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Date : 20220322


Dossier : T-112-21

Référence : 2022 CF 374

Ottawa (Ontario), le 22 mars 2022

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

BRUNO FORTIER

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Le demandeur, M. Bruno Fortier, demande le contrôle judiciaire de la décision rendue par l’Agence du revenu du Canada [l’Agence] le 15 décembre 2020, rejetant sa demande de prestation canadienne d’urgence [PCU].

[2] Dans sa décision, l’Agence informe M. Fortier qu’il est inadmissible à la PCU puisqu’il n’a pas cessé de travailler ou que ses heures de travail n’ont pas été réduites en raison de la COVID-19. L’Agence indique alors entre autres à M. Fortier que, s’il a reçu un paiement de PCU auquel il était inadmissible, il devra rembourser le montant.

[3] Le 15 janvier 2021, M. Fortier dépose son avis de demande auprès de la Cour. Il demande essentiellement à la Cour (1) de révoquer la décision de l’Agence de rembourser des montants de PCU obtenue en mai, juin et juillet 2020; et (2) d’ordonner à l’Agence de lui payer la PCU de septembre 2020 d’un montant de 2000$.

[4] Le Procureur général du Canada [le PGC] concède que la demande de PCU de M. Fortier doit être renvoyée à l’Agence pour un nouvel examen en raison d’un manquement à l’équité procédurale. Il ajoute cependant qu’il n’existe par ailleurs aucun motif justifiant une intervention de la Cour par laquelle celle-ci imposerait la décision qu’elle estime la plus appropriée.

[5] Je suis d’accord avec les parties qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale dû à M. Fortier de nature à invalider la décision de l’Agence. Par ailleurs, je n’ai pas été convaincue que les circonstances justifient une autre réparation que celle habituellement octroyée, soit de renvoyer l’affaire à l’Agence pour un nouvel examen. Ainsi, et pour les motifs plus amplement décrits ci-dessous, j’accorderai la demande de contrôle judiciaire de M. Fortier et renverrai l’affaire à l’Agence pour un nouvel examen, par un agent différent.

II. Le contexte

[6] Le 2 juin 2020, M. Fortier présente une demande de PCU. La demande de M. Fortier fait l’objet d’un examen par l’Agence afin de déterminer si M. Fortier rencontre les exigences.

[7] Le 2 octobre 2020, un agent de l’Agence informe verbalement M. Fortier que sa demande de PCU est refusée puisque l’agent qui a procédé à l’examen a conclu que M. Fortier ne rencontrait pas les critères. Les 8 octobre et 11 novembre 2020, M. Fortier soumet des documents supplémentaires par télécopieur et demande un nouvel examen de la décision refusant son admissibilité et la possibilité de démontrer qu’il rencontre les critères.

[8] Une agente de l’Agence est désignée pour procéder au deuxième examen de l’admissibilité de M. Fortier à la PCU. Lors de son examen, l’agente examine les documents supplémentaires transmis par M. Fortier et parmi lesquels se trouve son relevé d’emploi. L’agente constate que l’employeur de M. Fortier a consigné, sur ledit relevé d’emploi, le code « AOO » dans la case intitulée « Raison du récent relevé d’emploi ». L’agente contacte donc l’ancien employeur de M. Fortier, et cet ancien employeur indique à l’agente que l’emploi de M. Fortier a pris fin parce que son contrat a pris fin.

[9] L’agente ne contacte alors pas M. Fortier pour lui donner l’opportunité de commenter, mais conclut néanmoins que ce dernier n’a pas perdu son emploi pour un motif relié à la COVID-19. Le 15 décembre 2020, l’agente transmet à M. Fortier la lettre qui l’informe qu’il est inadmissible, soit la décision contestée en l’instance.

III. Décision

[10] M. Fortier soulève plusieurs motifs au soutien de sa demande de contrôle judiciaire, mais un seul suffit pour accueillir sa demande : celui du manquement à l’équité procédurale.

[11] M. Fortier soulève, au paragraphe 107 de son mémoire que l’application de règles d'équité procédurale par l’agente de l’Agence aurait conduit à des conclusions différentes. Au paragraphe 96 de son mémoire, M. Fortier semble soutenir aussi que son droit d’être entendu n’a pas été respecté.

[12] Le PGC répond qu’il est d’accord avec M. Fortier sur ce point. Selon le PGC « [l]e décideur, bien qu’il ait fondé sa conclusion à l’effet que le demandeur n’avait pas cessé son emploi pour un motif lié à la COVID-19 sur la preuve qui lui avait été soumise, n’a pas donné l’occasion au demandeur de présenter sa position à l’égard de ce second critère ».

[13] Citant la décision de la Cour dans Tiben c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 965 au paragraphe 17, le PGC soutient qu’en matière d’équité procédurale, la Cour doit être convaincue que la procédure suivie par le décideur est équitable eu égard à l’ensemble des circonstances. Ainsi, le décideur ayant requis des représentations sur un seul critère spécifique ne peut rejeter la demande de PCU en soutenant que le demandeur est inadmissible à l’égard d’un critère différent.

[14] Je souscris à la position des parties et conclus que l’agente de l’Agence a violé les principes d’équité procédurale. Tel que le juge Gascon l’écrit au paragraphe 28 de sa décision Haba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 732, l’obligation d’agir équitablement « […] comporte deux volets : le droit à une audition juste et impartiale devant un tribunal indépendant, et le droit d’être entendu (Re Therrien, 2001 CSC 35 au para 82). La nature et la portée de l’obligation d’équité procédurale peuvent varier en fonction des attributs du tribunal administratif et de sa loi habilitante mais, toujours, ses exigences renvoient à la procédure et non aux droits substantifs déterminés par le tribunal. Le principe d’équité procédurale protège les personnes, et permet l’intervention de la Cour au besoin, lorsqu’une décision ne respecte pas le droit d’un justiciable à une procédure juste et équitable ».

[15] La Cour d’appel fédérale discute des principes d’équité procédurale dans sa décision Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au paragraphe 56 en précisant que « [p]eu importe la déférence qui est accordée aux tribunaux administratifs en ce qui concerne l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire de faire des choix de procédure, la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre. Cela pourrait s’avérer problématique si une décision a priori sur la question de savoir si la norme de contrôle applicable est la norme de la décision correcte ou la norme de la décision raisonnable donnait une réponse différente à ce qui est une question singulière fondamentale à la notion de justice – a-t-on accordé à la partie le droit d’être entendue et la possibilité de connaître la preuve qu’elle doit réfuter? L’équité procédurale n’est pas sacrifiée sur l’autel de la déférence ».

[16] Ainsi, il s’agit de déterminer si M. Fortier a été entendu et s’il a eu la possibilité de connaître la preuve qu’il devait réfuter. Dans la présente affaire, il est clair que M. Fortier n’a pas eu l’occasion de présenter ses observations à l’agente quant au motif de la fin de son emploi et de répondre à la proposition de son ancien employeur. La Cour conclut qu’il y a là un manquement à l’équité procédurale de nature à invalider la décision du 15 décembre 2020.

[17] M. Fortier demande par ailleurs à la Cour de considérer ses explications quant aux raisons de la fin du contrat. Or, ces explications n’ont justement pas été présentées à l’agente et conséquemment, la Cour ne peut les examiner (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19; Brink’s Canada Limitée c Unifor, 2020 CAF 56 au para 13).

[18] Je souscris à la position du PGC en ce qui a trait au remède approprié. En effet, dans le cas d’erreurs procédurales ou d’erreurs substantives, le redressement habituel lorsque la Cour ne peut maintenir une décision administrative consiste à l’annuler et à la renvoyer au décideur pour qu’il procède à un nouvel examen (Entertainment Software Association c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2020 CAF 100 au para 99; Dugarte de Lopez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 707 aux para 30 à 32 [Dugarte de Lopez]). Le pouvoir discrétionnaire de la Cour de ne pas renvoyer le dossier pour une nouvelle décision doit se limiter aux rares cas, exceptionnels, où le contexte ne peut qu’inéluctablement mener à un seul résultat et où l’issue ne laisse aucun doute (Dugarte de Lopez au para 32, voir aussi Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 142).

[19] Cette exception n’est pas applicable en l’espèce puisqu’il n’y a pas une seule conclusion possible et il ne s’agit pas d’un cas exceptionnel (Hasselsjo c Canada (Procureur général) (22 septembre 2021), Toronto T-197-21 (CF); Hayat c Canada (Procureur général), 2022 CF 131 aux para 14 et 15; Christen c Canada (Agence du revenu), 2021 CF 1440 aux para 23 et 24).

[20] La demande de contrôle judiciaire de M. Fortier sera donc accordée et l’affaire renvoyée à l’Agence pour un nouvel examen, par un autre agent.

[21] Par ailleurs, selon la Règle 303(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, seul le PGC devrait être désigné à titre de défendeur. En conséquence, la Cour remplacera « l’Agence du revenu du Canada » et « M. St-Louis » par « le Procureur général du Canda » à titre de défendeur dans l’intitulé du dossier.


JUGEMENT dans le dossier T-112-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. L’affaire est renvoyée à l’Agence du revenu du Canada pour un nouvel examen par un autre agent;

  3. L’Agence du revenu du Canada et M. St-Louis sont remplacés par le Procureur général du Canada à titre de défendeur dans l’intitulé du dossier;

  4. Aucun dépens n’est accordé.

« Martine St-Louis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-112-21

INTITULÉ :

BRUNO FORTIER c CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec) par vidéoconférence

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 MARS 2022

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 22 MARS 2022

COMPARUTIONS :

M. Bruno Fortier

Pour le demandeur

(se représentant seul)

Me Jonathan Bachir-Legault

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Bruno Fortier

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

(se représentant seul)

Procureur Général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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