Date : 20220218
Dossier : T-754-21
Référence : 2022 CF 217
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 18 février 2022
En présence de monsieur le juge Phelan
DEMANDE PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE l’article 56 de la Loi
sur les marques de commerce, LRC, c T-13, à l’égard de
la demande no 1,649,383 pour la marque de commerce FUNDAWEAR
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ENTRE :
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FRUIT OF THE LOOM, INC
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demanderesse
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et
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LRC PRODUCTS LIMITED
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défenderesse
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1] La Cour est saisie de l’appel de la décision par laquelle le registraire des marques de commerce [le registraire] a conclu qu’il n’y avait pas de probabilité de confusion entre la demande pour la marque de commerce FUNDAWEAR [FR] appartenant à la défenderesse et la marque enregistrée UNDERWEAR THAT’S FUN TO WEAR [UFW] appartenant à la demanderesse (ainsi dénommée ci-après à des fins de cohérence avec les termes employés dans la décision du registraire, mais qui est en fait l’appelante).
[2] La demanderesse, qui emploie sa marque de commerce en liaison avec sa ligne de sous-vêtements Underoos®, est préoccupée par l’emploi proposé par la défenderesse de la marque de cette dernière en liaison avec des produits similaires.
[3] La demanderesse a présenté de nouveaux éléments de preuve dans le cadre du présent appel qui, selon elle, sont suffisamment importants pour justifier un examen de novo par la Cour de ses motifs d’opposition portant sur la confusion (art 6(5) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13 [la Loi]), le droit à la marque de commerce (art 16(3) de la Loi) et le caractère distinctif (art 2 de la Loi). La demanderesse sollicite également l’examen par la Cour de la conclusion du registraire relative à l’alinéa 30e).
[4] La défenderesse n’a pas comparu dans le cadre du présent appel. Pour les motifs qui suivent, l’appel est accueilli et la décision du registraire est annulée. La Cour enjoint au registraire de rejeter la demande de marque de commerce présentée par la défenderesse (no 1,649,383).
[5] Les dispositions législatives de la Loi les plus pertinentes sont les suivantes :
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II.
Contexte
[6] La demanderesse emploie sa marque enregistrée UFW au Canada depuis les années 1980 en liaison avec la commercialisation et la vente de sa ligne de sous-vêtements pour enfants Underoos®. La ligne de vêtements comprend des ensembles (haut et bas) et des tee-shirts commercialisés auprès des enfants et des adultes, qui mettent en scène des personnages issus des médias de divertissement populaires (superhéros de bandes dessinées DC et Marvel comme Capitaine America et Spiderman ainsi que des personnages comme Harry Potter). La commercialisation des marchandises pour adultes sous cette marque est parfois plus suggestive sur le plan sexuel que celle visant les enfants, comme on peut l’espérer.
[7] La demande de marque de commerce de la défenderesse pour FR est décidément plus orientée vers le sexe. Premièrement, la longue liste des produits auxquels la marque s’applique comprend des préparations et substances contraceptives. La liste englobe une multitude de produits sexuels comme des crèmes, des gels et des substances pour l’amélioration de la performance sexuelle, mais également des instruments scientifiques, nautiques et géodésiques, du matériel de traitement des données, des téléphones cellulaires, des condoms, etc. La liste se termine avec des vêtements, des tee-shirts, des sous-vêtements, des vêtements de nuit et des costumes pour jeux de rôles sexuels ainsi que d’autres types de vêtements.
[8] La déclaration d’opposition produite par la demanderesse à l’encontre de FR était fondée sur l’enregistrabilité de la marque, le droit à l’enregistrement et le caractère distinctif, qui sont tous axés sur la question de probabilité de confusion entre les deux marques.
[9] La demanderesse a défendu sa position devant le registraire au moyen de l’affidavit de son vice-président [premier affidavit de M. Dooley] dans lequel ce dernier a attesté de l’emploi de la marque UFW au Canada, notamment en fournissant des images des produits vendus et une liste des ventes sur une période de neuf mois. La défenderesse n’était pas représentée à l’audience, mais a produit en preuve le témoignage d’un avocat principal, qui a déclaré que FR est destinée à être employée comme sous-marque de la marque de produits de bien-être sexuel DUREX, ainsi que des sites Web de tiers qui offriraient des produits vestimentaires au Canada en utilisant des termes formés du mot « FUN »
(amusant) ou les termes « fun to wear »
(amusant à porter).
[10] Dans sa décision, le registraire a conclu, quant à la confusion, que la marque UFW possédait un degré limité de caractère distinctif du fait qu’elle est employée en liaison avec des sous-vêtements et qu’elle sert également de slogan. Il a également conclu que la marque FR était quelque peu plus distinctive parce qu’il s’agissait d’un mot inventé, mais seulement dans une mesure légèrement supérieure du fait que l’expression évoque de toute évidence des sous-vêtements. Il a conclu en outre que la demanderesse n’avait établi qu’un emploi limité de la marque UFW en raison du peu de renseignements sur les ventes qui ont été fournis.
[11] Le registraire a constaté un certain chevauchement direct entre les produits ainsi qu’un certain chevauchement dans les voies de commercialisation. Bien que le registraire ait reconnu que la défenderesse avait l’intention d’employer sa marque de commerce en lien avec la marque DUREX, l’état déclaratif des produits ne contient aucune restriction à cet effet.
[12] Au bout du compte, après avoir examiné ces facteurs ainsi que d’autres facteurs fondés sur le paragraphe 6(5), le registraire a conclu que la défenderesse s’était acquittée de son fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existe aucune probabilité raisonnable de confusion entre les deux marques de commerce en cause. Le registraire a particulièrement tenu compte des différences entre les marques de commerce sur le plan de l’apparence et du son, du caractère distinctif inhérent limité de la marque de commerce de la demanderesse et de la preuve limitée du caractère distinctif acquis et de la période pendant laquelle la marque de commerce de la demanderesse a été en usage.
[13] L’affirmation de la demanderesse selon laquelle la défenderesse n’était pas la personne ayant droit d’employer la marque de commerce FR en raison de la confusion avec sa marque de commerce a été rejetée car la demanderesse n’avait pas démontré l’emploi du nom commercial UFW au Canada avant la date de priorité revendiquée.
[14] L’argument relatif au caractère distinctif fondé sur l’article 2 (distinctive Se dit de la marque de commerce qui distingue véritablement les produits ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire de ceux d’autres personnes, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi) a été rejeté parce que la demanderesse n’a pas démontré qu’à la date de production de l’opposition, la marque de la demanderesse était devenue suffisamment connue au Canada pour annuler le caractère distinctif de la marque de la défenderesse.
[15] Enfin, en ce qui concerne les exigences de l’article 30, le registraire a conclu que la demanderesse n’avait pas réussi à produire des éléments de preuve établissant que la défenderesse n’avait pas exposé correctement son état déclaratif de produits et avait employé la marque au Canada en liaison avec ses produits avant la date de production de la demande (elle n’avait pas l’intention d’employer la marque). Il n’y avait aucune preuve de mauvaise foi ni aucune preuve démontrant que l’emploi de la marque par la défenderesse violerait une loi fédérale quelconque.
[16] Afin de combler les lacunes dans sa preuve, la demanderesse a interjeté appel de la décision du registraire et a déposé un deuxième affidavit de M. Dooley contenant des éléments de preuve portant sur les ventes au Canada liées à la marque UFW ainsi que sur les dépenses de promotion et de publicité de 1980 jusqu’à ce jour. Dans cet affidavit, M. Dooley traite de l’historique, de la réputation, du caractère distinctif, de l’emploi et de la nature des produits et du commerce et de leur chevauchement.
[17] Il affirme que la marque est devenue connue pour ses sous-vêtements Underoos® et que la demanderesse a lancé une ligne de sous-vêtements Underoos® pour adultes.
[18] Une fois de plus, pour tenter de combler les lacunes dans le dossier dont a été saisi le registraire, la demanderesse a produit des chiffres d’affaires, tant pour le Canada que pour les États-Unis, ainsi que des données sur les dépenses de promotion.
[19] L’ensemble des éléments de preuve de la demanderesse n’ont pas été contestés. La demanderesse présente ces nouveaux éléments de preuve à l’appui de son appel.
III.
Analyse
A.
La norme de contrôle
[20] Je souscris à l’analyse faite par la juge Fuhrer dans la décision Arterra Wines Canada, Inc c Diageo North America, Inc, 2020 CF 508 [Arterra], de la norme de contrôle applicable à un appel d’une décision du registraire en tenant compte de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], rendu par la Cour suprême du Canada. Comme il a été reconnu, la présente affaire concerne un appel prévu par la loi qui est régi par la norme de la décision correcte en ce qui concerne les questions de droit, conformément à l’arrêt Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, au paragraphe 8 [Housen], et par la norme de l’erreur manifeste et dominante pour les questions de fait et les questions mixtes de droit et de fait (Housen, aux para 10, 19, 26 à 37).
[21] Il convient de souligner, comme l’a fait remarquer la juge Fuhrer, que l’arrêt Vavilov n’a pas remplacé (ni abordé) la jurisprudence antérieure concernant les nouveaux éléments de preuve déposés auprès de la Cour en appel d’une décision du registraire, une caractéristique quelque peu unique à ces types d’appels. Si les nouveaux éléments de preuve sont jugés importants pour une question, la Cour doit examiner l’issue de cette question pertinente en procédant à un examen de novo ou en appliquant la norme de la décision correcte (voir Arterra, au para 28).
[22] Selon le paragraphe 5(5) de la Loi, l’appelant peut présenter à la Cour une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire. Pour procéder à un examen de novo, cette preuve nouvelle doit être suffisamment importante – Arterra, au paragraphe 29, citant la décision Papiers Scott Limitée c Georgia-Pacific Consumer Products LP, 2010 CF 478.
[23] Comme la juge Fuhrer l’a également fait remarquer à juste titre dans la décision Obsidian Group Inc c Canada (Procureur général), 2020 CF 586, la Cour doit évaluer la nature, l’importance, la valeur probante et la fiabilité des nouveaux éléments de preuve produits dans le contexte du dossier (aux para 27 et 29).
[24] La nouvelle preuve ne doit pas nécessairement démontrer que la décision du registraire aurait été différente si ce dernier avait disposé de cette nouvelle preuve, elle doit seulement être telle qu’elle aurait eu une incidence sur la décision du registraire.
[25] Comme il est indiqué au paragraphe 23 de la décision Au-Yeung c Taste of BC Fine Foods Ltd, 2017 CF 299, les nouveaux éléments de preuve doivent combler une lacune ou remédier à un vice de la décision initiale.
B.
L’importance des nouveaux éléments de preuve
[26] À mon avis, le deuxième affidavit de M. Dooley répond à toutes ou à presque toutes les lacunes en matière de preuve relevées par le registraire. La décision du registraire était fondée sur une lacune factuelle. On ne saurait prétendre que la demanderesse a fait de son mieux en ce qui concerne les éléments de preuve qu’elle a produits. Qu’il s’agisse d’une décision stratégique ou non, la demanderesse a compromis sa demande de marque de commerce.
[27] Dans son deuxième affidavit, M. Dooley comble les lacunes figurant dans les documents originaux de la demanderesse. Si cet affidavit n’a pas eu d’effet important sur la décision du registraire, il est difficile de penser à une preuve qui aurait pu avoir pareille incidence sur sa décision.
[28] La nouvelle preuve aborde la question de la confusion et démontre qu’il existe un plus grand degré de ressemblance entre les marques concurrentes que ce qu’a reconnu le registraire. Le registraire a adopté une conception limitée du caractère distinctif parce qu’il s’est concentré sur les phrases utilisées et non pas sur l’emploi de la marque de commerce depuis les années 1980.
[29] La nouvelle preuve démontre une plus grande probabilité de confusion parce que la marque de commerce de la demanderesse a acquis un caractère distinctif en raison de son emploi au Canada, parce qu’elle est devenue connue par un usage de longue date et parce qu’elle était vendue par l’intermédiaire de voies commerciales recoupant celles utilisées par la défenderesse. De plus, de nouveaux éléments de preuve portant sur les voies commerciales ont été présentés, notamment sur Amazon et Walmart.
[30] Il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve établissant que FR avait acquis un caractère distinctif. Toutefois, si le registraire a conclu que les produits UFW n’étaient pas vendus ou qu’il n’y avait pas de preuve à cet égard, les nouveaux éléments de preuve montrent plutôt que les ventes ont dépassé 1 million de dollars.
C.
L’examen
[31] À mon avis, cette nouvelle preuve est suffisamment importante pour justifier un examen de novo par la Cour.
[32] Pour bon nombre des motifs énoncés précédemment, les nouveaux éléments de preuve établissent que la marque UFW a acquis le caractère distinctif allégué; les voies de commercialisation se chevauchent, ce qui favorise la demanderesse, et le degré de ressemblance est particulièrement frappant lorsqu’on regarde et prononce rapidement « Fun to Wear »
et « Fundawear »
. Or, le registraire n’a pas comparé cette similitude la plus évidente.
[33] Les circonstances de l’espèce ont peu d’influence sur l’issue de l’affaire. La défenderesse a tendance à employer les produits en liaison avec DUREX, et il y a peu d’éléments de preuve démontrant qu’elle est susceptible d’employer sa marque au Canada.
[34] En concentrant l’examen de la Cour et en réduisant les arguments à leur plus grande pertinence, la ressemblance entre les marques est généralement le sous-facteur sur lequel repose l’analyse fondée sur le paragraphe 6(5). Cette ressemblance n’est pas basée sur les perceptions réfléchies des avocats ou de la Cour, mais sur la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue de la marque alors qu’il n’a qu’un vague souvenir de la marque de commerce originale. Il s’agit d’un critère réaliste fondé sur le bon sens de la personne ordinaire. À mon avis, cette personne (ou ces personnes) pourrait croire à tort que la source d’un produit UFW est la même que celle d’un produit FR.
[35] En ce qui concerne la dernière question, compte tenu des modifications dont a fait l’objet la Loi, il convient particulièrement de souligner que les alinéas auparavant distincts sont à présent intégrés à l’article 30. Puisque la demanderesse n’a pas présenté de nouveaux éléments de preuve relativement à cette question, il faut généralement faire preuve de déférence à l’égard du registraire.
[36] Toutefois, étant donné les autres difficultés que pose l’examen de l’espèce par le registraire (dont il n’est pas entièrement responsable), je ne suis pas disposé à m’en remettre à sa décision. En fin de compte, cette question n’est pas déterminante dans le cadre de la présente affaire et n’a aucune incidence sur la décision.
IV.
Conclusion
[37] Pour tous ces motifs, l’appel sera accueilli et il sera ordonné au registraire de rejeter la demande de marque de commerce de la défenderesse. Comme le présent appel était nécessaire en grande partie à cause du dossier incomplet de la demanderesse devant le registraire en première instance, aucuns dépens ne seront adjugés.
JUGEMENT dans le dossier T-754-21
LA COUR :
a) annule la décision rendue le 1er mars 2021 par laquelle le registraire des marques de commerce [le registraire] a rejeté l’opposition à la demande d’enregistrement no 1,649,383 [la demande] concernant la marque de commerce FUNDAWEAR;
b) accueille l’appel de la décision du registraire;
c) ordonne au registraire de rejeter la demande; et
d) n’adjuge aucuns dépens.
« Michael L. Phelan »
Juge
Traduction certifiée conforme
Mélanie Lefebvre
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-754-21
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INTITULÉ :
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FRUIT OF THE LOOM, INC c LRC PRODUCTS LIMITED
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 2 février 2022
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JUGEMENT ET MOTIFS :
|
Le juge Phelan
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DATE DES MOTIFS :
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Le 18 février 2022
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COMPARUTIONS :
Amrita V. Singh
Jonathan Colombo
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Pour la demanderesse
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Marks & Clerk Law LLP
Avocats
Toronto (Ontario)
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Pour la demanderesse
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