travailleur autonome depuis 2016 consistait en des projets commerciaux, et non des activités culturelles. Vous n’avez pas été en mesure d’établir que vous possédiez l’expérience requise aux termes de R88(1).

[18] Lors de l’entrevue, l’agent a soulevé la nature commerciale des projets de production de M. Tian et lui a demandé d’expliquer comment ses projets se qualifiaient à titre d’activités culturelles :

[traduction]

Q. Vos productions sont des projets commerciaux, veuillez expliquer en quoi vos productions commerciales se qualifient à titre d’activités culturelles.

R. Oui. J’ai fait de la publicité, et le travail comprenait aussi des activités culturelles. Par exemple, Tianma et Alibaba ont collaboré au plan international pour inclure des caractéristiques culturelles.

[19] Après que l’agent a réitéré à M. Tian ses préoccupations quant à la nature commerciale de ses projets, M. Tian a fourni à l’agent l’explication suivante :

[traduction]

Bien que mes projets soient commerciaux, le contexte est culturel. Mes productions touchaient à la culture africaine et à la culture japonaise, la promotion visait à sensibiliser et à attirer les touristes. Le projet concernant le café a eu lieu en 2018.

[20] M. Tian fait valoir que, bien que ses projets soient de nature commerciale, il n’en demeure pas moins que le contenu en lui-même est à caractère culturel. Il cite en exemple le projet qu’il a réalisé en collaboration avec Alibaba et TIMA qui portait sur la journée nationale du Japon en 2018 et qui visait à promouvoir la culture japonaise en Chine à travers une plateforme multimédia interactive. Il mentionne également ses projets intitulés « National business card of Mexico » et « South African Coffee Project ».

[21] Le paragraphe 88(1) du Règlement ne définit pas ce qui constitue une activité culturelle. Le Guide opérationnel OP 8 – Entrepreneurs et travailleurs autonomes, publié par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [Guide OP 8], offre des exemples non exhaustifs de ce qui peut constituer une activité culturelle (au para 11.3) :

Expérience de travail autonome dans des activités culturelles ou sportives. Cela couvre les personnes qui présentent une demande dans cette catégorie. Par exemple, les professeurs de musique, les peintres, les illustrateurs, les cinéastes et les journalistes à la pige. Au-delà de ces professionnels, la catégorie vise à couvrir les personnes qui travaillent dans l’ombre, par exemple, les chorégraphes, les décorateurs, les entraîneurs et les soigneurs.

L’expérience de gestion dans le monde des arts et de la culture peut également être une mesure viable de travail autonome; par exemple, les directeurs musicaux, les directeurs de production de théâtre et les agents.

[…]

L’aspect participation à des activités culturelles ou sportives à l’échelle internationale vise à couvrir les artistes du spectacle. Cela décrit les personnes qui jouent dans le monde des arts et dans le monde du sport. « à l’échelle internationale » vise les personnes reconnues dans le monde entier. Il s’agit aussi de personnes qui ne sont peut-être pas reconnues à l’échelle internationale, mais qui ont atteint les sommets de leur discipline.

[22] Je ne suis pas convaincu que l’agent s’est mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou qu’il n’a pas tenu compte de celle-ci (Vavilov au para 126). M. Tian reconnaît que ses projets sont de nature « publicitaire ou commerciale » et il décrit lui-même ses projets comme des « réalisations promotionnelles » ou des projets qui visent à « promouvoir » des aspects d’une certaine culture. Le fait que ces projets portent sur des aspects et des événements culturels ne fait pas disparaître le caractère essentiellement commercial de son expérience à titre de producteur. Comme M. Tian l’a affirmé en entrevue, l’objectif de ses projets était de promouvoir le tourisme. On est loin des exemples offerts dans le Guide OP 8. Une activité culturelle s’entend d’une activité qui est habituellement exercée dans le monde des arts (Ding c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 764 au para 10). À mon avis, il n’était pas déraisonnable pour l’agent de conclure que les projets de M. Tian ne constituaient pas des activités culturelles.

B. L’intention et la capacité de M. Tian de créer son propre emploi au Canada pour contribuer de manière importante à des activités culturelles du Canada

[23] En ce qui concerne les deux derniers critères de la définition de « travailleur autonome », l’agent a conclu que M. Tian n’avait pas démontré qu’il a la capacité de créer son propre emploi au Canada qui lui permettrait de contribuer de manière importante à des activités culturelles :

[traduction]

De plus, vous avez expliqué que vous utilisiez les ressources et les employés des entreprises, notamment Alibaba, qui collaboraient avec vous sur votre production. Vous avez présenté peu de recherches et de connaissances sérieuses pour mettre à exécution seul votre plan d’affaires en tant que travailleur autonome au Canada. En fait, vous prévoyez de vous fier à Alibaba, une entreprise chinoise, pour faire de vous un producteur en qualité de travailleur autonome au Canada. Vous avez, pour le moment, des compétences linguistiques limitées qui ajoutent au doute que suscite votre capacité d’exercer un travail autonome au Canada et de contribuer de manière importante aux activités culturelles au Canada.

[24] Tout d’abord, M. Tian soutient que son intention de créer son propre emploi est établie par le fait qu’il a déposé sa demande à titre de travailleur autonome et qu’il a effectué une visite exploratoire afin d’étudier le marché canadien. Cependant, je suis d’avis que l’intention de M. Tian n’a pas été remise en question par l’agent. J’évaluerai donc les conclusions de l’agent en ce qui concerne, premièrement, les ressources et les connaissances limitées de M. Tian et, deuxièmement, les capacités linguistiques de M. Tian.

(1) Les ressources et les connaissances limitées de M. Tian pour exécuter son plan

[25] M. Tian soutient que l’agent n’a pas tenu compte des critères établis dans le Guide OP 8 pour déterminer si un étranger aurait la capacité de créer son propre emploi au Canada. À son avis, l’extrait suivant du Guide OP 8 crée des lignes directrices sur lesquelles l’agent doit se fier pour évaluer la capacité d’une personne à s’établir au Canada :

L’actif financier d’une personne peut également être une mesure de l’intention et de la capacité de cette personne à s’établir au Canada. Il n’y a pas de niveau d’investissement minimum imposé aux travailleurs autonomes. Le capital requis dépend de la nature du travail. Les demandeurs doivent disposer de suffisamment de fonds pour se créer un emploi et pour subvenir à leurs propres besoins et à ceux des membres de leur famille. Ils doivent aussi prouver qu’ils ont pu subvenir à leurs propres besoins et à ceux de leur famille grâce à leur talent et qu’ils continueront probablement à le faire au Canada. Cela comprend la capacité de subvenir à ses besoins jusqu’à ce que l’emploi autonome ait été créé.

[Je souligne.]

[26] Selon M. Tian, si l’on se fie à ces lignes directrices, la capacité d’une personne à s’établir au Canada est démontrée si l’on prouve notamment (1) que la personne a les compétences pour exécuter son travail; (2) qu’elle a subvenu à ses besoins grâce à ce travail; et (3) qu’elle dispose d’assez de fonds pour créer son propre emploi et pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille jusqu’à ce que l’emploi autonome ait été créé. Il considère que la preuve documentaire qu’il a soumise est suffisante pour démontrer qu’il répond à ces critères.

[27] Je ne suis pas d’accord avec l’interprétation que M. Tian fait des lignes directrices énoncées dans le Guide OP 8. Celles-ci n’établissent pas un critère, mais indiquent tout simplement que l’actif financier « peut » également être une mesure de la capacité de cette personne à s’établir au Canada. Lors de l’entrevue, l’agent a considéré le fait que M. Tian prévoyait d’investir 100 000 $, mais c’est plutôt les explications de M. Tian quant à l’exécution même de son plan qui n’ont pas satisfait l’agent :

[traduction]

Le DP projette d’être un producteur au Canada et investira 100 000 $ CA.

[…]

Q. Pouvez-vous expliquer en détail comment vous mettrez votre plan à exécution, p. ex., les coûts d’établissement d’un studio, la concurrence, etc.? Par le passé, en tant que producteur en travail autonome, vous comptiez sur les ressources d’autres entreprises pour faire vos productions.

R. Lorsque j’étais à Toronto, en mars de cette année, je me suis renseigné sur le milieu local de la production. Je voudrais fonder mon studio à Mississauga : il y a beaucoup d’entreprises de production dans ce coin-là. Les coûts de location d’une maison ou les frais de bureau sont d’environ 3000 $ CA par mois. Il faudra acheter du matériel, notamment un ordinateur et une imprimante, embaucher un adjoint, qui ne travaillera pas à temps plein 10 jours par mois, surtout pour la traduction, à raison de 150 $ CA par jour. J’ai calculé mes coûts, et je prévois de faire des profits. J’ai 3 modèles de collaboration pour quand je serai au Canada, avoir un ou deux projets par mois, rapportant chacun entre 7000 et 8000 $ CA. Après déduction des dépenses (location, traduction, etc.) de mes revenus bruts de 130 000 $ CA par année en moyenne, mes revenus nets seront d’environ 70 000 $ CA par année.

Q. Vous ne m’avez toujours pas appris comment vous serez en mesure de monter votre entreprise au Canada, vu qu’elle sera une nouvelle venue contre la concurrence locale actuelle et que vous connaissez mal le marché local.

R. Au Canada, il existe de nombreuses entreprises de production exceptionnelles, et j’ai beaucoup d’expérience dans les réseaux de médias. Au Canada, le recours au nombre d’utilisateurs dans les réseaux est de plus en plus fréquent. En mars, j’ai rencontré beaucoup de gens, pour le plan du Jour du Canada (Projet Alibaba), j’ai rencontré des gens du domaine de la production du sirop d’érable et des vins de glace, la présentation de mon travail sur téléphone intelligent intéresse ces entreprises canadiennes. Le coût est bas et la livraison est rapide comparativement aux médias traditionnels.

[28] M. Tian n’a tout simplement pas démontré qu’il était en mesure de créer son propre emploi sans se fier à son client chinois Alibaba. En entrevue, il a affirmé qu’il projetait essentiellement de travailler avec Alibaba :

[traduction]

Q. Comment créerez-vous votre emploi autonome au Canada?

R. Je prévois de travailler en collaboration avec Alibaba, en Chine, et l’entreprise ouvrira un bureau au Canada. Elle fera la promotion de ses produits sur sa plateforme, au Canada. J’ai de l’expérience dans la collaboration avec Alibaba. Je continuerai de travailler avec elle. Aussi, quand je viendrai au Canada, j’établirai mon propre studio de travail, j’aimerais me joindre aux associations locales, comme la CTAP et la MPAT, pour les productions médiatiques canadiennes. Je pense que je pourrais obtenir du travail en me joignant à elles. En mars, lorsque j’étais à Toronto, j’ai fait la connaissance d’une personne d’une entreprise locale, « Magz » je prévois de faire des affaires en collaborant avec les entreprises et associations locales. En mars, j’ai aussi rencontré des gens d’autres entreprises, d’entreprises médiatiques et d’associations canadiennes de commerçants d’origine chinoise, ils étaient intéressés à travailler en collaboration avec moi, ils aiment mes angles de vue. J’aimerais offrir des services aux productions internationales, comme Alibaba; je prévois de terminer et de mettre en ligne une production en mars de l’année prochaine. J’aimerais aussi amener des équipes canadiennes en Chine et introduire les productions canadiennes sur le marché chinois.

[29] Le plan détaillé soumis par M. Tian est séparé en trois étapes : [traduction] « (1) aider les marques culturelles et commerciales au Canada à créer des produits mieux ciblés pour en faire la promotion sur le marché chinois; (2) favoriser le développement de vidéos canadiennes en ligne grâce à [son] expérience dans la production de vidéos en ligne; (3) créer une banque de talents cinématographiques canadiens et apporter au Canada des projets de clients chinois et les produire ». Le fait qu’il compte se fier à son partenaire chinois pour créer son propre emploi ne démontre pas qu’il a les moyens de mettre à exécution son plan au Canada. Pour établir qu’il est en mesure de créer son propre emploi, le demandeur doit démontrer, par une planification et des détails exhaustifs, qu’il possède les moyens de produire ses projets au Canada (Wei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 982 aux para 31-34 [Wei]). Je partage le raisonnement du juge Annis dans Wei :

[35] Par conséquent, il n’y a aucune raison de critiquer l’agente pour la partie de son explication qui exigeait des précisions de la part du demandeur sur la façon dont le projet allait se dérouler, puisque, de toute évidence, la réalisation d’un tel projet exige la participation de nombreuses autres personnes, comme démonstration raisonnable de la capacité de produire une série de films télévisés. Ses réponses étaient entièrement fondées sur le fait que d’autres personnes étaient responsables de la plus grande partie du travail, sans aucune indication utile, en réalité, sur la façon dont le projet allait se dérouler.

[…]

[37] La preuve est telle qu’il n’est même pas clair que la résidence permanente est nécessaire pour que le projet réussisse. La production précédente du film à Vancouver n’exigeait pas la résidence permanente du demandeur pour qu’il soit réalisé. La notion sous-jacente à un travailleur autonome en vertu du paragraphe 88(1) est que le statut de résident permanent est nécessaire au succès du projet, non pas que le projet puisse réussir autrement, mais que le demandeur devrait être récompensé par la résidence permanente si le projet aboutit. L’intention est que le demandeur soit un travailleur autonome au Canada dans le but de contribuer de manière importante à une activité économique déterminée.

[Souligné dans l’original.]

[30] À l’instar du demandeur dans Wei, M. Tian n’a pas été en mesure de donner des précisions sur la façon dont les projets allaient se dérouler ni de démontrer que ses projets allaient contribuer de manière importante aux activités culturelles du Canada, puisqu’il a toujours compté sur les ressources de ses clients chinois et il n’a pas démontré que tous les aspects de la production se feraient au Canada.

[31] Je ne peux accepter l’argument de M. Tian voulant que l’agent aurait dû lui poser des questions précises et fermées lors de l’entrevue afin d’obtenir le niveau de détails qu’il recherchait. Le fardeau incombe au demandeur d’établir qu’il est en mesure de créer son propre emploi au Canada (Lv c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 935 au para 22). De plus, l’agent a clairement indiqué à M. Tian qu’elles étaient ses préoccupations quant à sa demande.

(2) Les capacités linguistiques de M. Tian

[32] M. Tian soutient que, bien qu’il reconnaisse ses limites en anglais, il détient les capacités linguistiques nécessaires pour créer son propre emploi au Canada puisqu’il est en mesure de communiquer de manière simple en anglais par courriel et de lire des documents, comme il appert de ses résultats au test d’anglais national (« China’s College English Test CET 4 and CET 6 ») qu’il a effectué lorsqu’il était à l’université. Il ajoute que le fait qu’il ait retenu les services d’un interprète lors de l’entrevue avec l’agent ne peut pas être retenu contre lui au point d’être fatal à sa demande.

[33] Je suis d’accord avec le ministre que les capacités linguistiques d’un étranger demandant la résidence permanente à titre de travailleur autonome sont un facteur pertinent pour évaluer ses chances de réussite au Canada, comme l’a affirmé le juge Annis dans Wei :

[45] Enfin, on ne peut pas reprocher à l’agente d’avoir remarqué que le demandeur ne parlait ni l’une ni l’autre des langues officielles, surtout lorsqu’il s’agit d’un facteur dans l’évaluation globale du travailleur autonome. Le demandeur cherche à obtenir le statut de résident permanent dans un pays où il ne parle ni l’une ni l’autre des deux langues officielles et propose d’entreprendre un projet très complexe en même temps. Les compétences linguistiques sont toujours un facteur pertinent de réussite au Canada. C’est d’autant plus vrai pour les personnes qui souhaitent entrer au pays pour devenir des résidents permanents, où elles sont censées passer le reste de leur vie à contribuer au Canada, c’est-à-dire de façon permanente. La promesse du demandeur d’apprendre l’une des deux langues officielles seulement une fois qu’il deviendra résident permanent est l’une des indications les plus claires et aussi vides que le reste de sa demande de l’absence de toute preuve d’engagement envers le Canada. Le moment et l’endroit pour commencer à apprendre la langue se décident bien avant la présentation de la demande; ou il faut établir une quelconque preuve de réussite d’une formation intensive. La dernière chose qu’un demandeur devrait faire, c’est de critiquer l’agente pour avoir fait son travail en notant que les exigences n’avaient pas été respectées, lesquelles constituaient une considération pertinente justifiant le refus de la demande.

[Souligné dans l’original.]

[34] Les capacités linguistiques de M. Tian sont d’autant plus pertinentes puisqu’il allègue vouloir contribuer de manière considérable aux activités culturelles du Canada. Le paragraphe 11.4 du Guide OP 8 précise que la catégorie des travailleurs autonomes « a été créée afin d’enrichir la scène culturelle du Canada ». Le Guide OP 8 précise également que le facteur de contribution significative est relatif et que sa définition est laissée à la discrétion de l’agent qui est dans une meilleure position que la Cour pour déterminer les capacités linguistiques du demandeur (Shang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 341 au para 22). À mon avis, la conclusion de l’agent quant aux capacités linguistiques de M. Tian n’est pas déraisonnable. Mis à part un test d’anglais qu’il a effectué à l’université il y a plus de dix ans, M. Tian n’a pas démontré qu’il a effectué des démarches pour apprendre l’une des langues officielles du Canada avant de déposer sa demande.

V. Conclusion

[35] Considérant la preuve documentaire et les explications données par M. Tian lors de son entrevue avec l’agent, je suis d’avis qu’il n’était pas déraisonnable pour l’agent de conclure que les projets de M. Tian ne constituaient pas des activités culturelles et de constater qu’il n’avait pas démontré qu’il détenait les connaissances et moyens nécessaires pour créer son propre emploi au Canada. Je suis d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire .

 


JUGEMENT au dossier IMM-1378-20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Peter G. Pamel »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1378-20

 

INTITULÉ :

LIN TIAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 FÉVRIER 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 mars 2022

 

COMPARUTIONS :

Me Hugues Langlais

 

Pour le demandeur

Me Marc Gauthier

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet Me Hugues Langlais, Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.