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Date : 20220317

Dossier : IMM-4136-20

Référence : 2022 CF 363

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 17 mars 2022

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

NAVJOT SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, M. Navjot Singh, sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 17 août 2020 par la Section d’appel des réfugiés (la SAR), laquelle était accompagnée de motifs datés du 10 août 2020. La SAR a rejeté l’appel de la décision rendue le 7 août 2019 par la Section de la protection des réfugiés (la SPR). Les deux tribunaux ont conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée. À mon avis, la Cour n’a aucune raison de modifier les conclusions de fait qui ont amené la SAR à tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité qui étaient déterminantes.

I. Les faits à l’origine de la demande de contrôle judiciaire

[3] Le demandeur est un citoyen de l’Inde. Jusqu’en 2014, il a vécu dans un petit village près de la ville de Jalandhar, au Pendjab, en Inde.

[4] Le 3 novembre 2014, il a fui l’Inde. Après être passé par plusieurs pays, il est arrivé aux États-Unis le 18 avril 2015, où il a été détenu durant environ sept mois avant d’être libéré sous caution. Il a demandé l’asile aux États-Unis, mais il est parti pour le Canada avant que sa demande ait été tranchée.

[5] Le demandeur est arrivé au Canada le 1er janvier 2016. Le 17 février 2017, il a demandé l’asile en vertu de la LIPR.

[6] Le demandeur a affirmé que son père et lui étaient des disciples de saint Gurmeet Ram Rahim Singh (aussi appelé « RRS »). Il a prétendu que, pour cette raison, il risquait d’être persécuté par des membres du parti politique Shiromani Akali Dal Badal, qui s’opposait à sa foi. Il a expliqué qu’il craignait la police, les gouvernements en Inde et d’autres groupes.

[7] Le demandeur et son père ont pris part à des événements liés à RRS. Ils ont décidé d’organiser un événement à leur domicile le 31 mars 2014. Environ une semaine avant l’événement, ils ont été menacés de représailles s’ils allaient de l’avant avec la tenue de celui-ci. Ils ont fait fi des menaces. Cependant, le jour de l’événement, le domicile du demandeur a été attaqué et endommagé. Ses parents ont été battus et le demandeur a été menacé de mort. L’événement n’a pas eu lieu et le demandeur est resté chez des membres de la famille. Finalement, il a été décidé que le demandeur quitterait l’Inde, ce qu’il a fait le 3 novembre 2014.

[8] En août 2016, un dirigeant du mouvement de RRS, Jagdish Gagneja, a été assassiné. Le demandeur a prétendu que cet événement avait servi de prétexte à la police pour arrêter, détenir et torturer son père, qu’elle soupçonnait d’être impliqué dans le meurtre. Son père a été libéré après que la chef élue du village, appelée la sarpanch, eut versé un pot-de-vin. Le demandeur a affirmé que son père se cachait depuis sa libération.

[9] Le demandeur soutient qu’il craint pour sa vie s’il doit retourner en Inde.

[10] La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur. La question déterminante était la crédibilité du demandeur et de sa demande d’asile. La SPR a aussi jugé que le demandeur disposait de possibilités de refuge intérieur dans trois villes de l’Inde.

[11] Le demandeur a interjeté appel devant la SAR, laquelle a confirmé les conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité. En résumé, la SAR a souscrit aux conclusions de la SPR et à l’essentiel de son raisonnement. La SAR a conclu ce qui suit :

  • Le demandeur n’avait pas établi de façon crédible l’identité des agents de persécution. Son témoignage était à la fois vague et incohérent pour ce qui était de savoir exactement qui s’en prenait à lui et pourquoi ces personnes le prenaient pour cible, lui en particulier. La SAR a conclu qu’il s’agissait d’un « élément fondamental » de la demande d’asile du demandeur et d’une « conclusion défavorable quant à la crédibilité qui [était] déterminante ».

  • Le demandeur n’avait pas établi adéquatement le lien existant entre les présumés agents de persécution et le parti Badal ou Akali Dal.

  • Le demandeur n’avait pas établi de façon crédible que son père avait été arrêté relativement au meurtre de Gagneja ni que la police le cherchait dans ce contexte.

  • Le demandeur n’avait pas établi de façon crédible son lien avec RRS. La SAR a déclaré qu’il s’agissait d’un « élément fondamental de sa demande d’asile et d’une conclusion défavorable quant à la crédibilité qui [était] déterminante ».

  • Le comportement du demandeur, qui n’avait pas demandé l’asile à la première occasion, ne témoignait pas d’un risque de préjudice ou d’une crainte de persécution et appuyait les conclusions défavorables quant à la crédibilité.

[12] Le demandeur a demandé à la Cour d’annuler la décision de la SAR au motif qu’elle était déraisonnable. S’appuyant sur l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, il a fait valoir que la SAR n’avait pas tenu compte d’éléments de preuve importants lorsqu’elle avait tiré ses conclusions défavorables quant à la crédibilité, notamment des éléments contenus dans son propre témoignage et dans l’affidavit de la sarpanch, Mme Kaur.

II. La norme de contrôle applicable

A. La norme de contrôle énoncée dans l’arrêt Vavilov

[13] La norme de contrôle qui s’applique à la décision de la SAR est celle de la décision raisonnable, telle qu’elle est énoncée dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65. Il incombe au demandeur de démontrer le caractère déraisonnable de la décision : Vavilov, aux para 75 et 100.

[14] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit comporter une évaluation sensible et respectueuse, mais aussi rigoureuse, des décisions administratives : Vavilov, aux para 12-13. Les motifs du décideur, qui doivent être interprétés de façon globale et contextuelle et lus en corrélation avec le dossier dont celui-ci était saisi, sont le point de départ du contrôle : Vavilov, aux para 84, 91-96, 97 et 103; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 31.

[15] Le contrôle effectué par la Cour doit s’intéresser au raisonnement suivi et au résultat de la décision : Vavilov, aux para 83 et 86. Une décision raisonnable est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, en particulier aux para 85, 99, 101, 105-106 et 194; voir aussi Entertainment Software Association c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2020 CAF 100 aux para 24-35.

[16] Une des catégories de lacunes qui ont été relevées par la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 101, se présente dans le cas d’une décision indéfendable sous certains rapports compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision.

B. Le contrôle judiciaire des conclusions de faits tirées par un décideur administratif

[17] L’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales prévoit que la Cour peut prendre une mesure dans le cadre d’un contrôle judiciaire si elle est convaincue qu’un office fédéral, selon le cas, « a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose ». Cette disposition appelle un degré élevé de retenue à l’égard des conclusions de fait des décideurs administratifs : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339 au para 46.

[18] La Cour d’appel fédérale a confirmé que la Cour peut intervenir suivant l’alinéa 18.1(4)d) à l’égard d’une conclusion de fait tirée de façon « arbitraire » ou sans que la preuve ait été prise en compte s’il n’y avait aucune preuve pour soutenir rationnellement une conclusion ou si le décideur n’a pas du tout tenu compte raisonnablement de la preuve cruciale qui allait à l’encontre de ses conclusions : Canada (Procureur général) c Best Buy Canada Ltd, 2021 CAF 161, la juge Gleason (avec l’appui du juge LeBlanc), au para 123, citant Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), [1999] 1 CF 53 aux para 14‑17.

[19] Comme l’a souligné la juge Gleason dans l’arrêt Best Buy, l’analyse faite dans l’arrêt Vavilov s’apparente à l’approche adoptée par les Cours fédérales au titre de l’alinéa 18.1(4)d) : Best Buy, au para 122.

[20] La preuve versée au dossier et la trame factuelle peuvent constituer des contraintes quant au caractère raisonnable d’une décision : Vavilov, aux para 125-126; Société canadienne des postes, au para 61; Canada (Procureur général) c Honey Fashions Ltd, 2020 CAF 64 au para 30. Dans l’analyse faite dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a déclaré qu’une décision raisonnable en est une « qui se justifie au regard des faits ». En l’absence de « circonstances exceptionnelles », une cour de révision ne doit pas modifier les conclusions de fait du décideur et elle doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve. Une décision « peut être compromis[e]» si le décideur s’est « fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » : Vavilov, au para 126.

[21] Seuls certains éléments du contexte factuel et juridique constituent des contraintes qui ont une influence sur le décideur dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont délégués : Vavilov, au para 105. Normalement, la preuve accessoire ou sans importance n’aura pas d’influence sur le décideur, tandis que les éléments capitaux ou essentiels peuvent représenter une contrainte entraînant une certaine issue ou devant être traités dans les motifs du décideur. Selon les principes établis dans l’arrêt Vavilov, la cour de révision ne peut intervenir que si la décision est « indéfendable […] compte tenu des contraintes factuelles […] pertinentes » ou si le décideur s’est « fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte ». Encore là, comme l’a déclaré la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov, la décision « peut » être compromise si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte : voir Vavilov, aux para 101, 126 et 194.

III. Analyse

[22] Le demandeur a avancé quatre arguments principaux. Je les examinerai un à un.

A. Les agents de persécution

[23] La SAR a conclu que les éléments de preuve concernant les agents de persécution étaient incohérents. Elle a convenu avec la SPR que les éléments de preuve étaient vagues et généraux pour ce qui était de savoir qui exactement s’en prenait au demandeur et pourquoi ces personnes le prenaient pour cible, lui en particulier. Comme il a déjà été mentionné, la SAR a conclu qu’il s’agissait d’un « élément fondamental » de la demande d’asile du demandeur et d’une conclusion défavorable quant à la crédibilité qui était déterminante.

[24] Devant la Cour, le demandeur a soutenu que son témoignage était très clair en ce qui concernait l’identité des agents de persécution. Il a renvoyé à ses déclarations concernant le fait qu’il craignait le parti au pouvoir, connu sous le nom de Badal ou Akali Dal, et que la police représentait une menace pour sa sécurité. Il a aussi affirmé que les membres du parti Akali Dal étaient des Sikhs orthodoxes et qu’ils voulaient que les gens comme lui se rallient au Akali Dal plutôt qu’à RRS.

[25] À mon avis, rien ne justifie que la Cour modifie la conclusion de la SAR sur cette question. La SPR et la SAR devaient être convaincues que le demandeur avait identifié les agents de persécution de façon suffisamment précise : Ugbaja c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 835 au para 12. Sans un certain degré de précision, la SPR et la SAR risquent de ne pas être en mesure de déterminer la ou les sources éventuelles de risques pour un demandeur d’asile ni l’étendue de ces risques, et de ne pas pouvoir trancher d’autres questions connexes, comme celle de savoir s’il existe des possibilités de refuge intérieur dans le pays d’origine.

[26] Je ne suis pas convaincu que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle dans son examen de la preuve, qu’elle a évaluée elle-même. Dans un tableau figurant dans ses motifs, elle a comparé les éléments de preuve concernant les agents de persécution fournis par le demandeur lors de ses entrevues au point d’entrée, dans son formulaire Fondement de la demande d’asile, dans son exposé circonstancié modifié et lors de son témoignage à l’audience, de même que ceux fournis dans l’affidavit souscrit par la sarpanch. Elle a conclu que les agents de persécution étaient décrits « en termes très généraux, par exemple le gouvernement du Pendjab, les autres villageois, le groupe gouvernemental Badal, le parti au pouvoir au Pendjab, les sikhs convaincus, le gouvernement qui est Akali Dal (SAD), les sikhs orthodoxes, la police et les autres sikhs ». Au vu du dossier, il lui était loisible de dépeindre les éléments de preuve de cette façon et de conclure que l’identification des agents de persécution était vague.

[27] Le demandeur n’a pas expressément contesté la conclusion de la SAR selon laquelle les éléments de preuve sur lesquels il s’appuyait étaient incohérents. En réponse à une question posée à l’audience, il a soutenu que la façon dont la SAR avait dépeint les incohérences reflétait une vision rigide de la preuve et qu’il y avait plus de similarités que de différences entre les diverses descriptions faites des agents de persécution. De plus, il a souligné la clarté de son témoignage, comme il a déjà été mentionné.

[28] À mon avis, il était loisible à la SAR, compte tenu de la preuve dont elle disposait, de conclure que la preuve fournie par le demandeur révélait des incohérences dans les descriptions faites des nombreux agents de persécution dont il avait fait mention. Par ailleurs, comme le montre le tableau figurant dans les motifs de la SAR, le demandeur lui-même a fourni au moins deux motifs sous-jacents différents pour expliquer pourquoi certains des agents de persécution présumés les poursuivaient, son père et lui.

[29] Par conséquent, la SAR a conclu que la preuve était à la fois vague et incohérente. À mon avis, ses conclusions sur ces questions n’étaient pas indéfendables, et elle n’a pas fait abstraction de la preuve sur laquelle le demandeur s’est appuyé, elle ne l’a pas fondamentalement mal interprétée et elle n’a pas omis d’en tenir compte.

[30] Dans un argument connexe, le demandeur a soutenu que la SAR avait conclu à tort que son témoignage ne traitait pas suffisamment du lien allégué entre les agents de persécution et le parti Badal. Il a renvoyé à son témoignage lors duquel il avait identifié ceux qui s’en étaient pris à sa famille. Il avait déclaré qu’ils portaient [traduction] « des vêtements blancs, comme ceux des Akalis, et [qu’]ils avaient aussi des insignes ». Devant la Cour, il a fait valoir que le lien qu’il avait établi, lors de son témoignage, entre les vêtements portés par les agents de persécution et le parti Badal était suffisant. Il a soutenu que la SAR n’avait pas expliqué la raison pour laquelle elle n’avait pas jugé son témoignage crédible et qu’elle avait conclu à tort que son père, qui se cachait, aurait dû fournir une preuve pour corroborer l’identité des agresseurs. Il a ajouté que l’affidavit de la sarpanch corroborait son identification des agents de persécution.

[31] En réponse, le défendeur a soutenu que la SAR avait expressément examiné le témoignage du demandeur concernant les individus vêtus de blanc. Il a affirmé que la SAR n’était pas tenue d’admettre le témoignage du demandeur sans corroboration puisque son témoignage tenait du ouï-dire – le demandeur rapportait ce que lui avait dit son père au sujet des individus qui avaient pris part à l’attaque. Il a ajouté que la SAR avait raisonnablement conclu que l’affidavit de la sarpanch ne contenait aucune preuve corroborante et que le père du demandeur n’avait fourni aucun élément de preuve documentaire.

[32] Pour les motifs qui suivent, je souscris, pour l’essentiel, à la position du défendeur.

[33] Premièrement, la SAR a énoncé le passage pertinent du témoignage du demandeur dans ses motifs. Elle a convenu que la SPR n’avait pas fait référence à ce témoignage dans ses motifs. Elle a toutefois reconnu que le témoignage constituait un récit de l’attaque menée contre la famille du demandeur « qui [avait] eu lieu en son absence », que le demandeur relatait les renseignements que son père lui avait fournis, et qu’il n’avait pas été en mesure de répondre aux questions concernant les insignes. Il est manifeste que la SAR a reconnu que la preuve ne provenait pas d’un témoin qui disposait de renseignements de première main.

[34] Le demandeur était en droit de s’appuyer sur une telle preuve par ouï-dire et la SAR était autorisée à s’y fier (au titre des art 171a.2) et 171a.3) de la LIPR). Dans ses motifs, la SAR a souligné que les renseignements relatés pour identifier les agents de persécution n’étaient pas corroborés par l’affidavit de la sarpanch et que le père du demandeur n’avait rien fourni pour les corroborer. Comme la SPR n’avait pas expressément mentionné cette preuve, il était loisible à la SAR de souligner l’absence de preuve corroborante dans le cadre de son analyse : voir Senadheerage c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 968, [2020] 4 RCF 617 aux para 23 et suivants; Gao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1156 au para 33. J’ajoute que, bien qu’aucune des parties n’ait renvoyé à l’analyse juridique figurant aux paragraphes 23 à 36 de la décision Senadheerage, la SAR semble avoir satisfait aux exigences décrites dans cette décision.

[35] Deuxièmement, la SAR a examiné le contenu de l’affidavit de la sarpanch. Cet affidavit faisait état d’une attaque au domicile familial du demandeur, de coups et d’une menace de mort proférée à l’encontre de M. Singh. L’affidavit n’identifiait pas précisément les auteurs de l’attaque; il faisait mention [traduction] « d’autres Sikhs » qui étaient hostiles à l’égard des membres de la famille du demandeur et qui les harcelaient pour qu’ils cessent d’appuyer RRS. La conclusion de la SAR selon laquelle l’affidavit n’était pas corroboré ne constituait pas une erreur susceptible de contrôle.

[36] Troisièmement, la SAR a souligné l’absence de tout élément de preuve documentaire provenant du père du demandeur qui « aurait normalement dû être accessible ». Le demandeur a soutenu que cette conclusion était déraisonnable puisque son père se cachait après avoir été arrêté et torturé par la police, laquelle avait utilisé le meurtre de Gagneja comme prétexte pour le détenir. Il a fait valoir que la SAR n’avait pas expressément conclu que son père ne se cachait pas et qu’elle n’avait pas tiré de conclusion défavorable quant à la crédibilité sur cette question. Le défendeur a fait valoir qu’ailleurs dans ses motifs, la SAR avait conclu que l’allégation selon laquelle le père du demandeur avait été arrêté et détenu relativement au meurtre n’était pas crédible. Il découlait nécessairement de cette conclusion que le père n’avait aucune raison de se cacher, et la SAR a dû conclure qu’il ne se cachait donc pas. Pour cette raison, la SAR s’est raisonnablement appuyée sur l’absence de preuve documentaire de la part du père du demandeur quant à l’identité des auteurs de l’attaque.

[37] Je conviens avec le demandeur que la question n’est pas parfaitement claire dans les motifs de la SAR. Celle-ci a déclaré, ailleurs dans ses motifs, que certains événements « [n’étaient] pas raisonnablement expliqués par le fait que son père se cach[ait] de la police parce qu’il [était] accusé du meurtre de Gagneja, puisqu[‘elle avait] conclu que cette allégation n’était pas crédible ». Il est difficile de savoir, selon cette phrase, quelle allégation n’avait pas été jugée crédible.

[38] Toutefois, après avoir examiné les motifs de la SAR dans leur ensemble, je constate que celle-ci avait conclu, plus tôt dans ses motifs, que le demandeur « n’[avait] pas établi de façon crédible, selon la prépondérance des probabilités, que son père [avait] été arrêté relativement au meurtre de Gagneja ni que la police le cherchait dans ce contexte ».

[39] Après avoir examiné ces paragraphes ensemble, je conviens avec le défendeur que la SAR a dû conclure que, puisque l’allégation selon laquelle le père du demandeur avait été arrêté relativement au meurtre de Gagneja n’était pas crédible, il n’y avait aucune raison pour qu’il se cache. Il aurait donc pu fournir des éléments de preuve pour corroborer l’identification des agents de persécution faite par le demandeur. Dans les circonstances, les conclusions de la SAR sur ces questions n’étaient pas indéfendables et celle-ci n’a pas fondamentalement écarté des éléments de preuve au dossier.

[40] Par conséquent, je conclus que le demandeur n’a pas démontré que la SAR avait commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que l’identification des agents de persécution faite par le demandeur était vague et incohérente.


B. L’arrestation du père du demandeur

[41] Je viens d’aborder la plupart des observations formulées par le demandeur sous cette rubrique. Le demandeur a contesté la conclusion de la SAR selon laquelle il n’avait pas établi de façon crédible, selon la prépondérance des probabilités, que son père avait été arrêté relativement au meurtre de Gagneja ou que la police le cherchait dans ce contexte.

[42] Sur cette question, la SAR a conclu que le demandeur n’avait présenté aucun élément de preuve pour attester l’arrestation et la détention prétendues de son père parce qu’il était soupçonné du meurtre de Gagneja. La SAR a déclaré ce qui suit :

Aucun élément de preuve à l’appui provenant du père de l’appelant n’a été présenté et, même si l’affidavit [de la] sarpanch mentionne que la police a arrêté et torturé le père de l’appelant, il ne mentionne aucune date ni le meurtre de Gagneja, mais dit plutôt que [traduction] « la police les a faussement liés aux activistes ».

[43] Le demandeur a fait valoir qu’en fait, cette conclusion ne tenait pas compte des éléments de preuve contenus dans l’affidavit de la sarpanch qui corroboraient l’arrestation et la torture de son père. Le demandeur a ajouté que le degré de précision auquel s’attendait la SAR concernant cet affidavit était déraisonnable.

[44] Je ne suis pas d’accord. Les conclusions tirées par la SAR, y compris la déclaration citée ci-dessus, reflètent fidèlement le contenu de l’affidavit de la sarpanch. De plus, l’affidavit indiquait simplement que la police avait arrêté et torturé le père du demandeur une fois. Comme la SAR a pris soin de le préciser, l’affidavit ne reliait pas l’arrestation et la torture au meurtre de Gagneja. À mon avis, les conclusions de la SAR tenaient compte, de façon satisfaisante, des éléments de preuve contenus dans l’affidavit.

C. Le lien du demandeur avec RRS

[45] La SAR a convenu avec la SPR que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur n’avait pas établi son lien avec RRS de façon crédible. Une fois de plus, elle a conclu qu’il s’agissait d’une conclusion défavorable quant à la crédibilité qui était déterminante.

[46] Le demandeur a soutenu que la SAR avait tiré à tort cette conclusion défavorable quant à la crédibilité au motif qu’il connaissait peu RRS et que son père n’avait pas fourni d’affidavit corroborant leur association à RRS. Il a affirmé que la SPR lui avait posé très peu de questions pour vérifier ses connaissances au sujet de RRS et qu’elle s’était principalement enquise du nombre de ses adeptes au Pendjab. En réponse, le défendeur a fait valoir que la SAR n’avait pas conclu que le demandeur ne connaissait pas RRS. Il a précisé que la SAR avait simplement déclaré que le demandeur avait été interrogé par la SPR à ce sujet. Il a ajouté que la SAR avait rendu sa propre décision en se fondant sur le témoignage du demandeur et sur les documents versés au dossier.

[47] Je suis du même avis que le défendeur. Dans ses motifs, la SPR a fait expressément référence au témoignage du demandeur, à l’absence de toute mention de son association à RRS dans ses formulaires d’immigration et à l’absence de preuve documentaire établissant qu’il était lié à RRS, qu’il en était un adepte ou qu’il y croyait. En outre, la SAR a examiné un passage précis du témoignage du demandeur concernant le nombre d’adeptes de RRS au Pendjab, passage qu’elle a énoncé dans ses motifs, et immédiatement après, elle a examiné d’autres éléments de preuve portant sur le nombre d’adeptes de RRS et sur la nature de ses croyances. Le demandeur n’a indiqué aucune raison pour laquelle le traitement fait par la SAR de cette preuve était déraisonnable ou indéfendable selon le dossier dont elle disposait. Je conclus donc que le demandeur n’a pas démontré que la SAR avait commis une erreur susceptible de contrôle dans son appréciation de la preuve concernant son lien avec RRS.

D. Le défaut du demandeur de demander l’asile dans un autre pays

[48] Comme il est indiqué au début des présents motifs, après avoir fui l’Inde, le demandeur est passé par un certain nombre de pays avant de se rendre aux États-Unis. Plus précisément, il est passé par la Russie, le Brésil, la Colombie, le Guyana, le Panama et le Mexique avant d’arriver aux États-Unis. Il a demandé l’asile aux États-Unis, mais il est parti pour le Canada avant que les autorités américaines aient rendu une décision. Il a ensuite demandé l’asile au Canada, environ 13 mois après son arrivée.

[49] Dans une brève analyse, la SAR a convenu avec la SPR que le comportement du demandeur, qui n’avait pas demandé l’asile à la première occasion, ne témoignait pas d’un risque de préjudice ou d’une crainte de persécution et qu’il appuyait les conclusions défavorables quant à la crédibilité exposées ailleurs dans ses motifs.

[50] Le demandeur a fait valoir que la SAR ne s’était pas penchée sur sa situation particulière ni sur son explication quant à savoir la raison pour laquelle il n’avait pas présenté de demande d’asile ailleurs. Je suis d’accord. L’analyse de la SAR était superficielle et ne suffisait pas à prendre une décision appropriée. En outre, elle ne tenait pas compte de son explication quant à savoir la raison pour laquelle il n’avait pas présenté de demande plus tôt. Toutefois, il est manifeste que l’examen qu’a fait la SAR de cette question était en fait un motif supplémentaire à l’appui des conclusions défavorables quant à la crédibilité qu’elle avait déjà tirées et qui étaient déterminantes. Dans les circonstances, l’erreur commise par la SAR concernant cette question n’a pas entaché le reste de sa décision aux fins de la présente demande.

IV. Conclusion

[51] Par conséquent, je conclus que le demandeur n’a pas démontré que la SAR avait commis une erreur susceptible de contrôle en faisant abstraction d’éléments de preuve ou en tirant des conclusions de fait ou des conclusions quant à la crédibilité sans tenir compte des éléments versés au dossier. Les conclusions quant à la crédibilité tirées par la SAR n’étaient pas indéfendables, et la SAR n’a pas fondamentalement mal compris ou mal interprété la preuve dont elle disposait.

[52] La demande sera donc rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et aucune question n’est formulée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4136‑20

LA COUR STATUE :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée au titre de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

« Andrew D. Little »

Juge

Traduction certifiée conforme

Geneviève Bernier


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4136-20

 

INTITULÉ :

NAVJOT SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATON

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 octobre 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE A.D. LITTLE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 17 mars 2022

 

COMPARUTIONS :

David Orman

Pour le demandeur

 

Kevin Spykerman

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Orman

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Kevin Spykerman

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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