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Date : 20050725

Dossier : T-932-04

Référence : 2005 CF 1022

Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

ENTRE :

OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

demandeur

et

GEORGINA SASVARI

défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE J UGE O'KEEFE

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, présentée aux termes de l'article 18.1 de la Loi sur les cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, et modifications, qui vise la décision par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a déclaré qu'elle avait la compétence, aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6, dans sa version modifiée (la LCDP), pour faire enquête sur la plainte déposée par Georgina Sasvari (la défenderesse) contre l'Office des transports du Canada (le demandeur).

Le contexte

[2]         Le 21 novembre 1998, la défenderesse, une personne ayant une déficience, a essayé d'embarquer sur un vol d'Air Transat à Toronto pour passer des vacances sur l'île de St. Maarten, dans les Antilles hollandaises. Air Transat a refusé de permettre au chien aidant de la défenderesse de voyager avec elle dans la cabine des passagers, en raison de l'adoption par Air Transat de l'alinéa 149(1)b) du Règlement sur les transports aériens (le Règlement), DORS/88-58, et modifications, qui exige un certificat attestant que le chien aidant ait été dressé par un organisme professionnel avant de l'autoriser à prendre un vol.

[3]         À la suite du refus de la compagnie aérienne, la défenderesse a descendu de l'avion et n'a pas pris ses vacances. La défenderesse a alors déposé une plainte auprès du demandeur le 27 janvier 1999, conformément au paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10, et modifications (la LTC), en alléguant qu'Air Transat avait porté atteinte à sa liberté de circulation et d'établissement. Le demandeur a jugé, le 25 mai 1999, que même si la mobilité de la défenderesse avait effectivement été entravée et qu'il y avait eu des difficultés à informer la défenderesse des exigences à respecter, Air Transat ne faisait que suivre le Règlement, comme cette compagnie était tenue de le faire, et avait tenté de prendre des mesures d'adaptation à l'égard de la défenderesse.

[4]         La défenderesse a demandé au gouverneur en conseil de réviser cette décision, conformément à l'article 40 de la LTC. Dans ses observations, elle a allégué que sa liberté de circulation garantie par le paragraphe 6(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 (la Charte), ses droits à l'égalité aux termes de l'article 15 et son droit à la liberté aux termes de l'article 7 avaient été violés par le Règlement et elle demandait au gouverneur en conseil d'exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 170(3) de la LTC pour soustraire la défenderesse à l'application du Règlement.

[5]         Le gouverneur en conseil a rejeté cette demande le 23 août 2000.

[6]         Pendant cette période, la défenderesse a également déposé une plainte contre Air Transat devant la Commission. Cette plainte a été déposée en avril 2000. Elle a allégué que la compagnie aérienne avait agi de façon discriminatoire à son endroit en refusant de lui fournir des services, contrairement à l'article 5 de la LCDP. La Commission a rejeté la plainte le 31 octobre 2002 pour le motif que les preuves ne justifiaient pas l'allégation de la défenderesse, à savoir que celle-ci n'avait pas apporté la preuve prima facie qu'il y avait eu discrimination.

[7]         La défenderesse a alors déposé une nouvelle plainte devant la Commission en janvier 2003, contre Transports Canada, et elle a allégué que l'article 149 du Règlement constituait de la discrimination contre les personnes ayant une déficience et qui ont besoin d'animaux aidants non visés par un certificat.

[8]         Transports Canada a soutenu que le demandeur, et non pas Transports Canada, était la partie contre qui il convenait de déposer cette plainte et la Commission en a informé la défenderesse.

[9]         Le 10 juillet 2003, la défenderesse a déposé une nouvelle plainte identique contre le demandeur, plutôt que contre Transports Canada, comme le lui avait conseillé la Commission. Le 13 avril 2004, la Commission a fait savoir qu'elle se saisissait de la plainte et ferait enquête, malgré les arguments du demandeur selon lesquels la plainte ne relevait pas de la compétence de la Commission et qu'elle était visée par le principe de la chose jugée.

[10]       Le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission a accepté de se saisir de la plainte le 13 mai 2004. La Commission a déposé des requêtes en vue d'obtenir l'autorisation d'intervenir dans la présente affaire et dans le dossier de la Cour T-940-04, requêtes qui ont été rejetées par la protonotaire Tabib le 24 novembre 2004.

Les questions en litige

[11]       1.          Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission?

            2.          La Commission a-t-elle excédé sa compétence lorsqu'elle a :

            i)           accepté d'entendre la plainte de la défenderesse;

ii)          conclu que la plainte n'était pas irrecevable en vertu du principe de la chose jugée (plus précisément, l'irrecevabilité à remettre en cause une question)?

Les arguments du demandeur

[12]       La norme de contrôle

            Le demandeur soutient que les questions en litige sont des questions de droit et que, par conséquent, la norme de la décision correcte est la norme appropriée.

[13]       La compétence de la Commission

            Le demandeur soutient que la Commission a excédé sa compétence, en raison de l'article 5 de la LCDP, lequel énonce ce qui suit :

5. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public :

5. It is a discriminatory practice in the provision of goods, services, facilities or accommodation customarily available to the general public

a) d'en priver un individu;

a) to deny, or to deny access to, any such good, service, facility or accommodation to any individual, or

b) de le défavoriser à l'occasion de leur fourniture

b) to differentiate adversely in relation to any individual,

on a prohibited ground of discrimination.

[14]       Le demandeur soutient qu'il n'est pas le fournisseur des services qui ont été refusés à la défenderesse. Le demandeur a cité les arrêts Université de Colombie-Britannique c. Berg (1993), 102 D.L.R. (4th) 665; [1993] 2 R.C.S. 353, et Gould c. Yukon Order of Pioneers (1996), 133 D.L.R. (4th) 449; [1996] 1 R.C.S. 571, pour soutenir qu'il existe une différence entre le public en général et un public particulier desservi par un fournisseur de services particulier.

[15]       Dans l'arrêt Berg, précité, à la page 383, la Cour suprême a exposé cette notion de la façon suivante :

Je rejetterais donc toute définition du mot « public » qui refuse de reconnaître qu'un logement, des services ou des installations ne seront toujours offerts qu'à un sous-ensemble du public. Les étudiants admis à l'université ou à une école au sein de l'université, ou les personnes qui passent des contrats d'assurances avec un assureur public, ou les gens qui ouvrent des comptes dans des institutions financières deviennent le « public » en ce qui concerne ces services. Chaque service a son propre public et, une fois que ce « public » a été défini au moyen de critères d'admissibilité, la Loi a interdit d'établir des distinctions au sein de ce public.

[16]       La notion de public a été définie de la façon suivante dans l'arrêt Gould, précité :

[...] Une relation publique est donc requise entre le fournisseur du service et le bénéficiaire de ces services dans la mesure où le public doit se voir accorder l'accès ou l'admission, ou offrir le service par le fournisseur. La formulation des dispositions a une connotation transitive; ce n'est qu'une fois que le service, le logement, l'installation, etc., passe par le fournisseur et qu'il est mis à la disposition du public qu'il est visé par l'interdiction de la discrimination. [...]

[17]       Et au paragraphe 68 :

Aux fins du présent pourvoi, l'interprétation appropriée de l'al. 8a) suppose une analyse à deux volets. Dans un premier temps, il faut déterminer en quoi consiste le « service » , compte tenu des faits soumis à la cour. Une fois qu'on a établi en quoi consiste le « service » , il faut, dans un deuxième temps, déterminer si ce service crée une relation publique entre le fournisseur et l'utilisateur. Pour ce faire, il est indispensable de définir en quoi consiste le « public » à qui le service est offert, étant acquis que cette définition doit être d'ordre relationnel et non quantitatif. Pour vérifier si le service donne lieu à une « relation publique » , les critères suivants seront tous pertinents, sans être exhaustifs, savoir la sélectivité dans la prestation du service, la diversité du public à qui il est destiné, la participation de non-membres, son caractère commercial ou non, sa nature intime et son objet. Je tiens à souligner qu'aucun de ces critères n'est déterminant; par exemple, le simple fait qu'une organisation offre ou fournit son service de façon exclusive ne met pas nécessairement ce service à l'abri des lois antidiscriminatoires. Une relation publique doit être déterminée par un examen des critères permanents en fonction du contexte.

[18]       Le demandeur soutient que la réglementation du transport aérien, lequel est assuré par des tiers, ne constitue pas elle-même un service. Le demandeur affirme que le service en question est le transport aérien et que la défenderesse est effectivement membre de son public, mais que le fournisseur de services est Air Transat et non pas l'organisme de réglementation.

[19]       L'irrecevabilité à remettre en cause une question

            Le demandeur soutient en outre que la Commission ne pouvait de toute façon poursuivre son enquête sur la plainte en raison du principe de la chose jugée, parce qu'il soutient que ce principe s'applique à une décision de ce genre. Le demandeur a cité des extraits du traité de J. Sopinka, S. N. Lederman et A. W. Bryant, The Law of Evidence of Canada, 2e éd. (Toronto et Vancouver : Butterworths, 1999), dans lequel les auteurs examinent l'obligation de demander en première instance toutes les réparations reliées à la cause d'action et comment le principe de la chose jugée s'applique à une question qui a déjà fait l'objet d'un débat judiciaire et d'une décision.

[20]       Le demandeur soutient que la notion d'irrecevabilité à remettre en cause une question, un aspect du principe de la chose jugée, est applicable à l'espèce et il cite le critère suivant que la Cour suprême a adopté dans l'arrêt Angle c. Canada (Ministre du Revenu national) (1974), 47 D.L.R. (3d) 544; [1975] 2 R.C.S. 248 :

1.          la même question a été décidée;

2.          la question était définitive;

3.          les parties à la décision ou leurs ayants droit sont les mêmes dans les deux cas.

[21]       Le demandeur soutient que la question de savoir si l'article 149 du Règlement est discriminatoire est un aspect essentiel des plaintes déposées par la défenderesse devant la Commission, que la décision de la Commission au sujet de sa première plainte était définitive et avait tranché la question, et que le demandeur est un ayant droit à l'égard de la première décision, même s'il n'était pas nommé en qualité de partie, parce qu'il était concerné par la plainte.

[22]       L'argument du demandeur selon lequel il est un ayant droit est fondé sur un passage du traité The Law of Evidence in Canada, précité, qui énonce que le lien de droit peut découler de la coïncidence de droits ou d'un « droit participatif » (comme dans la décision Verlysdonk v. Premier Petrenas Construction Co. Ltd. et al., 1987 60 O.R. (2d) 65).

[23]       Le demandeur soutient que dans ce genre de cas, dans la mesure où le « bon sens » veut que la décision judiciaire concernant un plaideur lie également un ayant droit éventuel, la jurisprudence énonce que le tribunal doit agir comme si l'ayant droit avait effectivement été joint à l'affaire en qualité de partie.

[24]       Le demandeur soutient que si la Commission avait décidé dans sa première plainte qu'Air Transat avait commis un acte discriminatoire contre la défenderesse en appliquant l'article 149 du Règlement, alors le demandeur, en qualité d'organisme de réglementation, aurait également été déclaré responsable et aurait été obligé de modifier le Règlement. Par conséquent, il aurait dû être joint à la première plainte et il est de toute façon un ayant droit et, par conséquent, une partie de fait.

[25]       Le demandeur cite ensuite la conclusion de la Cour, dans la décision Hoffman-LaRoche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1997] 2 C.F. 681 (C.F. 1re inst.), selon laquelle une décision judiciaire entre parties sert de fin de non-recevoir tant en faveur qu'à l'encontre de toutes les parties. Le demandeur soutient qu'étant donné qu'il estime être un ayant droit et une partie de fait à la première plainte, la notion d'irrecevabilité s'applique dans cette affaire.

Les arguments de la défenderesse

[26]       La norme de contrôle

            La défenderesse soutient que les lois relatives aux droits de la personne au Canada sont de nature quasi constitutionnelle et que, par conséquent, les tribunaux doivent en général faire preuve d'une grande retenue à l'égard des décisions des commissions des droits de la personne.

[27]       La défenderesse signale que la question en litige qui était mentionnée dans toute la correspondance échangée entre le demandeur et la Commission au sujet du caractère approprié de la plainte était celle de savoir si la Commission devait exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l'alinéa 41(1)c) de la LCDP pour refuser de faire enquête.

[28]       L'alinéa 41(1)c) de la LCDP énonce :

41. (1) Sous réserve de l'article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

a) la victime présumée de l'acte discriminatoire devrait épuiser d'abord les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

(a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

(b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;

c) la plainte n'est pas de sa compétence;

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

e) la plainte a été déposée après l'expiration d'un délai d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

[29]       La défenderesse soutient qu'en vertu de l'article 41, la Commission est tenue d'accepter toutes les plaintes, sauf si elle estime que la plainte tombe dans une catégorie ci-dessus et exerce le pouvoir discrétionnaire qui lui permet de la refuser. Étant donné que cette disposition accorde à la Commission le pouvoir de rendre une décision de nature discrétionnaire, la défenderesse soutient qu'il y a lieu d'appliquer la norme de la décision manifestement déraisonnable.

[30]       La défenderesse a cité le paragraphe 22 de la décision Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne) (1994), 81 F.T.R. 1; [1994] A.C.F. no 1017 (C.F. 1re inst.), qui semble permettre l'application de la norme de la décision correcte ou celle de la décision manifestement déraisonnable à une décision discrétionnaire :

Il ne fait aucun doute que l'établissement et l'administration d'une procédure d'enquête sur les plaintes déposées en vertu de l'article 40 sont dans les limites du pouvoir discrétionnaire conféré à la CCDP par sa loi habilitante. Cette Cour ne devrait intervenir que si elle est convaincue que la Commission a commis une erreur de droit ou a posé un acte déraisonnable dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Cette norme est énoncée par mon collègue, le juge Nadon, dans l'arrêt Slattery c. Commission canadienne des droits de la personne, précité, aux pages 34 à 39, où il fait référence aux arrêts suivants de la Cour suprême : Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, et Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, en citant le raisonnement du juge McIntyre, à la page 5. La décision du juge Nadon dans l'arrêt Slattery, précité, a depuis été suivie par mon collègue, le juge McKeown, dans l'arrêt Singh c. Commission canadienne des droits de la personne et autres, non publié, numéro du greffe T-2148-93, 20 mai 1994 (S.P.I.) [Veuillez examiner [1994] A.C.F. no 726].

[31]       Pour plus de commodité, je vais reproduire ici le passage de l'autre décision Slattery, précitée, à laquelle le juge McKay semble faire référence :

Selon l'esprit de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Mossop, il faut privilégier la retenue plutôt que l'interventionnisme tant que la CCDP traite des questions d'appréciation des faits et de décision, tout particulièrement à l'égard de questions pour lesquelles la CCDP dispose d'un vaste pouvoir discrétionnaire, comme lorsqu'il s'agit de décider s'il y a lieu de rejeter une plainte sous le régime du paragraphe 44(3).

[32]       La défenderesse a également cité une jurisprudence ontarienne constante selon laquelle la norme de la décision manifestement déraisonnable est applicable aux décisions discrétionnaires de la Commission ontarienne des droits de la personne.

[33]       La défenderesse soutient qu'il convient de faire preuve d'une retenue encore plus grande à l'étape de l'évaluation des plaintes relatives aux droits de la personne, de façon à ce que la Commission se saisisse du plus grand nombre de plaintes possible, cela dans l'intérêt public (voir la décision Société canadienne des postes c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (également connu sous l'intitulé Re Association canadienne des maîtres de poste et adjoints) (1997), 130 F.T.R. 241; [1997] A.C.F. no 578, qui a été récemment citée dans la décision Société canadienne des postes c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 425 (QL)).

[34]       La compétence de la Commission

            La défenderesse soutient que la plainte déposée contre le demandeur est fondée sur un règlement qu'elle prétend discriminatoire, et non pas sur le service que lui a refusé Air Transat. La plainte visant Air Transat portait uniquement sur l'incident de 1998 au cours duquel un service lui avait été refusé, alors que la plainte visant le demandeur porte uniquement sur l'effet discriminatoire de l'article 149 du Règlement.

[35]       La défenderesse note également que la Commission a uniquement décidé de faire enquête sur la plainte, mais qu'elle n'a pas encore examiné le bien-fondé de la plainte et qu'elle ne s'est pas non plus prononcée à ce sujet. La défenderesse soutient que le décideur ne dispose pas encore de suffisamment de renseignements pour démontrer une absence de compétence qui déclencherait l'application de l'alinéa 41(1)c) et que, par conséquent, le demandeur pourra toujours soulever cette question plus tard, si ces éléments apparaissent.

[36]       L'irrecevabilité à remettre en cause une question

            La défenderesse note que le demandeur n'a pas mentionné l'alinéa 41(1)c) de la LCDP dans ses arguments et que c'est cette disposition légale qui précise les cas dans lesquels la Commission peut refuser d'entendre des plaintes. La défenderesse soutient que si la plainte n'est pas visée par une des exceptions énumérées à l'alinéa 41(1)c), la Commission est tenue de s'en saisir.

[37]       La défenderesse soutient que le demandeur doit donc établir soit que la Commission a exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère l'alinéa 41(1)c) de façon manifestement déraisonnable, soit que la Commission a omis d'exercer ce même pouvoir discrétionnaire et qu'elle a par conséquent commis une erreur de droit.

[38]       La défenderesse affirme que le demandeur invoque dans ses arguments un critère distinct d'irrecevabilité à remettre en cause une question dans le seul but de faire appliquer la norme de la décision correcte et qu'il se méprend sur la nature exacte des pouvoirs de la Commission. La défenderesse cite une décision de la Commission, Parisien c. La Commission de transport régional Ottawa-Carleton, dossier no T699/0402, décision no 1, [2002] C.C.R.D. no 23 (QL), pour soutenir que la Commission est un organisme d'enquête, et non pas un organisme décisionnel, et qu'elle n'a pas le pouvoir de se prononcer sur des questions de droit générales.

[39]       À titre subsidiaire, la défenderesse soutient que la plainte ne remplit pas les conditions énoncées dans l'arrêt Angle, précité, en matière d'irrecevabilité à remettre en cause une question. Elle reconnaît que la décision rendue par la Commission sur la première plainte était définitive et que la deuxième condition est donc remplie, mais elle soutient que les autres conditions ne le sont pas.

[40]       Pour ce qui est de la première condition, la défenderesse soutient que la première plainte concernait un incident isolé touchant Air Transat, alors que la plainte actuelle est une contestation systémique plus large qui porte sur un règlement que le demandeur est chargé d'élaborer. La défenderesse a cité la conclusion formulée au paragraphe 24 de l'arrêt Danyluk c. Ainsworth Technologies (2001), 201 D.L.R. (4th) 193; [2001] 2 R.C.S. 460, selon laquelle la première condition est très stricte et soutient que les plaintes sont de nature trop différente pour répondre à cette condition.

[41]       La défenderesse réitère également l'argument portant sur le caractère prématuré de la demande, en notant qu'il n'y a pas encore suffisamment de preuves au dossier pour que le décideur puisse savoir si la plainte porte sur la même question et que le demandeur pourra toujours soulever des objections plus tard, lorsque la plainte aura été présentée intégralement.

[42]       Pour ce qui est de la troisième condition, la défenderesse soutient que le demandeur n'était pas partie, ni ayant droit à l'égard de la première plainte. Il n'a pas été nommé en qualité de partie; il n'était pas mentionné dans la plainte et celle-ci ne mettait aucunement en jeu sa responsabilité.

Analyse et décision

[43]       Première question en litige

            Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission?

            La Cour d'appel fédérale et la Cour fédérale se sont prononcées sur la norme de contrôle applicable aux décisions rendues par la Commission aux termes de l'article 41 de la LCDP. Dans la décision Société canadienne des postes. c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (re Association canadienne des maîtres de poste et adjoints), [1997] A.C.F. no 578, le juge Rothstein a déclaré, aux paragraphes 4 et 5 :

Pour ce qui est du rôle que joue la Cour en vertu de l'article 41, il convient de noter que le pouvoir de la Commission de rendre des décisions en vertu de cet article est énoncé dans les termes suivants :

41. [...] la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime [...]

                                                                [Mots non soulignés dans l'original.]

Dans l'arrêt Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Williams, no du greffe A-855-96, 11 avril 1997, le juge Strayer déclare, à la page 11, au sujet du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration :

Il est frappant que le paragraphe 70(5) dispose que ne peut faire appel l'intéressé qui constitue un danger « selon le ministre » et non « selon le juge » . Par ailleurs, le législateur n'a pas formulé la disposition de manière objective, c'est-à-dire en prescrivant qu'une attestation interdisant un autre appel peut uniquement être délivrée s'il est « établi » ou « décidé » que l'appelant constitue un danger pour le public au Canada. Le législateur a plutôt eu recours à une formulation subjective pour énoncer le pouvoir de tirer une telle conclusion : le critère n'est pas celui de savoir si le résident permanent constitue un danger pour le public, mais celui de savoir si, « selon le ministre » , il constitue un tel danger. Il existe une jurisprudence abondante selon laquelle, à moins que toute l'économie de la Loi n'indique le contraire en accordant par exemple un droit d'appel illimité contre un tel avis, ces décisions subjectives ne peuvent pas être examinées par les tribunaux, sauf pour des motifs comme la mauvaise foi du décideur, une erreur de droit ou la prise en considération de facteurs dénués de pertinence.

Je crois que la même façon de voir est justifiée dans le cas de l'article 41 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La décision incombe à la Commission et elle est énoncée en des termes subjectifs, et non en des termes objectifs. La portée du contrôle judiciaire d'une telle décision est donc étroite. Seules des considérations comme la mauvaise foi de la Commission, l'erreur de droit ou le fait de se fonder sur des facteurs non pertinents s'appliquent.

Lorsqu'une question de compétence est en cause, le raisonnement de la Cour a été exprimé par le juge en chef Thurlow dans le jugement Procureur général du Canada c. Cumming, [1980] 2 C.F. 122, aux pages 132 et 133 :

Il est préférable pour la Cour de laisser le tribunal tenir ses enquêtes librement et de ne pas le lui interdire, sauf dans les cas où il est clair et indubitable que le tribunal n'est pas compétent pour statuer sur la question qui lui est soumise.

Je crois qu'il s'ensuit que, si la Cour doit faire preuve d'une grande retenue judiciaire lorsque des questions de compétence sont en cause, au moins le même degré de retenue, sinon un degré plus élevé, s'appliquerait à d'autres types de décisions visées par l'article 41, par exemple les décisions discrétionnaires, factuelles ou même les décisions de fait et de droit.

[44]       La décision du juge Rothstein a été confirmée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Société canadienne des postes c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1999] A.C.F. no 705. La Cour d'appel a déclaré aux paragraphes 4 et 5 :

Selon Postes Canada, vu qu'il a lui-même évoqué la possibilité d'une conduite douteuse de la part de l'Association, le juge des requêtes s'en est remis à tort à la décision de la Commission quant à l'absence de mauvaise foi. De plus, affirme Postes Canada, les mots « mauvaise foi » utilisés à l'alinéa 41(1)d) ont une connotation juridique; ils requièrent donc une déférence judiciaire moindre que les mots « frivole » et « vexatoire » qui sont plus axés sur les faits.

Bien qu'elle soit habile, l'argumentation de l'avocat de l'appelante est à notre avis non fondée. Selon nous, le juge des requêtes a interprété de façon appropriée le cadre législatif sur lequel la Commission a fondé sa décision. En utilisant les termes « [la Commission] estime » , le législateur indique clairement qu'il incombe à la Commission de déterminer s'il y a « mauvaise foi » dans les circonstances de l'espèce.

[45]       À mon avis, il a été décidé que la norme de contrôle applicable aux décisions rendues par la Commission aux termes du paragraphe 41(1) de la LCDP est celle de la décision manifestement déraisonnable. J'en arriverais à la même conclusion en appliquant l'approche pragmatique et fonctionnelle exposée dans l'arrêt Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226. Comme la Cour d'appel a déjà fixé la norme de contrôle applicable aux décisions de l'article 41, je ne procéderai pas à cette analyse.

[46]       Deuxième question en litige

            La Commission a-t-elle excédé sa compétence lorsqu'elle a :

i)           accepté d'entendre la plainte de la défenderesse;

ii)          conclu qu'elle n'était pas irrecevable en vertu du principe de la chose jugée (plus précisément, l'irrecevabilité à remettre en cause une question)?

            Dans l'arrêt Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, la Cour suprême du Canada a déclaré, aux pages 890 à 893, que la Commission n'avait pas le pouvoir de trancher des questions de droit, sauf lorsqu'il s'agissait d'interpréter et d'appliquer sa loi habilitante. En l'espèce, la Commission peut donc examiner la LCDP, sa loi habilitante, pour décider si elle a la compétence pour entendre la plainte.

[47]       Le paragraphe 41(1) de la LCDP précise que la Commission est tenue d'examiner toutes les plaintes qui lui sont communiquées, sauf, notamment, lorsque la Commission estime que la plainte n'est pas de sa compétence (alinéa 41(1)c) de la LCDP). Dans la présente affaire, la compétence de la Commission se trouve dans l'article 5 de la LCDP. La question pertinente est donc de savoir si le demandeur fournit un service qui est habituellement offert au public. Si l'OTC ne fournit pas un service habituellement offert au public, la Commission n'a pas la compétence pour entendre la plainte.

[48]       La plainte déposée auprès de la Commission par la défenderesse en l'espèce se lisait ainsi :

[TRADUCTION]

ALLÉGATION

L'Office des transports du Canada applique une politique discriminatoire qui refuse l'accès au transport aérien à un groupe identifiable de personnes ayant des déficiences et qui ont besoin de la présence d'un chien aidant à leurs côtés, violant ainsi l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

EXPOSÉ

J'ai une déficience et j'ai besoin d'un chien aidant pour me déplacer. Je me sers de ce chien pour maintenir mon équilibre en m'appuyant sur ses épaules et sur ses hanches. Il m'aide à conserver mon équilibre lorsque je monte des escaliers ou marche sur des surfaces inégales. Il m'aide à ramasser les choses qui se trouvent par terre, il tire mon scooter sur lequel je me déplace et il me réanime si je perd connaissance.

Le 21 novembre 1998, sur un vol entre Toronto et St. Maarten, Air Transat a refusé de transporter mon animal aidant dans la cabine des passagers de l'aéronef, conformément à l'article 149 du Règlement sur le transport aérien, DORS/88-58, qui régit le transport des animaux aidants. Cette disposition exige que les animaux aidants voyageant avec des passagers soient munis d'un harnais, soient visés par un certificat et aient été dressés par un organisme professionnel de dressage des animaux. Mon chien ne possédait pas le certificat exigé. J'avais cependant une note de mon médecin confirmant le fait que j'avais besoin de mon chien pour me déplacer. Cela a été refusé.

J'ai présenté une plainte officielle à l'Office des transports du Canada au sujet de la façon dont j'ai été traitée. Ma plainte a été rejetée le 25 mai 1999. J'ai également déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne contre Air Transat, au sujet de la façon dont j'ai été traitée. Ma plainte a été rejetée le 31 octobre 2002.

Depuis 1986, le Air Carrier Access Act (ACAA) (loi sur l'accès au transport aérien) des États-Unis d'Amérique autorise les personnes ayant des déficiences se trouvant sur un vol à être accompagnées d'animaux aidants, sans que soit exigé un certificat émanant d'un organisme professionnel de dressage des animaux aidants. Les assurances verbales de la personne handicapée qui utilise l'animal suffisent.

Je pense que l'article 149 du Règlement sur le transport aérien, DORS/88/58, est discriminatoire envers les personnes ayant des déficiences qui ont besoin d'un chien aidant pour se déplacer.

[49]       L'article 149 du Règlement sur les transports aériens, précité, s'applique uniquement aux services intérieurs offerts par le transporteur aérien (voir le paragraphe 146(1) du Règlement). Air Transat a adopté l'article 149 comme politique pour ses vols internationaux.

[50]       Le demandeur soutient qu'il n'a fourni aucun service à la défenderesse. Il affirme que c'est Air Transat et non pas lui qui a fourni le service en question à la défenderesse. Le demandeur prétend qu'étant donné qu'il n'a pas fourni de service à la défenderesse, la Commission n'avait pas la compétence pour se saisir de la plainte de la défenderesse.

[51]       J'estime que le service fourni à la défenderesse lui a été fourni par Air Transat et non pas par le demandeur. C'est Air Transat qu'elle a payé pour qu'il la transporte à St. Maarten, dans les Antilles hollandaises. L'article 149 du Règlement s'applique uniquement aux vols intérieurs. L'unique raison pour laquelle il est appliqué en l'espèce vient du fait qu'Air Transat l'a adopté comme politique pour ses vols internationaux. Pour ces motifs, je conclus que l'OTC ne fournissait pas de service à la défenderesse au sens de l'article 5 de la LCDP.

[52]       Lorsque la Commission a décidé d'entendre la plainte de la défenderesse, elle a décidé qu'elle avait la compétence pour le faire.

[53]       Je conclus que la Commission n'avait pas la compétence pour entendre la plainte aux termes de l'alinéa 41(1)c) de la LCDP parce que le demandeur n'a pas fourni de service à la défenderesse.

[54]       Il en résulte également qu'étant donné que la Commission n'avait pas la compétence pour entendre la plainte de la défenderesse, elle n'a pu estimer que la plainte relevait de sa compétence.

[55]       Il était manifestement déraisonnable que la Commission décide que la plainte semblait relever de sa compétence.

[56]       Étant donné la conclusion à laquelle j'en suis arrivé sur cette question, il n'est pas nécessaire que j'examine les autres questions soulevées par le demandeur.

[57]       La décision de la Commission est annulée et il est interdit à la CCDP de poursuivre l'examen de la plainte.

[58]       Pour les mêmes motifs que dans le dossier de la Cour T-940-04, il n'y aura pas d'adjudication des dépens.

ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE que la décision de la Commission soit annulée et qu'il soit interdit à la Commission canadienne des droits de la personne de poursuivre l'examen de la plainte.

« John A. O'Keefe »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 25 juillet 2005

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-932-04

INTITULÉ :                                                    OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA

                                                                        c.

                                                                        GEORGINA SASVARI

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 25 JANVIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                                   LE 25 JUILLET 2005

COMPARUTIONS :

Elizabeth Barker                                                POUR LE DEMANDEUR

Lisa Cirillo                                                         POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Office des transports du Canada                        POUR LE DEMANDEUR

Gatineau (Québec)

Downtown Legal Services                                 POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)

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