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Date : 20220323


Dossier : T-1304-21

Référence : 2022 CF 399

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 mars 2022

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE :

DARRYL W. WHITSTONE ET DELORES CHIEF

demandeurs

et

NATION CRIE D’ONION LAKE ET FLORENCE BLOIS

défenderesses

JUGEMENT ET MOTIFS

I. La nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du tribunal d’appel de la Nation crie d’Onion Lake [la NCOL] rendue le 12 août 2021. Le tribunal d’appel a accueilli l’appel interjeté par la défenderesse Florence Blois [Mme Blois] relativement à l’élection qui a eu lieu le 18 juin 2018 à la NCOL [l’élection de 2018] et a annulé l’élection au conseil de Darryl W. Whitstone et de Delores Chief [M. Whitstone, Mme Chief ou, collectivement, les demandeurs]. Les demandeurs ont été destitués et mis en congé le 25 août 2021. Ils sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du tribunal d’appel. Ils demandent à la Cour d’annuler la décision et de les rétablir dans leurs fonctions.

II. Les faits

[2] La NCOL est une Première Nation située au nord de Lloydminster, en Saskatchewan et en Alberta. Le conseil de la NCOL est composé d’un okimaw (chef) et de huit onikaniw (conseillers). Les demandeurs ont été élus à titre de conseillers le 18 juin 2018 pour un mandat de quatre ans.

[3] La NCOL est gouvernée par sa propre loi électorale coutumière appelée Wicekaskosiw Sakahikan Wryaskonitowin Wiyasiwewin ou loi électorale de la Nation crie d’Onion Lake [la loi électorale]. Le règlement sur les appels de la Nation crie d’Onion Lake [le règlement sur les appels] a été adopté en vertu de la loi électorale et établit les motifs d’appel en matière d’élections.

[4] Le tribunal d’appel est constitué en vertu du règlement sur les appels et est composé de cinq membres nommés par le chef et le conseil. En application de l’article 12.3 du règlement sur les appels et de l’article 18 de la loi électorale, le tribunal d’appel est habilité à instruire et à trancher les appels en matière d’élections et peut annuler l’élection d’un ou de plusieurs membres du conseil.

[5] Aux termes du règlement sur les appels, un candidat dispose de 14 jours à compter de la date de l’élection pour interjeter appel au tribunal d’appel. Aux termes de l’article 8 du règlement sur les appels, les observations présentées en appel doivent être déposées par écrit, sous la forme d’un affidavit, être signifiées à personne ou par courrier recommandé, comporter la signature de l’appelant et être accompagnées de frais non remboursables de 500 $.

[6] Après l’élection de 2018, Mme Blois a envoyé un courriel (non daté) au tribunal d’appel dans lequel elle formulait certaines allégations. Le 28 juin 2018, le tribunal d’appel lui a envoyé une lettre dans laquelle il lui a demandé de lui faire parvenir des renseignements et des documents supplémentaires à l’appui de son appel, ainsi que les frais requis de 500 $, et ce, au plus tard le 6 juillet 2018. Le 5 juillet 2018, Mme Blois a envoyé une lettre au tribunal d’appel dans laquelle elle énonçait les motifs de son appel.

[7] L’appel de Mme Blois n’a pas été déposé en bonne et due forme ni dans les délais prescrits. Néanmoins, dans une lettre datée du 9 juillet 2018, le tribunal d’appel a accepté, sans avis aux demandeurs ou intervention de leur part, les observations qu’elle avait présentées à l’appui de son appel, autorisant ainsi l’instruction de l’appel. Le tribunal d’appel n’a pas fourni les motifs de sa décision.

[8] Les deux demandeurs se sont opposés à la procédure d’appel étant donné que Mme Blois ne s’était pas conformée au règlement sur les appels et qu’ils n’avaient pas eu l’occasion de se faire entendre. À la demande des demandeurs, le tribunal d’appel a rouvert sa décision et a reçu les observations des demandeurs. Le 23 octobre 2018, l’avocat des demandeurs a présenté des observations au tribunal d’appel sur cette question préliminaire, soit la question de savoir si le tribunal d’appel était saisi régulièrement de l’appel de Mme Blois.

[9] Le 31 octobre 2018, le tribunal d’appel a rejeté les objections des demandeurs et a conclu qu’il s’agissait d’une question procédurale et non d’une question de fond, et qu’aucun préjudice n’avait été causé.

[10] Le 24 janvier 2019, le chef et le conseil de la NCOL ont censément dissous de façon unilatérale le tribunal d’appel avant la fin de l’instruction de l’appel. Mme Blois a demandé réparation contre la NCOL devant la Cour fédérale. Le 6 octobre 2020, la juge Strickland a tranché en faveur de Mme Blois, a ordonné la reconstitution du tribunal d’appel et lui a ordonné de terminer l’instruction de l’appel : Blois c Nation crie d’Onion Lake, 2020 CF 953 [Blois].

[11] L’instruction de l’appel a repris le 5 juillet 2021.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[12] Le 12 août 2021, le tribunal d’appel a accueilli l’appel de Mme Blois et a rendu l’ordonnance suivante :

[traduction]

[13] Le tribunal d’appel s’est penché sur l’allégation de Mme Blois selon laquelle M. Whitstone devait une somme de 7 000 $ à OLCN Housing, en contravention de l’alinéa 10.6c) de la loi électorale, qui dispose que les candidats ne doivent [traduction] « pas [avoir] d’obligations pécuniaires envers [la bande et] les sociétés qu’elle exploite ou qu’ils [doivent être] en règle avec elles sur le plan financier ». Le tribunal d’appel a conclu [traduction] « [qu’]aucune preuve suffisante n’a[vait] été présentée par [Mme Blois] pour prouver que [M. Whitstone] n’était pas éligible à l’élection du 18 juin 2018 ». Pour tirer cette conclusion, le tribunal d’appel s’est fondé entre autres sur une attestation, délivrée par des représentants de la bande, selon laquelle M. Whitstone n’avait pas d’obligations pécuniaires ou était en règle sur le plan financier.

[14] Le tribunal d’appel a examiné l’allégation de Mme Blois selon laquelle Mme Chief n’était pas, elle non plus, en règle sur le plan financier avec la bande, car elle s’était approprié une somme qui était destinée à un Aîné, qu’elle devait rembourser, mais [traduction] « l’argent lui [était] revenu, et Mme Chief a[vait] été congédiée et a[vait] obtenu un règlement ». Mme Blois a allégué que Mme Chief n’était pas éligible à l’élection de 2018 par application de l’alinéa 10.6c) de la loi électorale, qui dispose que les candidats ne doivent [traduction] « pas [avoir] d’obligations pécuniaires envers [la bande et] les sociétés qu’elle exploite ou qu’ils [doivent être] en règle avec elles sur le plan financier ». Mme Chief a produit une attestation semblable à celle de M. Whitstone, délivrée par des représentants de la bande, selon laquelle elle n’avait pas d’obligations pécuniaires ou était en règle sur le plan financier.

[15] Dans le cas de Mme Chief, un document provenant d’un cabinet d’experts-conseils, MNP LLP, a été déposé en preuve. Mme Chief n’a présenté aucune preuve en réponse.

[16] Le tribunal d’appel s’est exprimé ainsi :

[traduction]
32. Malheureusement, Mme Chief ne s’est pas présentée à l’audience ni à aucun autre moment depuis qu’on lui a communiqué les documents d’appel. Aucun élément de preuve n’a été déposé en son nom pour expliquer le document de MNP, lequel indiquait que des mesures d’enquête devaient être prises concernant la question des chèques de paye des Aînés. MNP a effectivement recommandé que l’on procède à un examen.

33. Le document de MNP soulève une question importante en ce qui concerne Mme Chief et les chèques délivrés aux Aînés, dont au moins un a été encaissé mais non remis à son destinataire. Il semble qu’il devait y avoir un examen plus approfondi relativement à d’autres chèques délivrés aux Aînés et à d’autres membres de la bande qui relevaient de Mme Chief.

34. Cela soulève une question importante, soit celle de savoir si Mme Chief a ou non une dette envers la bande en raison des chèques délivrés aux Aînés ou à des membres de la bande, comme il est décrit à la pièce B de l’affidavit de l’appelante daté du 18 décembre 2018.

35. Mme Chief n’a présenté aucun élément de preuve contraire. La seule preuve dont dispose le tribunal est donc celle de l’appelante, et cette preuve n’a pas été réfutée.

36. Le tribunal conclut que l’appelante a établi le bien-fondé de son appel contre Mme Chief.

[17] Le tribunal d’appel s’est également penché sur l’allégation de Mme Blois selon laquelle la conduite de M. Whitstone a contrevenu à la loi électorale et a influé sur le résultat de l’élection de 2018. En application de l’alinéa 5.1e) de la loi électorale, les candidats doivent mener une campagne [traduction] « éthique, axée sur les enjeux politiques et leur plateforme électorale, plutôt que de se livrer au libelle et à la diffamation ». Un article publié par CBC intitulé « Embassy Embarrassment » (Embarras à l’ambassade) a été déposé en preuve, et Mme Blois a déclaré qu’il avait été distribué aux électeurs au nom de M. Whitstone. Dans son article, l’auteur critique la conduite et les dépenses du conseil et des conseillers avant l’élection de 2018, alors que Mme Blois était membre du conseil.

[18] D’après le tribunal d’appel, Mme Blois a affirmé que l’article de CBC [traduction] « était inexact et a rendu ses collègues et elle perplexes ».

[19] Le tribunal d’appel a conclu que l’article de CBC était [traduction] « un article controversé qui blâm[ait] le chef et le conseil de la NCOL et les accusait de mauvaise gestion ». Le tribunal d’appel s’est exprimé ainsi :

[traduction]

43. Le tribunal conclut que M. Whitstone a contrevenu au code d’éthique prévu par la loi électorale en se servant de l’article de la CBC dans le cadre de sa campagne. M. Whitmore a soulevé et posé des questions qui étaient davantage axées sur les allégations de mauvaise gestion par l’ancien chef et l’ancien conseil de la NCOL que sur sa plateforme électorale. La seule raison plausible qui expliquerait pourquoi il s’est servi de l’article dans le cadre de sa campagne, c’est qu’il cherchait à faire des libelles ou de la diffamation contre le conseil sortant.

44. En outre, le tribunal conclut que les questions posées par M. Whitstone en lien avec l’article de la CBC pourraient avoir influé sur le résultat de l’élection, en décourageant les électeurs éventuels à voter pour les conseillers sortants, comme l’appelante, qui a perdu l’élection par un seul vote.

[20] Le tribunal d’appel a conclu que M. Whitstone avait [traduction] « commis une violation de la loi électorale qui pourrait avoir influé sur le résultat de l’élection de la NCOL tenue le 18 juin 2018 ».

[21] Le tribunal d’appel a traité d’autres allégations soulevées par Mme Blois, qu’il a jugées sans fondement. Le tribunal d’appel a également refusé de se prononcer sur certaines questions qui ne faisaient pas partie de ses allégations initiales.

[22] Au bout du compte, le tribunal d’appel a rendu l’ordonnance ci-après en application de l’article 18.5 de la loi électorale :

[traduction]

[23] Le 20 août 2021, les demandeurs ont présenté à la Cour une demande de contrôle judiciaire de la décision du tribunal d’appel. Ils demandent une ordonnance :

  1. accueillant la demande de contrôle judiciaire;

  2. annulant la décision du 12 août 2021 par laquelle le comité d’appel a autorisé l’instruction de l’appel de la défenderesse contre les demandeurs;

  3. déclarant que les demandeurs sont les conseillers dûment élus de la Nation crie d’Onion Lake depuis la date de leur destitution;

  4. déclarant que les demandeurs ont droit à tous les avantages et droits qui leur reviennent depuis la date de leur destitution;

  5. déclarant que le présent appel ne pourra pas faire l’objet d’un nouvel examen;

  6. accordant les dépens de la requête;

  7. accordant toute autre réparation que la Cour estime juste et appropriée.

[24] Le 12 novembre 2021, le juge Grammond a accueilli une requête présentée par les demandeurs en vue d’obtenir la suspension provisoire de l’ordonnance du tribunal d’appel. Le juge Grammond a accueilli la requête en partie :

[traduction]

  1. La requête en suspension de l’ordonnance du tribunal d’appel de la Nation crie d’Onion Lake rendue le 12 août 2021 est accueille en partie.

  2. Jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue à l’égard de la demande de contrôle judiciaire, personne ne doit occuper les postes de conseiller de la Nation crie d’Onion Lake des demandeurs et aucune élection partielle ne doit être tenue à cette fin.

  3. La demande de contrôle judiciaire est accélérée.

  4. Aucuns dépens ne sont adjugés.

IV. Les questions en litige

[25] Selon les demandeurs, les questions en litige sont les suivantes :

  • a) Est-ce que le tribunal d’appel a commis une erreur en autorisant l’instruction de l’appel?

  • b) Est-ce que le tribunal d’appel a conclu de façon déraisonnable que la défenderesse avait présenté une preuve suffisante pour conclure que les demandeurs avaient contrevenu au règlement sur les appels?

[26] Selon la NCOL, la question en litige est la suivante :

  • a) Le tribunal d’appel a-t-il compétence pour accepter, instruire et trancher l’appel de Mme Blois, malgré le fait que celle-ci n’a pas respecté les exigences obligatoires énoncées à l’article 8 du règlement sur les appels?

[27] Selon Mme Blois, les questions sont les suivantes :

  • a) Question préliminaire – Exclusion de certains paragraphes de l’affidavit de Darryl Whitstone

  • b) Question préliminaire – Caractère irrégulier des observations de la Nation crie d’Onion Lake

  • c) La norme de contrôle

  • d) Est-ce que le tribunal d’appel a commis une erreur en autorisant l’instruction de l’appel?

  • e) Est-ce que le tribunal d’appel a conclu de façon déraisonnable que la défenderesse avait présenté une preuve suffisante pour conclure que les demandeurs avaient contrevenu au règlement sur les appels?

[28] J’examinerai les questions suivantes :

V. La norme de contrôle

[29] Les parties font valoir que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, et je suis d’accord, quoique j’évaluerai également la possibilité d’autoriser l’appel pour des motifs d’équité procédurale.

A. La retenue qu’appellent les décisions d’organismes autochtones

[30] Dans l’arrêt Porter c Boucher-Chicago, 2021 CAF 102 [Porter], rendu par la Cour d’appel fédérale, le juge de Montigny a fourni des lignes directrices concernant le degré de retenue qu’il convient d’accorder aux décisions d’organismes autochtones :

[27] La déférence est particulièrement à propos lorsque la Cour fédérale revoit des décisions rendues par des instances d’appel saisies de questions liées aux élections des Premières Nations, surtout si ces décisions portent sur l’interprétation d’un code électoral. Comme l’a déclaré notre Cour dans de nombreux arrêts, l’interprétation d’un code électoral doit être corroborée par les coutumes sur lesquelles ce code est fondé, ainsi que sur une compréhension générale au sein de la collectivité quant aux raisons pour lesquelles le code peut s’écarter à certains égards de ces coutumes : voir les arrêts D’Or c. St. Germain, 2014 CAF 28, 459 N.R. 197, par. 5 à 7; Première nation de Fort McKay c. Orr, 2012 CAF 269, 438 N.R. 379, par. 8 à 12; Johnson c. Tait, 2015 CAF 247, par. 28; Lavallee c. Ferguson, 2016 CAF 11, par. 19; Premières Nations de Cold Lake c. Noel, 2018 CAF 72, 2018 CarswellNat 1425, par. 24. Voir également l’excellente analyse de cette question par le juge Grammond dans la décision Pastion c. Première nation Dene Tha’, 2018 CF 648, [2018] 4 R.C.F. 467, par. 16 à 29.

[31] Récemment, dans la décision Gladue c Nation crie de Beaver Lake, 2021 CF 909 [Gladue], le juge Favel a affirmé ce qui suit :

[22] Toutefois, les tribunaux doivent faire preuve de retenue à l’égard des décisions des décideurs administratifs (S.C.F.P. c Société des Alcools du N.‑B., [1979] 2 RCS 227). Ce raisonnement s’applique également, sinon avec plus de rigueur, lorsque les tribunaux examinent des décisions d’organismes autochtones et procèdent à l’interprétation des dispositions d’un code électoral (Première nation de Fort McKay c Orr, 2012 CAF 269 aux para 8‑12; Lavallee c Ferguson, 2016 CAF 11 au para 19; Premières Nations de Cold Lake c. Noel, 2018 CAF 72 aux para 20, 24).

[32] Dans la décision Pastion c Première nation Dene Tha’, 2018 CF 648 [Pastion], le juge Grammond a résumé de la façon suivante l’état du droit en ce qui a trait à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones et à la retenue qu’il convient d’accorder aux décideurs autochtones :

[22] La catégorie « expertise » comprend de nombreuses formes de connaissances. Les décideurs autochtones sont de toute évidence mieux placés que les tribunaux non autochtones pour comprendre les traditions juridiques autochtones. Ils sont particulièrement bien placés pour comprendre les objectifs des lois autochtones. Ils sont également sensibles à l’expérience autochtone en général et à la situation de la nation ou de la communauté précise touchée par la décision. Ils peuvent être en mesure de prendre connaissance d’office de faits qui sont évidents et indiscutables pour les membres de cette communauté ou nation en particulier, et que notre Cour pourrait ne pas connaître. En fait, les Autochtones considèrent souvent qu’une personne est la mieux placée pour rendre une décision si elle a une connaissance étroite de la situation en cause (voir Lorne Sossin, « Indigenous Self-Government and the Future of Administrative Law » (2012) 45 UBC L Rev 595, aux pages 605 à 607). Notre Cour a reconnu que certaines de ces raisons militent en faveur d’un plus grand degré de déférence à l’égard des décideurs autochtones (Giroux c Première Nation de Swan River, 2006 CF 285, aux paragraphes 54 et 55; Shotclose c Première Nation Stoney, 2011 CF 750, au paragraphe 58; Beardy c Beardy, 2016 CF 383, au paragraphe 43). Par exemple, dans une décision très récente, le juge Phelan a souligné ce qui suit :

Comme les décisions font appel aux connaissances et à l’expertise que possède la commission d’appel sur les normes et pratiques de la communauté, et qu’il s’agit d’une décision interne portant sur les lois électorales d’une communauté, il convient, eu égard au respect que l’on doit aux peuples autochtones en ce qui a trait à la gouvernance de leurs affaires internes, de faire preuve d’une grande retenue à l’égard de la décision de la commission, tout en s’assurant qu’elle appartient aux issues raisonnables possibles.

(Commanda c Première Nation des Algonquins de Pikwakanagan, 2018 CF 616, au paragraphe 19)

[23] L’idée que le législateur souhaite que l’on fasse preuve de déférence à l’égard des décideurs administratifs a une résonance particulière dans le contexte autochtone. Depuis au moins trois décennies, le gouvernement fédéral a pour politique de reconnaître l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones (voir, par exemple, le Guide de la politique fédérale sur l’autonomie gouvernementale, gouvernement du Canada, 1995). La promulgation de lois électorales autochtones, comme le Règlement électoral dont il est question en l’espèce, constitue un exercice d’autonomie gouvernementale. Or, la mise en application des lois est une composante de l’autonomie gouvernementale. Il est souhaitable que les lois soient appliquées par les gens qui les font. Par conséquent, lorsque des lois autochtones accordent une compétence à un décideur autochtone, faire preuve de déférence à son égard découle du principe d’autonomie gouvernementale.

B. Les principes d’équité procédurale

[33] Les questions d’équité procédurale sont assujetties au contrôle selon la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43, juge Binnie. Cela dit, je souligne qu’au paragraphe 69 de l’arrêt Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160, le juge Stratas a affirmé, au nom de la Cour d’appel fédérale, qu’il peut être nécessaire de procéder selon la norme de la décision correcte « “en se montrant respectueux [des] choix [du] décideur” et en faisant preuve d’un “degré de retenue” : Ré:Sonne c. Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, 455 N.R. 87, au paragraphe 42 ». Voir toutefois Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, juge Rennie. À cet égard, je souligne également que la Cour d’appel fédérale a conclu, dans un arrêt récent, que le contrôle judiciaire des questions d’équité procédurale était assujetti à la norme de la décision correcte : voir Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196, juge de Montigny (avec l’accord des juges Near et LeBlanc) :

[35] Ni l’arrêt Vavilov ni, à ce sujet, l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, n’ont abordé la question de la norme applicable pour déterminer si le décideur a respecté l’obligation d’équité procédurale. Dans ces circonstances, je préfère m’en remettre à l’abondante jurisprudence, de la Cour suprême et de notre Cour, selon laquelle la norme de contrôle concernant l’équité procédurale demeure celle de la décision correcte[.]

[34] Selon ma compréhension, le paragraphe 23 de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], établit également que la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte :

[23] Lorsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond (c.-à-d. le contrôle judiciaire d’une mesure administrative qui ne comporte pas d’examen d’un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale), la norme de contrôle qu’elle applique doit refléter l’intention du législateur sur le rôle de la cour de révision, sauf dans les cas où la primauté du droit empêche de donner effet à cette intention. L’analyse a donc comme point de départ une présomption selon laquelle le législateur a voulu que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable.

[Non souligné dans l’original.]

[35] Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 50, la Cour suprême du Canada a expliqué ce qui est exigé de la cour de révision lorsqu’elle applique la norme de la décision correcte :

[50] […] La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

C. La norme de la décision raisonnable

[36] Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, que la Cour suprême du Canada a rendu en même temps que l’arrêt Vavilov, les juges majoritaires, sous la plume du juge Rowe, ont expliqué les attributs que doit présenter une décision raisonnable et les exigences imposées à la cour de révision qui contrôle une décision selon la norme de la décision raisonnable :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « … ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] […] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100).

[Non souligné dans l’original.]

[37] Au paragraphe 86 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a fait remarquer « [qu’]il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur doit également, au moyen de ceux-ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique ». Elle a également indiqué que la cour de révision doit arriver à une décision sur le fondement du dossier porté devant elle :

[126] Cela dit, une décision raisonnable en est une qui se justifie au regard des faits : Dunsmuir, par. 47. Le décideur doit prendre en considération la preuve versée au dossier et la trame factuelle générale qui a une incidence sur sa décision et celle-ci doit être raisonnable au regard de ces éléments : voir Southam, par. 56. Le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte. Dans l’arrêt Baker, par exemple, le décideur s’était fondé sur des stéréotypes dénués de pertinence et n’avait pas pris en compte une preuve pertinente, ce qui a mené à la conclusion qu’il existait une crainte raisonnable de partialité : par. 48. En outre, la démarche adoptée par le décideur permettait également de conclure au caractère déraisonnable de sa décision, car il avait démontré que ses conclusions ne reposaient pas sur la preuve dont il disposait en réalité : ibid.

[Non souligné dans l’original.]

[38] En outre, il ressort clairement de l’arrêt Vavilov que le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve, à moins de « circonstances exceptionnelles ». Selon la Cour suprême du Canada :

[125] Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » : CCDP, par. 55; voir également Khosa, par. 64; Dr Q, par. 41-42. D’ailleurs, bon nombre des mêmes raisons qui justifient la déférence d’une cour d’appel à l’égard des conclusions de fait tirées par une juridiction inférieure, dont la nécessité d’assurer l’efficacité judiciaire, l’importance de préserver la certitude et la confiance du public et la position avantageuse qu’occupe le décideur de première instance, s’appliquent également dans le contexte du contrôle judiciaire : voir Housen, par. 15-18; Dr Q, par. 38; Dunsmuir, par. 53.

[Non souligné dans l’original.]

[39] En outre, suivant l’arrêt Vavilov, la cour de révision est tenue d’évaluer si la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire s’attaque de façon significative aux questions clés :

[128] Les cours de révision ne peuvent s’attendre à ce que les décideurs administratifs « répondent à tous les arguments ou modes possibles d’analyse » (Newfoundland Nurses, par. 25), ou « tire[nt] une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à [leur] conclusion finale » (par. 16). Une telle exigence aurait un effet paralysant sur le bon fonctionnement des organismes administratifs et compromettrait inutilement des valeurs importantes telles que l’efficacité et l’accès à la justice. Toutefois, le fait qu’un décideur n’ait pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties permet de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise. En plus d’assurer aux parties que leurs préoccupations ont été prises en considération, le simple fait de rédiger des motifs avec soin et attention permet au décideur d’éviter que son raisonnement soit entaché de lacunes et d’autres failles involontaires : Baker, par. 39.

[Non souligné dans l’original.]

[40] Récemment, la Cour d’appel fédérale a confirmé dans l’arrêt Doyle c Canada (Procureur général), 2021 FCA 237 [Doyle], que le rôle de notre Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve, sauf lorsqu’un décideur a commis des erreurs fondamentales dans son examen des faits, qui minent l’acceptabilité de la décision. Apprécier à nouveau les éléments de preuve ou les remettre en question ne fait pas partie de notre rôle :

[3] La Cour fédérale avait tout à fait raison d’agir ainsi. Selon ce régime législatif, le décideur administratif, en l’espèce le directeur, examine seul les éléments de preuve, tranche les questions d’admissibilité et d’importance à accorder à la preuve, détermine si des inférences doivent en être tirées, et rend une décision. Lorsqu’elle effectue le contrôle judiciaire de la décision du directeur en appliquant la norme de la décision raisonnable, la cour de révision, en l’espèce la Cour fédérale, peut intervenir uniquement si le directeur a commis des erreurs fondamentales dans son examen des faits, qui minent l’acceptabilité de la décision. Soupeser à nouveau les éléments de preuve ou les remettre en question ne fait pas partie de son rôle. S’en tenant à son rôle, la Cour fédérale n’a relevé aucune erreur fondamentale.

[4] En appel, l’appelant nous invite essentiellement dans ses observations écrites et faites de vive voix à soupeser à nouveau les éléments de preuve et à les remettre en question. Nous déclinons cette invitation.

VI. Les dispositions pertinentes de la loi électorale et du règlement sur les appels

A. La loi électorale

[traduction]
Article 5 CODE D’ÉTHIQUE

5.1 Les candidats doivent mener une campagne :

[…]

e) éthique, axée sur les enjeux politiques et leur plateforme électorale, plutôt que de se livrer au libelle et à la diffamation;

[…]

Article 10 EXIGENCES POUR LES CANDIDATS

[…]

10.6 Lors de l’assemblée de mise en candidature, les candidats doivent présenter les documents suivants au président d’élection :

[…]

c) une lettre signée par le directeur des finances attestant qu’ils n’ont pas d’obligations pécuniaires envers Wicekaskosiw Sakahikanibk ou les sociétés qu’elle exploite ou qu’ils sont en règle avec elles sur le plan financier;

[…]

Article 12 CALENDRIER ÉLECTORAL

12.1 Au moins soixante jours avant la date de l’élection, l’okimaw et l’onikaniwak doivent, par résolution de l’onikaniwak :

a) nommer le président d’élection, le président d’élection adjoint et les fonctionnaires électoraux, y compris constituer le comité d’appel;

b) fixer la date de l’assemblée de mise en candidature;

c) fixer le jour du scrutin;

d) fixer le montant à payer au président d’élection, au président d’élection adjoint et aux fonctionnaires électoraux, ainsi que la méthode de paiement;

e) nommer les membres du tribunal d’appel.

[…]

Article 18 TRIBUNAL D’APPEL

18.1 Le tribunal d’appel est constitué au même moment où le président d’élection, le président d’élection adjoint et les fonctionnaires électoraux sont nommés.

[…]

18.3 Le tribunal d’appel se réunit dans les quatorze jours suivant la date de l’avis d’appel.

[…]

18.5 Le tribunal d’appel peut décider, selon le cas :

a) de confirmer l’élection;

b) d’annuler l’élection du candidat ou des candidats qui font l’objet de l’appel ou des appels et ordonner que l’autre candidat ou les autres candidats ayant obtenu le plus de votes soient les candidats élus;

c) d’ordonner la tenue d’une élection partielle pour le poste en cause.

[…]

18.7 Si un candidat est en désaccord avec le tribunal d’appel sur la décision rendue, il peut demander un appel de dernier recours et la tenue d’une audience d’appel tenue dans le cadre d’une réunion de citoyens.

18.8 S’il est impossible d’arriver à un consensus au terme de l’examen de la décision du tribunal d’appel, une élection partielle est alors tenue pour pourvoir le poste en question.

B. Le règlement sur les appels

5. Composition du tribunal d’appel

[…]

5.6 Le tribunal d’appel est chargé d’instruire et de trancher tout appel d’une élection conformément à la loi et au règlement.

6. Délai

6.1 Un candidat peut, dans les quatorze (14) jours suivant la date de l’élection, interjeter appel devant le tribunal d’appel.

7. Motifs d’appel

7.1 L’appel doit indiquer clairement qu’une ou plusieurs des situations suivantes s’applique :

a) la personne déclarée élue était inéligible;

b) une violation de la loi et du règlement liée au déroulement de l’élection s’est produite et pourrait avoir influé sur résultat de l’élection;

c) une manœuvre frauduleuse a été observée relativement à l’élection.

8. Dépôt de l’appel

8.1 L’appel présenté au tribunal d’appel doit :

a) être déposé par écrit et, dans un affidavit fait sous serment devant un notaire public ou un commissaire à l’assermentation dûment nommé, exposer les faits étayant les motifs de l’appel et être accompagné de documents à l’appui;

b) être signifié à personne ou par courrier recommandé au tribunal d’appel;

c) contenir la signature de la personne qui interjette appel;

d) être accompagné des frais non remboursables de cinq cents dollars (500 $).

9. Modalités

9.1 Sur réception d’un appel, le tribunal d’appel doit :

a) lorsque l’appel est présenté conformément à la loi et au règlement, transmettre aux intimés par courrier recommandé une copie de l’appel ainsi que les documents à l’appui;

b) lorsque l’appel n’est pas présenté conformément à la loi et au règlement, informer le candidat par écrit que l’appel ne fera pas l’objet d’un examen plus poussé.

10. Enquête

10.1 Si les documents présentés à l’appui ne permettent pas de décider de la validité de l’élection visée par la plainte, le tribunal d’appel peut mener une enquête aussi approfondie qu’il le juge nécessaire.

11. Déroulement de l’examen

[…]

11.4 Dans ses délibérations, le tribunal d’appel peut, à sa seule discrétion :

a) examiner le dossier;

b) interroger l’appelant, les intimés et les témoins;

c) faire comparaître les témoins du candidat ou des intimés, ou tout témoin qui, de l’avis du tribunal d’appel, est susceptible de l’aider à trancher l’appel;

d) instruire l’instance de la façon que le tribunal d’appel, à sa seule discrétion, juge appropriée.

12. Décision

[…]

12.2 Toutes les décisions sont définitives et lient toutes les parties, conformément à la Wicekaskosiw Sakahican Wiyaskonitowin Wiyasiwewin [la loi électorale].

12.3 Après examen de tous les éléments de preuve reçus, le tribunal d’appel :

a) soit conclut que les éléments de preuve présentés ne permettent pas d’établir que l’une des situations suivantes s’applique :

i. une violation de la loi ou du règlement s’est produite et pourrait avoir influé sur le résultat de l’élection;

ii. la personne déclarée élue était inéligible;

iii. une manœuvre frauduleuse a été observée relativement à l’élection et pourrait avoir influé sur le résultat de l’élection,

et rejette l’appel;

b) soit conclut que l’ensemble des éléments de preuve et des renseignements recueillis permettent de tirer raisonnablement l’une des conclusions suivantes :

i. une violation de la loi ou du règlement s’est produite et pourrait avoir influé sur les résultats de l’élection;

ii. la personne déclarée élue était inéligible;

iii. une manœuvre frauduleuse a été observée relativement à l’élection et pourrait avoir influé sur le résultat de l’élection,

et accueille l’appel et annule l’élection d’un ou de plusieurs membres du conseil.

[…]

12.5 La décision du comité d’appel est définitive et non susceptible d’appel, conformément à la Wicekaskosiw Sakahican Wiyaskonitowin Wiyasiwewin [la loi électorale].

VII. Analyse

A. Question préliminaire – Exclusion de certains paragraphes de l’affidavit de M. Whitstone

[41] Mme Blois fait valoir que les paragraphes 14 à 30 de l’affidavit de M. Whitstone constituent une tentative de remettre en litige la question de l’autorisation de son premier appel. Elle soutient qu’il ne faut pas accorder de poids à ces paragraphes, car les demandeurs ne peuvent pas présenter en preuve devant la Cour leurs arguments relatifs au droit ou leur interprétation du droit. Même si Mme Blois ne renvoie à aucune décision particulière dans le contexte de cette question préliminaire, elle s’appuie sur la décision Nguyen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 27 [Nguyen], pour faire valoir qu’un contrôle judiciaire n’est pas « une occasion de remettre [une affaire] en litige » :

[2] Il n’est pas demandé à la Cour de réévaluer la preuve, et elle ne saurait le faire de toute façon. Un contrôle judiciaire n’est pas une occasion de remettre en litige l’affaire entendue par l’instance inférieure, et il ne s’agit nullement d’un nouveau procès. La question primordiale n’est pas de savoir si la décision de première instance est juste ou non, mais plutôt si elle est raisonnable ou déraisonnable. La question clé consiste à savoir si la décision de l’agent appartient aux issues acceptables au regard des faits et du droit.

[42] Les demandeurs n’ont présenté aucune observation sur cette question préliminaire. Je conviens que, en règle générale, les affidavits présentés dans le cadre d’un contrôle judiciaire devraient s’en tenir aux faits et ne pas invoquer le droit. Cependant, respectueusement, lorsqu’elle procède au contrôle judiciaire d’une décision du tribunal d’appel, notre Cour est en droit de se pencher sur la décision dans son intégralité, y compris sur les conclusions tirées à l’égard de questions subsidiaires, dont les questions procédurales, les objections préliminaires et autres, les conclusions relatives à la preuve et les conclusions relatives à la procédure. Qui plus est, la décision Nguyen [dont je suis l’auteur] ne traite pas précisément de la question à l’égard de laquelle elle est invoquée. La décision Nguyen appuie plutôt la proposition, reprise au paragraphe 125 de l’arrêt Vavilov, selon laquelle il ne convient pas, lors du contrôle judiciaire, de réexaminer les conclusions de fait, y compris en ce qui concerne l’appréciation de la crédibilité, les inférences et le poids à accorder aux éléments de preuve, car ce rôle revient principalement au tribunal de première instance. Les arrêts Vavilov et Doyle confirment qu’une cour de révision ne devrait pas modifier les conclusions de fait d’un tribunal administratif. Les cours de révision doivent généralement s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur ».

[43] Je souligne que Mme Blois cite également l’arrêt Syndicat des professeurs du collège de Lévis-Lauzon c CEGEP de Lévis-Lauzon, [1985] 1 RCS 596, à la page 610, à l’appui de la proposition selon laquelle la décision du tribunal d’appel d’autoriser ou non l’instruction de l’appel en l’espèce, malgré le non-respect des articles 6.1 et 8.1 du règlement sur les appels, n’est pas assujettie au contrôle judiciaire. Respectueusement, Mme Blois n’a invoqué aucune décision de notre Cour ou de la Cour d’appel fédérale à l’appui de cet argument. Je souligne également que l’arrêt invoqué porte sur une affaire de droit du travail issue du droit civil québécois et a servi à régler une question litigieuse à l’égard de laquelle la Cour d’appel du Québec avait rendu une décision partagée. Je ne suis pas convaincu que cet arrêt s’applique à l’affaire dont notre Cour est maintenant saisie, à savoir le contrôle judiciaire d’un appel interjeté en vertu de la loi électorale et du règlement sur les appels de la Première Nation, que la NCOL a récemment adoptés.

B. Question préliminaire – Caractère irrégulier des observations de la Nation crie d’Onion Lake

[44] Mme Blois fait également valoir que la NCOL ne devrait pas être autorisée à formuler des observations dans le cadre du présent contrôle judiciaire, même si elle est désignée à titre de défenderesse. Elle soutient que la NCOL doit simplement produire un dossier certifié du tribunal [DCT] complet, de façon à permettre à la cour de révision de prendre connaissance du contexte factuel et des règles de droit applicables. Elle fait valoir que la NCOL ne devrait pas prendre position sur la façon dont le tribunal d’appel doit interpréter l’élection de 2018, que la NCOL est en situation de conflit d’intérêts en ce qui concerne son propre rôle institutionnel à cet égard et qu’on ne devrait accorder aucun poids à ses observations. Les demandeurs n’ont pas présenté d’observations sur cette question non plus.

[45] À cet égard, je fais remarquer que le décideur dans le contexte du contrôle judiciaire en l’espèce est en fait le tribunal d’appel, et non la NCOL. Le tribunal d’appel a fourni le DCT, alors que la NCOL a présenté un mémoire et a présenté des observations orales à la Cour lors de l’audience.

[46] Je ne suis pas convaincu que la NCOL ne devrait pas être une partie, ni qu’elle devrait être privée de la capacité de communiquer à la Cour ses observations sur la loi électorale et le règlement sur les appels de la Première Nation. Je comprends que Mme Blois ne souscrit pas aux opinions de la NCOL à l’égard de différentes questions, telles qu’elles sont actuellement formulées, ce qui n’est pas inattendu et ne justifie pas leur exclusion. J’ajouterai que j’ai trouvé que les observations de la NCOL étaient informatives et utiles et qu’elles ne répétaient pas simplement les observations des demandeurs. À titre d’exemple, la NCOL n’a pas pris position sur la question du bien-fondé des deux destitutions. Elle n’a pris position que sur la question de l’interprétation de la loi électorale et du règlement sur les appels. Respectueusement, cette façon de faire était tout à fait indiquée.

[47] En outre, à mon humble avis, les requêtes en vue de faire radier un mémoire ou de faire retirer une partie à une instance doivent être présentées bien avant la date de l’audience. Les requêtes de cette nature peuvent et doivent être déposées soit au moyen d’un avis de requête présenté au juge responsable de la gestion de l’instance, le cas échéant, soit lors d’un jour d’audience régulier, soit par écrit en vertu de l’article 369 des Règles, le cas échéant. Ainsi, lors de l’audience, la Cour peut se concentrer sur le fond de l’appel.

C. Le tribunal d’appel a-t-il commis une erreur en autorisant l’instruction de l’appel?

[48] Les demandeurs font valoir que le tribunal d’appel n’a pas respecté les exigences énoncées dans le règlement sur les appels en autorisation l’instruction de l’appel interjeté par la défenderesse :

  • les courriels de Mme Blois datés du 28 juin 2018 et du 5 juillet 2018 ne satisfont pas aux exigences de l’alinéa 8.1a), car ils ne sont pas présentés sous la forme d’affidavits et ils n’ont pas été signés devant un notaire public ou un commissaire à l’assermentation;

  • le courriel du 5 juillet 2018 a été envoyé après la période de 14 jours prévue par l’article 6.1 du règlement sur les appels;

  • l’alinéa 9.1b) du règlement sur les appels dispose que, lorsqu’un appel n’est pas présenté conformément à la loi et au règlement, le tribunal d’appel doit « informer le candidat par écrit que l’appel ne fera pas l’objet d’un examen plus poussé ».

[49] Voici les dispositions pertinentes :

[traduction]

6.1 Un candidat peut, dans les quatorze (14) jours suivant la date de l’élection, interjeter appel devant le tribunal d’appel.

8.1 L’appel présenté au tribunal d’appel doit :

a) être déposé par écrit et, dans un affidavit fait sous serment devant un notaire public ou un commissaire à l’assermentation dûment nommé, exposer les faits étayant les motifs de l’appel et être accompagné de documents à l’appui;

b) être signifié à personne ou par courrier recommandé au tribunal d’appel;

c) contenir la signature de la personne qui interjette appel;

d) être accompagné des frais non remboursables de cinq cents dollars (500 $).

9.1 Sur réception d’un appel, le tribunal d’appel doit :

a) lorsque l’appel est présenté conformément à la loi et au règlement, transmettre aux intimés par courrier recommandé une copie de l’appel ainsi que les documents à l’appui;

b) lorsque l’appel n’est pas présenté conformément à la loi et au règlement, informer le candidat par écrit que l’appel ne fera pas l’objet d’un examen plus poussé.

[Non souligné dans l’original.]

[50] Les demandeurs soulignent que, dans sa décision du 31 octobre 2018, le tribunal d’appel a qualifié le défaut de la demanderesse de [traduction] « question procédurale et aucunement importante » et a indiqué que [traduction] « les défenderesses ne subiraient aucun préjudice » si l’appel était entendu. Je souligne également que, dans sa décision définitive du 12 août 2021, le tribunal d’appel a déclaré que [traduction] « le règlement ne prévoit aucune conséquence pour le défaut de produire [l’appel] sous forme d’affidavit […] ».

[51] Les demandeurs soutiennent que les conclusions du tribunal d’appel sont en contradiction avec le libellé clair et non discrétionnaire du règlement sur les appels, de sorte que le tribunal d’appel était obligé de rejeter l’appel de Mme Blois.

[52] À cet égard, la NCOL se range du côté des demandeurs. La NCOL invoque l’article 5.6 du règlement sur les appels et fait valoir que les pouvoirs décisionnels du tribunal d’appel sont limités aux pouvoirs qui lui sont expressément conférés par la loi électorale et le règlement sur les appels :

[traduction]

5.6 Le tribunal d’appel est chargé d’instruire et de trancher tout appel d’une élection conformément à la loi et au règlement.

[Non souligné dans l’original.]

[53] Mme Blois invoque les articles 10.1 et 11.4 du règlement sur les appels :

[traduction]

10.1 Si les documents présentés à l’appui ne permettent pas de décider de la validité de l’élection visée par la plainte, le tribunal d’appel peut mener une enquête aussi approfondie qu’il le juge nécessaire.

[…]

11.4 Dans ses délibérations, le tribunal d’appel peut, à sa seule discrétion :

[…]

d) instruire l’instance de la façon que le tribunal d’appel, à sa seule discrétion, juge appropriée.

[Non souligné dans l’original.]

[54] Mme Blois s’appuie également sur les articles 12.2 et 12.5 du règlement sur les appels, qui sont rédigés ainsi :

[traduction]

12.2 Toutes les décisions sont définitives et lient toutes les parties, conformément à la Wicekaskosiw Sakahican Wiyaskonitowin Wiyasiwewin [la loi électorale].

[…]

12.5 La décision du comité d’appel est définitive et non susceptible d’appel, conformément à la Wicekaskosiw Sakahican Wiyaskonitowin Wiyasiwewin [la loi électorale].

[Non souligné dans l’original.]

[55] J’ai examiné le dossier et j’ai constaté que, en l’espèce, le tribunal d’appel a effectivement accordé à Mme Blois une prolongation du délai pour présenter ses documents d’appel. Il a accordé une mesure de réparation procédurale pour un motif rationnel, à savoir qu’aucun préjudice n’était causé aux demandeurs et que les questions étaient de nature procédurale. À mon avis, ces questions ne sont pas liées à la compétence, bien qu’il s’agisse de questions préliminaires du point de vue chronologique.

[56] À cet égard, le tribunal d’appel devait statuer sur les effets des articles 10.1 et 11.4 du règlement sur les appels (déterminer la façon de procéder) sur les exigences prévues aux articles 6.1, 8.1, 9.1, 12.2 et 12.5 (modalités et formalités relatives à l’appel).

[57] Autrement dit, le tribunal d’appel était tenu d’interpréter le règlement sur les appels. À cet égard, je conviens avec les demandeurs et la NCOL que l’interprétation de la loi électorale et du règlement sur les appels de la NCOL est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : voir Blois, au para 24; Sturgeon Lake Cree Nation c Hamelin, 2018 CAF 131 au para 44, juge Laskin; Lecoq c Nation crie de Peter Ballantyne, 2020 CF 1144 au para 30, juge Favel).

[58] Respectueusement, je ne suis pas convaincu que l’interprétation adoptée par le tribunal d’appel relativement à ses pouvoirs procéduraux était déraisonnable.

[59] En dernière analyse, Mme Blois a effectivement interjeté son appel sous la forme d’un affidavit, elle a effectivement versé les frais de 500 $, son appel était signé et, dans son appel, elle a énoncé des motifs de façon suffisamment détaillée pour que le tribunal d’appel puisse les examiner et rendre une décision à leur égard.

[60] À mon avis, les articles 10.1 et 11.4 du règlement sur les appels habilitent le tribunal d’appel à proroger les délais et à accorder d’autres mesures de réparation de nature procédurale. En l’espèce, une mesure de réparation procédurale était nécessaire, sinon l’appel aurait été rejeté sur la forme plutôt que sur le fond.

[61] Interprétés à la lumière du grand degré de retenue dont doit faire preuve notre Cour à l’égard des codes électoraux des Premières Nations et des mesures de réparation de nature procédurale accordées par les organes d’appels électoraux des Premières Nations (Porter, au para 27; Gladue, au para 22; Pastion, au para 22), les articles 10.1 et 11.4 du règlement sur les appels font du tribunal d’appel de la NCOL le maître des procédures dont il est saisi, et j’estime non fondée l’allégation selon laquelle le déroulement des procédures d’appel en l’espèce a été entaché d’une erreur susceptible de contrôle.

[62] Deuxièmement, les demandeurs font valoir que le tribunal d’appel n’a pas fourni de motifs suffisants à l’appui de sa décision d’autoriser l’instruction de l’appel de Mme Blois, ce qui les a empêchés de participer de façon significative au processus décisionnel, ce qui a eu une grande incidence non seulement sur leur emploi mais aussi sur leur réputation dans la collectivité. Les demandeurs s’appuient sur la décision Sound c Première nation de Swan River, 2003 CF 850 (motifs de la juge Heneghan) [Sound], pour faire valoir que la décision du 9 juillet 2018 par laquelle le tribunal d’appel a autorisé l’instruction de l’appel [traduction] « ne renvoyait pas à la disposition de la loi électorale ou du règlement sur les appels en vertu de laquelle la décision était rendue » et, par conséquent, qu’il [traduction] « n’y a[vait] aucune façon de déterminer pour quel motif, le cas échéant, le comité d’appel a[vait] décidé d’autoriser l’instruction de l’appel ».

[63] Respectueusement, je fais remarquer que la décision faisant l’objet du présent contrôle est la décision datée du 12 août 2021, même si le contrôle peut tenir compte et tiendra compte des deux décisions préliminaires datées du 31 octobre 2018 et de la lettre du 9 juillet 2018 par laquelle l’instruction de l’appel a été autorisée. Dans l’affaire Sound, les motifs de la décision d’accueillir l’appel ont été donnés dans une courte lettre comportant une seule phrase. Les faits de l’espèce sont différents, car le tribunal d’appel a fourni des motifs de 29 paragraphes pour justifier sa décision d’accueillir en partie l’appel de Mme Blois. La décision Sound peut donc être distinguée.

[64] Je suis également d’avis qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale dans la décision du 31 octobre 2018, qui correspondait à un nouvel examen par le tribunal d’appel de sa décision antérieure du 9 juillet 2018 d’autoriser l’instruction de l’appel. Avant de rendre la décision du 31 octobre 2018 relativement au nouvel examen, le tribunal d’appel a donné aux deux demandeurs l’occasion de formuler des observations. Les deux demandeurs ont été entendus par l’intermédiaire de leur avocat dans la mesure où ils souhaitaient participer. S’il y a eu manquement à l’équité dans la décision du 9 juillet 2018 rendue par le tribunal d’appel, une question que je n’ai pas à trancher, le manquement a été corrigé par la décision du tribunal d’appel de réexaminer sa décision antérieure à la lumière des observations présentées par l’avocat des deux demandeurs. J’en fais mention, car à l’audience les demandeurs ont présenté un argument fondé sur l’équité procédurale concernant la décision du 9 juillet 2018. Je n’y souscris pas.

[65] Troisièmement, les demandeurs font valoir qu’il y avait une crainte raisonnable de partialité de la part du tribunal d’appel en faveur de Mme Blois. Le critère pour déterminer s’il existe une crainte raisonnable de partialité a récemment été repris dans la décision Première Nation de Taykwa Tagamou c Linklater, 2020 CF 220 (motifs de la juge Strickland), au paragraphe 96 : « En matière de crainte raisonnable de partialité, le critère applicable consiste à se demander “à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique” (Committee for Justice and Liberty et autre c Office national de l’énergie et autre, [1978] 1 RCS 369, à la p 394, 68 DLR (3d) 716; Sparvier c Bande indienne Cowessess no 73, [1993] 3 CF 142, 1993 CarswellNat 808, au para 65 (CF 1re inst); Johnny c Bande indienne d’Adams Lake, 2017 CAF 146, au para 43). »

[66] Les demandeurs présentent les observations suivantes au paragraphe 37 de leur mémoire :

[traduction]
37. En l’espèce, un des membres du tribunal d’appel qui était présent lorsque la décision d’autoriser l’instruction de l’appel malgré le non-respect du libellé exprès du règlement sur les appels, et qui a sans doute participé à la prise de décision, se trouvait dans une situation de conflit d’intérêts. Ce conflit d’intérêts amènerait certainement une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon pratique, à conclure qu’il était peu probable que le tribunal d’appel soit équitable et impartial lorsqu’il a décidé d’autoriser l’instruction de l’appel. En outre, le tribunal d’appel a communiqué uniquement avec Mme Blois et non avec les demandeurs.

[67] Les demandeurs ne précisent pas quel était le conflit d’intérêts en question, mais le paragraphe 7 de la décision du tribunal d’appel indique que [traduction] « l’Aînée Leona Carter s’est récusée de l’appel de Florence Blois en raison d’un conflit d’intérêts, l’appelante étant sa sœur ». Puisque Mme Carter s’est récusée, je ne vois aucun fondement à l’allégation de partialité.

[68] Les demandeurs font également valoir que le tribunal d’appel [traduction] « a communiqué uniquement avec Mme Blois et non avec les demandeurs », mais, respectueusement, cette allégation ne semble pas fondée. Le paragraphe 8 de la décision précise que [traduction] « des avis officiels ont été envoyés aux intimés, Darryl Whitstone, Hubert Pahtayken et Delores Chief, par courrier recommandé ». En outre, le paragraphe 32 précise que [traduction] « Mme Chief ne s’est pas présentée à l’audience ni à aucun autre moment depuis qu’on lui a communiqué les documents d’appel ». Je conclus que le tribunal d’appel a communiqué avec les deux demandeurs. En outre, si les demandeurs, dans leurs observations, ne mentionnent que la lettre du 9 juillet 2018 par laquelle l’instruction de l’appel a été autorisée, je fais remarquer une fois de plus que cette décision a fait l’objet d’un réexamen à la lumière des observations de leur avocat, de sorte qu’il n’y eu aucun manquement à l’équité procédurale.

[69] Quatrièmement, les demandeurs font valoir que la décision du tribunal d’appel était déraisonnable, car [traduction] « le tribunal d’appel n’a pas recueilli d’éléments de preuve et s’est simplement appuyé sur les observations de l’appelante ». Les demandeurs invoquent la décision Morin c Nation crie d’Enoch, 2020 CF 696 (motifs de la juge Strickland), aux paragraphes 48 et 50 [Morin], pour affirmer qu’une décision est présumée déraisonnable si elle est fondée sur un « dossier factuel partial et incomplet ». Dans l’affaire Morin, le comité d’appel en matière d’élections avait omis d’aviser le président d’élection de l’appel et d’obtenir et d’examiner les motifs écrits de sa décision, ce qui a contribué à l’absence de manquement à l’équité procédurale à l’endroit de M. Morin.

[70] En l’espèce, la situation est différente, car les demandeurs ont été avisés de la tenue des audiences d’appel et ont choisi d’y envoyer leur avocat. De plus, le DTC montre qu’ils ont présenté des documents au tribunal d’appel [onglet 10 du DTC]. Par conséquent, l’affaire Morin se distingue de la présente affaire et les observations des demandeurs à cet égard sont sans fondement.

[71] Mme Blois fait valoir que le tribunal d’appel a appliqué avec raison une approche souple à l’égard du règlement sur les appels, invoquant à cet égard la décision du juge Favel dans l’affaire Lecoq c Nation crie de Peter Ballantyne, 2020 CF 1144, à laquelle je souscris :

[67] Je conclus que le tribunal d’appel n’a commis aucune erreur lorsqu’il a accepté d’instruire l’appel de M. McCallum. Il faut trouver un équilibre entre, d’une part, le respect du libellé et des formalités du code électoral et, d’autre part, l’accès à la justice pour ceux qui veulent contester les résultats d’une élection. Une copie notariée d’une lettre ou d’un document d’appel peut suffire pour introduire un appel, mais les éléments de preuve contenus dans ce document devront tout de même être vérifiés, comme je l’ai expliqué plus tôt. Le tribunal d’appel ne s’arrête pas une fois qu’il a accepté les documents instituant un appel.

[72] Encore une fois, cet argument semble cibler la décision initiale du 9 juillet 2018 qui, comme je l’ai déjà mentionné, a été réexaminée à la lumière des observations de l’avocat des demandeurs. Au terme du réexamen, le tribunal d’appel a confirmé, le 31 octobre 2018, la décision d’autoriser l’instruction de l’appel. Comme je l’ai déjà souligné, les articles 10.1 et 11.4 du règlement sur les appels font du tribunal d’appel de la NCOL le maître des procédures dont il est saisi, ce qui répond entièrement à cet aspect de la demande de contrôle judiciaire.

[73] Mme Blois invoque également la décision Strilets v Vicom Multimedia Inc., 2000 ABQB 616 [Strilets], dans laquelle la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a indiqué que le strict respect du libellé non permissif d’une loi ne devrait pas faire l’objet d’une interprétation aussi restrictive :

[traduction]
[28] L’objectif général de la loi intitulée Provincial Court Act (la Loi sur la Cour provinciale) est de prévoir une procédure permettant à un plus grand nombre de membres du public de présenter une demande sans avoir besoin de recourir aux services d’un avocat. Il serait injuste et contraire à l’objet de la loi de conclure que cette disposition est obligatoire et non permissive. Une interprétation aussi restrictive est incompatible avec l’objet et le contexte de la loi.

[74] Lors de l’audience, l’avocat de la NCOL s’est fondé sur la décision Kehewin Cree Nation v Mulvey, 2013 ABCA 294, au paragraphe 19 [Kehewin], pour affirmer que le mot anglais « shall » signifie [traduction] « obligatoire » :

[traduction]
[19] Quoi qu’il en soit, la Loi sur la Cour provinciale prévoit que la transcription « doit » être déposée dans les trois mois. En common law et en vertu de la loi, le mot anglais « shall » est de nature impérative et non directive. Voir Interpretation Act (Loi sur l’interprétation), RSA 2000, c I-8, art 28(2)f); Rocky View (Municipal District) v McKinnon, 2009 ABCA 268, 460 AR 280 (para 21) et les décisions qui y sont citées; Baron c Canada, 1993 CanLII 154 (CSC), [1993] 1 RCS 416, à la p 440, 146 NR 270 (para 31-32). Cela rend théorique tout débat sur la question de savoir si le délai prévu au paragraphe 46(3) est obligatoire ou non.

[75] En réponse, l’avocat de Mme Blois se fonde sur le paragraphe 30 de la décision Kehewin pour mettre l’accent sur le fait que la Cour d’appel de l’Alberta reconnaît [traduction] « [qu’]il existe un principe fondamental d’interprétation selon lequel, lorsqu’une disposition législative est ambiguë ou imprécise, le tribunal l’interprète parfois d’une façon plus laxiste et clémente ».

[76] Dans l’ensemble, je conclus qu’un tribunal d’appel dûment constitué a réexaminé la demande préliminaire, a entendu les observations de l’avocat des demandeurs, a mis sa décision en délibéré et a décidé qu’il devait autoriser l’instruction de l’appel pour qu’il puisse s’acquitter de son important rôle électoral. Une décision de ce genre appelle une très grande retenue, surtout étant donné que la décision contestée émane d’un organisme autochtone et porte sur l’interprétation des dispositions de sa loi et de ses règlements électoraux (Porter, au para 27; Gladue, au para 22; Pastion, au para 22). Par conséquent, avec égards, je conviens avec Mme Blois que le tribunal d’appel a agi de manière raisonnable en autorisant l’instruction de l’appel.

D. La décision du tribunal d’appel était-elle raisonnable?

(1) Delores Chief

[77] Lors de l’appel de l’élection de 2018, Mme Blois a allégué qu’aucun des demandeurs n’était éligible, car ils avaient tous deux des obligations pécuniaires envers la NCOL, en contravention de l’alinéa 10.6c) de la loi électorale.

[78] Le tribunal d’appel a conclu que les éléments de preuve ne permettaient pas de conclure que M. Whitstone était inéligible, mais il a conclu que Mme Chief était inéligible. Les demandeurs soutiennent que cette conclusion était fondée sur une déclaration formulée par le cabinet d’experts-conseils MNP LLP, ce qui ne constituait pas un élément de preuve concluant. Cependant, à cet égard, je souligne que Mme Chief n’a présenté aucun élément de preuve contraire. Le tribunal d’appel s’est exprimé ainsi :

[traduction]
33. Le document de MNP soulève une question importante en ce qui concerne Mme Chief et les chèques délivrés aux Aînés, dont au moins un a été encaissé mais non remis à son destinataire. Il semble qu’il devait y avoir un examen plus approfondi relativement à d’autres chèques délivrés aux Aînés et à d’autres membres de la bande qui relevaient de Mme Chief.

34. Cela soulève une question importante, soit celle de savoir si Mme Chief a ou non une dette envers la bande en raison des chèques délivrés aux Aînés ou à des membres de la bande, comme il est décrit à la pièce B de l’affidavit de l’appelante daté du 18 décembre 2018.

35. Mme Chief n’a présenté aucun élément de preuve contraire. La seule preuve dont dispose le tribunal est donc celle de l’appelante, et cette preuve n’a pas été réfutée.

[79] À mon humble avis, le tribunal d’appel a rendu une décision fondée sur la preuve dont il disposait. Je conviens que la preuve semble insuffisante à Mme Chief, mais je ne suis pas en mesure d’affirmer que le tribunal d’appel n’était saisi d’aucun élément de preuve lui permettant de rendre une décision à son égard. Je suis tenu, en vertu de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada et de la Cour d’appel fédérale, de ne pas apprécier à nouveau la preuve, les inférences ou les conclusions de fait. Or, avec égards, c’est ce que la demanderesse Mme Chief me demande de faire. À cet égard, voir Vavilov, au para 125, et Doyle, aux para 3-4, précités.

[80] En outre, Mme Chief a eu l’occasion de répondre au rapport du cabinet d’experts-conseils MNP LLP, mais a choisi de ne pas le faire. Si elle disposait d’éléments de preuve contraires, elle ne peut pas affirmer aujourd’hui qu’elle n’a pas eu l’occasion de les présenter.

[81] Compte tenu de ce qui précède et du fait que notre Cour doit faire preuve d’une grande retenue à l’égard du tribunal d’appel, j’ai conclu que la décision rendue par le tribunal d’appel à l’égard de Mme Chief est raisonnable. Elle est justifiée, compte tenu des faits et des contraintes juridiques, intelligible et transparente.

(2) Darryl W. Whitstone

[82] Les demandeurs soutiennent que le tribunal d’appel a commis une erreur en concluant que M. Whitstone s’était livré au libelle et à la diffamation en parlant d’un article de la CBC accessible au public, en contravention de l’alinéa 5.1e) de la loi électorale. Les demandeurs font valoir que la décision du tribunal d’appel [traduction] « ne comporte aucune analyse des éléments de la cause d’action en diffamation (qui inclut le libelle) et ne mentionne aucun élément de preuve à l’appui de cette cause d’action ni aucun moyen de défense éventuel contre cette cause d’action » (Wilson v Switlo, 2011 BCSC 1287 aux para 132-154; conf par 2013 BCCA 471). Ils affirment qu’aucun élément de preuve permettant de conclure que l’article de la CBC était diffamatoire n’a été présenté ou mentionné à l’audience, alors que M. Whitstone a été destitué sur la base de ce seul motif.

[83] Les demandeurs invoquent l’alinéa 7.1b) du règlement sur les appels :

[traduction]
7. Motifs d’appel

7.1 L’appel doit indiquer clairement qu’une ou plusieurs des situations suivantes s’applique :

[…]

b) une violation de la loi et du règlement liée au déroulement de l’élection s’est produite et pourrait avoir influé sur le résultat de l’élection; […]

[84] Les demandeurs s’appuient sur le paragraphe 25 de l’arrêt Opitz c Wrzesnewskyj, 2012 CSC 55 [Opitz], qui est l’arrêt de principe pour l’interprétation de la question de savoir si une violation de la loi électorale et du règlement sur les appels [traduction] « pourrait avoir influé sur le résultat de l’élection » :

[25] Les termes « ayant influé sur le résultat » soulèvent la question de savoir si une personne a voté sans en avoir le droit. De toute évidence, le vote jugé invalide doit être écarté, ce qui a pour effet de modifier le décompte du scrutin et, en ce sens, d’influer sur le résultat de l’élection. Ces termes peuvent aussi viser la situation où une irrégularité de la part d’un fonctionnaire électoral a empêché à tort une personne de voter alors qu’elle en avait le droit. Ce genre de situation n’est pas en cause en l’espèce et point n’est besoin de l’examiner.

[85] Avec égards, voici les passages plus pertinents de l’arrêt Opitz :

[71] Jusqu’à maintenant, les tribunaux ont utilisé exclusivement le critère du « nombre magique » énoncé dans O’Brien (p. 93) pour trancher les requêtes en contestation d’élection. Selon ce critère, il faut annuler l’élection si le nombre de votes rejetés égale ou dépasse la majorité du vainqueur (Blanchard, p. 320).

[72] Le critère du « nombre magique » est simple. Toutefois, par sa nature, il favorise le requérant. Il suppose que tous les votes rejetés étaient pour le candidat élu, ce qui est en fait très peu probable. Aucun autre critère n’a cependant été élaboré. En l’espèce, on n’a présenté aucun élément de preuve à l’appui d’une quelconque formule statistique qui serait fiable et qui ne compromettrait pas le caractère confidentiel du scrutin.

[73] Nous aurons donc recours au critère du nombre magique pour les besoins de la présente requête. L’élection doit être annulée si le nombre de votes rejetés est égal ou supérieur à la majorité du candidat élu. Par contre, nous n’écartons pas la possibilité qu’un tribunal adopte à l’avenir une méthode plus réaliste pour trancher les requêtes en contestation d’élection.

[86] Le tribunal d’appel a expressément noté que Mme Blois a perdu l’élection par un vote. Cela correspond donc au « nombre magique » dont il est question dans l’arrêt Opitz. Par conséquent, je dois rejeter l’argument selon lequel, à cet égard, le tribunal d’appel a commis une erreur dans ses conclusions relatives au demandeur Whitstone. Il était raisonnable d’affirmer que sa conduite pouvait avoir influé sur le résultat de l’élection en ce sens que cette affirmation est justifiée à la fois par les contraintes juridiques et au regard des faits de l’affaire.

[87] En outre, les demandeurs invoquent la jurisprudence concernant des Premières Nations qui adhèrent à la Loi sur les élections au sein de premières nations, LC 2014, c 5 [la LEPN], pour faire valoir [traduction] « [qu’]une partie cherchant à démontrer qu’une irrégularité a “influé sur le résultat” d’une élection doit établir, au moyen d’éléments de preuve convaincants, qu’une personne a voté alors qu’elle n’avait pas le droit de le faire ou encore qu’une personne a été empêchée de voter alors qu’elle avait le droit de le faire ». Cependant, je soutiens respectueusement que l’arrêt Opitz et les décisions fondées sur la LEPN se distinguent de la présente affaire dossier, car il n’est pas question ici de votes irréguliers. Qui plus est, contrairement aux affaires comme l’affaire Opitz, notre Cour est saisie en l’espèce du contrôle judiciaire d’une décision d’un tribunal d’appel en matière d’élections d’une Première Nation, et non de l’appel d’une élection en tant que telle, de sorte qu’elle est tenue de faire preuve de retenue à l’égard du tribunal d’appel (Porter, au para 27; Gladue, au para 22; Pastion, au para 22).

[88] Mme Blois soutient, et je suis du même avis, que M. Whitstone demande à notre Cour d’apprécier à nouveau la preuve et les faits de la présente affaire, ce qui est interdit par les décisions Vavilov, au paragraphe 125, Doyle, aux paragraphes 3 et 4, et Nguyen, au paragraphe 2. Mme Blois a produit des éléments de preuve relatifs au moment où l’article de la CBC a été présenté lors de la campagne électorale et au contenu de l’article comme tel. Les demandeurs n’ont presque pas participé à l’audience du tribunal d’appel. À plusieurs reprises pendant le processus d’appel, les demandeurs ont omis de se présenter ou bien seul leur avocat était présent.

[89] Je conclus que le tribunal d’appel a entendu et examiné la preuve présentée et jugé que la preuve justifiait la conclusion qu’il a tirée. Une fois de plus, on peut affirmer que la preuve était mince, mais les motifs du tribunal d’appel expliquent la façon dont il est parvenu à sa décision et je ne puis affirmer qu’il n’y avait aucun élément de preuve pour étayer son appréciation de la preuve. La Première Nation a fait le choix de formuler sa loi électorale et son règlement sur les appels comme elle l’a fait. Il ne fait aucun doute que l’alinéa 5.1e) de la loi électorale, qui exige que les candidats mènent une campagne [traduction] « éthique, axée sur les enjeux politiques et leur plateforme électorale, plutôt que de se livrer au libelle et à la diffamation » ratisse large, mais il s’agit du choix de la NCOL. Il n’incombe pas à notre Cour de réécrire la loi électorale ou le règlement sur les appels de la NCOL.

VIII. Conclusion

[90] À mon humble avis, les décisions rendues par le tribunal d’appel à l’égard de Mme Chief et de M. Whitmore sont justifiées, transparentes et intelligibles. Elles sont cohérentes et ne comportent aucune faille décisive. Elles sont étayées par les faits présentés au tribunal d’appel, et elles ont été examinées avec retenue, comme l’exige la jurisprudence en matière d’élections autochtones décrite ci-dessus. Je conclus que les deux décisions sont raisonnables. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

IX. Dépens

[91] Les demandeurs réclament les dépens. À l’audience, ils ont fait valoir que des dépens avocat-client de 10 000 $, tout compris, devraient leur être accordés. Subsidiairement, ils ont fait valoir que des dépens, tout compris, devraient leur être accordés conformément au tarif.

[92] La NCOL soutient que l’octroi de dépens avocat-client n’est pas indiqué et que les dépens devraient seulement être accordés à la partie ayant gain de cause, conformément au tarif de la Cour fédérale. À l’audience, l’avocat de la NCOL a affirmé que l’octroi de dépens avocat-client n’était pas indiqué en l’espèce et qu’aucuns dépens ne devraient être adjugés à ou contre la Nation. Je conviens qu’aucuns dépens ne devraient être adjugés à ou contre la NCOL.

[93] Mme Blois s’appuie sur la décision Conseil coutumier de la première nation Anishinabe de Roseau River c Nelson, 2013 CF 180 (motifs du juge Russell), pour affirmer que les dépens avocat-client devraient être accordés dans des dossiers publics, comme celui-ci, où les parties ont entièrement fait fi de la jurisprudence actuelle en ce qui concerne les Premières Nations et la retenue qui doit être accordée aux décisions de leurs institutions, qui exercent leurs fonctions en vertu des codes électoraux des Premières Nations. À l’audience, l’avocat de Mme Blois a fait valoir que des dépens avocat-client de 14 000 $, tout compris, devraient être accordés à sa cliente (il avait d’abord demandé des dépens de 24 000 $, qui comprenaient les dépens de 10 000 $ engagés dans l’instance devant le juge Grammond, qui ne peuvent toutefois être comptabilisés deux fois). Subsidiairement, il a fait valoir qu’une somme globale de 5 000 $, tout compris, devrait lui être accordée au titre des dépens prévus au tarif.

[94] Dans la décision Anderson c Première Nation de Nekaneet, 2021 CF 843, le juge Favel a résumé les principes applicables à l’adjudication des dépens dans le contexte d’un litige relatif à la gouvernance d’une Première Nation :

[91] Mon collègue, le juge Sébastien Grammond, a résumé les principes relatifs à l’adjudication des dépens dans la décision Whalen c Première Nation Fort McMurray no 468, 2019 CF 1119 [Whalen]. Il s’est appuyé sur l’arrêt Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) c Bande indienne d’Okanagan, 2003 CSC 71 [Okanagan] pour établir les principes suivants relatifs à l’adjudication des dépens, aux paragraphes 3 à 5 :

Le premier objectif et le plus traditionnel en matière d’adjudication de dépens est l’indemnisation de la partie ayant gain de cause. […]

Ainsi, de diverses manières, l’adjudication des dépens incite les parties à utiliser rationnellement les ressources judiciaires limitées. […] De même, on dit que l’adjudication des dépens décourage les poursuites frivoles ou vexatoires, car les plaideurs qui intentent de telles poursuites savent qu’ils devront indemniser l’autre partie.

En troisième lieu, l’adjudication des dépens peut contribuer à faciliter l’accès à la justice.

[92] En plus de ces principes, les articles 400 à 422 des Règles des Cours fédérales s’appliquent également. Le paragraphe 400(1) prévoit que le juge de première instance a le pouvoir discrétionnaire d’adjuger les dépens. Ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé judiciairement. De plus, le mécanisme par défaut pour l’adjudication des dépens est un tarif (Whalen, au para 8).

[93] Les autres outils dont dispose la Cour sont les « dépens avocat-client », habituellement utilisés pour sanctionner la conduite répréhensible d’une partie dans une instance, ainsi que les sommes globales, prévues au paragraphe 400(4) des Règles des Cours fédérales (Whalen, aux para 10 et 11).

[94] Comme l’a affirmé mon collègue, le juge Luc Martineau, dans la décision Eurocopter c Bell Helicopter Textron Canada Limitée, 2012 CF 842 [Eurocopter], au paragraphe 9 : « [L]a taxation des dépens comporte inévitablement un risque d’arbitraire et de justice approximative de la part de la Cour. »

[95] Un autre principe est énoncé dans la décision Knebush c Maynard, 2014 CF 1247, dans laquelle la Cour a affirmé que, si un contrôle judiciaire traite adéquatement une question de droit des Premières Nations, il s’agit d’une question d’intérêt public, car la Première Nation a bénéficié de la clarté et du règlement de la question (au para 60). À ce titre, les particuliers pourraient avoir droit à des dépens. Dans les décisions Coutlee c Première nation Lower Nicola, 2015 CF 1305, et Strawberry c Première nation O’Chiese, 2017 CF 869, la Cour a appliqué un raisonnement similaire.

[95] Il n’y a aucune raison pour que les dépens ne suivent pas l’issue de la cause. Je ne vois aucune raison de m’écarter du tarif et je conclus que l’adjudication d’une somme globale est appropriée. J’exerce mon pouvoir discrétionnaire et j’accorde à Mme Blois la somme globale de 5 000 $, tous compris, au titre des dépens.


JUGEMENT dans le dossier T-1304-21

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Les demandeurs doivent verser à Mme Blois la somme globale de 5 000 $, tous compris, au titre des dépens.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1304-21

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

DARRYL W. WHITSTONE ET DELORES CHIEF c NATION CRIE D’ONION LAKE ET FLORENCE BLOIS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 MARS 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 MARS 2022

 

COMPARUTIONS :

Dennis Callihoo

POUR LES DEMANDEURS

Keltie Lambert

POUR LA DÉFENDERESSE

(NATION CRIE D’ONION LAKE)

Arman Chak

POUR LA DÉFENDERESSE

(FLORENCE BLOIS)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

D.C. Callihoo Law

Avocats

Edmonton (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

Witten LLP

Avocats

Edmonton (Alberta)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

(NATION CRIE D’ONION LAKE)

Nigro Manucci LLP

Avocats

Sherwood Park (Alberta)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

(FLORENCE BLOIS)

 

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