Date : 20220324
Dossier : ITA-143-22
Référence : 2022 CF 408
[TRADUCTION FRANÇASE]
Ottawa (Ontario), le 24 mars 2022
En présence de madame la juge Walker
ENTRE :
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AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi de l’impôt sur le revenu
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AFFAIRE INTÉRESSANT la ou les cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu d’une ou de plusieurs des lois suivantes : la Loi de l’impôt sur le revenu, le Régime de pensions du Canada, la Loi sur l’assurance-emploi et la Loi de l’impôt sur le revenu, à l’égard de :
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CHARLES SHAKER
1, Canada Square, 37e étage
Londres
E14 4EF
Royaume-Uni
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ORDONNANCE ET MOTIFS
(concernant le bien de Blue Jays Way)
[1] À l’audience de justification de la présente affaire, qui s’est tenue en application du sous‑alinéa 458(1)a)(i), des articles 459 et 462 ainsi que du paragraphe 399(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), M. Charles Shaker, le requérant, a présenté, conformément à l’article 462, une requête en annulation de la charge provisoire grevant le bien Suite 1505, situé au 36 Blue Jays Way, à Toronto, en Ontario (le bien de Blue Jays Way) obtenue par le ministère de la Justice, au nom de Sa Majesté la Reine du chef du Canada, et par l’Agence du revenu du Canada (l’ARC et, ensemble, les défendeurs), le 4 mars 2022 par ordonnance de la juge Sadrehashemi (l’ordonnance provisoire). M. Shaker a soutenu que la charge provisoire devait être annulée, car son intérêt dans le bien de Blue Jays Way est simplement celui d’un fiduciaire et l’article 458 ne peut s’y appliquer en vue de garantir la dette personnelle du fiduciaire, car il s’agit d’un bien fiduciaire détenu pour le compte des bénéficiaires d’une fiducie.
[2] À l’audience, les défendeurs ont retiré leur demande visant à ce que la charge provisoire soit déclarée définitive et ont demandé à ce que le produit net tiré de la vente éventuelle du bien de Blue Jays Way soit consigné à la Cour en attendant qu’ils puissent contre‑interroger M. Shaker au sujet de l’affidavit déposé à l’appui de sa requête fondée sur l’article 462 (l’affidavit de M. Shaker).
[3] Pour les motifs qui suivent, (1) la requête de M. Shaker est accueillie et la charge provisoire est annulée; et (2) la demande des défendeurs visant à ce que le produit net tiré de la vente éventuelle du bien de Blue Jays Way soit consigné à la Cour est rejetée.
I.
Instances devant la Cour fédérale
[4] Le 25 janvier 2022, l’ARC a enregistré à la Cour un certificat attestant que M. Shaker devait la somme de 4 757 887,07 $, au titre de l’impôt sur le revenu impayé, augmentée des intérêts courus (la dette fiscale), conformément à l’article 223 de la Loi de l’impôt sur le revenu, SRC 1985, c 1 (5e suppl) (la LIR). L’ARC a également obtenu un bref d’exécution, qui a été déposé auprès des shérifs des villes d’Ottawa et de Toronto.
[5] Le 28 février 2022, les défendeurs ont déposé une requête ex parte à la Cour afin d’obtenir une ordonnance constituant une charge provisoire en vue de garantir le paiement de la dette fiscale sur l’intérêt de M. Shaker dans le bien de Blue Jays Way. La description officielle du bien de Blue Jays Way figure à l’annexe A de la présente ordonnance et ses motifs. À l’audition de leur requête, les défendeurs ont affirmé que M. Shaker avait un intérêt en common law dans le bien de Blue Jays Way à titre de fiduciaire et que, par conséquent, il avait un intérêt dans le bien au sens de l’article 458.
[6] Selon l’ARC, la dette fiscale provient principalement des avis de nouvelle cotisation du 31 mars 2017 établis à l’égard de M. Shaker pour les années d’imposition 2008 et 2009, qui s’élevaient respectivement à 3 287 273,19 $ et à 463 382,65 $. Il y a également des cotisations peu élevées à payer pour les années d’imposition 2007, 2006 et 2005 ainsi que des intérêts courus sur tous les montants impayés s’élevant à 1 017 923,60 $ au 24 février 2022. Ces renseignements se trouvent dans l’affidavit de M. John Falco, un agent de l’ARC à la Direction générale des recouvrements et de la vérification, Division de la planification fiscale abusive, déposé par les défendeurs à l’appui de leur requête ex parte (l’affidavit de M. Falco). Aucune copie des avis de nouvelle cotisation de 2017 n’a été déposée à la Cour.
[7] Le 4 mars 2022, la juge Sadrehashemi a rendu l’ordonnance provisoire, a accueilli la demande des défendeurs et a grevé le bien de Blue Jays Way d’une charge correspondant au montant de la dette fiscale attesté dans le certificat. L’ordonnance provisoire enjoignait à M. Shaker de comparaître devant la Cour à une audience qui devait avoir lieu le 22 mars 2022 de sorte qu’il puisse faire valoir les raisons pour lesquelles la charge provisoire ne devrait pas être maintenue (art 459(1)).
[8] La Cour a ensuite devancé la date d’audience au 21 mars 2022, et j’ai été affectée au dossier. Avant l’audience, M. Shaker a signifié et déposé, en vertu de l’article 462, sa requête visant à annuler la charge provisoire.
[9] Le 21 mars 2022, avant l’audience, les défendeurs ont fourni à la Cour et aux avocats de M. Shaker un projet d’ordonnance demandant à ce que la Cour (1) ajourne l’audience de justification; (2) ordonne la consignation à la Cour du produit de disposition tiré de la vente du bien de Blue Jays Way, déduction faite des coûts de transaction (commissions de courtage, honoraires d’avocat); (3) ordonne l’annulation de la charge provisoire après la consignation de ce produit à la Cour; et (4) ordonne à M. Shaker de se rendre disponible pour un contre‑interrogatoire.
[10] La conclusion de la vente du bien de Blue Jays Way à un tiers est fixée au 28 mars 2022.
II.
Décision relative à l’ordonnance sollicitée par les défendeurs
[11] Au début de l’audience de justification, les défendeurs et M. Shaker ont présenté des observations à la Cour concernant l’ordonnance sollicitée par les défendeurs.
[12] Après avoir ajourné l’audience et tenu compte des observations des parties, des éléments de preuve et des arguments sur le fondement desquels les défendeurs ont obtenu la charge provisoire fondée sur le paragraphe 458(1) ainsi que du préjudice que subiraient chaque partie, ou les bénéficiaires de la fiducie, si la Cour devait accueillir la requête des défendeurs, j’ai refusé de rendre l’ordonnance sollicitée et j’ai déclaré que nous procéderions à l’audience de justification sur le fond. Mon refus s’explique essentiellement par la thèse, les arguments et la preuve sur le fondement desquels les défendeurs ont obtenu la charge provisoire, et par le fait que la preuve et les observations présentées par M. Shaker à l’audience de justification ne visaient pas à contester la preuve présentée par les défendeurs ou le fait qu’il est fiduciaire de la fiducie qui détient le bien de Blue Jays Way. Étant donné que, dans les observations de fond présentées à l’audience, les défendeurs ont repris les demandes qu’ils avaient présentées dans leur projet d’ordonnance, avec des modifications, j’expliquerai plus en détail mes conclusions dans la section consacrée à l’analyse de la présente ordonnance et ses motifs.
III.
Contexte – M. Shaker
[13] M. Shaker est conseiller financier et gestionnaire de patrimoine. Il a ouvert son bureau à Ottawa, puis l’a déménagé au Royaume-Uni en 2009. M. Shaker conseille ses clients sur des questions fiscales complexes et les éléments d’actif fiduciaire. Dans le cadre de son travail, il offre notamment un service d’aide pour la création et la mise en œuvre de fiducies canadiennes pouvant détenir des biens de placement.
[14] Au fil des ans, M. Shaker a créé ou a participé à la création de trois sociétés figurant, ou ayant figuré, dans la structure de financement créée en vue de l’achat du bien de Blue Jays Way. En 2002, M. Shaker a fondé OCA Financial Group Ltd. (OCA Financial), dont il est devenu administrateur, une société canadienne qui offre des services de planification et de consultation financières. En 2008, M. Shaker a contribué à la fondation et est devenu administrateur de Providence Wealth Inc. (par la suite renommée Providence Wealth Corporation) (PW Corp), une autre société canadienne, qui offre des services semblables. Le 5 mai 2009, il a été destitué de son poste d’administrateur de PW Corp, rétroactivement au 30 décembre 2008.
[15] En 2009, M. Shaker a fondé Providence Wealth Corporation Limited (PWCL) à Londres, en Angleterre. Il est toujours administrateur de PWCL.
IV.
Vinyl Spin Investment Trust et le bien de Blue Jays Way
[16] Selon les éléments de preuve soumis à la Cour, M. Shaker a, en sa qualité de fiduciaire de la Vinyl Spin Investment Trust (la fiducie VSI), un intérêt en common law dans le bien de Blue Jays Way. Ce point n’est pas contesté par les parties.
[17] La fiducie VSI a été créée en 2008, et MM. Shaker, Ralph Karam et Chadwick Boyd en sont les cofiduciaires. Dans son affidavit, M. Shaker déclare qu’il n’est pas et n’a jamais été bénéficiaire de la fiducie VSI, qu’il n’a aucun intérêt direct ou indirect dans l’actif de la fiducie VSI et qu’il n’est pas et n’a jamais été dirigeant, administrateur ou actionnaire d’un des bénéficiaires de la fiducie VSI. Je ne tire aucune conclusion quant à la question de savoir si M. Shaker a un intérêt bénéficiaire dans la fiducie VSI et je n’ai pas tenu compte des déclarations que celui‑ci a faites à cet égard dans son affidavit.
[18] La fiducie VSI a acheté le bien de Blue Jays Way en 2008 au prix de 1 650 000 $. Selon le titre de propriété, MM. Shaker et Karam sont les fiduciaires du bien. M. Shaker a signé tous les documents requis en sa qualité de fiduciaire.
[19] En octobre 2008, OCA Financial a enregistré une charge équivalant au prix d’achat contre le bien de Blue Jays Way. M. Shaker a déclaré que les fonds ayant servi à l’achat du bien ont été prêtés par des clients (prêteurs de la fiducie VSI) d’OCA Financial à la fiducie VSI. La charge a été transférée à PW Corp en 2009, puis à PWCL en 2018.
V.
Questions en litige
[20] Les questions soumises à la Cour sont les suivantes :
La charge provisoire devrait-elle être annulée?
La Cour devrait-elle accueillir la demande des défendeurs visant à ce que le produit net tiré de la vente du bien de Blue Jays Way soit consigné à la Cour en attendant le contre-interrogatoire de M. Shaker, principalement sur la question de son possible intérêt bénéficiaire dans la fiducie VSI?
VI.
Analyse
[21] Le sous-alinéa 458(1)a)(i) prévoit notamment qu’en vue de garantir le paiement d’une somme déterminée, la Cour peut, sur requête ex parte du créancier judiciaire, rendre une ordonnance constituant une charge à titre provisoire sur un intérêt dans un bien réel lorsque le débiteur judiciaire, même indirectement, détient un intérêt dans le bien réel, y compris un intérêt bénéficiaire. La Cour peut également rendre une ordonnance enjoignant au débiteur judiciaire de faire valoir les raisons pour lesquelles la charge ne devrait pas être maintenue (art 458(1)b)). Selon le paragraphe 459(1), à l’audience de justification, la Cour doit déclarer définitive la charge provisoire ou l’annuler. Enfin, sur requête du débiteur judiciaire ou de toute autre personne ayant un droit sur le bien grevé par une charge, la Cour peut annuler ou modifier l’ordonnance constituant la charge, aux conditions qu’elle estime équitables quant aux dépens (art 462).
[22] Le texte intégral des dispositions applicables de la LIR et des Règles figure à l’annexe B de la présente ordonnance et ses motifs.
[23] Dans leurs prétentions écrites à l’appui de la requête ex parte fondée sur le paragraphe 458(1), les défendeurs ont demandé que la charge provisoire garantisse le paiement de la dette fiscale de M. Shaker uniquement parce que celui‑ci est fiduciaire de la fiducie VSI. Leur argumentaire était le suivant :
Le fiduciaire est propriétaire en common law du bien détenu en fiducie;
Le propriétaire en common law d’un bien a un intérêt dans ce bien;
M. Shaker est l’un des fiduciaires de la fiducie VSI;
Par conséquent, M. Shaker est l’un des propriétaires en common law du bien de Blue Jays Way et a un intérêt dans ce bien au sens du sous‑alinéa 458(1)a)(i).
[24] À l’audience de justification, les défendeurs ont reconnu que le bien de Blue Jays Way ne pouvait être grevé d’une charge en vue de garantir la dette personnelle de M. Shaker uniquement parce que ce dernier était l’un des fiduciaires de la fiducie VSI. Ils ont donc convenu que la charge provisoire devrait être annulée.
[25] M. Shaker a mentionné qu’il contesterait la dette fiscale dans une instance distincte. Je ne tire aucune conclusion sur la capacité de M. Shaker à contester la dette fiscale, sur le bien‑fondé des arguments qu’il a présentés ou qu’il pourrait présenter à cet égard, ainsi que sur l’issue probable d’une telle instance distincte. Aux seules fins de la présente ordonnance et ses motifs, je suppose que la dette fiscale existe et que M. Shaker est un débiteur fiscal au sens de la LIR.
La charge provisoire devrait‑elle être déclarée définitive parce que M. Shaker agit comme fiduciaire de la fiducie VSI?
[26] Je prends acte de la concession faite par les défendeurs relativement à l’annulation de la charge provisoire, mais j’examinerai brièvement les principes fiduciaires en cause.
[27] M. Shaker reconnaît qu’il est l’un des fiduciaires de la fiducie VSI et qu’un fiduciaire détient un titre de propriété en common law sur le bien fiduciaire (Spencer c Riesberry, 2012 ONCA 418 au para 53; voir la décision invoquée par les défendeurs, Hussaini c Crowe Soberman Inc, 2019 ONSC 642 au para 67). Il soutient toutefois qu’en sa qualité de fiduciaire de la fiducie VSI, il n’est pas un débiteur judiciaire qui a un intérêt dans le bien de Blue Jays Way au sens de l’article 458 pour les raisons suivantes :
L’interprétation que font les défendeurs de l’expression
« débiteur judiciaire »
ne tient pas compte du fait qu’il a contracté la dette fiscale en sa qualité personnelle et non en sa qualité de fiduciaire de la fiducie VSI;Le fiduciaire qui détient un bien fiduciaire ne
« détient [pas] un intérêt »
dans ce bien fiduciaire au sens de l’article 458.
[28] Je suis d’accord avec M. Shaker.
[29] Les expressions « débiteur judiciaire »
et « intérêt dans un bien réel »
employées à l’article 458 doivent être interprétées dans leur sens ordinaire et grammatical, conformément à l’esprit et à l’objet des Règles. Il ressort de la preuve des défendeurs que la dette fiscale est une dette personnelle de M. Shaker. Aux fins du sous-alinéa 458(1)a)(i), M. Shaker est un débiteur judiciaire en sa qualité personnelle et non en sa qualité de fiduciaire de la fiducie VSI. L’interprétation que font les défendeurs de l’expression « débiteur judiciaire »
à l’article 458 ne tient pas compte des rôles distincts que joue le fiduciaire.
[30] La personne qui est fiduciaire agit à deux titres distincts : en sa qualité personnelle et en sa qualité de fiduciaire. En sa qualité de fiduciaire, elle agit à ce titre au profit des bénéficiaires de la fiducie. Le fiduciaire est tenu non seulement de maintenir séparées ses affaires personnelles et les affaires et propriétés de la fiducie, mais aussi de protéger les intérêts des bénéficiaires de la fiducie. Les créanciers d’un fiduciaire n’ont aucun droit sur le bien fiduciaire lorsque la dette en cause est la dette personnelle du fiduciaire (Waters’ Law of Trusts in Canada (5e éd) à la p 14). En l’espèce, la dette fiscale n’appartient pas à la fiducie VSI, et l’ARC ne peut recouvrer sa créance (la dette de M. Shaker) sur le bien fiduciaire (le bien de Blue Jays Way). Toute autre conclusion aurait une incidence indue et préjudiciable sur les intérêts des tiers bénéficiaires de la fiducie VSI.
[31] M. Shaker fait valoir que l’expression, au sous-alinéa 458(1)a)(i), « intérêt dans un bien réel »
d’un débiteur judiciaire, n’englobe pas l’intérêt en common law qu’il possède dans le bien de Blue Jays Way à titre de fiduciaire de la fiducie VSI. Il ne détient aucun droit de propriété (personnel ou pécuniaire) sur le bien de Blue Jays Way que la charge provisoire peut grever.
[32] L’argument avancé par M. Shaker trouve appui dans les principes de base du droit des fiducies et dans la jurisprudence. La common law fait une distinction entre la propriété en common law et la propriété effective. La personne ayant la propriété effective d’un bien peut exercer ses droits de propriété effective à l’égard du titulaire d’un titre de propriété en common law. Comme le souligne M. Shaker dans ses prétentions écrites, la Cour suprême du Canada a récemment eu l’occasion de se pencher sur les principes fondamentaux du droit des fiducies. Au paragraphe 16 de l’arrêt Valard Construction Ltd c Bird Construction Co, 2018 CSC 8 (Valard), le juge Brown a déclaré ce qui suit au nom de la majorité :
[16] Quant à ce droit général [des fiducies], ses principes fondamentaux sont révélateurs. Essentiellement, constitue une « fiducie » :
[traduction]… la relation qui s’établit chaque fois qu’une personne (appelée fiduciaire) est tenue, en equity, de détenir un bien […] au profit de certaines personnes […] ou en vue de certaines fins autorisées par la loi, de façon à ce que ce bien profite concrètement non pas [au fiduciaire] mais aux bénéficiaires ou à la réalisation des fins de la fiducie.
[33] Le juge Brown a également fait remarquer que le fiduciaire détient les biens en fiducie uniquement pour que les bénéficiaires puissent en jouir et ne peut tirer un avantage personnel des opérations qu’il mène à l’égard des biens de la fiducie ou de ses rapports avec les bénéficiaires de celle-ci (Valard, au para 17). Au paragraphe 47 de l’arrêt Canada c Canada North Group Inc, 2021 CSC 30, la juge Côté a fait écho à ces principes, affirmant qu’« [o]n ne peut pas dire que les biens détenus en fiducie appartiennent au fiduciaire parce qu’“en equity, ils appartiennent à une autre personne” (Henfrey, p. 31) »
. Par conséquent, le fiduciaire ne peut utiliser un bien fiduciaire pour acquitter une dette personnelle.
[34] Peu de décisions de la Cour concernent le sens de l’expression « intérêt dans un bien réel »
aux fins de l’application de l’article 458. Les défendeurs invoquent la décision Canada (Revenu national) c McDonald, 2010 CF 340 (McDonald), du juge Russell. Dans cette affaire, M. McDonald soutenait que l’article ne permettait pas l’enregistrement d’une charge parce que le droit de propriété en cause consistait en un intérêt bénéficiaire indirect éventuel dans la donation de biens réels prévue dans le testament de son père. Le juge Russell n’était pas de cet avis, jugeant que l’article 458 ne posait aucune limite à la nature ni à l’étendue des droits immobiliers d’un débiteur judiciaire (McDonald, au para 6).
[35] Je suis d’avis que les propos du juge Russell n’aident pas les défendeurs. Dans la décision McDonald, la Cour se penchait sur un intérêt bénéficiaire et éventuel dans un bien réel. Le juge Russell n’avait pas à tenir compte de la nature de l’intérêt du fiduciaire dans le bien de la fiducie.
[36] En résumé, je conclus que (1) M. Shaker est un débiteur judiciaire aux fins de la dette fiscale et de l’article 458, mais seulement en sa qualité personnelle; et (2) l’intérêt qu’a M. Shaker dans le bien de Blue Jays Way en tant que fiduciaire n’est pas un intérêt dans ce bien au sens du sous-alinéa 458(1)a)(i).
Demande des défendeurs en vue d’obtenir une ordonnance de consignation à la Cour en attendant de pouvoir contre-interroger M. Shaker
[37] Comme je l’ai déjà mentionné, les défendeurs reconnaissent que la charge provisoire doit être annulée, mais ils demandent maintenant que l’ordonnance provisoire soit modifiée. Ils soutiennent que le produit net de la vente du bien de Blue Jays Way, qui est imminente, doit être consigné à la Cour en attendant de pouvoir contre-interroger M. Shaker. Ils font valoir que cette modification à l’ordonnance constituant la charge protège les intérêts de toutes les parties en ce qu’elle accorde suffisamment de temps pour déterminer la nature de l’intérêt de M. Shaker dans la fiducie VSI.
[38] Si les défendeurs souhaitent contre-interroger M. Shaker, c’est avant tout pour lui poser des questions sur la déclaration qu’il a faite dans son affidavit selon laquelle il n’a aucun intérêt bénéficiaire dans la fiducie VSI. Ils soutiennent que la Cour ne peut tirer de conclusion de fait sur cette question sur la base d’un affidavit dont l’auteur n’a pas été contre-interrogé. Ils ajoutent qu’ils ne disposent d’aucun renseignement concernant la fiducie VSI, puisque les documents constitutifs de la fiducie n’ont pas été produits avec l’affidavit de M. Shaker.
[39] Les arguments des défendeurs ne me convainquent pas.
[40] Au risque de me répéter, la requête ex parte présentée par les défendeurs au titre du sous‑alinéa 458(1)a)(i) repose sur la thèse voulant que M. Shaker possède un intérêt en common law dans le bien de Blue Jays Way en tant que fiduciaire de la fiducie VSI, lequel justifie de grever ce bien d’une charge en vue de garantir le paiement de sa dette fiscale personnelle.
[41] Les défendeurs soutiennent qu’il n’y avait rien d’irrégulier à s’appuyer sur le paragraphe 458(1) pour présenter leur requête ex parte sur le fondement étroit de l’intérêt de M. Shaker en tant que fiduciaire de la fiducie VSI. Je suis d’accord. Cependant, je ne souscris pas à leur argument selon lequel, ayant obtenu l’ordonnance provisoire, ils peuvent maintenant abandonner la thèse et l’argument qu’ils ont présentés devant la juge Sadrehashemi et procéder à un contre-interrogatoire exhaustif de M. Shaker étant donné que ce dernier a fait valoir les raisons pour lesquelles la charge provisoire devait être annulée. La requête ex parte prévue au paragraphe 458(1) ne doit pas servir de recours passerelle.
[42] Les défendeurs conviennent avec M. Shaker que ce dernier est fiduciaire de la fiducie VSI. La preuve présentée par les parties à cet égard va dans ce sens. Jamais, avant l’audience du 21 mars 2022, les défendeurs n’ont affirmé (ou présenté de preuve le démontrant ou le laissant croire) que M. Shaker était bénéficiaire de la fiducie VSI ou qu’il avait un intérêt bénéficiaire dans le bien de Blue Jays Way.
[43] M. Shaker était tenu de comparaître à l’audience de justification et de répondre aux allégations, à la preuve présentée et à la réparation demandée par les défendeurs dans la requête fondée sur le paragraphe 458(1), ce qu’il a fait. Les pièces présentées en preuve et les renseignements fournis dans l’affidavit de M. Shaker relativement à son rôle de fiduciaire complètent ceux présentés par les défendeurs. Les arguments de M. Shaker viennent contredire les raisons pour lesquelles la charge provisoire a été imposée.
[44] Ma décision d’ordonner l’annulation de la charge provisoire repose sur les principes du droit des fiducies et la jurisprudence, lesquels établissent une distinction entre les intérêts du fiduciaire dans le bien détenu en fiducie et ceux des bénéficiaires de la fiducie. La déclaration faite par M. Shaker dans son affidavit, selon laquelle il n’a aucun intérêt bénéficiaire dans la fiducie VSI, n’a aucun rapport avec la question dont je suis saisie, et je n’en ai pas non plus tenu compte pour tirer mes conclusions. M. Shaker n’était pas obligé de joindre des copies des documents constitutifs de la fiducie VSI en tant que pièces à son affidavit, puisque les défendeurs n’avaient exprimé aucune préoccupation quant à l’existence de la fiducie ou au statut des fiduciaires.
[45] Je conclus que les défendeurs ne peuvent pas s’appuyer sur des renseignements accessoires présentés dans l’affidavit de M. Shaker pour changer considérablement la thèse sur laquelle ils se sont basés pour demander la constitution d’une charge sur le bien de Blue Jays Way. Leur préoccupation non étayée que M. Shaker pourrait avoir un intérêt bénéficiaire dans la fiducie VSI ne saurait justifier que la Cour autorise un examen général des affaires de M. Shaker.
VII.
Conclusion
[46] La requête de M. Shaker est accueillie. La charge provisoire grevant le bien de Blue Jays Way, dont la description officielle figure à l’annexe A, sera annulée. La demande d’ordonnance des défendeurs visant à ce que le produit net tiré de la vente du bien de Blue Jays Way soit consigné à la Cour est rejetée. D’autres mesures concernant les documents enregistrés sur le titre du bien de Blue Jays Way figurent dans l’ordonnance jointe aux présents motifs.
[47] Après l’audience du 21 mars 2022, les deux parties ont soumis à la Cour des observations concernant les dépens. Les dépens seront adjugés à M. Shaker en tant que partie ayant eu gain de cause. Se fondant sur les paragraphes 400(3) et (4), M. Shaker réclame une somme globale de 50 000 $ à titre de dépens. Le mémoire de frais présenté à l’appui de sa demande indique des honoraires et des débours de 11 017,50 $, calculés selon le tarif B. M. Shaker fait valoir que, bien que les dépens sous forme de somme globale se situent généralement dans une fourchette de 20 % à 50 % des frais de justice réels, la Cour peut adjuger une somme plus élevée en fonction des facteurs applicables à l’affaire dont elle est saisie. M. Shaker soutient qu’en l’espèce, l’adjudication de dépens majorés est justifiée pour plusieurs raisons. Même si je souscris à certaines des observations de M. Shaker, surtout celles concernant la décision des défendeurs de changer la thèse invoquée pour obtenir l’ordonnance provisoire qui, de leur propre aveu, n’est pas étayée, je n’ai tiré aucune conclusion concernant plusieurs des autres arguments avancés dans les observations relatives aux dépens. Par conséquent, dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, j’adjuge à M. Shaker une somme globale de 12 000 $, ce qui comprend la totalité des honoraires d’avocat, débours et taxes applicables. Il s’agit d’une somme globale adjugée relativement à la présente ordonnance et à mon ordonnance rendue à la même date concernant le bien désigné comme le bien de Navy Wharf.
ORDONNANCE DANS LE DOSSIER ITA-143-22
LA COUR ORDONNE :
La requête en annulation de la charge provisoire est accueillie.
La charge provisoire grevant le bien de Blue Jays Way, sous le NIP 12555-0192 (LT), dont la description officielle figure à l’annexe A de la présente ordonnance, est annulée.
Le Bureau d’enregistrement immobilier de la Division de l’enregistrement des droits immobiliers de Toronto no 80 doit radier la Demande d’enregistrer une ordonnance du tribunal portant le numéro d’enregistrement AT6009388, qui a été enregistrée le 7 mars 2022, du NIP 12555-0192 (LT), dont la description officielle figure à l’annexe A de la présente ordonnance.
Le droit que confèrent à la Couronne les brefs de saisie-exécution déposés auprès du shérif de la ville d’Ottawa et/ou du shérif de la ville de Toronto est par les présentes radié en ce qui concerne le bien de Blue Jays Way, et le shérif de la ville d’Ottawa et/ou le shérif de la ville de Toronto ne doit prendre aucune mesure pour exécuter ce ou ces brefs de saisie-exécution enregistrés à l’égard du bien de Blue Jays Way.
La demande présentée par le ministère de la Justice, au nom de Sa Majesté la Reine du chef du Canada, et l’Agence du revenu du Canada afin que le produit net tiré de la vente du bien de Blue Jays Way soit consigné à la Cour est rejetée.
Des dépens afférents à la requête, fixés à la somme de 12 000 $, ce qui comprend les honoraires d’avocat, les débours et les taxes applicables, sont adjugés à M. Charles Shaker relativement à la présente ordonnance et à mon ordonnance rendue à la même date concernant le bien désigné comme le bien de Navy Wharf.
« Elizabeth Walker »
Juge
Traduction certifiée conforme
Sophie Reid-Triantafyllos
ANNEXE A
UNITÉ 5, ÉTAGE 8, TORONTO STANDARD CONDOMINIUM PLAN NO 1555 AINSI QUE SES DROITS ACCESSOIRES. LA DESCRIPTION DU BIEN CONDOMINIAL EST LA SUIVANTE : PARTIE DU LOT 20 SUR LE CÔTÉ OUEST DE BLUE JAYS PL D-263, ET PARTIE DU LOT 9, BLOC O, PLAN DE LA RÉSERVE MILITAIRE, PARTIE 4, PLAN 66R-20629, VILLE DE TORONTO. GREVÉES ET BÉNÉFICIANT DES SERVITUDES DÉCRITES DANS LA DÉCLARATION AT‑331427.
ANNEXE B
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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ITA-143-22
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INTITULÉ :
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AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi de l’impôt sur le revenu
AFFAIRE INTÉRESSANT la ou les cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu d’une ou de plusieurs des lois suivantes : la Loi de l’impôt sur le revenu, le Régime de pensions du Canada, la Loi sur l’assurance-emploi et la Loi de l’impôt sur le revenu, à l’égard de :
CHARLES SHAKER, 1, Canada Square, 37e étage, Londres, E14 4EF, Royaume-Uni
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 21 MARS 2022
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ORDONNANCE ET MOTIFS :
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LA JUGE WALKER
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DATE DES MOTIFS :
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LE 24 mars 2022
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COMPARUTIONS :
Henry Gluch
Pierre-Olivier Lemieux
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POUR LE procureur général, au nom de Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministre du Revenu national
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Peter J. Henein
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POUR CHARLES SHAKER
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Brian Studniberg
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POUR CHARLES SHAKER
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, AU NOM DE SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
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Waddell Phillips
Avocats
Toronto (Ontario)
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POUR CHARLES SHAKER
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Henein Hutchison LLP
Avocats
Toronto (Ontario)
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POUR CHARLES SHAKER
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