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Date : 20220322

Dossier : T‑1887‑19

Référence : 2022 CF 388

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 mars 2022

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

ADVANCED PURIFICATION ENGINEERING CORPORATION

(APEC WATER SYSTEMS)

demanderesse

et

ISPRING WATER SYSTEMS, LLC

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Advanced Purification Engineering Corporation, faisant affaire sous le nom d’APEC Water Systems (APEC), a présenté, en vertu du paragraphe 57(1) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 (la Loi), une demande visant à faire radier du registre l’enregistrement de la marque de commerce APEC WATER, dont le numéro est LMC969157. La défenderesse, iSpring Water Systems, LLC (iSpring), a obtenu l’enregistrement de la marque de commerce le 26 avril 2017.

[2] À l’appui de la radiation de l’enregistrement, la demanderesse invoque les alinéas 18(1)b), c), d) et e) de la Loi. En outre, elle soutient que la demande de marque de commerce d’iSpring contenait une fausse déclaration importante, ce qui rend l’enregistrement nul.

[3] Pour les motifs qui suivent, j’accueille la demande, car j’ai conclu qu’iSpring n’était pas la partie ayant droit à l’enregistrement de la marque de commerce, que la marque n’était pas distinctive à l’époque où ont été entamées les procédures, et qu’iSpring l’avait abandonnée. J’ai également conclu que la demande de marque de commerce d’iSpring contenait une fausse déclaration importante.

II. Contexte

[4] APEC est une société californienne qui fabrique et vend des systèmes de traitement de l’eau. Elle vend des systèmes de filtration d’eau potable par osmose inverse depuis plus de 20 ans sous le nom d’APEC Water Systems. Elle vend des produits sur son site Web, www.freedrinkingwater.com, et par l’intermédiaire d’Amazon. Les clients canadiens peuvent acheter ses produits directement sur son site Web ou par l’intermédiaire d’Amazon. Elle a réalisé sa première vente au Canada en janvier 2005.

[5] Aux États‑Unis, APEC a obtenu l’enregistrement de la marque de commerce APEC Water (numéro 4410172) et du logo APEC (numéro 5627059). Elle a demandé l’enregistrement de ces marques de commerce au Canada le 21 novembre 2019, et elle a appris que la marque de commerce APEC WATER avait déjà été enregistrée par iSpring.

[6] iSpring, une société constituée dans l’État de Géorgie, vend des systèmes de filtration d’eau par osmose inverse. Les produits qu’elle vend portent la marque de commerce iSpring. Le 23 avril 2015, elle a demandé l’enregistrement de la marque de commerce APEC pour l’employer en liaison avec les produits et services suivants :

[traduction]
des dispositifs, des composants et des additifs de traitement de l’eau, à savoir des adoucisseurs d’eau à échange d’ions domestiques, commerciaux et portatifs, des filtres à eau domestiques et commerciaux, des systèmes de traitement d’eau potable par osmose inverse à basse pression au point d’utilisation, des systèmes de distillation d’eau potable au point d’utilisation, des ensembles de traitement d’eau potable, des adoucisseurs d’eau par échange cationique, des systèmes de traitement d’eau pour l’élimination des micro‑organismes par rayons ultraviolets, des systèmes de traitement d’eau potable par osmose inverse, des produits chimiques pour le traitement de l’eau potable, des composants de système de traitement d’eau potable et des systèmes de distillation d’eau potable.

[7] En septembre 2017, iSpring a cédé l’enregistrement de la marque de commerce APEC WATER à Cabrio International Inc., une société enregistrée aux Îles Marshall.

[8] APEC et iSpring sont des concurrentes. iSpring n’est ni une distributrice, ni une franchisée, ni une licenciée de la demanderesse, et elle n’avait eu aucune relation avec la demanderesse auparavant.

III. La preuve

[9] À l’appui de la présente demande, la demanderesse a produit :

a) l’affidavit de Stephen Roger, enquêteur principal chez Xpera Risk Mitigation & Investigation, souscrit le 20 décembre 2019. M. Roger n’a pas été contre‑interrogé au sujet de son affidavit.

b) l’affidavit de Jia Rong, vice‑président à la prospection de clientèle chez APEC, souscrit le 26 décembre 2019. La transcription du contre‑interrogatoire de Jia Rong a également été déposée en preuve.

[10] La défenderesse s’appuie sur l’affidavit de John Chen, le chef de l’exploitation d’iSpring, souscrit le 21 février 2020. M. Chen a été contre‑interrogé au sujet de son affidavit, et la transcription de ce contre‑interrogatoire a été déposée en preuve.

IV. Les questions en litige

[11] Les questions à trancher sont les suivantes :

  1. APEC est‑elle une personne intéresséeaux fins de l’application du paragraphe 57(1) de la Loi?

  2. Appréciation de la preuve

  3. iSpring avait‑elle le droit d’enregistrer la marque de commerce [art 18(1)d)]?

  4. La marque de commerce était‑elle distinctive à l’époque où ont été entamées les procédures en l’espèce [art 18(1)b)]?

  5. iSpring a‑t‑elle abandonné la marque de commerce [art 18(1)c)]?

  6. La marque de commerce a‑t‑elle été enregistrée de mauvaise foi [art 18(1)e)]?

  7. La demande d’iSpring contenait‑elle une fausse déclaration importante?

V. Analyse

A. APEC est‑elle une personne intéressée aux fins de l’application du paragraphe 57(1) de la Loi?

[12] L’article 57 de la Loi prévoit notamment ce qui suit :

Compétence exclusive de la Cour fédérale

 

Exclusive jurisdiction of Federal Court

57 (1) La Cour fédérale a une compétence initiale exclusive, sur demande du registraire ou de toute personne intéressée, pour ordonner qu’une inscription dans le registre soit biffée ou modifiée, parce que, à la date de cette demande, l’inscription figurant au registre n’exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque de commerce.

 

57 (1) The Federal Court has exclusive original jurisdiction, on the application of the Registrar or of any person interested, to order that any entry in the register be struck out or amended on the ground that at the date of the application the entry as it appears on the register does not accurately express or define the existing rights of the person appearing to be the registered owner of the trademark.

[13] Comme il est indiqué dans la décision Beijing Jingdong 360 du E‑commerce Ltd c Zhang, 2019 CF 1293 [Jingdong], « [l]’expression “personne intéressée” qui figure au paragraphe 57(1) de la Loi est très large et a été interprétée comme énonçant un seuil “de minimis” pour ce qui est de la qualité pour agir » (au para 11).

[14] Il ne semble pas contesté qu’APEC est une « personne intéressée » au sens du paragraphe 57(1) de la Loi. En tout état de cause, il a été conclu que l’enregistrement concurrentiel d’une marque de commerce fait de la demanderesse une « personne intéressée » (voir Bedessee Imports Ltd c GlaxoSmithKline Consumer Healthcare (UK) IP Limited, 2019 CF 206 au para 18; Yiwu Thousand Shores E‑Commerce Co Ltd c Lin, 2021 CF 1040 au para 23 [Yiwu Thousand Shores]).

[15] Dans les circonstances, je suis convaincue qu’APEC est une personne intéressée aux fins de l’application de la Loi.

B. Appréciation de la preuve

[16] Il existe une présomption selon laquelle l’enregistrement d’une marque de commerce est valide. Comme l’a résumé la juge Sharlow, « [c]ela signifie, à mon avis, qu’une demande de radiation sera accueillie seulement si l’examen de toute la preuve présentée à la Cour fédérale permet d’établir que la marque de commerce n’était pas enregistrable à l’époque pertinente » (Cheaptickets and Travel Inc c Emall Inc, 2008 CAF 50 au para 12).

[17] La question de savoir si iSpring a employé la marque de commerce APEC WATER au Canada est à la base des motifs d’invalidité allégués. Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada, « le droit à une marque de commerce repose essentiellement sur son emploi véritable […] L’enregistrement d’une marque déposée qui n’a pas été employée est susceptible de radiation » (Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22 au para 5 [Mattel]).

[18] APEC soutient qu’il n’existe aucune preuve qu’iSpring a utilisé la marque de commerce APEC WATER au Canada. Elle s’appuie sur la preuve contenue dans l’affidavit de son enquêteur, M. Roger, dans lequel ce dernier détaille l’enquête qu’il a menée pour vérifier si iSprings vendait des produits portant la marque de commerce APEC ou APEC WATER. Il y décrit les recherches qu’il a effectuées sur le site Web (123filter.com) et le compte Facebook d’iSpring ainsi que sur les sites Web de vente au détail de Canadian Tire, d’Home Depot Canada, de Lowes Canada, de Walmart.ca, d’Amazon.ca et de Rona. M. Roger affirme qu’aucune mention d’APEC ou d’APEC WATER ne figure dans les listes de produits d’iSpring qu’il a trouvées dans ces recherches.

[19] iSpring s’appuie sur l’affidavit de son chef de l’exploitation, John Chen. À cet affidavit sont jointes des copies de factures de vente, ainsi qu’une seule image d’un emballage sur lequel figure la marque de commerce APEC WATER et une capture d’écran montrant un [traduction] « filtre de comptoir en acier inoxydable 10 d’APEC » sur le site Web os.123filter.com.

[20] Les factures jointes à l’affidavit de M. Chen comportent des erreurs de calcul. Sur une facture de vente de 50 unités d’un article dont le prix est de 79 $, le sous‑total est de 99 $. Sur une autre facture de vente de 50 unités dont le prix est de 72 $, le sous‑total est de 7 200 $. L’explication de M. Chen à propos de ces erreurs est qu’elles résultent d’un ajustement fait à la main dans le logiciel. Outre qu’elles comportent des erreurs de calcul, les factures n’indiquent aucun mode de paiement ou de livraison.

[21] L’élément de preuve de l’emballage sur lequel figure la marque de commerce APEC WATER qu’a présenté iSpring ne consiste que dans une unique photographie de mauvaise qualité. Interrogé à propos de celle‑ci, M. Chen n’a pas été en mesure de dire où l’emballage avait été commandé, quand il avait été fabriqué, si quelqu’un avait contribué à sa conception, si le fabricant de l’emballage était aussi le fabricant du produit ni combien d’épreuves avaient été fournies avant l’approbation de l’emballage définitif. Dans l’ensemble, le témoignage de M. Chen relativement à cette question manque de crédibilité.

[22] Le témoignage de M. Chen concernant le site Web utilisé par iSpring présente des incohérences. Dans son affidavit, M. Chen affirme qu’iSpring a promu et vendu des produits APEC WATER en utilisant cette marque de commerce sur son site Web « os.123filter.com ». En contre‑interrogatoire, M. Chen a affirmé que le site Web os.123filter.com était un ancien site Web qui n’avait pas été utilisé depuis au moins dix ans. Il a ajouté que le site Web avait été désactivé après que la présente demande eut été signifiée à iSpring.

[23] L’enquêteur de la demanderesse, M. Roger, n’a pas trouvé le site Web os.123filter.com lorsqu’il a effectué des recherches en ligne avant le dépôt de la présente demande, ce qui contredit l’affirmation de M. Chen selon laquelle le site Web a été désactivé quand la présente demande a été signifiée à iSpring.

[24] Le témoignage de M. Chen à propos du site Web d’iSpring, où des produits de marque « APEC » auraient été vendus, est confus et contradictoire. Même s’il affirme que le site Web a été désactivé à la suite du dépôt de la présente demande, je ne suis pas convaincue que le site Web os.123filter.com était accessible au public dans la période pertinente.

[25] En raison de ses incohérences et de ses ambiguïtés, j’attribue un faible poids au témoignage de M. Chen.

[26] Dans les circonstances, je privilégie la preuve contenue dans l’affidavit de M. Roger, selon laquelle :

  • le site Web d’iSpring dont l’adresse est 123filter.com ne contenait aucune mention du mot « APEC », à l’exception d’une mention commanditée qui renvoyait au site Web de la demanderesse et de mentions dans des comparaisons ou des évaluations de la compatibilité entre des produits de la demanderesse et ceux d’iSpring;

  • le compte Facebook d’iSpring ne contenait aucune mention du mot « APEC », à l’exception d’une mention commanditée qui renvoyait à la page Facebook de la demanderesse;

  • les sites des détaillants en ligne canadiens énumérés sur le site Web d’iSpring, dont Amazon Canada, ne contenaient aucune mention du mot « APEC » en combinaison avec le mot « Spring », à l’exception de mentions de la compatibilité entre les produits de la demanderesse et ceux d’iSpring;

  • les sites de dix détaillants canadiens ne contenaient aucune mention du mot « APEC » en combinaison avec le mot « iSpring ».

[27] M. Roger n’a pas été contre‑interrogé au sujet de son affidavit. Je privilégie donc la preuve non contestée de M. Roger plutôt que celle de M. Chen.

C. iSpring avait‑elle le droit d’enregistrer la marque de commerce [art 18(1)d)]?

[28] L’alinéa 18(1)d) de la Loi prévoit que l’enregistrement d’une marque de commerce est invalide si :

d) sous réserve de l’article 17, l’auteur de la demande n’était pas la personne ayant droit d’obtenir l’enregistrement […]

 

(d) subject to section 17, the applicant for registration was not the person entitled to secure the registration […]

 

[29] Le paragraphe 17(1) de la Loi prévoit qu’aucun enregistrement d’une marque de commerce ne peut être tenu pour invalide du fait qu’une autre personne a antérieurement employé une marque de commerce créant de la confusion, sauf à la demande de cette autre personne, à qui il incombe d’établir qu’elle n’avait pas abandonné cette marque de commerce créant de la confusion, à la date de l’annonce de la demande.

[30] Je dois d’abord examiner la question de savoir si la demanderesse avait abandonné la marque de commerce. Comme elle est la partie qui conteste la validité de l’enregistrement d’iSpring, APEC doit établir qu’elle n’avait pas abandonné l’emploi de la marque APEC WATER à la date de l’annonce de la demande d’enregistrement de la marque de commerce d’iSpring, soit le 21 septembre 2016.

[31] APEC a déposé en preuve des factures attestant la vente de produits de marque APEC WATER à des clients canadiens entre 2005 et 2019. Elle a également déposé des éléments de preuve tirés de ses comptes de médias sociaux, dont YouTube, Facebook, Twitter, Instagram et Pinterest, où figure la marque de commerce APEC WATER. Selon la preuve, elle a dépensé environ 500 000 $ US par année au cours des cinq années précédentes en marketing sous la forme de publicités au paiement au clic par l’intermédiaire de Google et de campagnes promotionnelles par l’intermédiaire de son site Web et de ses comptes de médias sociaux.

[32] À la lumière de cette preuve, je suis convaincue que la demanderesse a établi qu’elle avait utilisé la marque de commerce au Canada dès 2005 et de façon continue par la suite. Par conséquent, APEC s’est acquittée du fardeau prévu au paragraphe 17(1) de prouver qu’au 21 septembre 2016, elle n’avait pas abandonné la marque de commerce.

[33] Pour savoir si iSpring était la partie ayant droit à l’enregistrement de la marque de commerce, il est nécessaire d’examiner ce que prévoit l’article 16 de la Loi, à savoir qu’une partie a droit d’obtenir l’enregistrement d’une marque de commerce, à moins que celle‑ci ne crée de la confusion avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada. La date pertinente pour cet examen est celle à laquelle iSpring a produit la demande d’enregistrement de la marque de commerce ou celle à laquelle la marque a été employée pour la première fois au Canada, la première éventualité étant à retenir.

[34] Dans sa demande d’enregistrement de la marque de commerce APEC WATER, qu’elle a produite le 23 août 2015, iSpring a affirmé que la marque avait été employée pour la première fois au Canada le 4 août 2012. Par conséquent, la date pertinente pour évaluer la confusion visée à l’alinéa 18(1)d) est le 4 août 2012.

[35] L’article 6 de la Loi définit les circonstances dans lesquelles une marque crée de la confusion :

Quand une marque ou un nom crée de la confusion

 

When mark or name confusing

 

6 (1) Pour l’application de la présente loi, une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial si l’emploi de la marque de commerce ou du nom commercial en premier lieu mentionnés cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial en dernier lieu mentionnés, de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.

 

6 (1) For the purposes of this Act, a trademark or trade name is confusing with another trademark or trade name if the use of the first mentioned trademark or trade name would cause confusion with the last mentioned trademark or trade name in the manner and circumstances described in this section.

 

Éléments d’appréciation

 

What to be considered

 

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

 

(5) In determining whether trademarks or trade names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

 

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

 

(a) the inherent distinctiveness of the trademarks or trade names and the extent to which they have become known;

 

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

 

(b) the length of time the trademarks or trade names have been in use;

 

c) le genre de produits, services ou entreprises;

 

(c) the nature of the goods, services or business;

 

d) la nature du commerce;

 

(d) the nature of the trade; and

 

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux, notamment dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

 

(e) the degree of resemblance between the trademarks or trade names, including in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

 

[36] La preuve d’une confusion réelle n’est pas nécessaire. Le critère est la probabilité de confusion (Mattel, au para 55).

[37] La marque de commerce APEC WATER d’iSpring est identique à celle qu’utilise APEC. En outre, les parties sont des concurrentes. Par conséquent, il est fort probable que les clients soient confus, puisque deux sociétés proposent les mêmes produits portant la même marque de commerce dans le même domaine, soit celui de la filtration de l’eau.

[38] APEC a présenté une facture qui établissait qu’elle avait employé la marque de commerce APEC WATER au Canada le 31 janvier 2005, soit des années avant qu’iSpring produise sa demande d’enregistrement de marque de commerce, en 2015, et avant la date du premier emploi de la marque allégué, en 2012. APEC a déposé des éléments de preuve établissant qu’elle avait continué d’utiliser la marque de commerce au Canada depuis 2005. J’accepte la preuve d’APEC selon laquelle elle employait sa marque de commerce APEC WATER avant la date du premier emploi de la marque qu’a allégué iSpring.

[39] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que la confusion entre les deux marques est probable et, par conséquent, qu’iSpring n’avait pas droit à l’enregistrement de la marque.

D. La marque de commerce était‑elle distinctive à l’époque où ont été entamées les présentes procédures [art 18(1)b)]?

[40] L’alinéa 18(1)d) de la Loi prévoit que l’enregistrement d’une marque de commerce est invalide si :

b) la marque de commerce n’est pas distinctive à l’époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l’enregistrement […]

 

(b) the trademark is not distinctive at the time proceedings bringing the validity of the registration into question are commenced […]

 

[41] APEC a déposé la présente demande le 21 novembre 2019, qui est donc la date pertinente pour l’évaluation du caractère distinctif.

[42] Le terme « distinctive » est défini à l’article 2 de la Loi de la façon suivante :

distinctive Se dit de la marque de commerce qui distingue véritablement les produits ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire de ceux d’autres personnes, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi. (distinctive)

 

distinctive, in relation to a trademark, describes a trademark that actually distinguishes the goods or services in association with which it is used by its owner from the goods or services of others or that is adapted so to distinguish them […] (distinctive)

[43] Le caractère distinctif est une question de fait, et une marque de commerce doit remplir les trois conditions suivantes pour être distinctive : (i) la marque et les produits ou services doivent avoir un lien entre elles; (ii) le « propriétaire » de la marque doit faire usage de ce lien dans la fabrication et la vente de ses produits ou la vente de ses services; (iii) ce lien doit permettre au propriétaire de la marque de distinguer ses produits ou services de ceux des autres (voir Nature Path Foods Inc c Quaker Oats Co of Canada Ltd, 2001 CFPI 366, au para 40; Bodum USA c Meyer Housewares Canada Inc, 2012 CF 1450, au para 117).

[44] iSpring a enregistré une marque de commerce identique à celle d’APEC en liaison avec les mêmes produits ou services. Il est donc impossible de distinguer les marques de commerce. En outre, comme j’ai conclu qu’aucune preuve n’établissait qu’iSpring avait employé la marque APEC WATER au moment où les présentes procédures ont été entamées, je n’ai aucune difficulté à conclure que la marque n’est pas distinctive des produits ou services d’iSpring.

E. iSpring a‑t‑elle abandonné la marque de commerce [art 18(1)c)]?

[45] L’alinéa 18(1)c) de la Loi prévoit que l’enregistrement d’une marque de commerce est invalide si :

c) la marque de commerce a été abandonnée […]

 

(c) the trademark has been abandoned […]

 

[46] L’enregistrement d’une marque de commerce peut être radié au motif que la marque a été abandonnée si celle‑ci n’est plus employée au Canada et que son propriétaire a manifesté l’intention de l’abandonner [Jingdong au para 16; Promefil Canada Ltée c Munsingwear, Inc, 1992 CanLII 12831 (CAF) à la p 64].

[47] Le simple non‑usage d’une marque de commerce ne démontre pas qu’elle a été abandonnée, et même un usage minimal de la marque peut empêcher la Cour de tirer une conclusion d’abandon (Omega Engineering Inc c Omega sa, 2006 CF 1472 au para 42). Toutefois, si la marque de commerce n’a pas été employée depuis longtemps, l’intention de l’abandonner peut être inférée (Iwasaki Electric Co Ltd c Hortilux Schreder BV, 2012 CAF 321 au para 21).

[48] Dans son affidavit, M. Chen affirme qu’[traduction] « au fil des ans, jusqu’en 2018, iSpring a promu et vendu ses produits APEC WATER en utilisant la marque de commerce APEC WATER sur son site Web de commerce électronique […] » (non souligné dans l’original). Dans son propre témoignage, iSpring admet ne pas avoir employé la marque de commerce après 2018, bien qu’elle ne précise pas la date à laquelle elle a cessé de le faire.

[49] iSpring soutient cependant que, même si elle a cessé d’employer la marque de commerce, rien ne démontre qu’elle avait l’intention de l’abandonner. Elle s’appuie sur l’affirmation de M. Chen selon laquelle il a suspendu les ventes de produits APEC WATER sur l’ancien site Web d’iSpring après que la présente demande lui eut été signifiée, en novembre 2019. Cette explication ne concorde pas avec le fait que l’enquêteur n’a pas été en mesure de trouver le moindre indice qu’iSpring employait la marque de commerce APEC.

[50] Par conséquent, comme j’ai jugé qu’iSpring n’avait pas établi au moyen d’une preuve fiable qu’elle employait la marque de commerce APEC WATER, je conclus qu’elle en avait abandonné l’emploi.

F. La marque de commerce a‑t‑elle été enregistrée de mauvaise foi [art 18(1)e)]?

[51] L’alinéa 18(1)e) de la Loi prévoit que l’enregistrement d’une marque de commerce est invalide si :

e) la demande d’enregistrement a été produite de mauvaise foi.

 

(e) the application for registration was filed in bad faith.

[52] APEC soutient qu’iSpring, sa concurrente, s’est approprié la marque de commerce APEC et que cela constitue de la mauvaise foi.

[53] Comme je l’ai indiqué ci‑dessus, j’ai conclu qu’iSpring n’avait pas produit de preuve fiable selon laquelle elle employait la marque de commerce dans le cadre de la vente directe ou en ligne. La question à savoir pour quels motifs iSpring a cherché à obtenir l’enregistrement d’une marque de commerce qui, d’ailleurs, n’a aucun lien avec son nom commercial ou son profil de site Web, se pose donc clairement.

[54] Toutefois, je ne suis pas convaincue qu’iSpring savait qu’APEC employait la marque de commerce au Canada, et je ne suis pas convaincue non plus qu’iSpring avait l’intention de nuire aux activités commerciales d’APEC (Yiwu Thousand Shores, au para 53). Dans son témoignage, M. Chen affirme qu’il ne savait pas, au moment de la production de la demande d’enregistrement de la marque de commerce APEC WATER, en 2015, qu’une autre entité affirmait détenir des droits sur celle‑ci au Canada.

[55] Comme l’a indiqué le juge Zinn dans la décision Norsteel Building Systems Ltd c Toti Holdings Inc, 2021 CF 927, la défenderesse « a, au mieux, fait montre d’aveuglement volontaire quant à la question de savoir si elle avait le droit de produire une demande compte tenu de sa concurrente […]; cependant, je ne saurais affirmer que l’absence des recherches qui s’imposent équivaut à de la mauvaise foi » (au para 75).

[56] Dans la présente affaire, il est possible qu’iSpring ait fait montre d’« aveuglement volontaire », mais je ne suis pas convaincue que la preuve satisfait au critère exigeant qui permet d’établir qu’elle a agi de mauvaise foi.

G. La demande d’iSpring contenait‑elle une fausse déclaration importante?

[57] APEC soutient que la demande d’enregistrement de la marque de commerce d’iSpring contient une fausse déclaration importante, à savoir que la société a employé la marque pour la première fois au Canada en 2012. APEC soutient que l’absence de preuve fiable de l’emploi rend l’enregistrement nul dès le départ.

[58] Comme l’a écrit la juge Walker au paragraphe 50 de la décision Yiwu Thousand Shores :

La jurisprudence reconnaît qu’une fausse déclaration essentielle à une demande peut avoir pour effet d’invalider un enregistrement et de le rendre nul ab initio (Coors Brewing Company c. Anheuser‑Busch, LLC, 2014 CF 716 au paragraphe 38; WCC Containers Sales Ltd. c. Haul‑All Equipment Ltd., 2003 CF 962 au paragraphe 25). Il n’est pas nécessaire d’établir l’existence d’une fraude ou d’une intention de tromper dans ces circonstances. Il a été reconnu qu’une fausse déclaration sur l’emploi est une fausse déclaration essentielle, parce qu’il n’aurait pas été possible d’obtenir l’enregistrement en l’absence de la fausse déclaration.

[59] Comme j’ai conclu qu’iSpring n’avait pas produit de preuve fiable selon laquelle elle avait employé la marque de commerce APEC WATER au Canada, je juge que la date du premier emploi de la marque par iSpring n’est pas celle alléguée et que cela constitue une fausse déclaration importante. L’enregistrement est donc invalide.

VI. Dépens

[60] Comme APEC a gain de cause, elle a droit à ses dépens. Elle réclame une somme majorée au titre des dépens au motif qu’iSpring a agi de mauvaise foi. Cependant, comme je n’ai pas conclu qu’iSpring avait agi de mauvaise foi, je refuse d’adjuger une somme majorée au titre des dépens.

[61] Les deux parties ont déposé un mémoire de dépens dont les calculs ont été faits selon la colonne III et la colonne V du tarif B.

[62] Dans les circonstances, j’adjuge à APEC la somme globale de 7 000 $ au titre des dépens.


 

JUGEMENT dans le dossier T‑1887‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est accueillie;

  2. L’enregistrement numéro LMC969157 est déclaré invalide;

  3. Le registraire doit radier du registre l’enregistrement numéro LMC969157 de la défenderesse;

  4. La demanderesse a droit aux dépens, que j’ai fixés à 7 000 $.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

 

T‑1887‑19

INTITULÉ :

ADVANCED PURIFICATION ENGINEERING CORPORATION (APEC WATER SYSTEMS) c ISPRING WATER SYSTEMS, LLC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 DÉCEMBRE 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 MARS 2022

 

COMPARUTIONS :

Stephanie Chong

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Chantal Bertosa

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hoffer Adler LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

CPST Law LLP

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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